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www.diploweb.com Géopolitique - Histoire de la résistance au communisme en Tchécoslovaquie

Le Cardinal Joseph Beran, archevêque de Prague  

par Mgr Jaroslav Škarvada, évêque de Litomyšl

 

Parce que l'élargissement de l'Union européenne ne peut se construire sur la méconnaissance de l'histoire des nouveaux pays membres, il importe de prendre la mesure des quatre décennies du communisme. Le Cardinal Joseph Beran est de ceux qui ont résisté à cette idéologie criminogène. Alors que nombre de nomenklaturistes "reconvertis" tirent déjà les bénéfices de la nouvelle configuration géopolitique de l'Europe, il est important de conserver des repères pour comprendre notre histoire contemporaine.

Voici le témoignage de Monseigneur Jaroslav Skarvada, ancien secrétaire particulier du Cardinal Joseph Beran. Le texte a été traduit par Jaroslav Vrzala. Le propos a été tenu à Paris, au Centre Tchèque, sur l’initiative de l’Association Amitié franco-tchéco-slovaque[i]

Biographies du Cardinal Joseph Beran et de Monseigneur Jaroslav Skarvada en bas de page.

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Voir des photographies de Prague en 2005

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L'église de Saint Ignace à Prague a été le lieu de ma première rencontre avec le Dr Josef Beran. Je terminais mes études de lycéen et voulais devenir prêtre. Je suis allé voir comment se présentait le recteur du séminaire où j’étais appelé à faire mes études. Il prononçait son sermon à la chaire où il me semblait de bien petite taille et, de fait, il n'était pas très grand. Peu de temps après, le 6 juin 1942, il a été arrêté par la Gestapo, transporté à la fameuse prison de Terezín et ensuite déporté au camp de concentration de Dachau. La faculté de théologie de l'Université Charles de Prague, où il occupait la chaire de théologie pastorale, a été fermée par les nazis, comme d'ailleurs toutes les universités tchèques. 

Retour de Dachau

Une fois la Seconde Guerre mondiale terminée, j'ai voulu pour de bon entrer au séminaire. Celui de Prague n'étant pas disponible, les cours avaient lieu à Dolní Březany, dans un petit château servant habituellement de résidence d'été de l'archevêque de Prague. C'est là que j'ai vu le Dr Beran pour la deuxième fois. Ce fut par une belle journée de juin dans le parc du château en question. Il venait de Dachau et était habillé d'un uniforme allemand usagé sorti des réserves du camp de concentration. Afin qu'il ne soit pas pris pour un SS, on lui avait cousu dessus des tricolores tchécoslovaques. Il était évidemment toujours aussi petit, mais en plus amaigri et affaibli, comme tous ceux qui sortaient d'un camp nazi, où, en plus des souffrances endurées, il avait attrapé la fièvre typhoïde. Or, se retrouvant parmi ses étudiants, on voyait qu'il était heureux, mais avant d'entreprendre quoi que ce soit, il s'est rendu à la chapelle pour remercier Dieu d'avoir survécu et d’être revenu dans sa patrie.

Le pape Pie XII nomme Mgr Josef Beran archevêque de Prague

Peu de temps après cet événement, j'ai été envoyé à Rome pour y poursuivre mes études de théologie et c'est là-bas que j'ai entendu pour la première fois parler de l’éventualité de l’accession du  Dr Josef Beran à l'archevêché de Prague. Il est bien connu que de nombreux responsables communistes - et pas seulement des Tchèques - avaient été internés eux aussi à Dachau et que de ce fait ils pourraient avoir une attitude plus avenante envers le futur archevêque, ce qui faciliterait les relations entre l'Etat et l'Eglise catholique. Et effectivement, le 4 novembre 1946, le pape Pie XII a nommé Mgr Josef Beran archevêque de Prague. Très rapidement, à savoir le 8 novembre, jour de l'Immaculée Conception, il fut consacré évêque à la cathédrale de Prague.

Le pouvoir communiste tente une manoeuvre

La situation politique en Tchécoslovaquie ne tarda pas à se détériorer. Les communistes se rendirent de plus en plus maîtres des événements qui aboutirent au Coup d'Etat de Février 1948. Avec leur prise du pouvoir l'Eglise catholique devait s'attendre à des jours difficiles. Klement Gottwald, devenu rapidement président de la République, entreprit une grande manœuvre pour mettre l'archevêque en porte-à-faux en lui demandant de célébrer, à la cathédrale de Prague un office d'action de grâces solennel à l'occasion de l'accession de Gottwald à sa nouvelle fonction de chef d'Etat. L'archevêque ne pouvait pas refuser.

Mais dès le lendemain il publia une lettre pastorale dans laquelle il expliquait que l'Eglise ne pouvait pas refuser une telle demande, ce qui ne signifiait pas, en aucun cas, qu'elle approuvait 1'idéologie prônée par le nouveau président et son parti.

Objectif du régime communiste : amener l'Eglise catholique de Tchécoslovaquie dans la dépendance du patriarcat de Moscou

Ce fut la première confrontation directe entre l'Etat et l'Eglise catholique. L'archevêque publia plusieurs lettres dont le contenu ne laissait persister aucun doute sur son attitude à l'égard des communistes et de leurs objectifs. Cela rendait la situation de plus en plus critique. L'Etat  commença à fermer les écoles catholiques, à liquider la presse religieuse et  créa de toutes pièces une Action catholique dissidente laquelle avait pour but de s'opposer, au nom de la lutte de classe, à la hiérarchie et amener l'Eglise catholique de Tchécoslovaquie dans la dépendance du patriarcat de Moscou. Peu de temps après on a découvert des installations d'écoute dans la salle de réunions des évêques et la persécution prenait des formes de plus en plus cruelles. Les prêtres qui ont eu le courage de lire à l'église les lettres pastorales de l'archevêque ont été arrêtés les uns après les autres. La presse catholique a été transférée sous l'autorité de la nouvelle Action catholique dissidente qui n'hésitait pas à inciter les croyants à s'opposer à leurs évêques 'vendus au Vatican'.

République tchèque, Prague, église. Crédits: P. Verluise

Au mois de juin de 1949, l'archevêque Beran a réussi à se rendre à la fameuse église du monastère des Prémontrés de Strahov ou il a solennellement juré qu'il ne trahirait jamais son Eglise et sa fidélité au Pape et il a demandé aux croyants de ne pas accorder un crédit quelconque à des informations qui seraient contraires à sa promesse faite à Strahov.

Dernier sermon

Le lendemain, journée de la Fête-Dieu, l'archevêque prononçait ce qui allait devenir son dernier sermon à la cathédrale. Cependant il n'a pas pu le terminer. Lorsqu'il déclara, que le journal Katolík distribué à l'entrée de la cathédrale n'avait rien à voir avec l'Eglise, les provocateurs communistes envoyés à la cathédrale s'y sont déchaînés en protestations de sorte que l'archevêque dut quitter la cathédrale à 1'abri du cordon des séminaristes et demoiselles d'honneur venus pour participer à la procession traditionnelle de la Fête-Dieu. C’était la dernière fois que 1'archevêque Beran se rendait dans sa cathédrale. Il n'a pas été autorisé à s'y rendre même avant son départ forcé pour Rome survenu bien des années plus tard.

Isolement et internement

A la suite de ces événements commencent les seize années d'isolement et d'internement dans des lieux que personne ne devait connaître. Déplacé de nuit caché sur la banquette arrière de la voiture comme un malfaiteur. Pendant ce temps on mettait en scène des procès contre les prêtres et les croyants restés fidèles à leur pasteur. Sur la place de la prison de Pankrac tombaient des têtes d'innocents et l'on préparait aussi un procès contre l'archevêque Beran. Lorsque Gottwald eut à décider de la date de sa tenue, il s'y est apparemment opposé en faisant valoir qu'après la condamnation et l'exécution de Madame Horaková, dont l'écho avait beaucoup terni la réputation de la Tchécoslovaquie communiste à l'étranger, le régime ne pouvait pas se permettre un tel procès contre l'archevêque catholique.

Cet internement a duré quatorze années pendant lesquelles le seul contact avec l'extérieur s'est produit lorsque le cardinal a dû être opéré d'urgence de 1'appendicite. Il avait été transféré dans un hôpital pénitencier où il a été opéré par le professeur Niederle. Ce dernier se doutait de l'identité de l'opéré, mais, comme il me l'a confié ultérieurement, n'en était pas certain.

Un dégel relatif

Au début des années 1960 un certain dégel commençait à se manifester dans le pays et du coup les conditions d'internement de l'archevêque Beran s’humanisèrent quelque peu. Il fut transféré à Mukařov près de Řičany où il pouvait recevoir quelques visiteurs à la fois  soigneusement choisis et avertis par le personnel surveillant. Vu que le nombre de visiteurs progressait, le prisonnier fut transféré une fois de plus. Cette fois-ci à Radvanov, bien plus éloigné de Prague, ce qui rendait les visites moins faciles.

L’ostpolitik du Vatican

Au cours de cette période, Mgr Beran  apprit que le pape voulait 1'élever à la dignité de cardinal. L''ostpolitik' du Vatican se mettait en route et le pape voulait qu'au moins le siège épiscopal de Prague soit occupé par une personnalité nommée officiellement, ne serait-ce que comme administrateur temporaire. Mgr Casaroli se rendit à Radvanov pour en discuter avec l'intéressé. Mgr Beran était persuadé que les choses allaient se passer très simplement: il se rendrait à Rome d'où il reviendrait à Prague avec la pourpre cardinalice.  Or Mgr Casaroli expliqua que le régime de Prague ne voulait pas admettre une telle solution et qu'il proposait au contraire de nommer l'évêque František Tomášek, curé de la paroisse de Moravská Huzová, comme administrateur de l'archevêché de Prague et ceci à la seule condition que le futur cardinal reste à Rome. J'ai appris les conditions de cette solution directement de la bouche de Mgr Casaroli à Rome. Quoique très affecté par ces conditions, Mgr Beran les a finalement acceptées pour donner à l'archevêché de Prague un évêque ayant le consentement du Vatican.

L’exil romain

La dernière étape de la vie du cardinal commençait: l'exil romain. Il décida d'habiter dans notre Collège-séminaire Nepomucenum de Rome qui lui convenait le mieux déjà par la présence de nos séminaristes. Le pape Paul VI l'a pris en grande affection et respect et lui a même offert son calice personnel. Son bréviaire était un cadeau personnel de Jean XXIII qui le lui a fait parvenir par des voies détournées encore pendant son internement. Relié en cuir rouge ce bréviaire était le symbole de la dignité cardinalice qu'à l'époque le pape ne pouvait pas lui conférer.

Difficile d'imaginer ce qui se passait dans la tête de cet ancien prisonnier qui seize années durant ne put écouter la radio, pas même communiste, ni lire des journaux. Il était, pour ainsi dire, un enterré vivant. Et d'un seul coup il s'est retrouvé dans la ville éternelle - Rome - où se déroulait le Concile de Vatican II. En cette période-là un bouillonnement d'idées de toutes sortes se manifestait partout et plus spécialement au sein de l'Eglise, laquelle se penchait sur des problèmes qui, du fait de son isolement, étaient restés étrangers à notre nouveau cardinal.

Il ne réalisait pas le monde qui l'entourait. Un jour où je l'accompagnais à Radio Vatican d'où il s'adressait aux croyants en Tchécoslovaquie, il m'a demandé si un pourboire de cinq lires était suffisant pour le taxi. A l'époque où il avait été étudiant à Rome, cinq lires étaient une petite somme; dans les années soixante, cinq lires ne comptaient pas. Cet exemple donne une idée de ses difficultés pour se familiariser avec le monde moderne qui l'entourait.

Attendu par deux évêques

Le cardinal y parvenait cependant et cela l'encourageait. Plus spécialement lors de la dernière session du Concile où les participants lui ont réservé un accueil plus que cordial et où tous les évêques désiraient lui manifester leur respect et leur amour. Tous ils attendaient aussi sa contribution aux débats. Cela n'allait pas non plus sans difficultés. Un jour en revenant au collège où il résidait, il y était attendu par deux évêques. Immédiatement j'ai compris que l'un d'entre eux était le fameux Mgr Lefèbvre. Ils ignoraient ma présence et sous  prétexte qu'il s'agissait d'une affaire éminemment importante - rien de moins que de la sauvegarde de l'Eglise catholique - ils voulaient rester seuls avec lui, et moi, je suis resté seul avec mon inquiétude. Il ne me restait qu’à prier, ce que j'entrepris immédiatement avec toute mon ardeur, craignant que notre cardinal ne s'engageât dans une affaire qui pourrait lui causer des ennuis. Leur entretien dura assez longtemps. Dès qu'il en est sorti, je me suis précipité vers le cardinal pour lui demander s'il avait signé un engagement quelconque à leur égard. Il m'a rassuré  et il m'a fait comprendre qu'il n'appréciait pas mes craintes. Effectivement, ses visiteurs lui avaient  demandé de signer un document, mais il leur avait répondu qu'il allait en discuter avec les cardinaux Wyszynski et Slipy et qu'ils adopteraient  une attitude commune. J'étais rassuré et j'ai remercié Dieu que les choses aient tourné de cette façon.

Préparation d’une contribution au Concile

Toutefois, notre cardinal devait s'adresser au Concile et justement l'occasion se présentait, car il était question de la liberté religieuse. Or, du fait de son long isolement et parce qu'il n'avait pas participé aux précédentes sessions du Concile, il lui était impossible d'apporter une contribution correspondant à l'évolution de ce débat au sein de l'Eglise. C'est pourquoi nous avons convenu de consulter l'un de nos spécialistes de la question, le père Dr Alexandre Heidler, lequel, avant son exil, avait en effet été le successeur du recteur Josef Beran comme professeur de théologie pastorale à la faculté de théologie de l'Université Charles de Prague. Nous avons consulté aussi d'autres spécialistes et les discussions et tractations ont pris un temps assez considérable. Je craignais même que nous n'arrivions pas à finir dans les délais qui nous avaient été accordés. Notre cher cardinal s'y intéressait à fond et nos discussions étaient très animées.

« La liberté religieuse et la liberté de conscience »

Il en est sorti un texte devenu célèbre où l'on peut lire entre autres: 'Il semble que, même dans mon pays, l'Eglise catholique souffre à cause de ce qui avait été accompli en son nom contre la liberté de conscience, comme par exemple l'exécution sur le bûcher, au début du XVème siècle du prêtre catholique Jan Hus ou encore au cours du XVIIe lorsqu'on avait forcé une grande partie du peuple tchèque à revenir à la foi catholique selon le fameux principe "Cuius regio, eius religio" (...) C'est pourquoi l'Histoire elle-même incite ce Concile à s’affranchir de toutes les réserves que pourraient inspirer un opportunisme de circonstance et à proclamer le principe de la liberté religieuse et de la liberté de conscience." Ce texte présenté par le cardinal Beran a fait une grande impression sur les  participants du Concile qui s'y sont souvent référés par la suite. 

A la découverte du Nouveau Monde

Il va de soi qu'à Rome notre cardinal souffrait du manque de contacts avec les compatriotes et c'est pourquoi il acceptait très volontiers les invitations de nos communautés d'exilés en France, en Allemagne - où il s'est rendu au camp de concentration de Dachau, où il avait été interné par les nazis - mais aussi en Norvège, en Grande Bretagne, en Irlande [1], et avec le concours de 1'évêque tchéco-américain Mgr Morkovsky du Texas il a pu visiter les USA et le Canada. Ce voyage a été relaté dans un petit livre intitulé 'Z Nového světa' (Souvenirs du Nouveau Monde). Aujourd'hui nous ne nous rendons pas compte à quel point ses voyages avaient été suivis par les média. Il faut savoir que les cardinaux Beran, Wyszinsky et Mindzsenty  étaient les figures de proue de l'Eglise catholique persécutée par les régimes communistes. Lorsque nous sommes arrivés à New York, il a été assailli par d'innombrables journalistes et photographes qui lui posaient des questions auxquelles il n'était pas habitué. Je ne peux pas dire que les paroles et écrits des journalistes reflétaient toujours bien l'esprit de ses déclarations.

Aux USA, notre cardinal a reçu de la part de nos compatriotes et des évêques américains des cadeaux et des dons qu'il a, par la suite, consacrés à l'édification à Rome d'une Maison du pèlerin. Du Vatican il percevait un traitement correct dont il consacrait la plus grande part à aider notre collège-séminaire Nepomucenum, aux salaires de ses deux secrétaires et à aider des réfugiés. Pour ses déplacements en avion il se contentait de la classe touriste ce qui nous a réservé une surprise à notre arrivée à Vienne où il avait été invité par le cardinal Koenig. Le cardinal Koenig, le comité d'accueil et le tapis rouge nous attendaient au pied de la passerelle de la classe « affaires ». Heureusement la stewardesse ne manquait pas de présence d'esprit; elle garda la sortie de la classe affaires fermée de sorte que le cardinal tout en ayant voyagé en classe touriste, est sorti de l'avion en premier et l'accueil s'est déroulé parfaitement. 

Témoin de l’Eglise du silence

Le cardinal Beran a souvent été invité aussi par des institutions occidentales, comme par exemple  l'Université catholique de Milan, par des diocèses ou encore par des personnalités dont il avait fait connaissance pendant son internement à Dachau. Il participait aussi aux travaux de différentes congrégations dont il était membre et à de nombreux offices religieux dans les diocèses. Cela allait de soi car il était à cette époque-là la personnalité la plus connue de l'Eglise persécutée - l'Eglise du silence. Sa préoccupation première restait toutefois sa patrie et c'est pour cela qu'il parlait souvent aux émissions tchèques de Radio Vatican. 

"On" lui refuse le droit de mourir chez lui

Le cardinal Beran jouissait d'une bonne santé relative jusqu'au milieu des années 1960. Un jour, alors que  nous étions en visite en Allemagne du Sud chez le père Kubovec, il a été pris de vives douleurs au ventre. Après le premier examen à l'hôpital d'Ulm nous l'avons fait transporter d'urgence au Marienhospital de Stuttgart où il a été immédiatement opéré. C'était le 5 août 1968, donc au cours de l'année des événements connus sous le nom de Printemps de Prague. Le cardinal espérait pouvoir revenir un jour dans sa patrie, au moins pour y mourir, mais l'intervention des troupes du Pacte de Varsovie mit fin à cet espoir. Même le Vatican était en faveur de cette idée et certaines négociations à ce sujet ont effectivement eu lieu. Les gens du Vatican proposaient que le cardinal puisse se retirer à Karlovy Vary, dans une maison qui servait de résidence d'été au nonce apostolique de Prague. Un veto  on ne sait de quelle origine, écarta cette solution. 

Vu son état de santé le cardinal ne pouvait même pas revenir à Rome. Il était soigné par des religieuses dans un couvent. Des complications ont aggravé son état. Malgré sa faiblesse il a encore parlé à Radio Vatican après la mort tragique de Jan Palach. Il offrait sa souffrance à Dieu et jusqu'au dernier jour de sa vie il se rendait, avec notre assistance, à la chapelle afin de dire la messe. Un jour où il fut pris de malaise, le médecin appelé pour le secourir a immédiatement ordonné de le transférer dans son lit et moi, voyant que sa dernière heure était venue, j'en ai informé le Saint Père, Paul VI, qui s'est mis immédiatement en route pour lui rendre l'ultime visite. Tandis que je l'accueillais à l'entrée du collège, notre cardinal rendait son âme à Dieu. C’était le 16 Juin 1969. 

Le cardinal J. Beran est enterré dans le sous-sol de la basilique Saint Pierre

Nous nous trouvions devant un dilemme: où l'enterrer ? Notre Collège Nepomucenum dispose au cimetière de Rome d'un assez beau caveau, mais il n’était pas digne du cardinal. Notre problème a été résolu par le Saint Père lui-même. Il nous a proposé que le cardinal Beran soit enterré dans le sous-sol de la basilique Saint Pierre de Rome, où se trouvent les tombeaux des papes: nous n'en espérions pas tant et évidemment, nous avons accepté cette noble proposition. 

Après le changement de 1989 nombreux étaient ceux qui souhaitaient que les cendres du cardinal fussent transférées à Prague, dans sa cathédrale. Or le fait qu'il soit enterré au milieu des papes, à Rome où se rendent beaucoup de pèlerins tchèques tout au long de l'année a prévalu. 

Inébranlable

Quel jugement porter aujourd'hui sur cet homme exceptionnel ? Sans aucun doute un caractère honnête, pur et dur comme d'ailleurs il disait de lui-même, qu'il était un BERAN-BELIER à tête dure qui ne cède pas et surtout qui ne trahit pas.

Tandis que dans la Tchécoslovaquie de l’époque, l'opportunisme et la collaboration fleurissaient, il s'est montré inébranlable. Il avait  compris dès le début où les communistes voulaient en venir et c'est pourquoi il a adopté à leur égard une attitude ferme dont il n'a pas dévié. Grâce à quoi il a sauvé notre Eglise d'un schisme et d'une soumission au patriarcat de Moscou comme voulaient le faire les communistes. De ce fait il est devenu le véritable patron de nos croyants qui se ressourçaient dans son attitude inébranlable. Par la suite, les événements ont démontré qu'il n'y avait pas d'autre voie acceptable et que toute alternative conduirait à la trahison. En même temps ce courageux 'Bélier' a démontré devant le Concile qu'il était un homme de tolérance et, dans sa vie personnelle, discret et bienveillant.

[...]

Mgr Jaroslav Škarvada, évêque de Litomyšl

NDLR:

[1] Et en France, à Darney, où il visita, un 30 juin, un camp d’été de jeunes exilés tchèques.

[i] Copyright chez l’auteur, le traducteur et le directeur de la société éditrice du Bulletin de l’Amitié franco-tchéco-slovaque, 91f avenue de Strasbourg, 54000 Nancy, dans le n° 2003/3 (février), où ce texte est paru initialement.

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L'éditeur du site géopolitique diploweb.com remercie le Directeur du Bulletin de l'Amitié franco-tchéco-slovaque pour l'autorisation de reproduction de ce texte.

 

 

Date de la mise en ligne: janvier 2004

 

   

Biographie du Cardinal Joseph Beran, archevêque de Prague  

   

 

 

29. 12. 1888 : Né à Plzen comme aîné de sept enfants. Son père, Joseph Beran, était maître d’école.

1907 : Après le baccalauréat, entre au séminaire à Rome.

1911 : Ordonné prêtre à Rome.

1912 : Obtient le titre de Docteur en Théologie à Rome. Retour au pays, nommé vicaire dans le village de Chyse près de Zlutice.

1914 : Vicaire à Prague (Prosek, Michle, Institut St-Joseph pour les sourds-muets à Krc).

1917 : Enseigne le catéchisme et ensuite également  la pédagogique à l’Institut pédagogique Ste-Anne rue Jecna à Prague. Devient Directeur de l’Institut plus tard.

1929 : Maître assistant de théologie pastorale à la Faculté de Théologie de l’Université Charles à Prague.

1932 : Recteur du Séminaire Archiépiscopal de Prague.

1934 : Professeur non titulaire de théologie pastorale à la Faculté Théologique de l’Université Charles.

6. 6. 1942 : Arrêté par la Gestapo, interné à la prison de Pankrac, ensuite dans les camps de concentration de Terezin et de Dachau.

26.5. 1945 : Retour à Prague, reprend sa charge de Recteur du Séminaire de Prague.

1946 : Nommé professeur titulaire à la Faculté de Théologie de l’Université Charles.

4. 11. 1946 : Nommé Archevêque de Prague.

8. 12. 1946 : Ordonné évêque.

1947 : Organise les fêtes du 950e anniversaire de la mort de St Vojtech (Adalbert).

18. 6. 1949 : Défend les droits de l’Eglise contre l’oppression du pouvoir communiste dans un sermon prononcé dans la grande église de Strahov à Prague.

19.6. 1949 : Le jour de la Fête-Dieu, la célébration dans la Cathédrale a été sabotée par la police secrète (StB), l’Archevêque placé en résidence surveillée chez lui dans le Palais épiscopal.

1950 – 1963 : Tenu en résidence surveillée dans différents lieux gardés secrets (Rozelov près de Rozmital, Ruzodol près de Liberec, Mysteves près de Bydzov, Pabenice près de Caslav), où il est maintenu dans l’isolement le plus total.

4. 10. 1963 : Gracié,“libre”, mais toujours en résidence surveillée, transféré à Mukarov près de Ricany. Autorisé à recevoir des visites.

2. 5. 1965 : Transféré au village de Radvanov près de Mlada Vozice, loin de Prague.

25. 1. 1965 : Sa nomination au rang de Cardinal est rendue publique.

17. 2. 1965 : Autorisé par le gouvernement à se rendre à Rome, son retour est indésirable.

25. 2. 1965 : Reçoit son chapeau de Cardinal des mains du Saint-Père Paul VI à la Basilique Saint Pierre de Vatican.

1965 : Participe à la 4e et dernière session du Concile Vatican II. Discours sur la liberté de la conscience. Fonde le Centre chrétien à Rome. Visite des camps de vacances pour enfants en France, en Suisse et en Norvège.

1966 : Voyage aux Etats-Unis et au Canada, pèlerinage à Lourdes, pèlerinage des enfants à Arenzano.

1967 : Visite Fatima à l’occasion de l’exposition du Jubilé. Achète la maison Velehrad à Rome.

1969 : Le jeudi Saint, parle pour la dernière fois au peuple Tchèque à la Radio Vatican.

17. 5. 1969 : Meurt à l’âge de 81 ans.

22. 5. 1969: La messe de requiem  est célébrée à la Basilique St-Pierre par Mgr Tomasek, administrateur apostolique de Prague. Le Cardinal Beran est enterré avec des hommages particuliers dans la crypte du Vatican, près de la tombe de Saint Pierre.

   

 

       
    Biographie du témoin, Jaroslav Škarvada, évêque de Litomyšl    
   

Jaroslav Škarvada est né le 14 septembre 1924 à Prague.

Après le baccalauréat à Prague, il a continué ses études à l’Université du Latran (titre de Docteur en Théologie en 1950), ensuite à la Grégorienne.

Ses études achevées, il a été pendant quatre ans vicaire en Vénétie puis a été nommé professeur de théologie dogmatique au séminaire de Chieti en Italie centrale.

Secrétaire du Cardinal Beran à partir de 1965 et chargé de la coordination de la pastorale des Tchèques en exil par la suite, il a été à ce titre nommé évêque titulaire de Litomysl et ordonné par le Saint-Père le 6 janvier 1983.

Il a été nommé vicaire général de l’archidiocèse de Prague et chanoine prévôt de la Cathédrale St Guy à Prague à partir de 1991.

Il est devenu par la suite chanoine prévôt émérite.

   
         

 

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