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La Pologne et le communisme:

"collaboration" et confusion de concepts

Par Alexandra Viatteau, écrivain   

 

La lustration doit d’abord purifier ses intentions et ses motivations pour que la vie politique et sociale soit délivrée de la  « bête et du venin » du communisme, comme l’écrivait Vladimir Volkoff. Et les observateurs doivent savoir précisément de quoi ils parlent et dans quel contexte pour apprécier la situation avec justesse. Parce que sous le mot "collaboration" se cachent au moins sept réalités.

Biographie de l'auteur en ligne.

Mots clés - Key words: alexandra viatteau, pologne, lustration, communisme, ub, sb, collaboration, intoxication, désinformation, information, médias.

 

 

 

 

 

 

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Pour mettre fin à une mise en cause désordonnée de personnalités  pour « collaboration » avec la police politique du régime communiste (SB), et, en même temps, pour faire toute la lumière sur de tels faits, une loi polonaise de mars 2007 invite les professionnels et intellectuels du secteur public (diplomates, hommes de loi, universitaires, professeurs, journalistes…) à faire un acte équivalent à celui que l’Eglise demande au personnel ecclésiastique : signaler à l’Institut de la mémoire nationale (IPN) s’ils ont collaboré  et éventuellement  sous quelle forme. C’est un nouveau mode d’auto-lustration consentie, en quelque sorte.  

La précision de la forme d’une collaboration éventuelle présente un intérêt particulier. En effet, pareille déclaration pourrait constituer, non seulement un aveu et un regret, mettant un terme à un passé trouble, mais aussi une sorte de droit de réponse (diffusable par Internet sur le site de la sérieuse institution qu’est l’IPN) à des accusations, soit par voie de rumeur, soit concrètes, mais fondées sur des archives du SB dont parfois l’authenticité et souvent la fiabilité sont douteuses. Il est vérifié que dans de nombreux cas, des documents effectivement existants ont été inventés, enjolivés, arrangés ou tronqués par le SB, mais qu’ils sont beaucoup plus médiatisés que la voix de ceux qui nient désespérément avoir « collaboré ». Fréquemment, des listes de « collaborateurs » sont contredites par le contenu des dossiers, ou bien il n’y a pas de dossiers, mais seulement des listes. 

 

Un « ricanement mauvais »

On parle de plus en plus du « ricanement mauvais » des anciens organes de répression et d’intoxication du régime communiste soviétique en Pologne qui ont laissé cet héritage. Par contre, on ne revient pas du tout sur les évènements de l’époque où des archives du SB étaient massivement détruites et brûlées dès 1990, et où se consumaient sans nul doute des dossiers d’actions et d’agents importants, rendus ainsi indétectables et dont l’action passée et à venir était ainsi camouflée et protégée. Au plus fort des révélations sur d’assez insignifiantes collaborations passées, un spécialiste du renseignement faisait part de sa connaissance d’un des modes d’opération qui consiste à lancer les médias sur la piste de bruyantes affaires de « couverture » pour réaliser pendant ce temps des opérations présentes autrement importantes. 

Cela ne signifie pas qu’il ne faille dévoiler les tristes affaires de collaboration avec la police et le régime communistes, et en guérir la société et les hommes d’aujourd’hui.  Seulement, il faut qualifier avec la plus grande précision ce qu’étaient diverses réalités, aujourd’hui toutes nommées, de façon bien souvent inadéquate, la « collaboration ». 

 

Que faut-il comprendre ?  

Qu’en est-il exactement de la réalité de ce mot systématiquement utilisé par les médias ? C’est une traduction exacte en français du terme imposé dès 1945 par la police politique communiste à des fins de « désintégration, instrumentation, compromission et division » de la société. Toute l’action de l’UB, puis du SB devait consister à « sélectionner », « enregistrer »  (avec ou sans l’accord de la victime), pour « compromettre ». En effet, il apparaît souvent que le SB a « enregistré » quelqu’un par avance comme « collaborateur », même lorsque  le « recrutement » n’apportait aucun résultat, ou bien lorsque la personne visée, voire harcelée ou menacée, a eu le courage de rompre tout contact.  

Ainsi, sous le terme imposé  de « collaboration », il faut distinguer au moins sept réalités :  

1) Le choix volontaire de devenir un agent soviétique ou communiste polonais infiltré dans le corps social (y compris dans l’Eglise), par exemple dès le séminaire, l’université, dans la famille, le milieu socio-professionnel, et même dans l’opposition et la dissidence.

2) Mais, il y a eu, à l’inverse, des infiltrations de la résistance au régime, y compris au Parti et même dans les organes de sécurité. Si de tels cas de résistants, en quelque sorte de « taupes », figurent dans des dossiers de « collaborateurs », le classement est inadéquat. 

3) Et il y avait ceux qui pensaient être capables de mener un double jeu avec le SB et se montrer plus malins, souvent au profit de leur cercle d’amis, de famille ou de leur paroisse, etc… Des spécialistes ont observé que, dans ces cas-là, chacune des parties (l’interlocuteur du SB et l’interlocuteur invité ou forcé à l’entretien avec le SB) croyait le plus souvent avoir joué l’autre.

4) « Collaborateurs » au sens « collabos » s’entend généralement des profiteurs, souvent nuisibles à autrui, des délateurs et autres faiseurs de zèle, ou idéalistes décidés à imposer et à propager l’idéologie et le régime communistes.

 

"Compagnons de route"

5)  Dans ce sens, nos « compagnons de route » français et occidentaux, dissimulateurs (parfois jusqu’à aujourd’hui) de la vérité historique et politique sur les crimes du communisme, et les thuriféraires du communisme soviétique, cubain, chinois, ou bien ceux qui commerçaient et s’enrichissaient, aveugles et indifférents à la souffrance infligée par ces régimes – tous ceux-là entrent dans la catégorie des authentiques collaborateurs, qui ne sont pas désignés par les médias au jugement des opinions publiques.

6) Dans le cas des populations des régimes communistes, et également dans le cas polonais,  il y a eu ceux qui ont accepté, contraints et forcés, des rencontres et des entretiens, ou qui ont signé à leur corps défendant ( par peur, usure ou pour pouvoir étudier, voyager, vivre en paix) un formulaire ou une déclaration quelconques, dont ils ne concevaient ni la portée, ni la gravité, et dont ils étaient persuadés, souvent à juste titre, qu’ils ne nuisaient à personne. Pour cette raison, du moins en Pologne, l’élite intellectuelle et morale, chrétienne et laïque, est d’accord sur un point : « pour qualifier quelqu’un de « collaborateur du SB », il faut en juger selon le contenu de l’information qu’il a fournie ». D’autre part, il faut nettement distinguer la simple acceptation de nouer le contact et de se rendre à une ou plusieurs rencontres avec des hommes du SB d’un « accord de collaboration », abusivement enregistré comme tel par des fonctionnaires de la Sécurité. Ceci est valable notamment dans le cas de prêtres qui considéraient parfois des agents du SB comme une espèce d’ouailles égarées à accueillir quand même.

7) Enfin, il y a eu des membres de l’opposition politique, issus de la dissidence ou de Solidarnosc, des chrétiens ou des laïcs de gauche d’origine marxiste-léniniste de 1968, parfois de familles staliniennes ou de la formation catholique PAX, ralliée au régime, et qui ont eu des relations avec le pouvoir communiste, avant de « nouer le dialogue » ouvertement. Cela au moment de la Perestroïka des années 1980, avec des communistes en place (y compris avec des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur), pour aboutir finalement à la « table ronde » et à la chute négociée du régime soviétique en Pologne au prix de certains compromis, dont le « gros trait tiré sur le passé ». L’avancement politique spectaculaire favorisé par l’appui français et occidental très gratifiant économiquement de certaines de ces personnalités du groupe de l’ « opposition démocratique » de gauche, y compris ex-communiste, n’a pas été étranger au retour au pouvoir des néo-communistes. En effet, ce groupe les a appuyés, de préférence au centre-droite, ou contre la droite, même modérée, entretenant avec eux des rapports, notamment personnels,  parfois équivoques. 

 

Calculs

Pour cette raison, la nouvelle loi de mars 2007 voudrait voir s’exprimer tout le monde. Cela, une partie des personnalités visées à gauche, voudrait l’éviter et le refuse parfois avec beaucoup d’irritation, notamment dans les milieux hostiles à l’Eglise, et qui voulaient que les projecteurs médiatiques soient braqués sur la « collaboration » dans l’Eglise, notamment pour compromettre ses interventions actuelles contre le laïcisme « transnational ». Cependant, ils voulaient que l’investigation n’atteigne pas leur propre milieu. 

En tout cas, il est important de faire la différence qui s’impose entre ces sept catégories de « collaboration », qui n’en sont pas toujours. Car, il faut qualifier les choses avec une grande précision, pour éviter la confusion des concepts, et il faut demander cet effort aux médias, afin qu’ils ne servent pas à perpétuer l’injustice envers des hommes, la désinformation sur des statistiques forcément imprécises et l’intoxication des intelligences par le régime,  la police politique et  la propagande communistes à titre posthume. En effet, il ne faut pas oublier que l’intoxication est un mode d’action qui consiste à faire raisonner juste sur des données fausses, et donc aussi sur des à peu près largement médiatisés. 

La loi polonaise a été promulguée pendant le Carême 2007. A cette occasion, l’Eglise en Pologne a demandé à tous de faire leur examen de conscience, devant Dieu,  concernant les motivations qui les guident dans la poursuite de la lustration. Est-ce pour connaître et révéler la vérité afin de réparer, de pardonner et de s’unir, ou bien est-ce pour médire et régler des comptes à des fins partisanes et politiques intérieures et internationales? La lustration doit d’abord purifier les intentions et les motivations pour que la vie politique et sociale soit délivrée de la  « bête et du venin » du communisme, comme l’écrivait Vladimir Volkoff. Et les observateurs doivent savoir précisément de quoi ils parlent et dans quel contexte pour apprécier la situation avec justesse.   

Alexandra Viatteau

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Date de la mise en ligne: avril 2007

 

 

 

   

 

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