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            "Le mal Russe. Du chaos à l'espoir",

par Hélène Blanc et Renata Lesnik

 

Mars 2005: Un nouveau livre d'Hélène Blanc: "T comme Tchétchénie", Ginkgo éditeur.

Avril 2005: Un nouveau livre de Renata Lesnik: "La rebelle aux pieds nus", éd. Hors Commerce.

Ed. l'Archipel, 2000, 406 p.

Hélène Blanc est docteur en études slaves des Langues orientales, politologue et criminologue au CNRS. Renata Lesnik, diplômé de l'université Lomonossov, est membre du Conseil scientifique du Groupe de recherche sur la délinquance financière attaché à l'université Aix-Marseille. Indépendamment ou ensemble, ces auteurs ont déjà publié huit ouvrages dont plusieurs titres sont consacrés aux mafias de l'Union soviétique ou des républiques post-soviétiques. Il faut leur accorder sur ce sujet une antériorité par rapport à bien d'autres. Leurs livres sont généralement fondés sur une abondante documentation et celui-ci ne fait pas exception. A travers de nombreux exemples, ces spécialistes proposent une analyse de la Russie des années 1990. Dans une certaine mesure, l'ouvrage constitue une synthèse argumentée à propos de la Russie des années Eltsine, utile à toute personne qui doit en rendre compte.

Panorama

Au nombre des thèmes abordés et mis en perspective, il faut citer les dessous mafieux de la crise russe, le microcosme affairiste de la Douma, le courant néonazi russe, les relations coupables de l'Eglise orthodoxe et des services secrets, les sectes totalitaires, la crise démographique, les désastres écologiques, les grandes manœuvres russo-américaines autour du dépôt de déchets nucléaires américains à Krasnoïarsk 26, l'ambiguïté de la position du FMI quant au détournement de ses crédits, la fuite des capitaux post-soviétiques, l'évolution et la montée en puissance des services secrets … (Voir un graphique sur la fuite des capitaux post-soviétiques)

Quel Etat de droit ?

L'ouvrage brosse, en fait, la situation chaotique de la Russie contemporaine. Loin des promesses des années Gorbatchev (1985 - 1991), la Russie des années 1990 n'est ni un Etat de droit ni une économie de marché. Les fameuses privatisations n'ont été qu'une opération d'appropriation du bien public par la nomenklatura et la néo-nomenklatura, non sans liens avec les mafias et les services secrets. La Russie est devenue une oligarchie, c'est à dire un régime dans lequel le pouvoir appartient à un petit groupe de personnes privilégiant essentiellement leur intérêt personnel.

B. Eltsine. Crédits : Ministère des Affaires étrangères, F. de la Mure

Les auteurs y voient le résultat de trois facteurs :"la toute puissance d'une économie souterraine - criminalité économique et financière organisée -, une politique fiscale aberrante, et enfin une corruption qui, du sommet à la base, enserrait le pays dans une étreinte mortelle" (p. 14). Et d'ajouter : "Ce que beaucoup ont pris ou voulu prendre pour une économie de marché naissante s'est mué en un capitalisme mafieux. A l'échelle de la Russie." (p. 30) D'ailleurs, Andréï Gratchev, ancien porte-parole de M. Gorbatchev l'a reconnu : "La limite qui sépare le monde criminel clandestin des couloirs étatiques et des hautes sphères de la politique russe devient de moins en moins visible. Selon l'ancien vice-Premier ministre Youri Iarov, près de 50 % des revenus criminels sont utilisés pour corrompre les fonctionnaires. Cela signifie que l'appareil d'Etat, surtout en province, n'existe encore que grâce à l'argent de la mafia". (p. 99)

Ces spécialistes voient dans l'Etat de droit attendu par les "idiots utiles" - pour reprendre l'expression de Lénine - "une oligarchie où le crime sévit en toute impunité" (p. 72) … Et elles en apportent de multiples preuves, tant la justice est à qui veut l'acheter. Les auteurs présentent même les tarifs des pots de vins à débourser pour obtenir un acquittement (10 000 $) ou la bienveillance du fisc (20 000 $).

C'est pourquoi Hélène Blanc et Renata Lesnik considèrent que "le problème le plus grave auquel les Russes se trouvent confrontés - de la frontière russo-finlandaise jusqu'au Pacifique - est probablement l'impuissance de l'Etat, la vacance du pouvoir, l'abandon du rôle d'arbitre indispensable à toute société". (p. 272)

Qui est le Président Poutine ?

Dans un sens, tout n'est pas perdu pour tout le monde, comme l'indique l'élection de Vladimir Poutine à la présidence de Russie. Chacun lira avec intérêt sa biographie (pp. 336-345). "Désormais, que l'Occident le veuille ou non, malgré le chaos ambiant, l'ex-KGB reste l'armature sans faille de l'Etat russe, comme il fut celle du régime soviétique. Le monde occidental devra donc dialoguer et composer avec l'ex-KGB, lequel, par Poutine et sa clique interposée, gouvernera la Russie". (p. 392)

A propos de Vladimir Poutine, les auteurs avancent nombre d'indices et d'arguments qui conduisent à envisager que la deuxième guerre de Tchétchènie a été principalement provoquée en 1999 pour donner une crédibilité de présidentiable au successeur désigné de Boris Eltsine, jusque là ignoré du plus grand nombre. Une collaboration du FSB et du GRU serait à l'origine des attentats utilisés comme prétextes aux opérations de répression contre les Tchétchènes. Triste pays que celui où l'on peut espérer fonder la popularité et la légitimité d'un président sur de telles manipulations et sacrifices, aussi bien du côté tchétchène que russe.

Au vu de la victoire de V. Poutine aux élections présidentielles, Renata Lesnik et Hélène Blanc constatent : "Il est clair que, dorénavant, la Russie sera officiellement dirigée par le KGB au lieu de l'être en sous-main. La nouvelle donne russe a au moins le mérite de la clarté : désormais et comme au bon vieux temps, la barbarie, le cynisme et le mensonge sont érigés en lois d'Etat" (p. 403). Chacun est prévenu.

10.02.2003. J. Chirac (France), V. Poutine (Russie).

Crédits: Ministère des Affaires étrangères, F. de la Mure

Au terme de ce tableau réaliste mais sombre de la Russie contemporaine, les auteurs veulent pourtant garder espoir. "En dépit de ces noires réalités, un jour, dans dix, dans vingt ans, la Russie rompant avec l'arbitraire aléatoire, deviendra peut-être un Etat de droit présidé par un politicien de métier dont ce ne sera plus la couverture. Alors, elle aura accompli sa énième révolution : passant du chaos à l'espoir, elle goûtera la fécondité, le bien être, la sécurité. Elle ne vivra plus écartelée entre la loi et la criminalité, le progrès et l'autoritarisme, le génie et l'obscurantisme. Entre les démons et les dieux, la Russie aura fait un choix. Ce jour là, le Mal russe ne sera plus qu'un mauvais rêve. Chacun occupera sa juste place institutionnelle, peut-être même l'héritier du KGB. Après les fleurs du mal, réconciliée avec elle-même, la société nouvelle cueillera enfin les roses de la Renaissance …" (p. 404).

Rendez-vous en 2010 et 2020.

Russie, sur la mer Baltique gelée, en décembre. Crédits: P. Verluise

Questions à suivre

Pour l'heure, les auteurs en conviennent, il serait prématuré de signer un chèque en blanc à V. Poutine. Les premières mesures du nouveau Président à l'encontre de la presse conduisent à craindre que l'information ne tombe davantage encore sous le contrôle des services secrets et des oligarques. Par ailleurs, un spécialiste consulté ne semble pas convaincu par les premières mesures concernant la corruption. Vladimir Poutine n'est-il pas, sur ce point, en partie tenu par ceux qui - dans l'ombre - l'ont fait présidentiable ?

Au nombre des innombrables questions qui se posent à propos des prochaines années, retenons trois interrogations.

Premièrement, la période autoritaire qui s'annonce - dans une certaine mesure attendue, voire espérée, par certains occidentaux inquiets du chaos russe - débouchera-t-elle sur une forme de dictature des services secrets russes ?

Deuxièmement, le partage du gâteau des richesses nationales étant bien avancé, les mafias vont-elles rentrer peu à peu dans le cadre de la loi, par le souci bien compris de protéger leurs acquis pour leur descendance ? Cet argument, entendu depuis 1994, n'a pas encore fait ses preuves. Les fera-t-il dans la décennie qui s'annonce ? En attendant, que faire ?

Troisièmement, les projections des services secrets, mafias et oligarques russes construites durant la décennie 1990 à l'étranger favoriseront-elles l'émergence d'une convergence douteuse entre certaines composantes des pays occidentaux (1) et la Russie post-soviétique?

Pierre Verluise

(1) Dès 1990, le député François d'Aubert posait la question suivante: "Peut-on exclure que la nomenklatura et les mafias soviétiques entretiennent des relations avec certains décideurs occidentaux sur lesquels ils exercent des pressions pour faire multiplier les crédits qui les engraissent ?" Cité in "Le nouvel emprunt russe", Pierre Verluise, éd. Odilon Média, p. 149.

NDLR: A lire "Le crime organisé en Russie : nouvelles approches", Cultures et Conflits, n° 42, été 2001, sous la dir. de G. Favarel-Garrigues.

 
 

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