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www.diploweb.com Géopolitique de la Russie : Vladimir Poutine, an III

4 ème partie : La corruption en Russie, hier, aujourd'hui et demain...

par Massada

 

Une réflexion originale sur les origines de la corruption en Russie et des pistes pour la réduire dans les décennies à venir. A défaut, bien des pratiques passeront peut-être d'Est en Ouest. Si ce n'est pas déjà fait...

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La corruption est aujourd'hui très présente en Russie. Il faut d'ailleurs préciser une réalité qui peut surprendre. Contrairement à la formule du général de Gaulle, évoquant l'Europe de l'Atlantique jusqu'à l'Oural - donc prêt à inclure la Russie dans cette Europe - je crois que la Russie reste aujourd'hui un pays oriental. Quels que soient les pactes, accords et engagements que nous passerons avec la Russie, il faut garder à l'esprit qu'il s'agit d'un pays oriental. Avec des manières différentes. La corruption en fait partie.

Histoire, géographie et usages

Le tsarisme fonctionnait déjà sur la base de la corruption. La littérature russe le relate amplement : lisez Gontcharov, Dostoiewski, Gogol. Cette corruption existe depuis des siècles, bien avant la période soviétique (1917-1991). Le soviétisme n'a certainement rien arrangé compte tenu des pénuries engendrées par l'économie planifiée. Aujourd'hui, quand il faut douze heures d'avion pour aller de Moscou à Vladivostok, il subsiste un problème de contrôle du centre sur la périphérie. Ce qui ouvre la voie à des prises de contrôle local des ressources. D'autant que plus on se dirige vers l'Orient, plus les ressources naturelles sont riches… Il existe dès lors peu d'étanchéité entre l'exécutif, le législatif et l'économique. Sans parler du juridique.

Dans ce contexte, le bakchich est une tradition pour les opérateurs. C'est une habitude. D'ailleurs, ce bakchich est assez encadré, de 5 à 15-20 % selon l'importance du service. A tel point qu'un décideur étranger qui ne réclame pas son bakchich donne aux Russes l'impression qu'il veut les gruger et qu'il va se gaver sur d'autres parties du contrat. Ce qui conduira, paradoxalement, à une certaine défiance vis à vis de l'honnête homme.

Réformer des coutumes ?

Aujourd'hui, cette corruption à la fois coutumière et structurelle rend difficile la mise en place de mécanismes et de structures que les Occidentaux souhaiteraient voir mis en place. Le conditionnel s'impose après l'affaire Enron aux Etats-Unis. Ce qui montre que la lutte contre la corruption concerne aussi les démocraties occidentales, avec les problèmes de falsification de comptes. Pour autant, le phénomène est d'une autre dimension en Russie. La corruption fait partie du domaine coutumier de ce pays-continent.

Pour escompter changer un jour ces pratiques, il faudrait engager une réforme colossale de l'Etat. Plus d'une décennie après l'auto-implosion de l'Union soviétique, il n'y a toujours pas eu de réforme de l'administration publique. Il faudrait s'assurer à la fois du renforcement du service public et de son assainissement. Le renforcement semble, en effet, une nécessité.

L'éducation, par exemple, subit actuellement un démantèlement néfaste, une perte de qualité. Accéder aux meilleures universités est devenu essentiellement une question de bakchichs. Il faut 10 à 15 000 dollars pour rentrer aujourd'hui à l'Académie des relations internationales. Celle-ci ouvre la voie à des carrières prestigieuses dans le secteur académique ou dans le privé. La baisse de la qualité de l'éducation réservée au plus grand nombre et l'accroissement de la corruption pour accéder à l'Université constituent deux menaces sérieuses pour l'avenir de ce pays. Parce que le niveau d'éducation d'un pays décide pour une part de ce qu'il sera dans vingt ans. Prendre, comme maintenant, le risque d'une déliquescence du système éducatif, c'est accepter que la société russe soit peu productive et non compétitive dans une génération et après. On pourrait également s'inquiéter de l'état du domaine médical et de bien d'autres encore.

Pas assez ou trop

Il serait donc prioritaire de maintenir et si possible renforcer le pilier des services de base, les fonctions régaliennes de l'Etat. Parallèlement, il faudrait améliorer l'efficacité de cette administration, pour que les services soient meilleurs. Cela demande des moyens, par exemples en personnel et en informatique. Au début du XXI e siècle, un magistrat russe travaille sans moyens. Il n'a pas de greffe, pas de secrétaire. Il continue généralement à gérer ses dossiers à la main, sans pouvoir bénéficier de la productivité induite par un usage raisonné de l'informatique. On peut comprendre pourquoi les tribunaux sont engorgés.

Il faudrait également envisager des réductions d'effectifs. Un exemple : l'administration pénitentiaire pèse 400 000 emplois, pour environ 1, 5 million de prisonniers. Pourquoi tant de fonctionnaires dans cette administration ? Parce que la structure soviétique de l'administration reposait sur le principe de l'autonomie de chaque sous-ensemble, parallèlement à une certaine concurrence. Chaque administration reproduisait en son sein un monde autonome complet. Ainsi, le ministère du Rail dispose d'un service de sécurité qui lui est propre. Il ne bénéficie pas du système de sécurité du ministère de l'Intérieur. Aux patrouilles de policiers se superpose donc le service de sécurité du Rail. Puisque le régime soviétique produisait essentiellement de la pénurie, les ministères ont acheté des sous-systèmes de production pour s'en préserver, par exemples des fermes, des boulangeries…

Un juge de première instance : 80 $ par mois

En 2003, les ministères restent encore propriétaires de ces éléments qui n'ont rien à voir avec leur activité officielle. Il faudrait les séparer de ces activités annexes qui ne sont pas nécessaires à leur activité ministérielle, donc les dépecer. Ce qui induirait des réductions d'effectifs. Parallèlement à l'amélioration de la productivité induite, il faudrait revaloriser les salaires des agents, pour réduire les tentations de la corruption. On ne peut pas accepter qu'un juge de première instance gagne 80 dollars par mois. A ce niveau de ressource, le moindre corrupteur devient presque un mécène. Tant qu'il n'y a pas de revalorisation des services publics et des agents, on ne peut pas espérer combattre efficacement la corruption coutumière dans ce pays.

Cela n'est pas forcément compris par les démocraties occidentales. La réforme structurelle ne suffit pas. Il faudrait aussi passer par des réformes des statuts, ce qui prend nécessairement du temps.

Russie, sur la mer Baltique gelée, en décembre. Crédits: P. Verluise

Quelle justice ?

La réforme de la justice est une autre priorité. Quelques efforts ont été faits depuis l'an 2000. Il existe en 2003 un traitement de justice séparée pour la délinquance juvénile. Plusieurs pays européens ont joué un rôle positif dans ce domaine. Une loi a été votée à la Douma en février 2002. On s'achemine en Russie vers la mise en œuvre d'un système de spécialisation des juges en matière de justice juvénile, une réduction des méthodes répressives. On essaie de mettre en place des politiques de réhabilitation.

En effet, on ne peut lutter contre la délinquance juvénile que par des mesures d'éducation et de prévention. Les séjours en prison, particulièrement en Russie, poussent le jeune à la récidive. Pour autant, le ministère de la Justice, né en 1998, reste caractérisé par des moyens très réduits. Le ministère de l'Intérieur garde les fonctions de police et celui de la Justice s'occupe des prisons. Les juges dépendent du Parquet, du Procureur et du Conseil supérieur des magistrats. Tant que le ministère de la Justice s'occupera principalement de la gestion des prisons et non pas de la formation des juges, on sera toujours dans une logique sécuritaire. D'autant que le corps des procureurs est un corps militaire. Il semble difficile d'entrevoir une réforme de la justice de très grande envergure.

Une règle de base et une échéance… à 50 ans

Pour autant, n'oublions pas que la Loi n'est pas un processus exogène mais endogène. Ce qui vient de l'extérieur est quasiment voué à l'échec, voire risque de faire pire. L'ancien subsiste et le nouveau s'y superpose... en ajoutant des déviances.

On ne cesse, en fait, de différer le terme prévu du processus de transition. Au début des années 1990, on pensait qu'il faudrait 10 ans pour mener à bien la transition. A la fin des années 1990, on parlait de 25 ans. En 2003, on pense qu'il faudra encore deux générations, soit 50 ans… Pour autant que les choix faits en ce moment soient les bons. Sinon, l'échéance est à reporter d'autant. Partie suivante >

Massada

Entretien avec Pierre Verluise

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  Date de la mise en ligne: avril 2003
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