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www.diploweb.com Géopolitique "L'Europe et la globalisation", par Matthieu Périchaud

CHAPITRE 2 : Continuité et rupture de la pensée sur l'Europe

Partie B : Le rôle clé des idéologies dans la pensée sur l'Europe

Introduction - 1. Politique, médias et société - 3. Europe et globalisme - 4. La communication sur l'Europe - Conclusion et bibliographie
Les notes de cette page sont à la fin du chapitre 2.

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  <Partie précédente

L’évolution de la pensée sur l’Europe, de même que sa concrétisation par un début d’unification du continent, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, résultent selon nous des divergences, mais également des convergences entre libéralisme, socialisme et nationalisme. C’est pourquoi un aperçu comparatif de ces idéologies semble tout indiqué, avant de nous intéresser à la construction européenne proprement dite (8).

1/ Postulats et vocabulaire des idéologies

On peut supposer que, d’une manière générale, libéralisme et socialisme, par leur caractère transnational et internationaliste, mettront en exergue les points communs (consentis ou obligés) entre les peuples européens, tandis que le nationalisme affirmera davantage les particularismes, ou bien se servira plus des contradictions, voire des divergences des relations européennes, pour bâtir un sentiment d’appartenance à un peuple précis, ce sentiment se faisant parfois en opposition et au détriment des autres populations du continent. Pourtant, chacune de ces idéologies influera sur les autres, tantôt en les rapprochant, parfois en les divisant encore plus.

Idéologies, passion et raison

Le nationalisme s’associe souvent aux deux autres courants de pensée, car il fonde beaucoup moins ses arguments sur une démarche rationnelle et scientifique. Tout comme le marxisme, il cherche parfois à se donner une assise scientifique qui peut l’amener au crime (9).

Le nationalisme est davantage d’ordre affectif et passionné que ne le sont en général les deux premiers (quoique le communisme, français autant que soviétique, nous a démontré qu’il pouvait amener ses adeptes à des débordements passionnels insoupçonnables, à l’époque des cultes de la personnalité de ses chefs ou de la "haine de classe").

Ainsi, nationalisme, socialisme et libéralisme se rejoignent parfois sur des bases théoriques où s’enracinent leurs raisons d’être.

Toutefois, si les deux premières idéologies (libéralisme et socialisme) résultent du développement de la pensée cartésienne, et affirment toutes deux l’universalisme, la liberté et la paix comme principes essentiels, elles n’en diffèrent pas moins sur la place de l’homme dans la société.

L’individu, la collectivité et l’idéologie

Le libéralisme considère l’individu comme le destinataire et le principe même de l’harmonie sociale, alors que le socialisme affirme que seule la collectivité permet la réalisation de l’individu, dont les aspirations et les intérêts doivent se fondre au profit de la totalité, qu’il s’agisse d’une classe sociale ou de la population toute entière.

Par contre, la primauté de la collectivité sur l’individu est un précepte que le socialisme partage avec le nationalisme. Ils ont donc en commun de croire et de faire appel au " peuple " plutôt qu’à l’individu.

Nationalisme et socialisme désirent aussi tous deux révolutionner le monde, changer la société, tandis que le libéralisme postule (en théorie) que le " laisser-faire " est le meilleur moyen d’assurer un monde harmonieux, une société humaine épanouie.

Dans ce contexte, on peut considérer que le nationalisme comme le socialisme ont souvent tendance à être beaucoup plus impérialistes que le libéralisme, du moins le vrai libéralisme…

Cependant, toute idéologie est impérialiste, dès lors qu’elle atteint le sommet du dogmatisme et de l’intégrisme intellectuel, le nationalisme n’en a donc pas l’exclusivité.

Aussi, affirmer que ses idées sont les meilleures, ou simplement le penser, peut conduire tout idéologue à vouloir non seulement les propager, mais encore plus, à les imposer.

Idéologies, révolution et réaction

Il est de coutume, en politique, d’associer le libéralisme à la droite, et le socialisme à la gauche, même si le modèle social-libéral qui prédomine en Occident depuis quelques décennies, nous montre chaque jour qu’on peut être très libéral à gauche, ou très social à droite…

On qualifie également de " conservateurs ", voire de " réactionnaires ", les individus affiliés à la droite (libéraux), alors que les individus classés à gauche (socialistes) sont qualifiés de " progressistes " ou de " révolutionnaires ". Quant au nationalisme, il pose un sérieux problème, notamment parce qu’il est trop souvent (volontairement ?) confondu avec le fascisme.

Si l’on considère que l’idéologie nationaliste prône une rupture radicale avec l’organisation qui prévaut dans nos sociétés occidentales (libéralisme économique, individualisme, etc.), il nous paraît alors quelque peu déplacé de la considérer à " droite ". Elle est évidemment bien plus révolutionnaire que conservatrice.

Le rejet de l’organisation "classique", "libérale", des Etats occidentaux n’est-il pas également présent dans l’idéologie socialiste ? Pour autant, il serait tout aussi déplacé de considérer le nationalisme comme une idéologie de " gauche ".

Assurément, le nationalisme nous semble plutôt être une idéologie " hybride ", empruntant aux deux autres, se nourrissant du libéralisme et du socialisme. Notons encore que l’on parle souvent, à propos du nationalisme, d’idéologie réactionnaire, et non pas révolutionnaire.

Vocabulaire et réalité

D’une manière générale, nous sommes en désaccord avec l’usage qui est fait de tous ces termes. Ou plutôt, on pourrait affirmer qu’on " joue " un peu trop sur les mots. Leur appropriation par certains nous semble malhabile, malhonnête, et souvent, très " politiquement correcte ". L’utilisation inadaptée de ces vocables induit effectivement, au fur et à mesure, une modification de leur signification.

Ne nous méprenons pas, il est assurément logique qu’une langue, parce qu’elle est vivante, évolue et s’enrichisse constamment. Toutefois, un tel processus ne devrait pas pour autant amener à ce que le nouveau sens attribué à un mot éclipse complètement sa définition originelle. Auquel cas, on peut aller très loin dans la manipulation et l’édulcoration de la réalité…

Ainsi, au niveau politique, pourquoi donc le terme " progressiste " serait-il l’apanage du socialisme, ou de la gauche ? Pourquoi les libéraux seraient-ils surtout conservateurs, le nationalisme forcément réactionnaire ? Pourquoi le progrès serait-il automatiquement synonyme d’amélioration, et le nationalisme synonyme de fascisme ?

Il suffit d’ouvrir un dictionnaire pour voir que la différence n’est pas forcément de cet ordre.

A chacun sa réalité ?

En effet, la façon dont on définit un mot n’est jamais innocente, ou plutôt, elle est toujours subjective. En fait, elle dépend surtout du contexte historique et politique.

Ainsi, le terme " révolution " est désormais systématiquement associé à un mouvement vers l’avant, tandis que le terme " réaction " représente le retour en arrière. Ils semblent donc diamétralement opposés. Pourtant, dans le Larousse, le terme " révolution " est ainsi défini (dans son acception politique) : " renversement d’un régime politique qui amène de profondes transformations dans les institutions d’une nation ".

Nous voyons bien qu’il n’est nulle part question d’un changement qui se produirait nécessairement vers l’avant, qui serait obligatoirement une " avancée ". De même, rien dans cette définition ne semble péjoratif ou mélioratif.

A l’inverse, pour le mot " réaction ", la définition proposée induit cette fois un net a priori (essentiellement dû à la connotation actuelle du terme " progrès "). Ainsi, le Larousse associe ce terme à un " parti qui s’oppose au progrès et veut faire revivre le passé. " Cela n’est nullement faux, mais est-ce totalement vrai ? Car cela sous-entend immédiatement que le progrès et le passé sont deux notions irrémédiablement inconciliables.

Autrement dit, toute personne qui attache de l’importance au passé, ou même qui regrette certaines évolutions par rapport au passé, serait par essence réfractaire au progrès. C’est là une interprétation qui nous paraît sans fondement valable.

Et à la rigueur, la définition du mot " révolution ", telle qu’elle apparaît dans le Larousse, pourrait également concerner le vocable " réaction " ou " réactionnaire ", puisque rien ne nous renseigne, dans cette définition, sur la nature des transformations institutionnelles. Sont-elles orientées vers l’avant, vers le passé ? Rien ne nous l’indique.

Réaction révolutionnaire ou révolution réactionnaire ?

A titre d’exemple, fort instructif au demeurant, rappelons que le programme de gouvernement de Pétain, lorsqu’il a pris le pouvoir et instauré le régime de Vichy, s’appelait Révolution nationale. Car pour ces gens, il s’agissait bien d’une révolution, aucunement d’un retour en arrière. Comme le souligne Yves Chalas, dans Vichy et l’imaginaire totalitaire :"Un deuxième paradoxe dans la composition gouvernementale permet de mieux l’appréhender : l’avènement de Vichy, qui passe pour un triomphe de la réaction, n’excluait pas la gauche de la direction du pays. […] La participation de la gauche au gouvernement de Vichy explique la présence curieuse de relents marxistes dans certains discours de Pétain, tel cet Appel aux travailleurs rédigé par Berl et Bergery où il est question de prolétariat et des causes de la lutte des classes […]. L’apparence saugrenue des faits totalitaires cache le fil logique d’une volonté politique. Qu’est-ce qu’il y avait de si important et essentiel à promouvoir pour que vieux et jeunes, réactionnaires et progressistes s’obligent à s’entendre ? […] Les aspirations de l’époque dans son ensemble étaient celles d’un dépassement généralisé des modèles sociaux issus de la prédominance du capitalisme libéral. Vichy a su dans un premier temps les cristalliser. En témoignent les leitmotive de son idéologie qui utilisent comme une incantation les termes " au-delà ", " aller au-delà " : " au-delà du marxisme ", repris à Henri de Man pourtant initialement inspiré par Marx, " au-delà du nationalisme ", qui revenait à Thierry Maulnier, " au-delà du capitalisme et du socialisme ", à Antonio Labriola, " au-delà de la démocratie " à Hubert Lagardelle. Selon Zeev Sternhell, de telles formules permettent de définir le fascisme comme une rupture avec l’opposition droite-gauche traditionnelle en politique française. […] On pouvait devenir fasciste pour rester révolutionnaire. […] Doriot, le chef fasciste des Français qui venait du communisme, demeure une grande figure de la synthèse des contraires politiques qui contribue à fonder les totalitarismes et qui les rend si difficiles à comprendre de prime abord." (10)

Ce que la réflexion de Yves Chalas confirme, c’est qu’en réalité, l’usage des mots étant souvent inapproprié mais proche de la réalité, ces derniers changent alors peu à peu de signification, comme nous l’avancions précédemment.

A chacun sa définition ?

Ainsi, " révolution " est à ce point associé au " progrès ", et le " progrès " à la gauche, que les termes " révolution ", " révolutionnaire ", " progressiste ", etc., ne sont désormais utilisés que pour qualifier des mouvements de gauche, des mouvements " socialisants " ou " marxisants ".

Il n’y a pourtant aucun véritable rapport entre désir de progrès et préférence politique ou idéologique, car enfin, quel individu pourrait être contre le progrès ? Lorsque progresser signifie améliorer, bien sûr ?

Ce raisonnement fallacieux tient essentiellement au fait que le progrès est connoté, depuis bien longtemps, de manière extrêmement positive (11). Pourtant, en nous référant à nouveau au Larousse, ce mot est défini comme tel : " mouvement en avant, augmentation, développement en bien ou en mal. " Il n’est donc pas a priori positif, il est bien neutre. Un progrès peut ainsi être bénéfique comme maléfique. En réalité, c’est donc l’utilisation du terme " progrès " qui pose ici problème.

La différence entre gauche et droite, entre socialisme et libéralisme, porte seulement sur ce que l’on définit comme étant le progrès. Partant, il n’y aucune raison valable pour attribuer l’exclusivité du " progrès " à un parti plutôt qu’à un autre, à une idéologie plus qu’à une autre.

De même, concernant fascisme et nationalisme : d’après le Larousse, le fascisme désigne le régime autoritaire établi en Italie de 1922 à 1945, fondé par Mussolini et, par extension, il désigne une dictature. Le fascisme peut ainsi être de droite comme de gauche… Aussi, l’honnêteté historique et intellectuelle voudrait donc, soit que l’on utilise le terme " fascisme " aussi bien pour le national-socialisme hitlérien que pour le régime socialiste stalinien par exemple, soit qu’on ne le garde que pour l’Italie mussolinienne, comme à son origine.

Pourtant, le qualificatif " fasciste " est constamment employé maladroitement pour désigner le nationalisme, et ce dernier est automatiquement attribué à la droite…

Ainsi, nous insistons sur le fait que nationalisme et socialisme sont tous deux fondamentalement insatisfaits de l’état de la société, et qu’en théorie, ils désirent une rupture radicale, dans la manière dont celle-ci est organisée.

Bien sûr, pour les nationalistes, il s’agit de retrouver une mythique communauté nationale "parfaite" (d’où une forte propension à la nostalgie), alors que les socialistes, eux, veulent créer une non moins mythique communauté idéale, mais cette fois-ci, universelle, internationale, cosmopolite, etc. (d’où une foi et un espoir sans limite en l’avenir).

2/ Idéologie et extrémisme politique

Si nous mettons autant l’accent sur l’insatisfaction profonde de ces deux idéologies quant à l’état de la société, c’est parce que ce point commun explique grandement la similitude des discours nationaliste et socialiste, lorsqu’ils sont exacerbés, extrêmes et extrémistes. Dans ce cas, ils sont effectivement tous les deux on ne peut plus " révolutionnaires " et impérialistes.

Bien évidemment, nous ne parlons donc pas ici du socialisme de gouvernement, qui n’a assurément pas (plus) de rapport avec le nationalisme, en ce sens qu’il semble avoir abandonné l’idée de révolution, du moins d’une révolution violente et radicale. Nous pensons plutôt aux idéalistes qui souhaitent ardemment la destruction de la société capitaliste et de la " démocratie bourgeoise ", ceux que l’on a l’habitude de rassembler sous le terme d’" extrême-gauche ".

L’extrême-gauche, l’extrême-droite et le peuple

Les sympathisants d’extrême-gauche sont profondément choqués et révoltés par le caractère inégalitaire, injuste, et souvent cynique d’un monde qui n’hésite pas à sacrifier les uns pour le bonheur des autres, d’un monde où les faibles, les "petits", ont un poids souvent inversement proportionnel à leur nombre. Cette souffrance, ce profond sentiment d’injustice qui, d’une certaine manière s’apparente à l’empathie, est assurément tout à leur honneur.

Mais, et ce n’est ni déshonorant ni humiliant de le constater, ce profond sentiment d’abandon du peuple, cette extrême révolte de voir que la gloire et la réussite des uns nourrissent l’échec et la déchéance des autres, ces sentiments, les extrémistes de gauche les partagent avec les extrémistes de droite. Nous parlons ici surtout des sympathisants des deux extrêmes, pas des dirigeants des mouvements, car ces derniers ont le plus souvent des objectifs antagonistes.

Ainsi, les extrémistes des deux "bords" se rejoignent-ils dans l’idée que le système classique ne prend pas soin de l’ensemble de la collectivité, de la communauté humaine, et que, pour cette raison, il doit être renversé. La finalité est certes différente, la définition de ce qu’est une communauté humaine également, et ceux considérés comme les ennemis ou les "boucs émissaires" aussi. A l’extrême-droite, on en voudra aux immigrés ou aux citoyens d’origine immigrée, mais comme à l’extrême-gauche, on s’en prendra également aux patrons, aux multinationales qui délocalisent et créent du chômage dans le pays, à l’argent qui passe les frontières sans contrôle, etc.

Aussi, le sentiment général est fondamentalement le même, la réaction de rejet viscéral de la société existante est semblable. Notre affirmation ne cherche nullement à prétendre qu’extrême-gauche et extrême-droite sont interchangeables, ce serait une vision bien trop simpliste de la réalité.

Nous pensons plutôt que les deux extrêmes de la sphère politique sont des témoins de l’équilibre socio-économique de tout système : plus ils se développent, plus ils deviennent populaires, plus se révèle l’inadaptation du système aux attentes des citoyens.

Extrêmes de la société ou société de l’extrême ?

Et c’est là tout le problème et tout le danger du mode actuel de développement " à l’occidentale ". Les citoyens y partagent de moins en moins de valeurs communes et universelles mais pourtant personnelles (respect de l’autre, générosité, recherche du beau et du bien…), alors que leur sont de plus en plus proposées ou imposées des valeurs collectivistes (il faut réfléchir en groupe à l’école, travailler en équipe au bureau, s’amuser en " bande ", sortir avec sa " tribu ", etc.), mais aussi des valeurs individualistes (chacun pour soi, narcissisme, infantilisme, règne du paraître…).

Les individus les plus sensibles à cette perte de sens et de valeurs, ceux qui ressentent le plus l’inhumanité profonde de la société moderne, mais qui n’en perçoivent pas les multiples causes, et surtout, qui pensent ne rien pouvoir faire individuellement pour la changer, ces individus seront alors les plus attirés par les idées extrêmes et par ceux qui les promeuvent.

Ces idées reposent, à l’extrême-gauche comme à l’extrême-droite, sur le refus et le rejet: les extrêmes sont effectivement très fortes pour critiquer et être contre, beaucoup moins pour proposer des alternatives réalistes et sensées…

Le refus de se contenter de la société telle qu’elle est, de même que le refus de ne pas agir pour la changer, sont des qualités fort louables, dont, heureusement, les extrêmes n’ont pas l’exclusivité.

Mais il s’agit chez elles d’un refus primaire, presque instinctif, dont on ne peut que tristement constater l’instrumentalisation, à des fins de propagande et de manipulation. Ce qui sert grandement les mouvements et leurs leaders, mais pas forcément ceux qu’ils prétendent représenter…

Responsabilité collective, irresponsabilité individuelle ?

Etrange paradoxe que ces individus qui souffrent d’une société collectiviste-individualiste (le " chacun pour soi mais tous pareil ") mais qui ne pensent pas pour autant que c’est personnellement, à chaque instant de leur vie, qu’ils peuvent faire évoluer la société, en refusant de céder aux diktats publicitaires par exemple, ou en faisant preuve de tolérance, de respect des autres et de leurs opinions, même si ces opinions sont à l’opposé des leurs… Non, ils attendent à nouveau que le groupe et la société leur apportent un bonheur bien encadré. Un bonheur sous tutelle, auquel ils sont de plus en plus en plus accoutumés, et rendus dépendants…

Pourquoi ? La réponse est sûrement à chercher dans la psychologie et la sociologie (l’individu aurait peur d’être réellement libre, d’être unique, parce qu’il serait d’autant plus confronté à sa condition mortelle) ; dans l’organisation socio-politique et idéologique de nos sociétés, où l’individu est conditionné dès l’enfance à ne pas se considérer d’abord comme un être un et distinct, ou du moins, à ne pas assumer cet état de fait.

Bien évidemment, l’action en commun et la solidarité sont bénéfiques et nécessaires, et ce pour de multiples raisons, à commencer par la cohésion sociale. Mais à partir du moment où l’action "collective" sert d’exutoire aux problèmes ou enjeux personnels, aux intérêts catégoriels, et n’encourage pas les individus à prendre personnellement la défense de leurs intérêts, elle est alors plus que contestable.

Car ce que la "collectivité" peut et doit apporter à chacun, c’est la possibilité de se réaliser pleinement, de prendre son destin en main, certainement pas conformer et déresponsabiliser l’individu.

Aussi, on parle sans cesse de responsabilité collective, alors que, parallèlement, les citoyens sont de moins en moins invités à faire preuve de responsabilité individuelle… Assurément, la déresponsabilisation de l’individu découle largement d’une vision et d’une organisation collectives de la société. Et cette vision conditionne surtout les discours nationaliste et socialiste, dans leur version exacerbée et impérialiste.

Concernant la France, il est intéressant de constater que si l’extrême-droite s’est affaiblie ces derniers temps, c’est au réveil de l’extrême-gauche que l’on assiste en contrepartie.

La convergence des extrêmes

C’est donc à partir de ce sentiment commun d’insatisfaction, de frustration et de rejet du système qu’il nous semble valable d’appréhender l’extrémisme, de gauche comme de droite. Même si on l’oublie trop souvent en politique, comparer ne se limite pas à recenser les différences. Comparer, c’est également souligner les similitudes.

Concernant l’extrême-droite et l’extrême-gauche, il est de coutume de les opposer systématiquement. Alors que de nombreux indices nous confirment constamment que leurs divergences n’empêchent absolument pas l’existence de nombreux points communs.

Par exemple, le désir de révolution pour changer le monde, la négation de l’individu au profit de la collectivité, le culte de la personnalité et du chef, l’appel à l’instinct et à la passion plutôt qu’à l’intelligence et à la réflexion de fond, une organisation très pyramidale, presque militaire des mouvements, etc.

Si l’on constate qu’extrême-gauche comme extrême-droite évoluent sur le même "terrain" de la contestation, qu’elles s’adressent essentiellement à la même partie de la population, il n’est alors pas surprenant de les voir se vouer tant de haine…

Ces multiples convergences expliquent certainement pourquoi tant d’intellectuels, d’universitaires, de politiques, dénient à l’extrême-droite le qualificatif de révolutionnaire, et refusent régulièrement toute comparaison entre extrême droite et extrême-gauche.

Pour la France, l’analyse du totalitarisme effectuée par Yves Chalas, dont nous avons cité un extrait précédemment, montre effectivement à quel point, la passerelle entre les extrêmes a pu être franchie par le passé, et ce d’une façon parfois compréhensible mais pourtant inacceptable. Franchie, non seulement par les militants, mais également par certains dirigeants, tel Doriot. Le contexte s’y prêtait fortement, ce qui n’est pas vraiment le cas de nos jours.

Toutefois, rien ne nous garantit contre de tels dangers à l’avenir, a fortiori si les "déçus" et les exclus de ce que Jean-François Kahn appelle vertement le " le bolchevisme néolibéral " venaient à être de plus en plus nombreux…

Les leçons de l’histoire

Mais ces passerelles extrémistes sont visibles dans tous les pays, sous des formes différentes.

Encore actuellement, il suffit de constater qu’en Allemagne, certains dirigeants du parti néo-nazi NPD sont des transfuges d’extrême-gauche.

Ainsi de Horst Mahler, un des anciens activistes du mouvement terroriste Fraction armée rouge (organisation célèbre dans les années 70 pour une série d’attentats), et de Michael Nier, ancien cadre du Parti du socialisme démocratique (PDS, ex-communiste). Un article du Monde diplomatique, consacré à l’extrême-droite allemande, relève ainsi : "A la conférence de presse du NPD contre le projet d’interdiction du parti (…) les affiches clament : " Le travail aux Allemands d’abord " ; " Pour l’économie du peuple, contre la globalisation " ; " Du travail, au lieu des profits ". (…) Dans sa nouvelle fonction de conseiller du NPD, il [Michael Nier] fournira les bases théoriques de la critique du capitalisme – avec les slogans d’antan. " Udo Voigt, le secrétaire général du parti, est un ancien général, et je suis un ancien communiste, affirme-t-il. Mais nous sommes d’accord sur un point : les sociaux-démocrates tout comme les chrétiens-démocrates ont abandonné les petites gens. Le NPD est le seul parti qui les défende. ". Au NPD, l’ex-communiste a retrouvé l’ex-terroriste et théoricien de la Fraction armée rouge Horst Mahler, avocat, qui vient d’adhérer pour protester contre le projet d’interdiction du parti. Citant Marx, Lénine et Gramsci, M. Mahler tonne contre la dictature de l’argent, la mondialisation et " les cartels d’intérêts particuliers qui ont accaparé l’Etat et trahi le peuple. Désormais, il n’y a plus ni gauche ni droite. Ce qui compte c’est le milieu, et le NPD est le parti du milieu ". En fait, les extrêmes se touchent." (12)

Bien évidemment, certains penseront qu’il s’agit là de l’Allemagne, et que tout peut y arriver, mais qu’ailleurs, c’est impossible. Il serait, selon nous, bien présomptueux d’adopter une telle attitude.

Car rien ne peut prémunir une société contre l’alliance des " petites gens ". Alliance contre ceux qu’ils estiment (à tort ou à raison) être les responsables de leur malheur.

Dans un tel cas, interdire un parti n’aura comme principal effet que de conforter les citoyens dans l’idée que la démocratie est " pourrie ", ou qu’ils ne sont pas dans une véritable démocratie.

Lorsque l’on en arrive à ce raisonnement, on n’a peut-être plus grand chose à attendre, ou plus grand chose à perdre…

Mais comme souvent, au lieu de s’attaquer aux causes, aux racines du mal, on ne s’intéresse qu’à ses conséquences. Il ne faut dès lors pas s’étonner de voir resurgir les mêmes comportements, les mêmes discours, et parallèlement, répéter à l’envi que " décidément, les gens ne tiennent pas compte des leçons de l’histoire " !

Autre illustration de réponse des citoyens, lorsque les fondements d’une société sont à ce point affaiblis : l’Italie, avec la victoire, en mai 2001, de M. Berlusconi, désormais chef du gouvernement. Sans nul doute, cette élection représente la négation même d’une démocratie en bonne santé. Nous ne croyons pas que les Italiens aient pu si facilement succomber à la propagande médiatique du " Cavaliere " s’ils ne considéraient pas, en leur for intérieur, que depuis longtemps déjà, leur classe politique n’était plus vraiment à leur service, et qu’ils n’ont peut-être pas grand chose à en attendre.

Qui est véritablement Silvio Berlusconi ? Un homme d’affaires peu scrupuleux, un mégalomane de premier ordre, un manipulateur brillant. Mais qu’a-t-il symbolisé pour la population ? Le self made man, l’homme fort, l’homme rassembleur qui apparaît chaque fois que la société est déstabilisée, vide de sens et de valeurs, l’homme que les citoyens sont prêts à élire, parce qu’ils veulent encore y croire… ou qu’ils n’y croient plus du tout, c’est selon.

La comparaison entre Mussolini et le nouveau président du Conseil italien fait réfléchir. Mais la comparaison entre les affinités politiques de l’un et de l’autre n’est pas non plus à négliger.

Ainsi, comme le souligne Marianne, " Entre Mussolini et Berlusconi, les différences relèvent avant tout de la forme et de l’époque. Ils ont tant de points communs que leur énumération tourne à la caricature et semble procéder d’une rhétorique antifasciste vieillotte et usée, trop souvent utilisée à mauvais escient. (…) Ils ont commencé leur carrière politique à gauche, le premier par conviction, le second par opportunisme (…). Tous deux se sont détournés de leur famille d’origine en utilisant les ressorts d’une profonde crise politique et morale. (…) Au fascisme, il [Berlusconi] a également emprunté la nostalgie du parti unique et le mépris de la démocratie, ce fastidieux fardeau de l’homme européen. Forza Italia a, à l’aube du XXI e siècle, réalisé le rêve de nombreux dictateurs : dépourvue de toute idéologie, l’organisation berlusconienne est totalement vouée à l’adulation de son fondateur, les principes de l’économie de marché servant de seuls régulateurs. " (13)

Les élections italiennes témoignent ainsi de la croissante dépolitisation des sociétés occidentales. Mais certainement pas d’une disparition des idéologies. Ces dernières seraient plutôt en profonde mutation, libéralisme et socialisme convergeant comme jamais auparavant, pour peut-être à terme, donner naissance à une nouvelle idéologie, comme nous le postulerons en guise de conclusion. Partie suivante>

Matthieu Périchaud

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