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OTAN - UE : Géorgie, quel calcul ?

Par Pierre VERLUISE*, le 11 décembre 2011.

A travers le cas de la Géorgie, P. Verluise présente une analyse géopolitique des procédures d’évolution des frontières de l’OTAN et de l’UE. À la suite du conflit d’août 2008 avec la Russie, les autorités géorgiennes ont rapidement inversé leurs priorités entre l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et l’Union européenne (UE). L’occupation russe de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud plaçant Moscou en position de force, la Géorgie se trouve contrainte de mettre entre parenthèses sa soif d’OTAN et de faire de l’Union européenne sa priorité de substitut. Du moins au niveau du discours.

Cette étude met en relation les calendriers des adhésions récentes à l’OTAN et à l’UE pour mieux mettre en lumière la singularité de la posture de Tbilissi. Puis l’auteur présente comment les pays membres de l’UE voient les ambitions de la Géorgie et de quelle façon celle-ci garde un fer au feu avec l’OTAN.

LA SITUATION impose de tenter une opération de contournement : inverser les calendriers habituels d’intégration à ces deux institutions différenciées mais en relation. Rappelons, en effet, que 21 des 27 pays membres de l’UE sont aussi membres de l’OTAN. Ce calcul contraint est audacieux parce que l’adhésion à l’OTAN reste d’abord un processus stratégique, donc politique. Ce qui a pu permettre aux États-Unis de « forcer le destin » en faveur de certaines adhésions. En revanche, l’adhésion à l’Union européenne est un processus beaucoup plus complexe, profond et contraignant, pour ne pas écrire incertain.

Quels sont les paramètres du calcul géorgien ? Considérons d’abord les calendriers des adhésions récentes à l’OTAN et à l’UE pour mieux mettre en lumière la singularité de la posture de Tbilissi. Puis cernons comment les pays membres de l’UE voient les ambitions de la Géorgie et de quelle façon celle-ci garde un fer au feu avec l’OTAN.

La « procédure » habituelle : l’OTAN d’abord, l’UE après

Les élargissements récents de l’Union européenne (2004 [1] et 2007) à d’anciennes républiques ou d’anciens pays satellites de l’Union soviétique ont suivi une chronologie précise : dans un premier temps devenir membre de l’OTAN, dans un second temps adhérer à l’UE. Le délai entre les deux évènements peut varier de quelques semaines à quelques années, mais l’ordre est généralement l’OTAN d’abord, l’UE ensuite.

Ainsi, la Pologne, la République tchèque [2] et la Hongrie deviennent membres de l’OTAN dès le 12 mars 1999, puis adhèrent à l’Union européenne le 1er mai 2004.

Le 29 mars 2004, l’OTAN ouvre ensuite sa porte à l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie et la Slovénie [3]. Ces pays deviennent également membres de l’UE le 1er mai 2004, soit quatre semaines plus tard. Notons qu’à cette époque le contexte stratégique permet d’intégrer à l’OTAN non seulement d’anciens satellites de l’URSS mais encore trois anciennes Républiques soviétiques (Estonie, Lettonie, Lituanie).

Toujours ce 29 mars 2004, l’OTAN ouvre aussi sa porte à la Roumanie et à la Bulgarie, mais ces deux pays doivent patienter presque trois ans pour entrer dans l’UE, le 1er janvier 2007.

Enfin, la Croatie et l’Albanie deviennent membres de l’OTAN le 1er avril 2009. À la date du 1er janvier 2011, la Croatie reste encore pour l’UE un « pays candidat » et l’Albanie un « pays candidat potentiel ». Relevons qu’à peine entrée dans l’OTAN l’Albanie a posé sa demande de candidature à l’UE, courant avril 2009.

Ainsi, les récents élargissements de l’OTAN et de l’UE semblent indiquer une quasi-procédure : dans un premier temps, adhérer à l’OTAN, dans un second temps se porter candidat ou finaliser une adhésion à l’UE. Ce processus renvoie d’abord à une échelle de priorité – « la sécurité d’abord, l’assiette ensuite ». Il s’explique aussi par des niveaux de difficulté différents – l’adhésion à l’UE semble plus complexe [4]. Il s’inscrit, enfin, dans un contexte stratégique par nature temporaire. Pour le dire autrement, le regard que les États-Unis et certains pays de l’Union européenne posent sur la Russie de Vladimir Poutine-Dmitri Medvedev diffère de celui qu’ils portaient sur la Russie de Boris Elstine au milieu des années 1990, voire durant les premières années de V. Poutine au Kremlin.

Copyright P. Verluise, novembre 2010, ligne de démarcation Géorgie/Ossétie du Sud-Russie. Depuis le poste tenu par la police géorgienne, vue vers le Nord, en direction de la zone occupée par l’armée russe. L’œil reconnait le drapeau russe (à droite) et d’Ossétie du Sud (à gauche).

Le calcul géorgien

Certes, le gouvernement géorgien a obtenu de l’OTAN une promesse d’adhésion à un terme non précisé lors du sommet de Bucarest (2, 3 et 4 avril 2008) - soit avant la guerre d’août 2008. Et les responsables qui suivent le dossier à Tbilissi ne manquent pas une occasion de le rappeler, faisant mine d’oublier qu’en politique les promesses n’engagent souvent que ceux qui les reçoivent. Quoi qu’il en soit, le sommet de cette même organisation à Strasbourg (France) / Kehl (Allemagne) les 3 et 4 avril 2009 n’a pas enclenché de Plan d’action pour l’adhésion [5] au bénéfice de la Géorgie. La France et l’Allemagne s’y seraient opposées. Les États-Unis n’ont pas réussi – cette fois - à forcer la main à Paris et Berlin, soucieuses de ménager la Russie. Dans un contexte stratégique aussi délicat, Tbilissi a peu apprécié que Paris se propose peu après de vendre quatre bâtiments de projection et de commandement Mistral… à la Russie. Finalement, Moscou chercherait surtout à en acquérir la technologie… pour le prix de deux. Bonne opération pour le Kremlin qui a obtenu par la même occasion qu’un pays de l’OTAN lui vende du matériel de guerre… Ce qui est une première.

En attendant, faute de pouvoir obtenir de l’OTAN davantage qu’une promesse d’adhésion, les dirigeants géorgiens souhaitent tisser des liens avec l’Union européenne. Pour le dire de façon imagée : « Puisque la porte de l’OTAN reste fermée, passons par la fenêtre de l’UE ». Pour la Géorgie, l’UE devient à la fois un moyen et une fin en soi. Un moyen parce que le processus de négociation permet de rester dans la boucle avec des pays le plus souvent membres de l’OTAN et une fin parce que l’UE intéresse vraiment les autorités. L’objectif est de sortir d’une situation de quasi-insularité en multipliant les contacts. La Géorgie se verrait bien en espace de connexion entre l’Asie et l’Europe. Pour autant, la Géorgie ne dispose pas des moyens financiers pour valoriser elle-même sa position. Elle dépend en la matière des stratégies d’investisseurs étrangers, notamment russes. Un paradoxe qui ne semble pas inquiéter Tbilissi.

Certains Géorgiens rêvent cependant d’une adhésion à l’Union européenne à l’horizon de la décennie 2020, mais pour l’heure le propos vise un Accord d’Association (AA) [6].

Tornike Gordadze, Ministre adjoint au ministère des Affaires étrangères de Géorgie, négociateur en chef pour l’Accord d’Association Géorgie-Union européenne, nous déclare ainsi : « L’objectif stratégique de la Géorgie est de se rapprocher le plus possible de l’Union européenne (UE) pour bénéficier des « quatre libertés » : la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux. Nous visons d’abord un Accord d’Association (AA) UE-Géorgie pour fin 2012. À plus long terme, la Géorgie espère devenir membre de l’UE. […] Dans la perspective de l’AA, quarante cinq chapitres sont à négocier. Début 2011, six chapitres sont provisoirement clos, mais nous avons conclu un accord de principe avec l’UE qui nous interdit de dire à la presse quels sont ces chapitres provisoirement clos. Par ailleurs, huit chapitres sont en cours. La partie sur le libre échange n’a pas encore été ouverte.

Dans cette dynamique nous rapprochons notre politique étrangère des grandes lignes de la diplomatie de l’UE. […]

Par rapport aux trois États Baltes – qui sont comme nous d’anciennes Républiques soviétiques – la Géorgie a perdu une décennie. Notre sortie de l’URSS fut plus violente et à l’époque l’Ouest ne s’intéressait pas à notre région. Tacitement les Occidentaux considéraient que le Caucase était l’affaire de la Russie. L’intérêt des Occidentaux pour le Caucase s’est développé à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Le problème de la Géorgie, c’est qu’entre temps la Russie est revenue clairement dans une quête de puissance alors que l’Union européenne – voire l’OTAN - vit une forme de « fatigue des élargissements », après ceux de 2004 et 2007. Résultat, les conditions de négociation avec l’Union européenne se sont resserrées. Les Baltes nous confient qu’ils n’avaient pas des conditions aussi draconiennes pour obtenir un Accord d’association (AA) et un accord de libre échange appelé Deep and Comprehensive Free Trade Area (DCFTA). […] Pour l’instant la difficulté majeure [de la Géorgie] a trait à l’ouverture des négociations à propos de la zone de libre échange (DCFTA). L’UE temporise, alors que nous estimons que nous avons rempli les préconditions qui nous ont été demandées fin 2008. En cours de route, les recommandations de l’UE ont évoluées et nous faisons face à de véritables cibles mouvantes. Ainsi les recommandations nécessaires pour l’ouverture des négociations à propos du DCFTA sont désormais aussi sévères que celles qui étaient annoncées en 2008 pour la clôture des négociations. [7] »

Relevons que T. Gordadze évoque l’ouverture d’un Accord d’Association UE-Géorgie pour fin 2012 mais que les observateurs européens évoquent plus volontiers 2013 ou 2014. Et l’UE ne s’est encore jamais engagée à intégrer à terme la Géorgie. En revanche, le haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’UE, Catherine Ashton, a demandé en 2010 aux pays du voisinage de préciser leur agenda politique et on peut penser que le gouvernement géorgien ait envisagé dans sa réponse le statut d’État membre de l’UE.

Quoi qu’il en soit, la Géorgie demeure début 2011 dans le cadre de la politique de voisinage de l’UE, recadrée en politique orientale [8]. Bien que l’AA soit conçu à Tbilissi comme une étape vers l’adhésion à l’UE, l’équipe au pouvoir entend négocier sa conception libérale du droit du travail. Ce qui ferait achopper l’accord de libre échange. Par ailleurs, la Géorgie doit d’urgence mettre en place les contrôles phytosanitaires exigés par Bruxelles. Les réformes qui restent sur la table ont de quoi occuper plus d’une décennie. « Le gouvernement géorgien imagine volontiers qu’un discours de séduction permettra de passer en force, mais il reste à faire le travail de réformes qui s’impose », confie un observateur.

Que la population géorgienne imagine l’Union européenne comme une opportunité ne fait pour l’instant guère de doute. Le député géorgien David Darchiashvili, Président du comité de l’intégration européenne du Parlement évoque même « un contrat social autour du projet d’intégration européenne, UE – OTAN. [9] » Cependant, combien ont une vision précise de ce que cela impliquerait ? Toutes les parties ont à réfléchir à la balance coûts / avantages. Pour l’heure, pas un seul des huit premiers partenaires commerciaux de la Géorgie n’est membre de l’UE. L’Allemagne est le neuvième partenaire commercial du pays. En 2010, les échanges commerciaux franco-géorgiens se limitaient à 66 millions d’euros.

Les Géorgiens donnent parfois l’impression de vouloir « tout et tout de suite », sans vouloir admettre que du point de vue de Bruxelles l’essentiel n’est pas le but mais le processus.

Quels pays de l’UE soutiennent le projet communautaire de Tbilissi ?

Début 2011, quels sont les pays membres de l’Union européenne qui soutiennent l’ambition européenne de la Géorgie ? Autant qu’on puisse le savoir et avec une marge d’évolution en fonction des sujets et de l’actualité internationale, les principaux soutiens de Tbilissi sont d’anciennes républiques soviétiques ou d’anciens satellites de l’URSS devenus membres de l’Union européenne en 2004 ou 2007. Les partenaires les plus fidèles seraient la Lituanie et l’Estonie, avec la Lettonie dans une moindre mesure. Puis viendraient la République tchèque et la Suède. Beaucoup plus sensibles à la conjoncture et à leurs intérêts propres seraient les soutiens de la Hongrie, de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Slovaquie et de la Pologne. Après avoir été très proche de Tbilissi en 2008, la Pologne joue en effet depuis le printemps 2010 une redistribution des cartes dans ses relations avec la Russie, effet secondaire du « reset » voulu par Washington. Résultat, l’appui polonais semble devenu plus incertain. Par ailleurs, le Royaume-Uni s’ajoute à la Suède dans le – petit – groupe des anciens pays membres de l’UE qui entretiennent des relations volontiers exigeantes avec Moscou [10]. Ce qui peut parfois encourager Londres à soutenir le projet de Tbilissi. Candidate à l’UE, la Croatie est parfois consultée par la Géorgie au sujet de l’AA.

En revanche, la Géorgie éprouverait plus de difficulté à se faire entendre en Allemagne [11] où les intérêts russes sont très présents via Gazprom et le gazoduc Nord Stream [12]. Tbilissi rencontrerait encore des oppositions en Italie où les intérêts russes pèsent lourds via le projet de gazoduc South Stream, mais encore en Grèce et à Chypre où les Russes disposent de réseaux solides, aux Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg.

Quelques membres de l’UE se sentiraient peu concernés ou paraissent instables dans leurs posture : la France, l’Espagne et le Portugal. Que Paris soit prêt à vendre des navires BPC Mistral à Moscou est considéré comme une erreur à Tbilissi qui craint que ce matériel ne soit un jour utilisé à son encontre.

La politique de l’Union européenne en Géorgie – engagement et non reconnaissance des indépendances de l’Abkazie et de l’Ossétie du Sud – est le fruit d’un compromis entre les 27. C’est-à-dire de longues « disputes » autour de la table des négociations, notamment entre anciens et nouveaux membres.

L’étude de la chronologie des élargissements récents de l’OTAN et de l’UE a précédemment démontré combien le calcul géorgien est audacieux. En remontant davantage dans le temps, trouve-t-on des exemples qui donneraient à Tbilissi des raisons d’espérer ? Oui, si nous nous penchons sur le premier élargissement post-guerre froide de l’Union européenne. En effet, l’Autriche, la Finlande [13] et la Suède sont entrées dans l’Union européenne le 1er janvier 1995. La Finlande et la Suède étaient membres depuis le 9 mai 1994 du Partenariat pour la paix [14] (PPP) mais n’étaient pas membres de l’OTAN. Relevons au passage que la Géorgie est membre du Partenariat pour la paix depuis le 23 mars 1994, soit quelques semaines avant la Finlande et la Suède. Enfin, rappelons que les 19 et 20 novembre 2010, le sommet de l’OTAN à Lisbonne a officiellement engagé une réflexion pour la possible adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN. Une réflexion qui ne concerne pas l’Autriche, devenue membre du Partenariat pour la paix le 10 février 1995, soit peu après son adhésion à la Communauté économique européenne.

Si la Finlande et/ou la Suède, entrées dans l’UE le 1er janvier 1995 devenaient membres de l’OTAN à la suite du Sommet de Lisbonne (2010), elle(s) incarnerai(en)t alors un calendrier inversé par rapport aux élargissements de 2004 et 2007. Ce qui pourrait donner un peu d’espoir – théorique - à la stratégie de contournement mise en place par la Géorgie.

Comment garder un fer au feu avec l’OTAN ?

En attendant l’UE, la Géorgie garde le contact avec l’OTAN. La priorité semble de ne pas se faire oublier et de rendre service, notamment en Afghanistan. Tornike Gordadze nous confie ainsi : « À la date du 1er janvier 2011, la Géorgie a 937 soldats en Afghanistan, par exemple dans la province du Helmand. Nous avons également des médecins, notamment à l’hôpital de Chaldiran, dans la province de Ghor. Il faut également ajouter que nous nous engageons à envoyer des formateurs qui entraineront les policiers et militaires de l’armée afghane.

Après l’Australie, la Géorgie est le deuxième pays non membre de l’OTAN en nombre absolu de soldats envoyés en Afghanistan. Après les États-Unis, la Géorgie est deuxième pour le ratio population totale/soldats engagés. Nous espérons que cela deviendra ultérieurement un gage de bonne volonté, notamment par rapport à l’OTAN. Nous prouvons ainsi que la Géorgie n’est pas seulement demandeuse de sécurité, mais aussi peut en fournir et peut activement participer dans les opérations collectives. [15] »

En outre, ces opérations constituent une forme d’entrainement des troupes géorgiennes, avec une rotation régulière des personnels. Il est même possible que les effectifs géorgiens augmentent lorsque ceux de plusieurs pays européens diminuent. L’OTAN reste donc pour Tbilissi un objectif structurant.

Le président américain B. Obama (2009 - ) est cependant moins bien perçu à Tbilissi que ne l’était précédemment George W. Bush (2001-2009) .

Le redémarrage des relations États-Unis-Russie fait passer la Géorgie au deuxième voire au troisième niveau des priorités. Résultat, les Géorgiens se sentent finalement assez seuls. Pour Washington, il est hors de question de perdre l’occasion de relancer les relations américano-russes pour la Géorgie… qui se console en espérant tenir suffisamment longtemps pour tirer les bénéfices éventuels du « reset »… ou d’un retour à la tension entre les deux adversaires d’hier. Par ailleurs, le retour de l’Ukraine dans le giron russe depuis février 2010 laisse la Géorgie seule dans sa dynamique d’indépendance face à la Russie. Autant que faire se peut, Tbilissi évite donc de faire des vagues.

En donnant des gages d’engagement et de bonne volonté, le gouvernement géorgien espère que cela finira bien par payer auprès de l’OTAN (Cf. encadré en pied de page). Et souhaite que l’OTAN et l’UE n’oublient pas d’exercer des pressions sur la Russie pour l’inciter à respecter ses engagements vis à vis de la communauté internationale à propos de l’intégrité territoriale de la Géorgie. Autrement dit, Tbilissi refuse de céder à la politique du fait accompli. Et s’inquiète de constater que les Européens manquent d’une politique claire à propos de deux échéances importantes pour la région : les élections présidentielles en Russie (2012) et les Jeux olympiques à Sotchi (2014). Les Européens, eux, se demandent quels seront les résultats des prochaines élections présidentielles en Géorgie, début 2013.

Pour l’heure, le retour à la Géorgie des « territoires occupés » par la Russie semble une perspective éloignée à plus d’une décennie, surdéterminé par des considérations stratégiques qui échappent largement à Tbilissi. En attendant, le gouvernement a fait le choix de reloger assez rapidement les réfugiés dans des maisons modernes, financées pour une large partie par l’UE. Ce qui offre aux réfugiés des conditions de vie bien moins pénibles qu’un campement de fortune dans un pays aux hivers rigoureux mais peut donner l’impression de prendre acte de la main mise russe sur l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. En toute connaissance de cause, le gouvernement s’est ainsi privé d’une possibilité de peser sur l’opinion publique internationale via des photo-reportages sur des camps misérables comme le monde en connaît quelques uns.

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Avec d’un côté une Russie capable - de facto - de bloquer son processus de rapprochement avec l’OTAN, disposant aisément en Ossétie du Sud de troupes à moins d’une heure et demi de la capitale géorgienne, et de l’autre côté une UE « fatiguée » par ses récents élargissements, la Géorgie joue une partie très difficile, sur le fil du rasoir. D’autant que les Russes disposent de moyens d’espionnage humain et technique très au-dessus des capacités du contre-espionnage géorgien [16]. L’objectif de la Géorgie est néanmoins d’avoir réalisé les réformes nécessaires pour être prête à entrer dans l’UE et/ou dans l’OTAN si la situation stratégique venait à le permettre.

Copyright P. Verluise-2011

Manuscrit clos en juin 2011
Cet article a été initialement publié sous le titre "OTAN-UE : quel calcul géorgien ?" dans le n°82 de La revue internationale et stratégique, n°82, été 2011, IRIS-Armand Colin, pp. 31-39
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Que déclare le Secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, lors de sa visite en Géorgie les 9-11 novembre 2011 ?

« La Géorgie a bien progressé en favorisant la liberté d’expression et la croissance économique, en luttant contre la corruption et en veillant à doter les forces armées d’une taille et d’une structure adéquates », a déclaré M. Rasmussen. « Vos efforts sont impressionnants. La Géorgie est sur la bonne voie. Et vous avez parcouru un long chemin. »

Le site de l’OTAN rendant compte de la visite - faisant l’impasse sur le blocage français et allemand pour l’ouverture d’un MAP en 2009 - écrit de manière significative, en novembre 2011 : « Au sommet de Bucarest d’avril 2008, les Alliés ont décidé que la Géorgie deviendrait membre de l’OTAN. "Cette décision de l’Alliance reste ferme", a déclaré le secrétaire général de l’OTAN, M. Anders Fogh Rasmussen. "Depuis le sommet de Bucarest, la Géorgie s’est sensiblement rapprochée de l’OTAN. Mais il reste du travail à faire, dans plusieurs domaines. La poursuite des réformes constituera le ticket de la Géorgie pour l’adhésion. Et l’OTAN est là pour aider le pays." »

Source : nato.int/cps/fr/natolive/news_80609.htm ?selectedLocale=fr, consultation 10 décembre 2011.

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Directeur de recherche à l’IRIS. Directeur du Diploweb.com. Distinguished Professor de Géopolitique à l’ESC Grenoble. Directeur de séminaire à l’Ecole de guerre

[1Pour mémoire, mentionnons deux pays entrés dans l’UE en 2004 sans avoir été précédemment république ou satellite de l’Union soviétique : la République de Chypre et Malte. La République de Chypre (Sud) se déclare neutre et à ce titre ne participe pas au Partenariat pour la paix de l’OTAN. Malte devient membre du Partenariat pour la paix en avril 1995 avant de suspendre sa participation en octobre 1996. Malte a demandé en 2008 aux Alliés de réactiver sa participation au Partenariat pour la paix. Fin 2010, Malte n’est pas membre de l’OTAN.

[2La République tchèque est née de la partition de la Tchécoslovaquie le 1er janvier 1993

[3La Slovénie est issue de l’explosion de la Yougoslavie, en 1991.

[4La finalisation d’une candidature à l’Union européenne suppose notamment la reprise de 80 000 pages d’acquis communautaire.

[5Plan d’action pour l’adhésion se dit en anglais Membership Action Plan, MAP.

[6NB : Dans le cas de la Géorgie, il s’agit d’un Accord d’Association (AA), et non d’un Accord de stabilisation et d’association (ASA), une formulation utilisée pour les pays des Balkans Occidentaux.

[7Pierre Verluise, entretien avec Tornike Gordadze, « Géopolitique des frontières de l’Union européenne : la Géorgie mise sur l’UE », IRIS, Actualités européennes, n°40, février 2011, 4 p.

[8La Géorgie fait partie du partenariat oriental de l’UE, avec cinq autres pays : Biélorussie, Ukraine, Moldavie, Arménie et Azerbaïdjan. La Géorgie milite pour que ce programme ne soit pas étendu à la Russie.
Cf. Sur le site de la Commission européenne, la page consacrée à la Géorgie ec.europa.eu/world/enp/partners/enp_georgia_en.htm

[9Entretien avec Pierre Verluise, novembre 2010, Tbilissi.

[10Cf. Maxime Lefebvre, L’UE face à la Russie : combien de divisions ? Publié sur le site diploweb.com le 6 septembre 2010 à l’adresse http://www.diploweb.com/L-UE-face-a-la-Russie-combien-de.html L’auteur écrit notamment : « L’arc de méfiance s’étend du Royaume-Uni aux nouveaux Etats membres de l’Est en passant par la Suède. Il cumule trois reproches à la Russie : un reproche démocratique (la Russie tourne le dos aux valeurs occidentales et n’a pas fait son travail de mémoire sur le passé communiste) ; un reproche géopolitique (elle veut reconstituer une sphère d’influence privilégiée dans l’ancienne Union soviétique) ; un reproche économique (elle se dérobe aux règles et se sert de l’énergie comme d’un moyen de pression politique). »

[11L’Allemagne n’a pas très bonne presse en Géorgie où certains lui reprochent son rôle dans le démembrement de l’ex-Yougoslavie. En outre, Berlin semble coupée des réalités du Caucase Sud. Résultat, les initiatives allemandes en Géorgie sont le plus souvent vouées à l’échec.

[12Le Président du Comité des Actionnaires de Nord Stream est l’ancien chancelier G. Schröder qui a signé le contrat juste avant de quitter son poste, en 2005.

[13Dans le cas de l’Autriche et plus encore de la Finlande, ces deux démarches n’auraient pas été possibles dans le contexte de la Guerre froide.

[14Le Partenariat pour la paix (PPP en français, PFP en anglais) a été créé en 1994. Il a été pour certain pays d’Europe balte, centrale et orientale une sorte d’antichambre pour l’OTAN. Le site de l’OTAN présente le PPP comme un « programme de coopération bilatérale concrète entre chaque pays partenaire et l’OTAN. Il permet à ces pays de construire une relation individuelle avec l’OTAN et de choisir leurs propres priorités de coopération ».

[15Pierre Verluise, entretien avec Tornike Gordadze, « Géopolitique des frontières de l’Union européenne : la Géorgie mise sur l’UE », IRIS, Actualités européennes, n°40, février 2011, 4 p.

[16N’étant pas membre de l’OTAN, la Géorgie ne peut pas bénéficier de l’expertise de l’OTAN en matière de contre-espionnage. Cependant, elle reçoit une aide en la matière de la part du Royaume-Uni, de la Pologne et des États-Unis.


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Auteur / Author : Pierre VERLUISE

Date de publication / Date of publication : 11 décembre 2011

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A travers le cas de la Géorgie, P. Verluise présente une analyse géopolitique des procédures d’évolution des frontières de l’OTAN et de l’UE. À la suite du conflit d’août 2008 avec la Russie, les autorités géorgiennes ont rapidement inversé leurs priorités entre l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et l’Union européenne (UE). L’occupation russe de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud plaçant Moscou en position de force, la Géorgie se trouve contrainte de mettre entre parenthèses sa soif d’OTAN et de faire de l’Union européenne sa priorité de substitut. Du moins au niveau du discours.

Cette étude met en relation les calendriers des adhésions récentes à l’OTAN et à l’UE pour mieux mettre en lumière la singularité de la posture de Tbilissi. Puis l’auteur présente comment les pays membres de l’UE voient les ambitions de la Géorgie et de quelle façon celle-ci garde un fer au feu avec l’OTAN.

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