Energie et géopolitique. Plus d’un milliard de barils de pétrole, plusieurs milliers de milliards de pieds cubes de gaz offshore ... voilà l’enjeu d’un litige énergétique entre Chypre, le Liban et Israël. Voici les clés pour comprendre.
LA DECOUVERTE en juillet 2011 d’importantes ressources énergétiques sur la frontière maritime libano-israélienne n’a pas seulement complexifié les relations de ces deux États encore en guerre, les ressources financières découlant de l’exploitation offshore permettraient au Liban de réduire notoirement le déficit public s’élevant à 58 milliards de dollars en janvier 2013 soit 158% du PIB [1]. Selon la société d’étude Beicip-Franlab [2], filiale de l’Institut français du pétrole-Énergies nouvelles [3], la zone contestée pourrait contenir 12 000 milliards de pieds cubes de gaz (quantité permettant d’assurer pendant presque un siècle la consommation électrique du Liban) tandis que l’US Geological Survey [4] estime que les fonds marins en question, abriteraient 1,7 milliard de barils, et 9 700 milliards de pieds cubes de gaz.
Trois pays sont partis pris à ce litige énergétique. Chypre est signataire depuis le 12 décembre 1988 de la convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM – Montego Bay - Jamaïque – 10 décembre 1982) [5], le Liban a ratifié la convention le 5 janvier 1995, tandis qu’Israël, est non signataire. Cette convention est d’une importance capitale dans la solution à ce problème juridique. Instituant en droit international public une véritable norme juridique, la convention réglemente de grands principes du droit coutumier maritime : la mer territoriale, la zone économique exclusive et le plateau continental tout en créant une institution de jugement indépendante établit à Hambourg (Allemagne) : le Tribunal international du droit de la mer.
La zone maritime où les réserves énergétiques sont présentes a été nommée « Léviathan ». L’imbroglio juridique autour de cette problématique des frontières maritimes explique en partie les retards d’exploitation (I) qui vont faire évoluer, une nouvelle fois, les rapports de force au Proche Orient (II).
Le point de contentieux se situe au niveau des frontières maritimes entre le Liban et Israël. Chypre a conclu directement un accord bilatéral avec Israël sur la délimitation de la zone économique exclusive (A), accord dénoncé par le Liban. Les miles nautiques en question sont d’une importance capitale pour le Liban qui en cas de renonciation, verrait son rêve d’exportateur de ressources énergétiques disparaître.
Le cadre international est précis, le Liban et Chypre doivent appliquer strictement la convention du 10 décembre 1982 et notamment son article 55 qui dispose que « la zone économique exclusive est une zone située au-delà de la mer territoriale et adjacente à celle-ci, soumise au régime juridique particulier établi par la présente partie, en vertu duquel les droits et la juridiction de l’État côtier et les droits et libertés des autres États sont gouvernés par les dispositions pertinentes de la convention. ». En août 2010, le Parlement libanais prenait acte de l’importance de définir sa ZEE, il légiférait en adoptant un texte de loi définissant les frontières de sa zone économique exclusive. Acte important pour le Liban puisque qu’avec cette loi, l’État du cèdre peut se prévaloir de l’article 56-1-A de la convention qui dispose que les États dans leur ZEE ont « des droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu’en ce qui concerne d’autres activités tendant à l’exploration et à l’exploitation de la zone à des fins économiques, telles que la production d’énergie à partir de l’eau, des courants et des vents... ». De manière utopique et théorique, la zone Léviathan que revendique le Liban était sécurisée juridiquement, et aucun État ne pouvait se prévaloir de lorgner sur les ressources énergétiques. Allant dans ce sens, le Liban a déposé auprès du secrétariat des Nations Unies en juillet et octobre 2010, les coordonnées géodésiques [6] du tracé ouest et sud de sa zone économique exclusive. Ce dépôt devait théoriquement « sacraliser » la zone Léviathan incluse dans la ZEE libanaise.
Cependant, entre la théorie du droit international et la pratique par les États, quelques différences existent, notamment quand l’État voisin n’est pas signataire de la convention et de plus, juridiquement en état de guerre avec le Liban. Israël et Liban ne sont pas dans une optique de négociation pour les frontières maritimes (pas plus que pour les frontières terrestres contestées), et pourtant, l’État pivot dans cet imbroglio juridique est la République de Chypre. La chronologie des faits remonte à six ans, le 17 janvier 2007, un accord frontalier est signé avec le Liban, nonobstant, ce dernier ne le ratifia jamais en conseil des ministres, conformément à ces procédures administratives, l’accord est juridiquement non applicable en l’état actuel du droit. Or, La république de Chypre a signé un accord avec l’État hébreu en décembre 2010. Israël n’appliquant pas les règles de la convention de Montego Bay, le 10 juillet 2011, Israël a adopté une loi reposant sur sa propre législation en droit maritime pour définir les données géodésiques des frontières de sa ZEE qui empiète sur la ZEE du Liban. Le pays des cèdres reproche à l’État Hébreu le non-respect du droit international maritime et d’avoir réalisé un tracé arbitraire.
L’arbitrage par un état tiers semble être la solution la plus crédible afin de pacifier les relations entre les deux pays. Les États-Unis ont déjà proposé une mission de médiation, tandis que face à l’incapacité juridique de voir l’Organisation des Nations Unies agir sur le tracé (les statuts de l’institution ne lui permettent pas de définir les frontières), la modification de la mission de la Force Intérimaire des Nations Unies pour le Liban (FINUL) semble gagner du chemin dans les couloirs diplomatiques, comme second recours pour effectuer un arbitrage ou une médiation. S’occupant déjà de la problématique terrestre, certains membres du conseil de sécurité, dont la France, estiment que la mission des casques bleus pourrait être élargie dans ce sens. Le temps presse pour le Liban qui est actuellement en pleine restructuration gouvernementale alors que la machine administrative israélienne, bien plus efficace, continue à étendre son emprise sur la zone Léviathan grâce aux accords passés avec des entreprises américaines de prospection et d’exploitation des ressources maritimes offshores. La zone contestée est évaluée à 854 kilomètres carrés.
Le Liban doit faire face à ses propres problèmes politiques. L’accord du 17 janvier 2007, non ratifié par le conseil des ministres sur les frontières des zones économiques exclusives des deux pays, ne permet pas au Liban de poursuivre juridiquement la république de Chypre suite à son accord passé avec Israël. La seule carte à jouer pour Beyrouth est de chercher la responsabilité politique de son voisin insulaire. Le Liban peut chercher un appui de choix auprès de la Turquie. Le gouvernement d’Ankara est toujours irritable sur la question de la minorité turque de l’île, sans oublier les relations qui se sont distendues avec l’État hébreu, suite à l’abordage médiatique de la « flottille de Gaza » le 31 mai 2010. Ankara qui a des liens privilégiés avec le Liban œuvre sur la contestation du tracé de la ZEE de Chypre afin de préserver les intérêts de la minorité turque de l’île [7].
Face à l’actuel statut-quo des frontières des deux zones économiques exclusives, le gouvernement libanais a débuté un vaste plan d’action afin d’exploiter le plus rapidement ces ressources dans l’optique de combler son manque énergétique, l’électricité subissant encore des coupures journalières, mais aussi financières, en réinvestissant les revenus issus des concessions offshore. L’ancien ministre libanais de l’Eau et de l’Énergie, M. Bassil avait annoncé à l’occasion du congrès international des énergies renouvelables qui s’est tenu à Abu Dabi du 15 au 17 janvier dernier que l’octroi des permis de concession et d’exploitation serait rendu public le 2 mai 2013. Une trentaine de compagnies américaines, européennes, africaines et arabes seraient sur les rangs, sachant que l’appel d’offre oblige des regroupements en conglomérat de trois compagnies. De nombreuses compagnies étrangères sont à la manœuvre dont les principales majors (Exxon Mobil, Shell, BP, Chevron-Texaco et Total).
Outre la contrainte juridique de l’exploitation de Léviathan, l’exploitation pétrolière offshore nécessite des technologies avancées. Aucune entreprise libanaise ne peut remplir cette mission et l’État est dans l’obligation de faire appel à une entreprise étrangère. Dans la situation politique actuelle du Liban, le nouveau gouvernement se doit de prendre en compte cette question énergétique avec rapidité. M. Bassil précisait lors de la conférence d’Abu Dabi que « le Liban pourra, dès 2015, effectuer la première opération d’exploration du pétrole ». Le nouveau Premier Ministre Tammam Saëb Salam aura à charge de mener dès sa prise de fonction et après les probables remaniements ministériels, l’avancée de ce dossier dans un climat régional toujours extrêmement difficile avec les événements syriens qui embrase également les communautés sunnites et chiites libanaises.
L’exploitation de ces ressources pétrolifères va entraîner un énième bouleversement de l’équilibre géopolitique du Proche Orient. Le Liban est actuellement un pays endetté. Le déficit public s’élevant à 58 milliards de dollars en janvier 2013 soit 158% du PIB. Gebran Bassil, ministre libanais de l’Énergie et de l’Eau affirmait en septembre 2012 que l’exploitation de la zone Léviathan permettrait de dynamiser l’économie libanaise et de faire rentrer le pays des cèdres au club très fermé des pays producteurs et exportateurs de pétrole et de gaz. Le pays des cèdres souffre d’un manque d’expérience dans la matière. Il importe l’intégralité de son pétrole raffiné [8].
Le Moyen-Orient représente près de 15% de la production de gaz offshore et 22 % de la production mondiale de pétrole offshore. Ces deux taux vont progressivement augmenter d’ici 2015 avec l’exploitation des ressources du site Léviathan et l’entrée en service des installations offshore du site de Tamar qui a débuté fin mars 2013. Ce gisement dispose de réserves s’élevant jusqu’à 238 milliards de mètres cubes, est située à 130 km au large de la cité portuaire de Haïfa. La concession a été remportée par le géant américain Noble Energy (36% des droits) et par trois compagnies israéliennes : Delek, Isramco et Dor Alon.
La mise en exploitation du gisement de Tamar va permettre à Israël de se libérer de la tutelle égyptienne, qui jusqu’à présent, lui assurait 43% de son importation de gaz. Les événements qui se déroulent dans le pays depuis plus dix-huit mois, ainsi que l’arrivée au pouvoir de Mohamed Morsi, cinquième président de la République arabe d’Égypte, et membre de la confrérie des frères musulmans, ont assombri les relations bilatérales. L’État hébreu est de plus en plus méfiant vis-à-vis des deux fronts, pourtant stabilisés qu’étaient autrefois l’Égypte et la Jordanie. La multiplication des sabotages du pipeline reliant l’Égypte à Israël est l’une des raisons, qui a poussé Israël à œuvrer à son indépendance énergétique. Le printemps arabe a bousculé les dirigeants arabes, et Israël redouble de vigilance, comme le prouve les récentes mise en alerte de Tsahal et la surveillance renforcée du plateau du Golan ainsi que des événements syriens et les agissements parfois belliqueux des dirigeants religieux iraniens.
Force est de constater qu’au Levant, ces ressources offshore ont réussi à concentrer des problématiques de droit international, de géographie, d’enjeux économiques et de diplomatie. Comme envisagé précédemment, Naftali Bennett, l’actuel ministre de l’Énergie et de l’eau d’Israël n’a fait aucun pas en avant afin de parvenir à des négociations réussies avec le Liban. La question de l’influence des États-Unis, plus fidèle allié de l’État hébreu est en suspens. Depuis le discours du Caire en 2009, les choses ont bien changé, le processus de paix est au point mort et pour le premier déplacement au Moyen-Orient de Barack Obama en mars 2013, ce dernier a affiché sans surprise sa préférence pour l’État hébreu, les territoires palestiniens ayant de ce fait réservé un accueil glacial à la délégation américaine. Premier partenaire militaire, les États-Unis souhaitent faire bénéficier leur économie du taux de croissance annuelle moyen de 4,3% pour la période de 2006 à 2011. Le nouveau débouché de l’exploitation offshore a permis à leurs majors de trouver un positionnement de choix dans le sud-est de la Méditerranée.
La France a de son côté tout intérêt à exploiter les excellentes relations liées avec le Liban. Le fleuron français pétrolier, Total, est présent depuis 1951 au Liban. Le président Chirac et le défunt Premier ministre Hariri, entretenaient des liens amicaux qui avaient pu faire bénéficier à des entreprises françaises comme Bouygues, d’importants contrats immobiliers. Nul doute que le géant pétrolier s’est investi dans l’appel d’offre pour l’exploitation de la zone libanaise de Léviathan, sachant que le leader de l’exploitation offshore est une entreprise française : l’entreprise Bourbon. Ce groupe affiche une excellente santé financière avec un chiffre d’affaires en progression de 17,7%, un excédent brut d’exploitation de 406,2 millions d’euros en progression de 35,3%. Le leader français dispose d’une flotte de 155 navires pour ses activités pétrolières et dispose d’un savoir-faire reconnu.
L’exploitation de cette zone contestée de Léviathan sera soumise bien évidemment au règlement du conflit des frontières. Tant qu’un arbitrage international n’aura pas eu lieu sur la zone contestée, il semble inenvisageable de voir des compagnies privées se déployer afin d’exploiter les ressources. La marine nationale israélienne est vigilante, disposant de frégates et de corvettes, tandis que la marine nationale libanaise est en pleine reconstruction et affiche un nombre de bâtiments plus que modeste avec seulement deux patrouilleurs disponibles pour la haute mer.
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Ugo Chauvin est doctorant à l’Université Paris Descartes. Ses recherches s’intéressent sur les problématiques juridiques du développement durable. Il anime une veille juridique et géopolitiques sur ces questions : @UgoChauvin
[1] Source :lecommercedulevant.com/indicateurs/niveau/2
[2] Source : beicip.com/index.php/eng
[3] Source : ifpenergiesnouvelles.fr/
[4] Source : usgs.gov/
[5] Source : un.org/french/law/los/unclos/closindx.htm
[6] Les données géodésiques sont selon l’Institut National de l’Information Géographique et Forestières : « La géodésie est la science qui étudie les dimensions et la forme de la Terre, ainsi que son champ de pesanteur. Son objectif principal est d’élaborer des systèmes de référence terrestres auxquels tout utilisateur ou créateur de données géoréférencées peut accéder par l’intermédiaire de réseaux. L’adoption et la réalisation de tels systèmes de référence constituent un indispensable outil de normalisation pour l’information géographique et pour le positionnement en général. L’évolution des réseaux géodésiques vers des réseaux actifs utilisant les systèmes de positionnement satellitaires est le fait le plus marquant des dernières années ». site web : geodesie.ign.fr/
[7] Source : lemonde.fr/economie/article/2013/03/28/la-turquie-un-observateur-inquiet-de-la-crise-chypriote_3149277_3234.html
[8] Source : cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/le.html
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Date de publication / Date of publication : 31 mai 2013
Titre de l'article / Article title : Les ressources énergétiques de la discorde au Levant
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Energie et géopolitique. Plus d’un milliard de barils de pétrole, plusieurs milliers de milliards de pieds cubes de gaz offshore ... voilà l’enjeu d’un litige énergétique entre Chypre, le Liban et Israël. Voici les clés pour comprendre.
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