Retour à l'accueil du site | Retour à l'article

Planisphère. Quelle question allemande en Europe ? Avec T. Garcin

Par Emilie BOURGOIN, Pierre VERLUISE, Thierry GARCIN*, le 17 septembre 2025.

Comme tout pays, l’Allemagne fédérale a des intérêts propres. Mais c’est aussi le plus peuplé et le plus productif des 27 pays de l’UE. Comment s’articulent les intérêts de l’Allemagne et l’Union européenne, voire l’OTAN ? Pour y répondre, Planisphère reçoit Thierry Garcin. Podcast et synthèse rédigée.

Cette émission [1] Planisphère, Quelle question allemande en Europe ? Avec Thierry Garcin, sur RCF-RND

Lien direct vers cette émission sur RCF, avec possibilité de récupérer l’iframe.

Cette émission, Planisphère, sur Spotify

Synthèse de cette émission, Planisphère, Quelle question allemande en Europe ? Avec Thierry Garcin. Rédigée par Émilie Bourgoin pour Diploweb.com . Synthèse relue et validée par T. Garcin

L’ALLEMAGNE occupe une place particulière dans l’Union européenne  : à la fois puissance économique centrale, État fédéral singulier, héritière d’une histoire tourmentée. Elle reste un acteur ambivalent dans les dynamiques de l’Union européenne et de l’OTAN. À travers cet entretien, Thierry Garcin déconstruit plusieurs idées reçues sur la relation franco-allemande, le rôle de l’Allemagne dans l’élargissement européen, ses rapports avec la Russie, la Chine et sa vision de la défense européenne. Il met en lumière les tensions entre les intérêts nationaux allemands et ceux de l’Union européenne dans un contexte géopolitique instable.

Le mythe du «  couple franco-allemand  »

L’expression «  couple franco-allemand  », fréquemment utilisée depuis les années 1980, est critiquée par Thierry Garcin comme étant une image surannée, inadaptée à la réalité des rapports entre Paris et Berlin. Il propose d’abandonner les métaphores comme «  binôme  », «  axe  » ou «  tandem  » pour préférer celle du moteur franco-allemand, plus dynamique et réversible. En effet, depuis l’unification de l’Allemagne, les équilibres ont changé et cette relation ne repose plus sur la même base historique.

Thierry Garcin
Thierry Garcin publie « La question allemande en Europe depuis l’unification » (éd. L’Harmattan).
Verluise/Diploweb.com

L’unification allemande et l’échec d’un fédéralisme européen

L’unification de 1990 a provoqué une transformation majeure dans les rapports intra-européens. Le traité de Maastricht [2] visait une union fédérale européenne, mais cet objectif s’est heurté à l’incompatibilité culturelle des États-nations historiques comme la France et le Royaume-Uni [3] avec un modèle fédéral. L’introduction de l’euro a été perçue comme un compromis, une manière d’intégrer l’Allemagne dans un projet commun, tout en diluant sa force monétaire (le Deutschmark). Toutefois, cette tentative de fédéralisation a échoué, laissant une Europe fragmentée, sans véritable politique commune ni cohésion stratégique.

Les élargissements post-guerre froide : intérêts divergents

Les vagues d’élargissement de l’Union européenne (2004, 2007, 2013) ont davantage servi les intérêts économiques de l’Allemagne, notamment pour renforcer ses exportations vers l’Europe centrale. En revanche, la France les a soutenus pour éviter un face-à-face direct avec l’Allemagne, ce qui a abouti à un élargissement trop rapide et peu cohérent. Des choix hasardeux (comme l’entrée de Chypre, territoire partiellement occupé par un pays candidat, la Turquie) ou risqués (l’ouverture de la candidature aux pays en guerre ou amputés de leur territoire comme la Géorgie, la Moldavie ou l’Ukraine) révèlent un manque de vision stratégique.

L’Allemagne face à la Russie et à la Chine : ambivalence et dépendances

Les relations germano-russes ont toujours été marquées par l’histoire (antagonisme historique Slaves-Germains, invasion de 1941), mais aussi par des partenariats économiques puissants, notamment dans l’énergie (gazoducs Nord Stream). Vis-à-vis de la Chine, l’Allemagne a défendu ses intérêts économiques propres, poussant l’Union européenne à un Accord global sur les investissements au détriment des critères de droit du travail ou de souveraineté industrielle. Thierry Garcin dénonce une forme d’opportunisme allemand, qui a bénéficié de l’OTAN pour sa défense, de la Chine pour son commerce et de la Russie pour son énergie.

Les revirements allemands sur la politique étrangère et de défense

L’Allemagne, souvent perçue comme prudente, affiche en réalité une politique étrangère marquée par des revirements spectaculaires : abandon du nucléaire après Fukushima, ouverture aux réfugiés en 2015, puis ambitions de devenir la première puissance militaire classique européenne. Depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, le chancelier Scholz a accéléré les ruptures : achat de F-35, volonté de supprimer la règle de l’unanimité, promotion d’une Union européenne à 36. Ces changements brutaux montrent une absence de continuité stratégique.

L’ambiguïté autour de la dissuasion nucléaire française

La question d’«  européaniser  » la dissuasion nucléaire française est abordée avec prudence par Thierry Garcin. Il rappelle les principes fondateurs de la force de frappe française : suffisance, autonomie, refus de définir explicitement les intérêts vitaux. Or, certains responsables allemands ont laissé entendre qu’ils souhaiteraient bénéficier de cette dissuasion. Pour Thierry Garcin, cette volonté traduit une démesure allemande inquiétante, que ni la France ni le Royaume-Uni ne devraient cautionner sans perte de souveraineté, d’autant plus que pour T. Garcin l’arme nucléaire ne se partage pas.

La spécificité britannique en matière de dissuasion nucléaire

Le Royaume-Uni se distingue par une force de frappe entièrement sous-marine, dépendante technologiquement des États-Unis pour ses missiles (seuls, le sous-marin et les ogives sont britanniques). Contrairement à la France, il a dévolu une partie de ses capacités nucléaires à l’OTAN et appartient au Groupe des plans nucléaires. Cela renforce sa dépendance stratégique aux États-Unis. La France, elle, reste la seule puissance nucléaire de l’UE, indépendante de toute alliance, ce qui confère une légitimité stratégique unique, aujourd’hui encore essentielle dans le contexte de délitement du droit international.

L’érosion du droit international et des traités de contrôle des armements

Le droit international est présenté comme moribond, affaibli par les interventions occidentales (Kosovo, Irak, Libye), l’annexion de la Crimée par la Russie ou les conquêtes territoriales chinoises (mer de Chine méridionale). Thierry Garcin rappelle que les États-Unis et la Russie ne respectent plus les traités, en matière nucléaire. Cela remet en question la capacité de l’Europe à critiquer les éventuelles actions d’autres puissances, comme la Chine à Taïwan ou la Corée du Nord. La perte de crédibilité est globale et la fragmentation du système international rend tout accord plus fragile.

Une Europe entre déni stratégique et réalignements

L’entretien avec Thierry Garcin souligne la tension croissante entre les intérêts allemands et la cohérence européenne. Si l’Allemagne demeure un pilier économique, elle peine à définir une stratégie de défense commune sans heurter les sensibilités historiques, françaises ou polonaises. La France, de son côté, souffre d’un manque de vision claire et peine à affirmer sa singularité stratégique. L’Union européenne est donc à la croisée des chemins  : sans clarification des responsabilités, des alliances et des limites de l’intégration, elle risque de rester dans un entre-deux inefficace et vulnérable.

Ressources recommandées

.Thierry Garcin, La question allemande en Europe depuis l’unification, L’Harmattan, 2025.
. Claude Martin, Quand je pense à l’Allemagne, la nuit – Mémoires d’un ambassadeur, Éditions de l’Aube, 2023.
. Georges-Henri Soutou, La grande rupture, 1989–2024 : De la chute du Mur à la guerre d’Ukraine, Tallandier, 2024.
. Jacques Jessel, La réunification allemande et les relations franco-allemandes, entretien disponible sur Diploweb.com.

Copyright pour la synthèse Septembre 2025-Bourgoin/Diploweb.com


Encore plus

Tous les podcasts géopolitiques de l’émission Planisphère depuis septembre 2024, en un clic. Et avec en bonus une synthèse rédigée, c’est possible ? Oui, ici.

Parce que l’information est un – précieux - bien public
A condition
de ne rien modifier et de faire un lien vers la page source du Diploweb.com de chaque émission, il est autorisé de reprendre sur des sites académiques, éducatifs ou institutionnels les codes des fichiers son et / ou vidéo ainsi que les biographies et la synthèse rédigée d’une ou de plusieurs émissions Planisphère.

*

Thierry Garcin, Ancien producteur délégué à Radio-France (Les enjeux internationaux) et chercheur associé à l’université de Paris Cité. Il vient de publier chez l’Harmattan : « La question allemande en Europe depuis l’unification ».
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il produit Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF. Cette émission a été diffusée en direct le 16 septembre 2025.
Synthèse par Émilie Bourgoin, étudiante en dernière année de Master Sécurité et Défense à l’Université d’Ottawa, après un BBA à l’EDHEC. Elle a travaillé en alternance au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle est en charge du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.

[1Cette émission a été enregistrée le : 01/09/2025

[2Entrée en vigueur du traité de Maastricht : 1er novembre 1993.

[3Le Royaume-Uni a été membre de l’Europe communautaire devenue Union européenne de 1973 à 2020, à la suite du vote en faveur du Brexit (2016).


Copyright DIPLOWEB sauf mention contraire


Citation / Quotation

Auteur / Author : Emilie BOURGOIN, Pierre VERLUISE, Thierry GARCIN

Date de publication / Date of publication : 17 septembre 2025

Titre de l'article / Article title : Planisphère. Quelle question allemande en Europe ? Avec T. Garcin

Chapeau / Header : 

Comme tout pays, l’Allemagne fédérale a des intérêts propres. Mais c’est aussi le plus peuplé et le plus productif des 27 pays de l’UE. Comment s’articulent les intérêts de l’Allemagne et l’Union européenne, voire l’OTAN ? Pour y répondre, Planisphère reçoit Thierry Garcin. Podcast et synthèse rédigée.

Adresse internet / URL : https://www.diploweb.com/spip.php?article2732

© Diploweb.com. sauf mention contraire.