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www.diploweb.com présente " Quelle France dans le monde au XXI e siècle ? ", par Pierre Verluise

5. QUELLE MONDIALISATION CONSTRUIRE ?

Partie 5.2. Faut-il considérer comme "vrais" les lieux communs qui circulent à propos de la mondialisation ? Sinon, comment en construire une représentation appuyée sur des faits ?

 

Introduction - 1. Comment les Français voient-ils le monde ? - 2. Quelles sont les images de la France à l'étranger ? - 3. Quels sont les outils disponibles ? - 4. Quelle politique étrangère ? - 5. Quelle mondialisation construire ? - Conclusion - Postface de Gérard Chaliand : Stratégie d'influence
Mots clés - key words : pierre verluise, gabriel colletis, el mouhoub mouhoud, France, monde, europe, mondialisation, globalisation, firmes multinationales ou transnationales ou globales, délocalisation, chômage, pays à bas salaires, histoire, échanges mondiaux, ouverture des économies nationales, protectionnisme, libre-échange, flux financiers, capitaux, bourses, actionnaires, acteurs privés et publics, état, stratégies individuelles et collectives, interdépendance, compétitivité, parts de marché, éducation, apprentissage, formation, qualification de la main d'œuvre, diffusion de l'innovation technologique, techniques avancées, petites séries, robotisation, automatisation, relocalisation, marché chinois, polarisation et concentration des investissements sur les zones de forte croissance économique, déréglementation financière. <Partie précédente

Il serait peu pertinent de tenter d’élaborer une grille de lecture de la mondialisation en faisant mine d’ignorer les idées les plus courantes à son propos. C’est, au contraire, par leur questionnement que peut se construire une représentation consolidée de la mondialisation. Sans prétendre être exhaustif, nous interrogerons trois " évidences " :

. " la mondialisation est un phénomène radicalement nouveau" ;

. " la mondialisation étant un phénomène extérieur aux économies nationales et aux stratégies des firmes, il ne reste qu’à s’adapter au mieux à cette nouvelle donne " ;

. " par le biais des délocalisations, la mondialisation provoque le chômage des moins qualifiés dans les pays occidentaux parce qu’elle favorise les pays à bas salaires ".

. La mondialisation est-elle un phénomène radicalement nouveau ?

Gabriel Colletis, Enseignant-Chercheur à l'Université Pierre Mendès France de Grenoble, répond : " Ce phénomène - pour peu qu'il existe - vient en fait de loin. Il s'inscrit dans le développement de ce que certains historiens, comme Fernand Braudel, ont appelé le développement des "économies mondes". Il y a toujours eu en histoire de longue durée des phases d'expansion et de contraction du commerce mondial. Nous sommes, depuis une dizaine d'années, dans une phase d'assez forte progression des échanges mondiaux. Cette progression des échanges mondiaux est plus rapide que celle du Produit Mondial Brut, ce qui signifie que nous vivons une phase d'ouverture croissante des économies. Il y a déjà eu, dans le passé, des phases durant lesquelles l'économie mondiale impliquait énormément d'échanges et des phases de contraction liées à des guerres ou à des replis protectionnistes ou isolationnistes. Le phénomène n'est donc pas nouveau.

Parfois, certains commentateurs admettent que ceci est exact en ce qui concerne les échanges de marchandises mais que la mondialisation financière est tout à fait nouvelle. Il est vrai que les flux financiers sont aujourd'hui très rapides, puisqu’on dit même qu'ils s’effectuent en temps réel. Pour autant, si la rapidité des flux financiers est une réalité, l’importance relative des investissements directs en rapport au PIB a déjà été plus forte qu'aujourd'hui ".

Quel village ?

D’autres spécialistes, pour attester du caractère nouveau du phénomène, avancent parfois que les révolutions dans les domaines des transports, des communications et des télécommunications nous feraient vivre dans un " village planétaire".

Cette image est excessive. En effet, l'invention du télégraphe sans fil constitue une transformation autrement fondamentale que l'invention du fax par rapport au simple téléphone. Quand on est passé de la diligence, c'est à dire du transport physique de l'information, à un transport qui ne supposait pas ce déplacement physique mais un transport par voie hertzienne, le gain a été extraordinaire et le bouleversement au moins aussi important que le passage du téléphone au fax. Quant à Internet, son développement résulte bien davantage de son adéquation avec la situation économique que de sa dimension purement technique. Il importe donc d’éviter de surestimer le rôle des récentes évolutions dans le domaine des transports, des communications et des télécommunications.

Ainsi, voir dans la mondialisation un phénomène radicalement nouveau s’avère une représentation qui mérite d'être relativisée.

. La mondialisation est-elle un phénomène extérieur aux économies nationales et aux stratégies des firmes, ce qui impliquerait qu’il ne reste qu’à s’adapter au mieux à cette nouvelle donne ?

Puisqu'elle est produite par les choix faits par les acteurs publics et privés qui structurent ces économies, la mondialisation ne peut être exogène aux économies et aux acteurs publics ou privés.

Si on admet qu'il n'y a pas de mondialisation extérieure aux économies, ni même de contrainte extérieure, l'idée selon laquelle il faudrait s'adapter au mieux est inexacte.

Cette idée paraît d'ailleurs assez typique des positions tenues en France, posant qu'il nous faut nous adapter pour combler notre retard. Cela fait probablement partie des stimuli dont nous avons besoin pour avancer en dépit du blocage que connaît la société.

En réalité, la mondialisation n’est pas une contrainte extérieure vis à vis de laquelle il conviendrait simplement de s'adapter au mieux. La mondialisation est d'abord ce que nous en faisons. Elle est le produit de stratégies individuelles et surtout collectives. 

Mise en perspective

Ce n'est pas parce que la mondialisation n'est pas un phénomène radicalement nouveau que pour autant rien ne change.

Comment caractériser la mondialisation ? Plus que l'éventualité d'une rupture, la vraie question est celle du sens des évolutions engagées.

Pour mieux comprendre la mondialisation, il importe de situer la situation présente par rapport aux stratégies observables dans les années 1960, 1970 et même 1980.

Dans les années 1960, rappelle Gabriel Colletis, il était correct de dire : "la France importe de tel pays", et "la France exporte vers tel pays". Cela signifiait que les économies nationales étaient relativement cohérentes. Quand nous entendions parler d'ouverture, il s’agissait du "reste du monde". Les vecteurs de cette ouverture étaient des firmes que l'on qualifiait de transnationales ou de multinationales, quitte à les diaboliser parfois. Cette représentation du monde correspond à un passé révolu.

Interdépendances

Aujourd’hui, les économies ne sont plus seulement ouvertes les unes par rapport aux autres, elles ont de plus en plus tendance à être interdépendantes les unes par rapport aux autres. Il ne s'agit pas d'une différence d'intensité d'ouverture mais d'un changement de nature de l’ouverture.

Nous évoluons désormais dans un environnement caractérisé par une interdépendance généralisée. Aucune économie, fut-elle la plus grande, ne peut se soustraire durablement et efficacement à cette interdépendance. Ce qui implique que les politiques protectionnistes sont aujourd'hui inopérantes.

En conséquence, il devient difficilement envisageable pour un pays comme la France de prétendre fixer ses taux d'intérêt tout seul. Non pas à cause de l’adhésion au traité de Maastricht mais parce que les économies étant interdépendantes, les firmes qui se verraient proposer des taux d'intérêt trop élevés ici pourraient se procurer, ailleurs, les fonds dont elles ont besoin.

Un monde d'interdépendance généralisée est donc en train de se dessiner. Cette évolution se fait par transformations et différenciations par rapport à un monde ancien qui a tendance à s'éloigner, fondé sur la base d'économies "seulement ouvertes" mais non pas interdépendantes ".

Ce mouvement interroge autant les stratégies des firmes globales que les stratégies publiques nationales. Ces dernières n'ont plus à gérer des économies ouvertes mais des économies en situation d'interdépendance.

. Par le biais des délocalisations, la mondialisation provoque t-elle le chômage des moins qualifiés dans les pays occidentaux parce qu’elle favorise les pays à bas salaires ?

Professeur d’Economie internationale à l’Université d’Evry, El Mouhoub Mouhoud relativise cette dernière idée préconçue. Pour commencer, celui-ci distingue deux types de délocalisations. " Il existe une première délocalisation, massive et majoritaire qui se caractérise par la recherche de marchés et de compétences spécifiques comme la qualification humaine. Celle-ci passe par des investissements directs internationaux qui se font, en général, par les firmes multinationales. Le deuxième type de délocalisation, plus défensive et relativement minoritaire, est liée à des stratégies de minimisation des coûts salariaux, par une sous-traitance dans des pays à bas salaires, suivie d’une importation du produit final.

Une assymétrie coûteuse

Il est vrai que les entreprises françaises du textile, de l'habillement, du cuir et de la chaussure continuent à mener des opérations de délocalisation vers des pays à bas salaires. Ces entreprises sont extrêmement volatiles parce qu'elles essaient de maximiser leur marge à court terme. Ce comportement est lié, de manière structurelle, aux relations entre les distributeurs et les fabricants. En effet, la taille des Petites et Moyennes Entreprises (P.M.E.) françaises s’avère beaucoup trop faible. En revanche, les distributeurs français sont extrêmement puissants et concentrés. Il en résulte une asymétrie entre fabricants et distributeurs français qui permet à ces derniers de mettre en concurrence les P.M.E.. Pour reconquérir des marges confisquées par les distributeurs, ces P.M.E. se voient acculées à des politiques de court terme comme la délocalisation de leur production vers des pays à bas salaires. Ce qui n’est pourtant pas la meilleure stratégie dans le contexte actuel des marchés.

Preuve que cette situation néfaste à l’emploi en France n’est pas une fatalité, la situation diffère en Allemagne. Il se développe, outre-Rhin, des relations de coopération entre les distributeurs et les fabricants dans les filières de biens de consommation. Les distributeurs allemands qui ont à peu près la même taille que les entreprises doivent coopérer parce qu’il n’y a pas d'asymétrie.

Il existe donc une marge de manœuvre : favoriser le relèvement de la taille des P.M.E. françaises des secteurs en difficulté. Alors il sera possible de gagner en compétitivité et de conquérir des parts de marché par la mise en œuvre de stratégies de long terme comme l’apprentissage, la qualification de la main d'œuvre et une meilleure diffusion de l’innovation technologique.

Les pays à bas salaires voient leur position fragilisée

Exception faite des activités françaises dans le textile, l'habillement, le cuir et la chaussure, tous les travaux économétriques réalisés montrent que l'impact de la mondialisation et de la montée des pays à bas salaire est extrêmement faible dans l'explication du chômage des moins qualifiés. D’autant que les investissements directs ne se dirigent plus massivement vers les pays dont les seuls avantages résident dans la disponibilité d’une main d’œuvre à bas prix. Ces pays ont subi depuis les années 1980 un processus de marginalisation considérable dans la mondialisation, à cause de la reconquête de l'avantage comparatif par les pays aux techniques avancées.

En effet, les années 1980 ont été marquées par un changement technologique radical. Ces technologies flexibles rendent moins attractive la main d’œuvre des pays à bas salaires puisqu’elles permettent des économies de variété. C'est à dire de fabriquer, pour mieux répondre à une demande de plus en plus versatile, une variété élevée de petites séries d'un même bien sans avoir à supporter des coûts irrécupérables du capital.

Après les délocalisations, les relocalisations

Les seuls secteurs dans lesquels on observe encore des délocalisations sont ceux pour lesquels il existe un obstacle objectif à l'introduction de la robotisation et de l'automatisation. Il en va ainsi de l’habillement parce qu’on n’a pas encore trouvé de robot capable de manipuler des matières souples pour les assembler. Sinon, la diffusion massive du récent progrès technique a eu pour conséquence d'éroder les avantages comparatifs des pays à bas salaires. Résultat, nous observons dans les pays industriels de plus en plus de relocalisations, c’est à dire de retour d'unités productives qui avaient été précédemment délocalisées dans des pays à bas salaires ".

Ceci s’est traduit par une chute du niveau des investissements directs dans les pays en développement. Encore ces derniers se sont-ils concentrés à plus de 80 % dans les seuls pays en développement à forte croissance, c'est à dire les nouveaux pays industriels d'Asie et quelques pays d'Amérique latine.

Où sont les consommateurs de demain ?

D’ailleurs, il importe de noter que ces investissements directs ont été faits dans ces pays - avant la crise asiatique - pour des raisons d'accès à un marché en forte croissance et non pas de recherche d’une main d'œuvre abondante à bas prix. Si la Chine a attiré les investissements étrangers, ce n'était pas pour réimporter le produit final en Europe mais pour conquérir l'énorme marché chinois.

Contrairement à ce qu'on entend parfois, la mondialisation n'est donc pas la planétarisation des investissements et des échanges mais leur polarisation et leur concentration sur les zones de forte croissance, où qu’elles soient.

La déréglementation financière annule les contrôles des changes et l'accord multinational d'investissement officialise le fait que les firmes multinationales soient capables d'aller où elles veulent, en fonction de leurs seuls intérêts.

Pour autant, ces firmes n’investissent pas n'importe où. Les pays qui attirent aujourd’hui les investissements disposent d’atouts différents des avantages comparatifs d’hier. Pour attirer les investissements, il importe aujourd'hui d'avoir de la croissance, de la forte valeur ajoutée, du capital humain qualifié par un système d'éducation fort et un système de formation adéquat.

. A la recherche de la croissance

Le phénomène de délocalisation est en fait confondu avec un phénomène beaucoup plus profond : le déplacement du centre de gravité économique des firmes et notamment des plus grandes firmes globales.

Celles-ci ont presque toutes une origine nationale mais elles déplacent leur centre de gravité à l'étranger parce qu'elles considèrent que le marché mondial étant leur espace d'action, elles ne se limitent plus à un marché national, quelle que soit sa taille.

Ce phénomène prend une ampleur probablement plus marquée en France que dans d'autres pays comparables. En effet, l’économie française étant ralentie durant l'essentiel des années 1990, les firmes françaises qui le peuvent n'investissent plus et ne créent plus d'emplois en France. Elles ont logiquement tendance à rechercher les potentiels de croissance où ils se trouvent, c'est à dire sur les marchés les plus dynamiques, solvables et porteurs. Ceci les conduit vers le marché américain et vers le marché allemand, sans oublier jusqu'à la fin de l'année 1997 le marché asiatique.

Les entreprises cherchent donc la croissance où elle se trouve. Faute d'une croissance économique suffisante en France, elles déplacent dans l'espace leurs investissements et leurs embauches sur les marchés les plus prometteurs, et non plus vers les zones caractérisées par un moindre coût de la main d'œuvre.

Quels salaires ?

Ce qui signifie qu’améliorer notre compétitivité n’implique pas nécessairement de diminuer encore les coûts salariaux. Si l'on poursuivait cette réduction, les entreprises françaises finiraient par se détourner complètement du marché français, devenu dépressif faute de pouvoir d’achat. En effet, il n’est pas intéressant d’investir de manière dynamique sur un marché dépressif parce que la concurrence y est beaucoup plus difficile et les possibilités d'expansion beaucoup plus limitées que sur des marchés croissants.

Le processus appelé mondialisation s’inscrit donc dans la longue durée et résulte des choix des acteurs des économies nationales et des firmes. Loin de condamner les pays les plus développés, l’évolution technologique leur permet d’accroître leurs avantages comparatifs par rapport aux plus démunis.

Le concept de mondialisation désigne à la fois une phase d’ouverture croissante d’économies de plus en plus interdépendantes et la concentration des investissements sur les zones de forte croissance économique.

La France étant partie prenante de ce système-Monde émergent, comment ces interdépendances marquent-elles son espace ? Partie suivante>

Pierre Verluise

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