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Les Kurdes. Destin héroïque, destin tragique

par Bernard Dorin, Ambassadeur de France

 

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le site www.diploweb.com vous présente en exclusivité sur Internet un extrait d'un ouvrage de Bernard Dorin publié fin janvier 2005 par les éditions LIGNES DE REPERES, avec une préface de Gérard Chaliand. Pour en savoir plus, consultez le dossier de cet ouvrage et suivez son actualisation sur : www.lignes-de-reperes.com

Vous trouverez en bas de page : 2. Présentation de l’ouvrage. 3. Présentations  de Bernard Dorin et de Julien Nessi.

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Voir une carte de la répartition des kurdes au Moyen-Orient

Voir une carte des Turcs en Europe occidentale

 

 

 

1: L’extrait

Les Kurdes en Turquie

La situation des Kurdes en Turquie est particulièrement préoccupante. Depuis les années 1920, Ankara a mené une politique de répression de sa minorité kurde en pratiquant la déportation massive et la « turquisation » de la région. Durant de nombreuses années, la stratégie des militaires turcs, les véritables détenteurs du pouvoir en Turquie, a consisté à disperser et à assimiler par la force les Kurdes habitant sur le territoire turc. Des grandes révoltes des années 1930 à la guérilla armée menée par le PKK, rebaptisé Kronga-Gel (Congrès du peuple kurde), les Kurdes ont toujours opposé une résistance farouche.  

La question kurde en Turquie constitue aujourd'hui un double défi, à la fois politique et économique. Malgré un léger infléchissement des autorités et un retour à un calme précaire, les Kurdes de Turquie sont toujours soumis au bon vouloir d’Ankara. Evalués à environ 16 millions, ils constituent un défi politique majeur pour la stabilité régionale. Et un obstacle certain pour la possible candidature turque à l’Union européenne. La question kurde en Turquie, c’est aussi un problème de sous-développement économique. Le niveau de vie dans les provinces de l’est et du sud est de 30% inférieur à la moyenne nationale. 

* * *

Julien Nessi: Avant de revenir sur l’histoire des Kurdes en Turquie, pourriez-vous nous rappeler brièvement les caractéristiques principales du Kurdistan turc ?

Bernard Dorin: Situé au sud-est du plateau anatolien, le Kurdistan occupe environ un quart du territoire turc. Jusqu’au XVIIème siècle, l’ensemble des populations kurdes se trouvait sous la domination de l’empire ottoman et vivait sur un seul et même territoire, le Kurdistan historique. Puis, la reconquête persane a provoqué une première séparation géographique. Les Persans s’emparent d’une partie du Kurdistan de l’empire ottoman, formant ce qu’on appelle aujourd’hui le Kurdistan d’Iran. La population kurde se retrouve ainsi divisée en deux territoires, la grande majorité restant du côté turc. Comme nous l’avons vu précédemment (1), c’est ensuite durant les années 20 que se fixe la donne territoriale et géographique de la Turquie moderne. C’est à ce moment là que la question kurde fait son apparition pour demeurer aujourd’hui encore d’une actualité brûlante. Historiquement, le cœur du peuple kurde, c’est  donc le Kurdistan de Turquie. Aujourd’hui, on estime la population kurde en Turquie à environ 16 millions de personnes. Certains pensent qu’elle atteint 18 ou même 20 millions. Il n’y a jamais eu de recensement, mais la natalité kurde est nettement plus forte que la natalité turque. La Turquie a délaissé, semble t’il, cette région volontairement pour la maintenir dans un état de sous-développement. Or, le milieu rural se caractérise souvent par une forte natalité. 

En 1923, Mustapha Kemal se retourne contre les Kurdes, après la guerre d’Indépendance. Pourquoi le fondateur de la Turquie moderne opère-t-il un tel revirement ?

Entre 1919 et 1923, les Kurdes ne sont pas inquiétés par Mustapha Kemal. Ils participent même aux guerres de reconquête kémaliste, notamment à travers leur engagement dans les batailles contre les Grecs. Le traité de Lausanne, signé le 23 juillet 1923, consacre définitivement la victoire de Mustapha Kemal. Dans ce traité, il n’est plus question d’autonomie pour les Kurdes. C’est donc à partir de 1923 que le face-à-face entre Kurdes et Turcs commence. Au départ, Mustapha Kemal, qui se fera rebaptisé Atatürk (2), le « père des Turcs », pratique une politique d’assimilation des minorités et de modernisation de la Turquie. Cette modernisation n’était pas, à proprement parler, hostile aux Kurdes : il s’agissait d’adopter l’alphabet latin, d’avoir un code civil progressiste, de donner le droit de vote aux femmes, de séparer la religion de l’Etat… C’est cependant le dessein nationaliste de Mustapha Kemal qui scelle le sort des Kurdes de Turquie. Après avoir redessiné les frontières de la nouvelle Turquie, après avoir fait d’Ankara la nouvelle capitale, Mustapha Kemal veut appliquer les idées françaises de 1789 : un pays, une langue, une nation. Le sentiment national turc, prôné par Atatürk, aboutit à l’élimination des minorités. Les Kurdes en feront les frais. Parmi les slogans du kémalisme, on trouve cette phrase du « Ghazi » : « est fier celui qui peut se dire Turc »… 

Comment la minorité kurde va-t-elle être traitée par le fondateur de la Turquie moderne ? 

Lorsque Mustapha Kemal signe le traité de Lausanne, les minorités grecques et arméniennes sont déjà décimées. Les Arméniens ont été exterminés lors des déportations de 1915 (3). Il ne reste plus qu’une toute petite communauté arménienne à Istanbul. Quant à la minorité grecque, elle est également éliminée lors de la guerre de reconquête menée par Mustapha Kemal alors qu’elle se trouvait sur tout le pourtour de la mer Egée et de la mer Noire. Il en subsiste également une petite communauté à Istanbul, sorte de réceptacle des débris des minorités territoriales de l’empire ottoman. Il existe aussi une communauté juive séfarade, venue d’Espagne, qui s’était réfugiée auprès du Sultan à l’époque de l’empire ottoman. 

Un quart du territoire

Demeure cependant l’énorme minorité kurde, occupant un quart du territoire de la nouvelle Turquie. Mustapha Kemal ne peut pas éliminer les Kurdes car ils sont trop nombreux et de confession musulmane sunnite. En revanche, Atatürk va tenter de les assimiler et en tout cas nier leur existence même. Les termes « Kurdistan » et « Kurdes » sont interdits. Cette négation des Kurdes amène les Turcs à interdire l’usage de la langue kurde. Parler cette langue en public est alors considéré comme un acte de séparatisme et conduit directement en prison. La langue kurde est notamment interdite sur tout le territoire kurde. Les médias turcs ne peuvent employer le mot « kurde » sous peine de poursuites judiciaires et pénales. Pour qualifier les Kurdes de Turquie, les médias et les autorités ont recours à des euphémismes : « nos frères de l’Est », « nos compatriotes du Sud-est », « les Turcs des montagnes »… En Orient, on existe par les mots, c’est l’appellation que l’on vous donne qui emporte la réalité de la chose. Le fait de bannir le nom d’une minorité, c’est une négation de son existence. C’est comme si les Français, au moment de la guerre d’Algérie, avaient appelé les Berbères des Aurès ou de Kabylie « les Français des montagnes »… Mustapha Kemal mène une politique d’assimilation forcée des Kurdes et de « turquisation » du Kurdistan. Il peuple la région de colonies turques et force les Kurdes à quitter leur terre… 

Comment réagissent les Kurdes ?

Entre 1925 et 1938, sous le règne de Mustapha Kemal (4), trois grandes révoltes marquent l’histoire de la rébellion kurde en Turquie : la révolte de Cheikh Saïd (février-mai 1925), la révolte du mont Ararat (1930) et la révolte de Dersim (1936-1938). Ces révoltes sont durement réprimées par le pouvoir kémaliste et entraînent de sévères représailles militaires. Elles restent néanmoins des moments de sursaut populaire et des actes de résistance face à l’oppression turque. 

Quelle est la politique des successeurs de Mustapha Kemal à l’égard de la minorité kurde ? 

Les successeurs de Mustapha Kemal poursuivirent cette politique de négation totale des Kurdes. La politique d’Ankara est une politique de négation absolue du fait kurde en Turquie. On n’a pas le droit de parler et de se dire kurde. L’héritage kémaliste est respectée et la devise d’Atäturk, « Heureux celui qui peut se dire turc », s’impose sur tout le territoire, plus particulièrement dans les montagnes du Kurdistan. La répression contre les Kurdes ne connaît pas de répit, excepté lors de la présidence Ozal au début des années 90.

Turgut Ozal

D’origine partiellement kurde, Turgut Ozal est le premier président turc (1989-1993) à avoir manifesté un début de compréhension à l’égard des Kurdes. Il milite alors pour un infléchissement de la négation du fait kurde. Il faut lui rendre au moins cet hommage. Il est mort dans un accident d’hélicoptère, le 11 avril 1993. Beaucoup d’observateurs ont vu la main des militaires dans le sabotage de son hélicoptère… A chaque fois que les militaires turcs ont accédé au pouvoir, lors d’un premier coup d’état en 1971, puis en 1980, la répression contre les Kurdes a redoublé de violence. Cette politique d’oppression a conduit à la radicalisation de la rébellion kurde qui se traduira par la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). 

Justement, revenons sur l’histoire de la guérilla kurde en Turquie. Quand apparaît le PKK et quelle est sa doctrine politique ? 

Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), la principale guérilla kurde en Turquie, est officiellement créé le 27 novembre 1978. Le PKK est tout de suite pris en main par Abdullah Öcalan qui en deviendra le leader incontesté et la figure historique. Cet ancien étudiant en sciences politiques, originaire de la ville d’Urfa, va lancer la rébellion dans tout le Kurdistan turc à partir de 1984 et notamment dans les zones les plus inaccessibles. Il en fait une formation marxiste-léniniste en prenant modèle sur la Chine de Mao Tse-Tung et s’appuie sur l’URSS.

Action violente

Son objectif est l’indépendance d’un Kurdistan réunifié par la lutte armée, sur le modèle des guérillas révolutionnaires communistes. Le PKK entend également imposer une « révolution socialiste » au Kurdistan. Sa doctrine politique est donc radicale et empreinte aux discours et aux méthodes de l’extrême gauche. Le PKK recourt à l’action violente, s’attaque aux Kurdes rivaux ou à la bourgeoisie locale et tente d’imposer par la force sa suprématie au Kurdistan de Turquie. 

Pourquoi le PKK se tourne vers l’URSS et adopte la doctrine marxiste-léniniste ?

Le PKK a brandi la bannière du marxisme-léninisme, non pas que la population kurde de Turquie soit communiste, ni même les chefs du PKK, mais pour une raison géostratégique. A l’époque, le Kurdistan turc était géographiquement en contact avec l’URSS et abritait des bases militaires américaines. Des missiles implantés en Anatolie turque pouvaient frapper Moscou à tout moment… Alliée des Etats-Unis et pivot du flanc sud de l’Otan, la Turquie représentait une sérieuse menace pour les Soviétiques. Abdullah Öcalan et l’état-major du PKK ont donc misé sur le soutien de l’URSS pour mener à bien leur lutte armée, car toute rébellion sans le soutien d’une puissance extérieure est condamnée à l’anéantissement. La rébellion communiste en Malaisie a fait les frais de l’absence d’appui territorial. En revanche, la rébellion communiste au Vietnam était invincible grâce à l’appui de la Chine à partir de 1949. Pour les Kurdes, le seul moyen de gagner militairement était d’avoir l’appui de l’URSS. 

Öcalan a-t-il fait un bon calcul politique en voulant s’appuyer sur l’URSS ?

Ce calcul politique n’a pas été judicieux car le soutien de Moscou n’est jamais venu ! « Apo » (oncle), le surnom donnée au leader du PKK par ses fidèles, a donné à son mouvement une impulsion politique d’extrême gauche pour séduire les Soviétiques. Il a pensé que l’URSS l’aiderait dans son combat et que, dans ces conditions, il aurait une chance de l’emporter. Il était persuadé que l’Union soviétique appuierait sa rébellion pour affaiblir un partenaire des Etats-Unis. Son calcul s’est révélé à la fois faux et dramatique pour les Kurdes de Turquie. L’URSS n’a jamais accordé le moindre appui au PKK. La guérilla a du lutter avec ses propres moyens et a été contrainte, à l’issue de plusieurs années de combat, d’abandonner la lutte armée (5).

Cas d'école

Le principe qui veut q’une rébellion sans soutien extérieur s’effondre, s’est parfaitement appliqué au PKK. Beaucoup de combattants du PKK ont préféré se réfugier au Kurdistan d’Irak, qui deviendra d’ailleurs une base arrière de ce mouvement. Les guérilleros kurdes du PKK se sont implanté dans la zone kurde du nord de l’Irak, contrôlée par le PDK de Barzani. Ce repli du PKK dans le Kurdistan irakien donnera d’ailleurs le prétexte attendu par la Turquie pour mener dans la région des incursions militaires. Pendant très longtemps, il y a eu la présence d’au moins 5 000 soldats turcs, dont des commandos spéciaux, au Kurdistan irakien pour contrôler le passage des guérilleros kurdes de Turquie. Ces troupes turques étaient sur le territoire irakien contrôlé par les Kurdes d’Irak, si bien que la souveraineté irakienne était ouvertement violée, puisque le Kurdistan d’Irak était malgré tout un territoire irakien. Mais Saddam Hussein ne pouvait pas dire grand-chose car ce territoire échappait totalement en fait, sinon en droit, à son autorité. 

Pourriez vous détailler quelque peu les modes d’action du PKK ?

Le PKK n’a pas hésité à mener de nombreuses actions violentes, notamment à partir des années 90 où des attentats sont commis non seulement contre les militaires turcs mais aussi contre des touristes. Des actions violentes sont également menées hors de Turquie, en Europe occidentale. Le PKK, qui aurait compté jusqu’à 10.000 combattants, s’est par ailleurs largement financé par les trafics illégaux. Le PKK a fait l’objet d’une répression extrêmement brutale de la part de l’armée turque ; c’est ainsi que plusieurs milliers de villages ont été rasés, ce qui a provoqué un exode massif des kurdes de Turquie.

Comme toute organisation radicale, le PKK a été marqué par de nombreuses purges internes. Pourriez-vous nous en dire plus sur  l’aspect autoritaire du PKK et la personnalité d’Öcalan ?

Effectivement, il y a eu une dérive autoritaire au sein du PKK. Öcalan est un personnage très dur pour lui même et pour les autres. Il s’est construit un véritable culte de la personnalité, n’hésitant pas à éliminer toute dissidence interne susceptible de lui faire de l’ombre. Les purges ont été nombreuses au sein de son organisation, très centralisatrice et imposant aux combattants kurdes une loyauté à toute épreuve. Bref, jusqu’à son arrestation en Afrique en février 1999 (6) , « Apo » est un dirigeant incontesté, un chef redoutable et demeure le symbole de le rébellion kurde en Turquie.

Les services américains s'en mêlent

Sa capture à Nairobi met un terme à son « leadership » et à la rébellion du PKK (7). Elle porte un coup fatal à son mouvement. Lors de son procès(8)en Turquie, au cours de l’année 1999, il n’a pas fait preuve d’une grande détermination. Ce procès rappelait d’ailleurs un peu les procès de Moscou en 1937. La pression populaire était à son comble : les mères et les femmes des soldats turcs tués au Kurdistan manifestaient devant le tribunal pour faire pression sur les juges. Le 29 juin 1999, il est condamné à mort pour avoir fondé le PKK et mené une guerre de quinze ans contre la Turquie. Sa peine capitale a cependant été commuée en détention à perpétuité lorsqu’Ankara abolit la peine de mort pour satisfaire aux critères européens dans la perspective de la candidature turque à l’Union européenne. Öcalan est aujourd’hui emprisonné dans une petite île forteresse de la mer de Marmara et risque d’y rester sa vie durant.

Öcalan a-t-il encore une influence aujourd’hui sur le mouvement kurde en Turquie ?

Je ne le pense pas. Tout d’abord, je crois qu’il a déçu beaucoup de ses partisans en se reniant et en demandant la clémence (9). Ce n’est pas dans le caractère kurde. Emprisonné et sous haute surveillance, il est éliminé de la vie politique pour toujours. Même en cas de libération future, ce qui est peu probable, il semble définitivement hors-jeu et risque de ne plus jouer aucun rôle dans le mouvement kurde de Turquie. J’ajoute que vers la fin des années 90, Öcalan n’était pas forcément indispensable au PKK. On peut même dire, dans une certaine mesure, qu’il devenait un embarras pour les Kurdes de Turquie en raison de ses positions politiques extrémistes. Après le procès d’Öcalan, le PKK s’est dissous. Depuis, il s’est probablement scindé en différentes tendances. Mais il est difficile de savoir ce qu’elles représentent aujourd’hui. Ce qui reste du PKK a été rebaptisé en novembre 2003 Kronga-Gel (Congrès du peuple kurde).

Où en est le combat des Kurdes de Turquie aujourd’hui ?

Les Kurdes de Turquie privilégient plus aujourd’hui la voie politique que la militaire. Mais, il y a encore des maquis kurdes dans le Kurdistan de Turquie. Périodiquement, la presse turque fait état d’un certain nombre de combattants tués dans cette région montagneuse. Ce qui reste du PKK a encore des éléments qui continuent un combat sans espoir dans les montagnes du sud-est, près de la frontière iranienne. Les attentats en Turquie sont plutôt le fait de groupuscules d’extrême gauche ou de groupes islamistes radicaux. De plus, l’armée turque contrôle aujourd’hui la situation dans tous les départements de Turquie.

Un calme précaire

Un certain calme semble revenu mais c’est un calme précaire car le problème kurde n’est toujours pas réglé. En juin 2004, le Kronga-Gel a mis fin au cessez-le-feu en vigueur depuis 1999. Une reprise des combats entre l’ex-PKK et l’armée régulière n’est pas à écarter, sous la forme d’accrochages ou d’attentats dans la région du sud-est. Le Kurdistan irakien abrite plusieurs milliers de combattants de l’ex-PKK. En novembre 2004, la police néerlandaise a aussi annoncé le démantèlement d’un camp d’entraînement du Kronga-Gel, près de Liempde dans le sud-est des Pays-Bas.

Quelle est la politique d’Ankara à l’égard des Kurdes aujourd’hui ?

Il y a une volonté d’apaisement des autorités turques après des années de persécution douloureusement ressenties au Kurdistan. Cet apaisement résulte en partie d’une volonté des autorités turques de satisfaire aux conditions posées par l’Union européenne, dans le cadre des discussions d’adhésion ; nous y reviendrons par la suite. (Cf. l'ouvrage)

Depuis 1999, l’état d’urgence a été levé dans le Kurdistan de Turquie et la trêve décrétée, assurant un retour à une certaine stabilité dans la région. Cette politique s’est également traduite par un début de reconnaissance de la langue kurde. Les Kurdes peuvent désormais organiser des cours privés de kurde pour adultes et la chaîne officielle de la télévision turque (TRT) diffuse, depuis juin 2004, des programmes en langue kurde (une émission quotidienne de 45 minutes). Quatre anciens députés du DEP [Parti de la démocratie, pro kurde, dissous en 1994] ont aussi été libérés après dix années d’emprisonnement, dont Leyla Zana (10).

La question kurde reste entière

Cette politique d’apaisement est cependant plus apparente que réelle. Ces libertés accordées au compte-goutte peuvent toujours être révoquées à n’importe quel moment… Les cours de kurde à l’Université sont toujours interdits et le programme en langue kurde diffusé à la télévision est très encadré et restrictif. La Turquie se refuse absolument à reconnaître une zone géographique kurde, un Kurdistan turc constitué d’un certain nombre de départements kurdes. Comme disait le général De Gaulle « Les faits sont têtus ». Or, le fait kurde en Turquie reste intact même si une partie de la population kurde a été déplacée et dispersée à l’intérieur des frontières turques et si une autre partie a dû s’exiler à l’étranger. Ainsi, près de 3 millions de Kurdes ont été déplacés et plus de 3 000 villages évacués ou détruits par l’armée turque. 

Sur le plan économique, les Turcs ont aussi laissé très longtemps la région kurde dans un état de sous-développement économique. Aujourd’hui, ils commettent l’erreur qui consiste à croire qu’en développant le Kurdistan, ils vont régler le problème kurde. Au contraire, le développement du Kurdistan va mener à une plus grande « conscientisation » de la nation kurde de Turquie. A cet égard, l’exemple algérien pourrait servir de leçon. Le plan de Constantine(11) que les Français ont essayé de mettre en œuvre en Algérie visait à régler le problème de l’Algérie musulmane en développant l’économie et l’éducation. Ce plan n’a pas été exécuté mais s’il avait été appliqué, il n’aurait fait qu’exacerber le sentiment national algérien. Aujourd’hui, les Turcs construisent de grands barrages(12) sur le haut Tigre et le haut Euphrate en pensant vouloir régler l’irrédentisme kurde…C’est une grande illusion.

Bernard Dorin, Ambassadeur de France

Vous trouverez ci-dessous une présentation de l'ouvrage et une biographie des auteurs

Notes:

(1) Se reporter au chapitre II du livre, au sujet de « L’empire ottoman et le tournant des années 20 ».  

(2) Mustapha Kemal fera adopter une loi spéciale en 1934 pour devenir « Atatürk », ce qui signifie le « père des Turcs ».

(3) Plus d’un million d’Arméniens meurent lors des déportations de 1915.

(4) Mustapha Kemal meurt le 10 novembre 1938.

(5) La rébellion armée du PKK a duré 15 ans, de 1984 à 1999.

(6) Le chef rebelle kurde a été capturé le 15 février 1999 à Nairobi dans les locaux de l’ambassade de Grèce grâce à l’action des services américains. Sa capture résulte probablement d’une trahison. Il est aussitôt transféré sur l’île prison d’Imrali, en Turquie, dans la mer de Marmara.

(7) Entre 1984 et 1999, la guérilla du PKK a fait près de 40 000 morts.

(8) Le procès d'Ocalan a lieu devant la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara qui s’est déplacée spécialement sur l'île prison d'Imrali où était détenu le leader du PKK.

(9) Lors de son procès, il s’engage à œuvre « pour la paix et la démocratie » et à se mettre « au service de l’Etat turc », cherchant en vain à éviter la condamnation à mort.

(10) Ancienne député kurde, Leyla Zana, a été emprisonnée pendant 10 ans pour avoir prononcé un discours en kurde lors de la séance d’ouverture de la session parlementaire d’Ankara à l’automne 1991. En 1995, le Parlement européen lui attribue le prix Sakharov des droits de l’homme pour son combat en faveur de la reconnaissance de l’identité culturelle kurde.

(11) En 1958, le gouvernement français annonce le « plan de Constantine » pour tenter de désamorcer la guerre en Algérie. Ce plan prévoyait notamment l’industrialisation, la distribution de terres, la création d’emplois et l’égalisation des salaires avec la métropole. Il sera rejeté par le F.L.N.

(12) Le projet est connu sous les initiales de GAP et consiste à créer plusieurs dizaines de barrages destinés à valoriser les terres grâce aux ressources en eau du Tigre et de l’Euphrate qui prennent leur source en Anatolie orientale.

Vous trouverez ci-dessous une présentation de l'ouvrage, de l'auteur et un coupon pour commander l'ouvrage auprès de l'éditeur.

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Date de la mise en ligne: février 2005

 

   

2: Présentation de l’ouvrage

   

 

 

L’avenir des Kurdes se joue actuellement, dans un Moyen-Orient en pleine recomposition. Partout les Kurdes sont exposés : Turquie, avec les perspectives d’adhésion à l’Union européenne, Irak, avec la sanglante transition démocratique, Syrie et Iran, en pleine incertitude politique.

Pourront ils  tirer avantage de cette situation ? Ne risquent ils pas, une nouvelle fois, une trahison et un destin tragique ?

La raison d’être de cet ouvrage est de faire mieux connaître ce peuple de fiers guerriers, contraint à l’héroïsme, car pris en tenaille entre les mondes arabe, turc et iranien. Culture, société, histoire, ressources naturelles, géopolitique : le monde kurde, celui du  Moyen-Orient et de l’importante diaspora, du traité de Sèvres à nos jours, est visité sous tous les angles.

Un livre clair et concis, avec trois cartes et une préface de Gérard Chaliand, pour mieux comprendre l’avenir des Kurdes.

   

 

   

3. Présentations de Bernard Dorin et de Julien Nessi

   
   

Ambassadeur de France, Bernard Dorin est de longue date un fervent défenseur de la cause kurde. Pendant sa carrière diplomatique, il a toujours défendu la nécessité d’inscrire l’action dans le respect des principes moraux. Dans ce livre d’entretien avec Julien Nessi, il fait partager sa connaissance des Kurdes, dont il a connu les leaders historiques et qu’il a passionnément défendus, y compris les armes à la main.

Julien Nessi est journaliste indépendant spécialisé sur l'international. Il a publié dans Le Monde 2, Alternatives Internationales ou encore L'essentiel des relations internationales. Il est également à l'origine du magazine géopolitique cyberscopie.info et a codirigé le Dico rebelle 2004 (Editions Michalon).

   
     

 

   

 

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