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La CIA et M. Gorbatchev, par le général Vernon Walters, diplomate américain,

ex-Président du Conseil de Stratégie Globale des Etats-Unis

 

Dix ans après l'auto-implosion de l'Union soviétique, le général Walters raconte les choix américains pour partie responsables de la fin de ce système totalitaire. L'augmentation des budgets militaires américains a été conçue par le Président Ronald Reagan pour mener le système soviétique la faillite . Ce projet a été mené à bien avec l'alliance du Pape Jean-Paul II, régulièrement informé par le général V. Walters. (Voir un reportage sur la Russie soviétique à l'époque de M. Gorbatchev)

Biographie de l'auteur en bas de page.

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  Au début des années Gorbatchev (1985-1991), j'étais membre du Cabinet du Président des Etats-Unis, après avoir été directeur adjoint de la CIA de 1972 à 1976. Lors de la nomination de M. Gorbatchev au poste de Secrétaire général du Parti communiste d'Union soviétique, nous avons tout de suite compris que les choses allaient changer, mais jusqu'à quel point nous ne le savions pas encore.

Nous n'avions pas beaucoup d'informations sur M. Gorbatchev. Personne ne pouvait me dire si durant l'occupation allemande il était resté dans le Caucase, à Stavropol. A l'occasion d'un dîner à la Maison Blanche, son épouse, Raïssa m'a dit qu'il était alors resté à Stravopol, âgé de 11 ans. J'avais envie de préciser qu'il avait, en réalité, 13 ans mais enfin … Il était clair qu'il s'agissait d'un leader soviétique pas comme les autres, bien qu'il ait été un protégé de Youri Andropov qui était assez dur.

Briefing de la CIA

Au mois de mars 1980, lors de son premier briefing de la CIA et du Département d'Etat, le Président Ronald Reagan (1980-1989) a demandé : "Quelles sont les options pour les relations des Etats-Unis avec les Soviétiques ?" On lui a dit :"Il y a l'option nucléaire, mais elle doit être écartée. Elle ne tuerait pas tout le monde mais elle tuerait tellement de gens que le monde ne serait plus jamais le même. L'option d'une guerre classique serait trop dangereuse, parce que les Soviétiques pourraient gagner : ils ont plus de bateaux, d'avions, de chars et de soldats que les Etats-Unis."

Presque tristement, le Président R. Reagan a demandé : "Mais n'avons-nous rien de plus qu'eux ?" "L'argent." J'avais moi-même, un an avant, signé une synthèse sur l'économie soviétique qui annonçait que le Produit National Brut de l'économie soviétique était la moitié de celui des Etats-Unis. Personnellement j'étais convaincu que ce n'etait pas vrai, pour y avoir été. Cependant, on m'avait apporté une dizaine de Professeurs d'Economie et qui étais-je - officier de l'armée - pour discuter avec eux ? Alors j'avais signé la synthèse. Plus tard, nous avons recruté quelqu'un du Bureau du Budget de l'Union soviétique et nous avons découvert que le P.N.B de l'URSS était le sixième du notre. Ce qui m'est alors apparu plus raisonnable. Les Soviétiques avaient pourtant le complexe d'être toujours devant nous. Par exemple, la statue de la Mère Russie à Stalingrad a dix centimètres de plus que la statue de la Liberté, à New York. Le plus gros avion de transport soviétique, l'Antonov 220 a vingt-cinq centimètres de plus que le Galaxy américain.

Entendant cela, le Président R. Reagan a dit :"Si les Soviétiques ont cette passion de vouloir rester devant nous, dépensons beaucoup d'argent, ils feront faillite". Il a donc introduit des budgets militaires annuels de l'ordre de 400 milliards de dollars, soit environ le Budget de l'Allemagne Fédérale en l'an 2000, troisième économie du monde. Il a fait cela pendant huit ans.

Jean-Paul II est informé

R. Reagan avait une inquiétude : que le Pape Jean-Paul II critique une telle dépense à des fins militaires. Alors, tous les quatre mois, j'allais faire le briefing du Pape Jean-Paul II, avec des photographies satellites qu'on ne montrait pas à des étrangers à ce moment là. En lui montrant une base soviétique avec treize silos, je lui ai dit:" Sainteté, chaque missile possède dix ogives. Ce que vous regardez est la mort de 130 villes américaines ou européennes". Quoi que je ne pense pas que les Russes avaient pour intention de détruire l'Europe, parce qu'ils voulaient une Europe travaillerait pour eux, donc aussi intacte que possible.

Alors Jean-Paul II m'a confié : "Je comprends exactement ce que vous me dites". Contrairement à ce que certains écrivains ont voulu faire croire depuis, il n'y a pas eu de conspiration entre Washington et le Vatican contre Moscou, mais une alliance d'intérêts. Jean-Paul II, comme Ronald Reagan, avait intérêt à changer le régime soviétique, parce qu'ils estimaient que c'était une menace à la paix. Contrairement à ce qui se dit en Russie aujourd'hui, il n'y a pas eu de complot contre l'Union soviétique mais une alliance.

Jean-Paul II. Crédits: Ministère des Affaires étrangères, F. de la Mure

La thèse du complot est trop facile, comme celle qui rend responsable un sous-marin étranger de la fin du "Koursk", en 2000. Qui a des sous-marins de cette taille ? Les Français, les Anglais et les Américains. Vous pensez bien que dans ces démocraties s'il avait manqué un bateau à l'appel, cela ne pourrait pas se cacher !

Il faut se souvenir que lors de l'élection de Jean-Paul II, les évêques polonais lui ont envoyé un message qui était un extrait d'un poème polonais antérieur de 138 ans avant son élection. Ce texte disait à peu près :"Dans un moment où l'Eglise est divisée par des contestations, où personne ne voit clair la lumière de Dieu, Dieu enverra un homme qui balaiera les sanctuaires et rendra aussi clair que la lumière du jour la Vérité de Dieu. Voyez, il s'avance le Pape slave."

Dévoré par les forces qu'il a libéré

Je crois que l'affolement du Secrétaire d'Etat J. Backer quand je lui ai dit à l'automne 1989 que la chute du Mur de Berlin était imminente venait de l'idée qu'il ne fallait rien faire qui risquerait de mettre en danger M. Gorbatchev. J. Backer me l'a dit et j'ai répondu :"Monsieur le Ministre, M. Gorbatchev sera dévoré par les forces qu'il a lui-même libérées. On ne peut pas faire un changement comme cela et y survivre. Il a mis fin à la terreur et un régime comme celui-là ne peut pas se perpétuer sans la terreur. Il faut déjà regarder l'après Gorbatchev". La principale préoccupation de beaucoup de gens était de ne rien faire qui pourrait nuire à la position de M. Gorbatchev.

M. Gorbatchev. Crédits : Ministère des Affaires étrangères, F. de la Mure

Après avoir quitté le gouvernement, j'ai fait une croisière sur la Volga. Des gens qui détestaient le Président B. Eltsine (1991 - 1999) le faisaient savoir à grand cri, sans regarder derrière leur épaule qui les écoutait. La terreur était vraiment finie. Le monde aura toujours une dette envers M. Gorbatchev. Je ne crois pas qu'il aurait pu arrêter le flot, mais il a fait ce qui était nécessaire pour éviter qu'il y ait des milliers de victimes. Ce qui aurait très facilement pu être le cas avec M. Brejnev. Encore qu'à ses obsèques son épouse passant devant son cercueil avait le signe de croix orthodoxe. Il y avait déjà quelque chose qui ne tournait plus rond.

Les difficultés de la Russie à l'aube de ce nouveau siècle sont pour l'essentiel des difficultés internes, liées à des difficultés de passer d'un système à un autre. Il n'y a pas de précédent, jamais un Etat communiste n'est devenu démocratique.

V. Walters

Témoignage recueilli par Pierre Verluise, en décembre 2000.

NB: Le général V. Walters est décédé le 10 février 2002.

NDLR: Cet article a été cité dans l'ouvrage de C. Durandin, "Les Etats-Unis, grande puissance européenne", Paris, Armand Colin, 2004, pp. 10-11.

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Date de la mise en ligne: décembre 2001

 

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Biographie du général V. Walters, diplomate américain, ex-Président du Conseil de Stratégie Globale des Etats-Unis

 

 

  Le général Walters a servi son pays durant plus d'un demi siècle, comme officier militaire et diplomate.

Le général Walters a fait carrière durant 36 ans dans l'armée américaine, jusqu'au grade de Lieutenant général. Il a servi durant la Seconde Guerre mondiale, la guerre civile grecque, la guerre de Corée et le conflit vietnamien. Pendant cette remarquable carrière militaire, il a joué un rôle clé dans les négociations du traité de l'OTAN et la mise en place du Plan Marshall en Europe. Il a aussi mené à bien des missions sensibles et secrètes pour six Présidents des Etats-Unis.

Il a servi d'aide et interprète aux Présidents Roosevelt, Truman, Eisenhower, Johnson, et Nixon aussi bien qu'aux généraux Marshall et Bradley. En effet, ayant été scolarisé en France et en Angleterre puis en poste dans plusieurs capitales étrangères, le général Walters parle couramment français, portugais, espagnol, italien, allemand, hollandais et russe.

Le Président R. Nixon a nommé le général Walters directeur adjoint de la CIA. Il a occupé ce poste de mai 1972 à juillet 1976, sous la direction successive de Richard Helms, James Schlesinger, William Colby et George Bush.

Au cours de sa carrière de diplomate, le général Walters a d'abord été Premier Conseiller au Secrétariat d'Etat en 1981; Ambassadeur extraordinaire chargé de mission de 1981 à 1985; membre du Cabinet du Président des Etats-Unis et Représentant permanent des Etats-Unis aux Nations unies de 1985 à 1989. En 1989, il a été nommé Ambassadeur des Etats-Unis en République Fédérale, où il est resté jusqu'en 1991. Durant cette période, le Mur de Berlin est tombé et Berlin est redevenue la capitale de l'Allemagne réunifiée. En 1994, le général Vernon A. Walters a succédé au Dr. Ray S. Cline au poste de Président du Conseil de Stratégie Globale des Etats-Unis.

Auteur de nombreux articles et analyses, le général Walters a aussi écrit plusieurs livres dont:

. 1978 : "Silent Missions", éd. Doubleday.

. 1994 : "The Wall Falls".

. 2001 : "The Mighty and the Meek" , éd. St Ermin's Press.

- 10 février 2002 : décès du général V. Walters

 

 

     

 

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