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www.diploweb.com Géopolitique - Histoire de l'Union soviétique, 1985-1991.

Qui était vraiment Mikhaïl Gorbatchev ?  

par Pierre Verluise, spécialiste de géopolitique

 

Après avoir supervisé l’ensemble des services secrets soviétiques, Mikhaïl Gorbatchev devient  le 11 mars 1985 Secrétaire général du Parti communiste d’Union soviétique. Il reste dans les mémoires attaché à deux mots russes: la « glasnost » et la « perestroïka ». En 1989, il laisse tomber le Rideau de fer divisant l’Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le 8 décembre 1991, l’URSS disparaît par un coup d’Etat qui ne dit pas son nom, puis M. Gorbatchev sort de scène. Qui était cet homme ? Vingt ans après ses débuts au Kremlin, revisitons une carrière et deux concepts au service d’une stratégie.

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Une carrière…

Mikhaïl Gorbatchev est né en Union soviétique le 2 mars 1931,  dans la région de Stavropol, au sud de la République de Russie. Durant ses études, il participe à une troupe de théâtre. Puis  il occupe la fonction de Premier secrétaire du comité régional du Parti Communiste de la région de Stavropol de 1970 à 1978. En 1981, il devient membre suppléant du Politburo du Parti Communiste d’Union soviétique, puis membre titulaire l’année suivante.  

En 1982, M. Gorbatchev est nommé responsable des « Organes administratifs », une entité peu connue supervisant l’ensemble des services secrets soviétiques, dont le Comité pour la Sécurité d’Etat (KGB) et le GRU (militaire). Il devient dans le même temps chargé de l’idéologie auprès du nouveau Secrétaire général du Parti Communiste, Youri Andropov. Ce dernier présidait précédemment le KGB.  M. Gorbatchev est donc à la fois un homme du Parti et des services secrets.  

Après la mort de Youri Andropov et l’élection de Konstantin Tchernenko au poste de Secrétaire général du Parti Communiste, M. Gorbatchev fait en 1984 une prestation remarquée par les médias lors d’une visite en Grande-Bretagne.

11 mars 1985, il entre au Kremlin 

Le 11 mars 1985 le Politburo désigne M. Gorbatchev comme Secrétaire général du Parti Communiste d’Union soviétique. Membre suppléant du Politburo, Victor Tchebrikov, Président du KGB , lui apporte son appui, selon Egor Ligatchev.  

Entre 1985 et 1991, M. Gorbatchev déclare engager une réforme du système soviétique. Il fait connaître en Occident les mots russes de « glasnost » et « perestroïka ».  

Le 9 novembre 1989, M. Gorbatchev ne s’oppose ni à la chute du Mur de Berlin, ni à la fin du Rideau de fer séparant l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est. Il reçoit le Prix Nobel de la Paix en 1990. Peut-être faut-il y voir un lien de cause à effet.

 

M. Gorbatchev. Crédits: Ministère des Affaires étrangères, F. de la Mure

En dépit des réformes annoncées, l’URSS manifeste des difficultés pour faire face à ses engagements financiers internationaux. Le 4 décembre 1991, l’Union soviétique cesse de rembourser sa dette extérieure. Le 8 décembre 1991, les Présidents des Républiques Socialistes Soviétiques de Russie, de Biélorussie et d’Ukraine réalisent un véritable coup d’Etat, selon l’historien Michel Heller. Ils signent la création d’une Communauté des Etats Indépendants (CEI). Ce qui porte un coup mortel à l’URSS.  

Le 25 décembre 1991, M. Gorbatchev démissionne de la Présidence. Il reste dans la mémoire de certains russes comme le fossoyeur de l’URSS. Il entre dans les manuels d’histoire pour avoir su jouer de deux mots.  

… et deux concepts…

Lorsqu’il devient Secrétaire général du PCUS, M. Gorbatchev se retrouve à la tête d’un pays-continent embourbé dans une crise systémique. Venant du KGB, il en a une connaissance assez précise.  

En effet, la superpuissance soviétique manifeste les signes d’une crise générale depuis la fin des années 1950. Celle-ci est engendrée par son système politique. Une baisse tendancielle d’efficacité commence à affecter ses performances économiques. La « réforme » de 1965 constitue le seul sursaut dans ce déclin. Cependant, la chute de la rentabilité reprend à partir de la fin des années 1960. Désormais, la crise ne cesse de prendre de l’ampleur. En 1977- 1979 l’économie soviétique affiche ses plus mauvais résultats depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La production de nombreux produits essentiels diminue: le ciment, le charbon, le matériel ferroviaire, les tracteurs, les engrais ... Ceci entraîne des réactions en chaîne. En 1985, la croissance économique est nulle lorsque que M. Gorbatchev entre au Kremlin.  

L'URSS durant les années Gorbatchev. Crédits: P. Verluise

Que faire ? A l’image d’une personne qui se noie et voit passer une barque à proximité, il tente de s’accrocher à l’Europe de l’Ouest. Parfaitement informé des attentes des Occidentaux, il coproduit avec les services secrets le discours attendu. Les concepts de « glasnost » et de « perestroïka » sont les rideaux de fumée qui cachent sa stratégie.  

"La gorbymania fait des ravages chez les Occidentaux" (Daniel Vernet) 

Directeur de la rédaction du "Monde", Daniel Vernet définit ainsi la glasnost : « Depuis que M. Gorbatchev est arrivé au pouvoir en 1985, l’image de l’Union soviétique s’est radicalement transformée. Foncièrement négative dans les dernières années du règne de Brejnev, assombrie par la chasse au dissident et l’invasion de l’Afghanistan, elle est redevenue positive, sinon radieuse. Il est parvenu à faire prendre les mots pour les choses, les concepts pour les changements. C’est sans doute ce qu’on appelle l’image de marque. La « gorbymania »  fait des ravages chez les Occidentaux». (Daniel Vernet,"URSS", éd. Seuil, 1990, p.5, 10 et 11.) 

Maître de conférences à l’Université Paris IV, Nora Buhks ajoute : « Ce qu’on appelle la « glasnost » est, en réalité, un instrument de la politique du pouvoir soviétique. Cette dernière vise, dans son ensemble, à faire croire à une évolution libérale du système soviétique. Ceci afin que les Occidentaux acceptent de contribuer à son renforcement, notamment en le finançant. En fait, la presse soviétique reste totalement soumise à la censure. Le Parti contrôle plus que jamais l’information ». ("Le Quotidien de Paris ", 22 mars 1990)

Quelle réforme ?  

Durant les années 1985 à 1991, les colonnes des journaux occidentaux sont remplies d’articles inspirés par les informateurs-désinformateurs soviétiques au sujet des réformes engagées sous le nom de « perestroïka ». Pourtant, quand la pièce est terminée, le bilan est maigre. Journaliste économique, Françoise Lazare écrit en épitaphe : « Après avoir louvoyé, multiplié les conseillers et les programmes économiques, reporté les réformes, l’URSS a disparu en décembre 1991. Sans avoir entrepris une véritable réforme de son économie ». ("Le Monde", 9 juillet 1992)

L’historien Michel Heller ne s’en étonne guère : « La « perestroïka » de M. Gorbatchev était d'avance condamnée : il cherchait seulement à améliorer le rendement du système afin de le conserver. (…) Ce processus n'avait aucune chance (…) parce que le système n'est pas réformable. En effet, ce genre de système rigide fonctionne jusqu'au moment où il essaye de s'améliorer. Prenons une comparaison. Avant la perestroïka, ce système ressemblait à un dinosaure. Mikhaïl Gorbatchev a voulu en faire un centaure. Mais si le dinosaure a été dépassé, il a cependant existé. Alors que jamais le centaure, lui, n'a foulé le sol de la terre. Parce que le centaure reste un mythe, tout comme un système soviétique amélioré. (« Le Quotidien de Paris », propos recueillis par P. Verluise, 13 décembre 1991). 

Alors, quelle est la fonction du discours de la « perestroïka » ? La soviétologue Françoise Thom explique :  « Il ne faut pas comprendre la « perestroïka » comme une entreprise visant à faire marcher le système soviétique. Il s’agit plutôt d’une tentative pour associer la communauté internationale à l’entretien, au financement, à l’équipement et à l’alimentation des pays socialistes ». (Françoise Thom, "Après Gorbatchev" , éd. La Table Ronde, 1990, p. 263)

… au service d’une stratégie

Parce qu’il produit le discours que les Occidentaux attendent, M. Gorbatchev les séduit… et attire leurs capitaux en Union soviétique, comme en témoigne le tableau 1.

Tab. 1. De 1984 à 1991, dette extérieure de l’URSS, en milliards $, au 31 décembre

1984

22, 5

1985

28, 9

1986

31, 4

1987

39, 2

1988

43

1989

54

1990

60

1991

70

L’endettement extérieur du Kremlin augmente considérablement mais le 4 décembre 1991, l’URSS suspend le remboursement de l’essentiel de sa dette extérieure : 70 milliards de dollars, dont près de la moitié est publique et l’autre privée.  

Les Etats-Unis jouent habilement, eux

Les pays de la zone géographique ouest-européenne supportent plus de 75 % de la dette soviétique alors que le Japon se contente de 2, 5 % et les Etats-Unis de 1, 25 % . Le Président des Etats-Unis, G. Bush (père) attend 1990 pour promettre son premier milliard d’aide. Venant de la CIA et bien conseillé, il ne s’illusionne pas au sujet des réformes annoncées. En revanche, il se garde bien d’inciter Européens à la prudence. Après tout, l’argent qu’ils jettent dans ce tonneau des danaïdes n’est pas investi dans une Recherche qui pourrait concurrencer le leadership des Etats-Unis.  

M. Gorbatchev et F. Mitterrand le 4 juillet 1989. Crédits: Ministère des Affaires étrangères. La France est à cette date le premier pays créancier de l'URSS

Parallèlement à la croissance de son endettement extérieur, l’Union soviétique organise secrètement durant les années Gorbatchev un formidable mouvement de fuite des capitaux soviétiques, comme le montre le tableau 2.  

Tab.2. Fourchette des estimations concernant la fuite des capitaux soviétiques entre 1985 et 1991, en milliards $

Source

Estimation

M. Malnikov, Inspecteur en chef du contrôle des changes au sein du gouvernement russe

25

Le journal La Suisse (18.4.92)

70

Le cabinet Kroll (Etats-Unis)

100

Le service annuel de la dette s’élève en 1991 à 14 milliards de dollars. La suspension de paiement du 4 décembre 1991 paraît donc étonnante. En effet, les capitaux mis à l’abri pourraient aisément permettre de rembourser le service de la dette. Mais ce n’est pas leur fonction stratégique.

En effet, la fuite des capitaux soviétiques puis post-soviétiques est conçue pour tenter de mettre la Russie en situation de force. Parce que les capitaux en fuite représentent une menace potentielle extrêmement dangereuse pour les marchés financiers internationaux. « Si les diverses composantes russes qui ont fait fuir ces capitaux les exigent au même moment, il s'en suivrait un boum financier aux conséquences imprévisibles », expliquent les milieux bancaires.

La fuite des capitaux continue

C’est une des raisons pour lesquelles la Russie a obtenu depuis - sans faire de réforme économique cohérente - que la communauté internationale continue à lui accorder une aide financière, notamment à travers toute une série de rééchelonnements avantageux de sa dette extérieure . En juillet 1998, le Fonds Monétaire International a commencé à verser un prêt de 22, 6 milliards de dollars sur deux ans. Ce montant est le plus important jamais consenti à cette date par cette institution.  Pendant ce temps, la fuite des capitaux russes continue.  (Voir un graphique)

Ainsi, M. Gorbatchev reste pour l’histoire l’artisan d’une stratégie remarquable pour tenter d’ancrer la Russie à l’Europe, via l’endettement extérieur et la fuite des capitaux mais aussi peut-être en laissant tomber le Rideau de fer.  

Pierre Verluise 

NDLA. Deux livres pour aller plus loin:

- Michel Heller, "Le 7e secrétaire", éd. O. Orban, 1990.

- Pierre Verluise, "Le nouvel emprunt russe", éd. Odilon Média, 1996.

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Date de la mise en ligne: février 2005

 

 

 

   

 

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