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Les suites des attentats du 11 septembre 2001,

par Bernard Dorin, Ambassadeur de France

 

Le terrorisme implique une poignée de gens, quelques milliers sans doute, alors qu'il y a aujourd'hui 1 milliard de musulmans dans le monde. On ne peut pas sérieusement assimiler les musulmans au terrorisme. Ce serait non seulement injuste mais absurde. D'autant que le 11 septembre 2001 constitue une aggravation des incompréhensions qui existaient déjà entre un monde développé, riche et blanc, et un monde non développé, non riche et non blanc, spécialement dans sa partie marquée l'Islam.

Biographie de l'auteur en bas de page

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Les attentats du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis ont des conséquences considérables. Ces crimes ont été commis au nom de l'Islam, mais il s'agit d'un islam particulier, celui de l'intégriste Ben Laden. Il avait déjà fait commettre d'autres attentats anti-américains.

Une nouvelle forme d'agression

Les attaques du 11 septembre 2001 contre les deux tours du World Trade Center à New York et contre le Pentagone à Washington sont d'un style inédit. Voici la première différence avec toutes les agressions précédentes, y compris la guerre du Golfe. En annexant le Koweït en 1990, Saddam Hussein a peut-être mené la dernière attaque classique. Nous voyons maintenant se développer une nouvelle forme d'agression : l'attaque d'un pays par une organisation et non par un Etat. C'est pourquoi le 11 septembre 2001 ne peut se comparer à Pearl Harbor . Dans ce dernier cas, l'agresseur était parfaitement identifié : l'Etat souverain du Japon qui, à travers sa marine et son aviation, attaquait un autre Etat souverain, les Etats-Unis. En ce début du XXI e siècle, une ou des organisations dites "terroristes" peuvent s'en prendre à un ou des Etats.

Le conflit israélo-arabe

Quelles sont les origines du 11 septembre ? Je les vois de façon très nette liées à l'affaire du Moyen-Orient, et, tout particulièrement, au conflit israélo-arabe. Les Etats-Unis combattent cette idée. Ainsi l'ambassadeur des Etats-Unis en France lors d'un déjeuner des "Amis de la République Française", à l'hôtel Royal-Monceau a déclaré en substance que les évènements de Palestine n'avaient rien à voir avec l'action terroriste de Ben Laden.

Il s'agit d'une position insoutenable, parce que tout le passé de Ben Laden prouve qu'il est obsédé par la récupération de la Palestine et, tout particulièrement, de Jérusalem, que les musulmans et les Arabes en particulier appellent El Qods. N'oublions pas qu'il s'agit de la troisième ville sainte de l'Islam, après La Mecque et Médine. En fait, le retour de la Palestine aux Palestiniens suppose la destruction de l'Etat d'Israël. Il s'agit rien moins que de jeter les Israéliens à la mer. En quoi cela explique-t-il que Ben Laden se soit attaqué avec son organisation aux Etats-Unis ?

Le calcul - faux - de Ben Laden

Voici mon explication : jusqu'à présent, les Etats-Unis avaient toujours cédé devant une attaque terroriste forte et décidée. En voici deux exemples. Après l'attaque terroriste contre le cantonnement américain au Liban qui a tué plus de 200 Marines, leur gouvernement a décidé d'évacuer immédiatement ce pays. Il en a été de même quand la chaîne de télévision CNN a diffusé des images de prisonniers américains traînés par les pieds dans une bourgade somalienne. L'effet sur l'opinion publique des Etats-Unis a été considérable et les Etats ont alors évacué immédiatement leurs troupes des deux pays en question.

Le calcul de Ben Laden et de son organisation me semble avoir été le suivant : "Les Etats-Unis cèdent au terrorisme quand ils sont frappés, car ils prétendent faire la guerre avec zéro mort. Leur gouvernement a déjà cédé deux fois au terrorisme. Aussi longtemps que Washington soutien Israël de manière totale et irrévocable, l'Etat juif ne peut pas être vaincu. parce qu'il reçoit l'appui de la plus grande puissance du monde, voire la seule depuis l'implosion de l'Union soviétique. Pour vaincre Israël et récupérer El Qods, il faut détacher les Etats-Unis de l'Etat d'Israël. Pour cela, un seul moyen : frapper suffisamment fort au cœur des Etats-Unis pour paniquer leur gouvernement au point qu'il cesse de soutenir Israël".

Là, Ben Laden s'est trompé magistralement car les attentats du 11 septembre 2001 ont eu le résultat inverse, c'est à dire rattacher encore plus qu'avant le sort d'Israël à la volonté de protection des Etats-Unis.

Un risque majeur

Les attentats du 11 septembre 2001 risquent cependant d'avoir des conséquences très dommageables en ce qui concerne les relations entre les pays occidentaux et le monde musulman.

L'Europe occidentale et les Etats-Unis, sinon au niveau de leurs dirigeants, du moins dans certaines parties des opinions publiques, risquent de faire un amalgame dangereux et très injuste : musulmans ou arabes = terroristes. Ce genre de dérive peut même concerner d'autres communautés. Un malheureux Sikh vivant aux Etats-Unis a ainsi été lynché par la foule en septembre 2001 parce qu'il portait un turban et une barbe ! Or, comme chacun doit le savoir, un Sikh n'est pas musulman. Aux Etats-Unis et au Canada, on se méfie maintenant des personnes qui portent un patronyme arabe ou qui portent un vêtement présumé moyen-oriental.

Il ne faut surtout pas faire cet amalgame. Le terrorisme concerne une poignée de gens, quelques milliers sans doute, alors qu'il y a aujourd'hui 1 milliard de musulmans dans le monde. On ne peut pas sérieusement assimiler les musulmans au terrorisme. Ce serait non seulement injuste mais absurde.

Par ailleurs, la manière dont sont traités les prisonniers de l'organisation de Ben Laden et des Talibans dans la base américaine de Cuba, donne une très mauvaise image de l'Occident dans tout le monde musulman. Beaucoup y voient une "revanche" du 11 septembre 2001.

Se croire aimé

Ces attentats ont été - à juste titre - considérés comme abominables en Occident. Cependant, ne nous y trompons pas, dans une grande partie du monde les réactions populaires ont été différentes. Par exemple en Amérique Latine, certains ont pensé :"Pour une fois les Etats-Unis ne font pas la guerre à l'extérieur de chez eux tout en restant confortablement en sécurité dans leur paradis. Cette fois, les Américains découvrent la guerre et la violence chez eux." J'ai eu des échos du même genre en Afrique, en Asie du Sud Est, en Asie orientale : "Pour une fois, ils vont savoir ce que c'est que la guerre." Il faut considérer ces réactions et s'interroger à leur sujet.

Au fond, les Américains commettent la même erreur que les Français : nous nous croyons admirés. Ce n'est pas vrai, même des pays les plus proches de nous. Les Américains ne sont pas davantage aimés, parce qu'ils sont les plus forts et les plus riches. Quand on est fort et riche, on peut être respecté à cause de sa force et de sa richesse, mais on n'est pas aimé. Les Etats-Unis le découvrent maintenant avec stupeur. Leurs journaux publient des lettres de citoyens s'interrogeant :"Pourquoi tuer quelques milliers de personnes au cœur de notre grand New York ? Qu'est-ce qu'on leur a fait ? Pourquoi nous haïssent-ils à ce point ?"

Le 11 septembre 2001 constitue donc une aggravation des incompréhensions qui existaient déjà entre un monde développé, riche et blanc, et un monde non développé, non riche et non blanc, spécialement dans sa partie marquée l'Islam. Celui-ci, n'oublions pas, s'étend du Maroc jusqu'au Sud des Philippines. Faut-il rappeler que, pour des raisons notamment démographiques, il s'agit de la seule religion qui connaissent actuellement une croissance très considérable de ses effectifs ?

Faire un effort de connaissance

Ne faisons par l'erreur monstrueuse de penser qu'il y a un milliard de terroristes ou de considérer que le terrorisme représente en quoi que ce soit l'Islam. Si vous lisez le Coran, ce que je fais depuis fort longtemps, vous verrez qu'il n'y a pas plus de références à la violence et à l’intransigeance dans le Coran que dans l'Ancien Testament. On peut trouver dans l'un ou dans l'autre ce que l'on veut.

Il faut impérativement faire un effort de connaissance et de compréhension pour éventuellement départager le bon grain de l'ivraie. C'est à dire, pouvoir isoler certaines tendances extrémistes dans l'Islam. Après tout, ces tendances extrémistes n'existent pas que dans l'Islam. Nous savons tous qu'elles existent dans d'autres systèmes religieux ou politiques. Le XX e siècle n'a-t-il pas connu le fascisme, l'hitlérisme, le communisme stalinien ? Dans les grands systèmes religieux, il y a aussi des extrémismes. Il y a par exemple des extrémistes religieux chrétiens, notamment ceux qui assassinent les médecins qui pratiquent des avortements. Cela procède d'un même état d'esprit : l'intolérance.

Hélas, l'intolérance existe dans beaucoup de groupes humains. Il ne faut pas attribuer l'intolérance sur un seul système religieux, qui serait l'Islam.

Bernard Dorin, Ambassadeur de France

Entretien avec Pierre Verluise

Copyright 20 février 2002-Dorin/www.diploweb.com

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Date de la mise en ligne : mars 2002

   

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Biographie de Bernard Dorin, Ambassadeur de France

   
   

. 1950 : Diplôme de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris.

. 1953 : Admis à l'Ecole Nationale d'Administration

. 1963 - 1964 : Adjoint au Secrétaire Général du Ministère des Affaires Etrangères.

. 1964 - 1966 : Conseiller Technique - pour les affaires diplomatiques - au cabinet du Ministre de l'Information. Directeur Adjoint du "Service de Liaison Interministériel pour l'Information".

. 1966 - 1967 : Conseiller Technique - pour les affaires diplomatiques - au cabinet du Ministre Délégué chargé de la Recherche Scientifique et des Questions Atomiques et Spatiales.

. 1967 - 1968 : Conseiller Technique - pour les affaires diplomatiques - au cabinet du Ministre de l'Education Nationale, chargé en particulier des relations avec les universités africaines.

. 1968 - 1969 : Conseiller Technique - pour les affaires diplomatiques - au cabinet du Ministre chargé de la Recherche Scientifique et Conseiller technique "officieux" au Cabinet du Ministre de l'Education Nationale.

. 1969 - 1970 : Année sabbatique à l'Université de Harward, au Center for International Affairs.

. 1970 - 1972 : Chargé de mission auprès du Directeur du Personnel du Ministère des Affaires Etrangères.

. 1972 - 1975 : Ambassadeur en Haïti. Plus jeune Ambassadeur du corps diplomatique français.

. 1975 - 1978 : Créateur et chef du Service des Affaires Francophones du Ministère des Affaires Etrangères.

. 1978 - 1981 : Ambassadeur en République d'Afrique du Sud.

. 1981 - 1984 : Directeur d'Amérique au Ministère des Affaires Etrangères (Etats-Unis, Canada et Amérique Latine).

. 1984 - 1987 : Ambassadeur au Brésil.

. 1987 - 1990 : Ambassadeur au Japon.

. 1991 - 1993 : Ambassadeur en Grande-Bretagne.

. 1er janvier 1992 : Elevé à la dignité d'Ambassadeur de France.

. 1993 - 1997 : Conseiller d'Etat en service extraordinaire.

. Juin 2001 : "Appelez-moi Excellence. Un ambassadeur parle", éd. Stanké.

Officier de la Légion d'Honneur.

Grand-Croix de l'Ordre de Victoria (G.C.V.O.)

Membre fondateur de l'Association France-Québec.

Président des Amitiés francophones, 39 Avenue de Saxe, 75007, Paris, France.

   
   

 

   

 

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