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"Le consentement fatal. L'Europe face aux Etats-Unis",

par le général Pierre-Marie Gallois, stratège

 

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Mots clés - key words: général pierre-marie gallois, le consentement fatal. L'europe face aux états-unis, textuel, situation géopolitique mondiale et européenne au tournant du XXI e siècle, stratégie, construction européenne, état, indépendance nationale, souveraineté, fédéralisme, europe fédérale, allemagne, russie, bouclier anti-missile, chine, turquie.

  Ed. Textuel, mai 2001. Diffusion Le Seuil

Avec cet ouvrage sous forme de conversation avec P. Petit et S. Kruk, le général P-M. Gallois nous présente son analyse de la situation géopolitique mondiale et européenne au tournant du XXI e siècle. La lecture est aisée et le propos argumenté mais peu consensuel, tant le général Gallois s'ingénie analyser ce qu'il convient parfois de taire. Le lecteur ne peut que reconnaître la vitalité intellectuelle de l'auteur, engagé en 1943 dans la RAF. Il a été dès 1946 acteur d'une campagne pour l'indépendance nationale de l'armement nucléaire français, puis responsable des plans d'Armement pour la France entre 1947 et 1950 et chargé du Plan nucléaire stratégique au Quartier Général de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord entre 1952 et 1957. A travers ce nouvel ouvrage, il poursuit en quelque sorte son œuvre d'enseignant de stratégie et géopolitique, débutée en 1948.

Quelles relations Europe / Etats-Unis ?

L'essentiel de son propos concerne ici la place de l'Europe dans le monde d'aujourd'hui, notamment par rapport aux Etats-Unis.

Le général P-M. Gallois déplore tout d'abord la direction prise par la construction européenne. "Les Etats abandonnent leur souveraineté au profit d'une entité politique qui n'existe pas encore et qui n'est pas souveraine non plus [l'Union européenne]. Donc la souveraineté à disparu. Elle existe aux Etats-Unis, elle existe en Inde, elle existera peut-être au Nigeria, demain, mais en Europe elle n'existera pas parce que l'Europe n'est pas politiquement faite et que les Etats se défont." (p. 27)

L'un ou l'autre, mais pas les deux

Après quoi l'auteur pose de manière assez crue le dilemme. "La question est alors celle-ci : soit nous construisons une Europe fédérale, soit chaque Etat conserve sa souveraineté. Dans le premier cas, l'Europe est dotée d'un gouvernement, d'un Parlement, d'une culture, et alors nous sommes capables de rivaliser avec des Etats similaires. Ainsi, nous comprimons le temps, nous comprimons vingt-cinq siècles d'histoire en une cinquantaine d'années pour rejoindre des peuples comme celui des Etats-Unis constitué depuis deux siècles, des peuples comme le peuple russe constitué depuis quatre siècles, ou comme le peuple chinois constitué depuis trente siècles. Nous les rejoignons et en les rejoignant nous sommes capables de rivaliser avec eux, ce serait là l'objectif de l'Europe.

Si nous n'accomplissons pas cet effort, chaque Etat gardera une part de souveraineté. Alors, nous ne serons plus capables de tous les actes que permet la pleine souveraineté car nous en aurons déléguée une partie à un Etat qui n'existe pas. Cet Etat qui n'existe pas étant l'ensemble des Etats européens, l'Europe tout entière ne pourra rivaliser avec les Etats-Unis, ni avec la Chine, ni avec l'Inde, ni avec n'importe quel Etat constitué depuis longtemps. Autrement dit, la seule question est celle-ci : peut-on comprimer le temps et faire en cinquante ans ce qui a été accompli en plusieurs siècles ailleurs ? Personnellement, je ne le crois pas."

Un pari ?

Question : "A ce niveau là de votre raisonnement, on est dans l'ordre du pari. Si nous fonçons dans l'Europe fédérale avec un seul gouvernement, soit nous continuons à renforcer l'Etat souverain ?"

"Obtenir la puissance ou, si vous voulez, l'effet de taille de l'Etat américain ou de l'Etat chinois tout en conservant des parts de souveraineté n'est pas possible. C'est un peu comme si, aux Etats-Unis, l'Etat de l'Oregon ou de l'Alabama avaient une certaine autonomie de puissance et absorbaient une part des ressources que l'Etat américain utilise actuellement pour être une grande puissance.

Inversement, si vous acceptez l'Europe fédérale, alors chacun des Etats européens doit accepter d'avoir les attributions d'un Etat américain. La France prendrait le rôle de la Louisiane, l'Allemagne du Texas ou de n'importe quel autre Etat, et donc, chaque Etat se contenterait de fonctions purement administratives et locales, les présidents devenant des gouverneurs de province. A ce moment là, l'Europe peut rivaliser avec les Etats-Unis. Mais vous avez "comprimé" l'histoire". (pp.77-79)

De l'Allemagne

L'ouvrage compte bien d'autres passages intéressants, notamment à propos du projet allemand de "faire de l'Europe un empire", c'est à dire "la juxtaposition d'Etats différents sous une même autorité" (p. 70 ; 83 ; 86-99 ).

Au sujet de la position relative de la France dans le monde, le général Gallois procède par déduction. "Aujourd'hui, la France est devenue une puissance "sous-moyenne". Mettons que l'Allemagne soit une puissance moyenne par rapport à ce qu'est aujourd'hui l'Amérique et ce que sera demain la Chine. En comparaison avec ces superpuissances mondiales, l'Allemagne est une superpuissance locale, à l'échelon européen, mais c'est la seule en Europe. Donc si l'Allemagne est une puissance moyenne, la France est une puissance "sous-moyenne". Et elle l'est de plus en plus en fonction de ses abandons de souveraineté. Un Etat abandonnant sa souveraineté n'est plus un Etat pouvant être qualifié de puissance moyenne influente." (p. 28)

A propos des relations américano-russes, le général Gallois précise la fonction de l'Allemagne : "L'Amérique a eu peur pendant quarante ans de la Russie et elle la redoute toujours. Aujourd'hui, elle utilise l'Allemagne comme une sorte d'observateur-contrôleur de l'évolution de la Russie, l'encourageant à y investir, faisant ainsi dépendre l'économie russe des crédits allemands. Par ailleurs, en soutenant la Turquie et en étant présent dans le Caucase, au Kazakhstan et en Ouzbékistan, les Américains ont repris la vieille stratégie de l'encerclement, celle que Georges Kennan appelait le containment. Le containment, que Kennan avait envisagé pendant la guerre froide, se trouve réalisé aujourd'hui en période de paix par cette double démarche, qui enserre la Russie par le nord et par le sud. Au nord, par l'Allemagne, la Suède et la Finlande et au sud, en empêchant que les républiques ex-soviétiques musulmanes ne rejoignent la Russie"(p.111)

Intégrer la Turquie ?

L'ouvrage s'achève, d'ailleurs, sur cet avertissement concernant la stratégie américaine à l'égard de l'Europe : "L'idée de base, c'est qu'en faisant ainsi entrer la Turquie en Europe, comme le souhaitent les Etats-Unis, on transformerait cette Europe en un vaste marché économique qui serait moins créateur, étant donné que l'apport musulman est intellectuel et artisanal mais pas scientifique ni de haute technologie, puisque ces peuples s'en sont toujours désintéressés.

Turquie. Crédits: Commission européenne

On aurait ainsi un vaste magma européen dont on aurait détruit les entités nationales au nom de la mondialisation, en expliquant que l'Etat national est chose dépassée. Ce vaste magma serait un mélange islamo-chrétien, dépourvu de sens politique et simplement réduit à un vaste marché où s'écouleraient les produits américains. Le but étant que l'Europe, l'Amérique latine et demain l'Afrique, dont les Etats-Unis comptent bien exploiter les richesses, fassent bloc face à la zone Asie Pacifique dominée par la Chine." (p. 140)

A ce sujet, le général P-M. Gallois présente le bouclier antimissile de G. W. Bush comme une arme essentiellement tournée contre la Chine (p. 107 ; 118 ; 120). Enfin, chacun trouvera un utile résumé de la théorie de la dissuasion nucléaire (pp. 130-132) et une réflexion prospective sur les guerres futures (p. 136).

Voici donc un ouvrage stimulant pour qui s'intéresse à la nouvelle donne géopolitique.

Pierre Verluise

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Mise en ligne: 2001

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