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La recherche stratégique française,

par Pierre Affuzi, haut fonctionnaire français

 

Alors que le monde devient particulièrement complexe, l'Hexagone dispose-t-il d'une recherche stratégique à la hauteur de ses ambitions ? Particulièrement bien informé des réalités de ce milieu, l'auteur en doute et explique pourquoi.
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Il subsiste une tradition d'autonomie de petite entreprise qui s'avère dramatique. D'autant plus dramatique que nous ne sommes plus au temps du franco-français, dans lequel un laboratoire d'université concurrent d'un autre laboratoire s'adressait au ministère de l'Education nationale français pour avoir de l'argent, ce qui induisait certes une dispersion de l'argent public, mais cela fonctionnait en circuit fermé.

Un déficit de visibilité

Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans un circuit fermé. Les budgets de recherche sont maintenant alimentés par des financements multinationaux : l'Organisation des Nations Unies, l'Union Européenne, etc. Il s'y ajoute des financements internationaux, par exemple les fondations américaines. Ces étrangers - même s'ils veulent associer des chercheurs français à une recherche de nature internationale - ont beaucoup de mal à trouver des interlocuteurs. "Pourquoi prendre le laboratoire de Paris IV plutôt que celui de Lyon II ?" Ce paysage scientifique français très dispersé s'avère donc un handicap terrible.

Dans le système anglo-saxon, il existe quelques têtes de réseau qui disposent d'une autorité internationale. Si un financier étranger veut faire faire une étude, il sait que l'IISS existe dans le paysage britannique. La Friedrich Hebert Schiftung existe dans le paysage allemand. Peut-être ce système est-il par ailleurs parcellisé mais il existe des têtes de réseaux parfaitement identifiées par qui s'intéresse à ces domaines.

Alors qu'il était Ministre de l'Education nationale, Claude Allègre avait demandé à un universitaire de faire un rapport pour répondre à la question : "Pourquoi les chercheurs français restent-ils aussi absents du débat sur les Balkans ?" Réponse :"Les spécialistes français sont extraordinairement dispersés dans l'ensemble des universités françaises. Tant qu'on n'organisera pas un annuaire, un réseau et une tête de réseau, la recherche française n'existera pas à l'échelle internationale".

Une conception particulière de l'indépendance

Par ailleurs, la structure, le financement et la forme de relation avec l'Etat ne sont pas indifférents. Pierre Joxe a voulu fonder en 1990, la Fondation pour les Etudes de Défense, ce qui est devenu la Fondation pour la Recherche Stratégique avec les statuts d'une fondation d'utilité publique, avec une donation et un capital. Le but était d'avoir un acteur du débat sur les questions stratégiques qui soit séparé de l'Administration.

La démarche n'est pas allée jusqu'au bout. Pour que cet acteur commence à occuper son espace, il faut lui donner sa liberté. En France, "donner sa liberté" cela veut dire faire des équipes dirigeantes jumelées : un de "gauche" et un de "droite". Ce qui est déjà une forme de relation très ambiguë. Puisque l'on veut donner son autonomie à une Fondation tout en l'obligeant à respecter une pondération politique. Les acteurs ne cessent de se demander qui est celui de "gauche" et celui de "droite". Cette pratique est une forme de participation étatique désignant "le bon". Le lien intellectuel entre l'Etat et la FRS ne paraît donc toujours pas coupé. Espérons que cela se fera. Pour l'heure un système réputé indépendant dans lequel on se préoccupe de la nomination des dirigeants n'est pas véritablement autonome, à la différence de ce qui se passe à l'IISS en Angleterre où ils ont un jour décidé de prendre un Français. Si on décidait de mettre un Allemand à la tête de la FRS, l'Etat français dirait : "Attendez … "

Comment faire ?

L'Etat français a fondé une Fondation "indépendante" mais sans couper complètement le lien. Il ne lui a pas non plus donné les moyens de son existence. Si vous comparez les moyens de la FRS avec ceux de la Rand Corporation, vous observerez que cette dernière a accès à toutes les informations publiques nécessaires pour mener à bien les études qui lui sont commandées par le gouvernement. En France, même un organisme habilité "confidentiel défense" comme la FRS ne disposera jamais de toute la documentation "confidentiel défense" pour mener à bien son étude.

Comment participer alors à un débat public, en posant éventuellement des questions pertinentes qui peuvent être irritantes mais qui ont la légitimité de l'expertise ?

Les choses sont peut-être en train de changer. L'actuelle équipe directoriale de la FRS s'attache à lui donner de plus en plus d'indépendance, mais il n'empêche qu'on a pris dix ans de retard. On devait attendre que Matignon, ou les Affaires étrangères ou la Défense décide. Ce qui était une relation par nature pernicieuse.

Il faut noter que Science-Po est l'organisme universitaire qui s'en sort le mieux sur le plan international. Or, il s'agit d'une Fondation, avec son autonomie de gestion. Finalement, on s'aperçoit qu'un système d'autonomie universitaire poussé fonctionne bien.

De l'exception culturelle

Pour l'heure, le fonctionnement français s'approche faussement du "spoil systeme" américain, mais ce dernier a l'avantage de la transparence. Les candidatures doivent être acceptées par la forme représentative du corps social américain : le Congrès.

En France, le système est beaucoup plus pervers. On nomme un dentiste ambassadeur mais le cercle de validation se résume au gouvernement. Si l'on décline ce système dans toutes ses conséquences, cela veut dire qu'à Air France vous allez nommer un Président Directeur Général qui est de votre camp. Ce PDG va accueillir les membres des cabinets ministériels au prochain changement de gouvernement. Il en résulte une véritable "usine du placard", où l'on place ceux qui ont été dans des cabinets de droite ou de gauche. La sphère de l'économie publique française reste tellement étendue que cela permet d'en placer un à la Française des jeux, un autre à Air France … et dans les postes à la discrétion du gouvernement comme Préfet, Ambassadeur. ..

Alors que le "spoil systeme" américain est affiché et placé sous contrôle, le système français est tout à fait opaque. Regardez l'affaire de la Française des jeux, dans lequel se trouve mis sur la sellette un personnage qui a été conseiller en communication du Président de République, nommé à la Française des jeux tout en étant rémunéré par Air France … Une telle situation serait impossible aux Etats-Unis. Et nous n'en sommes qu'au début de la mise en accusation de ces procédés en France. Cette évolution est très saine.

Pierre Affuzi

Entretien avec Pierre Verluise

Pierre Affuzi est le pseudonyme d'un haut fonctionnaire français.

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  Date de la mise en ligne : avril 2002
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