Recherche par sujet

www.diploweb.com Géopolitique de l'Union européenne et de l'Europe centrale et orientale

2 ème partie - L'élargissement de l'Union européenne : quelles questions ?

par Laurent Rucker, analyste et chargé de secteur au CEDUCEE

 

Tous les acteurs ne comprennent pas les valeurs communautaires de la même manière. Ils n'envisagent pas les enjeux de l'adhésion de la même façon. L'entrée dans l'Union européenne, ce n'est pas seulement un slogan. Les difficultés des négociations montrent que l'Union européenne est une organisation avec des règles, des processus, des procédures, des acquis … qui interdisent de faire n'importe quoi. Sauf à vider l'Union européenne de son sens et de son contenu. (Voir une carte de l'UE25 le 1er mai 2004)

Biographie de l'auteur en bas de page.

Mots clés - key words: laurent rucker, géopolitique de l'eurasie, élargissement de l'Union européenne aux pays d'europe centrale et orientale, enlargment, négociations d'adhésion, calendrier, pologne, russie, biélorussie, ukraine, philosophie politique et évolution institutionnelle de l'UE, confédération, système de valeurs, paix, démocratie, état de droit, histoire, héritage du totalitarisme communiste et soviétique, organes militaires et policiers, reconversion des cadres communistes, néo-communistes, forces populistes, vladimir poutine.

Voir une carte de l'Espace UE25, PIB par habitant en SPA, UE15=100, données définitives pour 2001.

Voir une carte de l'UE25 au 1er mai 2004

  < partie précédente

Comment faire aboutir les négociations de l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale (PECO) ? Quel processus mettre en œuvre pour que cet élargissement se réalise avec succès ? Quel calendrier ? Personne n'a encore pris de position claire à ce sujet. On repousse la question du calendrier de semestre en semestre, d'une Présidence de l'Union européenne (UE) à l'autre. Il va pourtant falloir un jour définir les modalités et le calendrier de l'intégration des PECO à l'UE.

Un certain flou

Quel doit être l'état de préparation des PECO pour que leur intégration au sein de l'UE devienne effective ? Depuis 1999, l'idée retenue est "à chacun selon ses mérites". Si l'intégration se fait au mérite, alors, que deviendront les pays qui ne seront pas prêts ? Quid, en particulier des grands pays, comme la Pologne, qui seront en décalage ?

A moyen terme, comment cette Union européenne élargie pourra-t-elle fonctionner à 20, 25 ou 30 ? Suivant quels principes ? Avec quel exécutif ? Quel sera le poids des Etats, petits et grands ? Tout cela n'est pas clarifié, loin de là.

Quelles doivent être les relations de l'Union européenne avec les pays qui ne seront pas inclus dans l'Union européenne, en particulier la Russie ? Comment s'organiseront les relations transfrontalières entre l'Union européenne et les pays limitrophes ? Quelles relations avec la Russie, la Biélorussie, l'Ukraine ?

Les enjeux de l'élargissement

Elargie à 25 ou à 30, l'Union européenne gardera-t-elle la même philosophie qu'à 15 ? Restera-t-elle cet espace d'intégration tel qu'il a été conçu depuis les années 1950 ? Ou se dirige-t-on vers une forme de confédération plus souple mais qui aura perdu beaucoup de sa substance ?

Dès 1993, il a été précisé au Sommet de Copenhague que l'entrée dans l'Union européenne n'était pas seulement une question d'économie. Il s'agit aussi d'une affaire politique : l’adhésion à l’UE est conditionnée par le respect d'un certain nombre de principes et de pratiques démocratiques : droits de l’Homme, institutions démocratiques et protection des minorités. L'originalité de la construction européenne est de combiner ce qui relève habituellement d'organisations inter étatiques et d'un système de valeurs dont l'objectif est de construire un espace de paix démocratique, inspirée des thèses philosophiques d’Emmanuel Kant sur la Paix perpétuelle. Depuis près de cinquante ans, le projet européen repose sur le respect de valeurs communes, de l’Etat de droit et de la démocratie. La résolution des conflits par la négociation a été érigée en principe absolu ce qui constitue une rupture avec le passé européen. Toutefois, la logique du projet européen n’est pas entièrement nouvelle. Pour certains, elle est une version modernisée du Concert européen du XIX° siècle.

Quid de l'héritage totalitaire ?

L'une des difficultés de l'élargissement est la suivante : l'Union européenne a affaire à des pays qui pour la plupart n'étaient pas des démocraties avant 1945 et sortent de quarante quatre ans de totalitarisme communiste. L'héritage de l'époque communiste est double. Antidémocratiques, autoritaires ou totalitaires selon les catégories que l’on choisit de leur appliquer, ces régimes avaient instauré la violence en mode privilégié de résolution des conflits politiques et sociaux. La surveillance permanente du corps social plaçait les organes militaires et policiers au cœur d'un système politique où la répression jouaient un rôle fondamental dans l'accession et le maintien au pouvoir des dirigeants.

Pologne, Varsovie, la marque du soviétisme dans le paysage urbain. Crédits: Commission européenne

Cet héritage pèse aujourd'hui encore en Europe centrale et orientale, notamment parce que les comptes du passé n'ont pas été partout et entièrement soldés. Un certain nombre de cadres politiques communistes se sont convertis aux valeurs démocratiques, avec un degré variable d'adhésion réelle. L'apprentissage des mécanismes de la démocratie ne résume pas à la tenue d'élections, il implique également la compréhension de ses enjeux et valeurs.

Le risque d'une désillusion

L'héritage comprend également l'attachement à certaines prestations sociales assurées par l'Etat à l'époque du communisme. La protection de l'Etat reste une valeur importante, particulièrement pour les parties de la population mises en difficulté par la thérapie de choc des années 1990 et pour celles qui appartiennent à des secteurs qui devront être modernisés, notamment le secteur agricole. Beaucoup craignent que cette protection ne leur soit retirée après l'intégration à l'Union européenne. Les dirigeants politiques de ces pays et l'Union européenne doivent faire un effort pour expliquer les gains et les coûts de l'intégration à court, moyen et long termes. Le risque existe d'une désillusion vis-à-vis de l’UE n’est pas à négliger. D’autant que certaines forces populistes trouvent déjà un écho à leurs thèses et qu’elles sont prêtes à instrumentaliser les difficultés de l’intégration européenne à des fins électoralistes. Même si les Quinze ne sont pas non plus à l’abri de ce type de phénomène.

Roumanie. Crédits: Commission européenne

Tous les pays d'Europe centrale et orientale vont-ils être en mesure de s'intégrer à un espace de paix démocratique ? Il y a lieu de s'interroger. La démocratie ne se décrète pas du jour au lendemain, il s'agit d'une institution complexe. Elle implique un apprentissage et une socialisation sur la longue durée. Il faut être attentif au coût social de l’intégration des PECO à l’UE. Et surtout faire œuvre de pédagogie. Ne pas laisser croire que l’UE résoudra tous les problèmes grâce à la manne financière communautaire, ni laisser les gouvernements faire porter la responsabilité de toutes les difficultés économiques et sociales à l’UE. De ce point de vue les classes politiques de certains des Quinze n’ont pas toujours montré le meilleur exemple.

Que faire ?

Comment organiser les relations avec les pays qui ne vont pas adhérer immédiatement ou avec ceux qui n'adhéreront probablement jamais ? De quelle manière gérer nos rapports avec les pays qui ne vont pas adhérer dans les 2 ou 3 prochaines années à l'Union européenne ? Comment organiser les relations avec les Balkans, la Russie ?

Tous les acteurs ne comprennent pas les valeurs européennes de référence de la même manière. Ils n'envisagent pas les enjeux de la même façon. L'entrée dans l'Union européenne, ce n'est pas seulement un slogan. Les difficultés des négociations montrent que l'Union européenne est une organisation avec des règles, des processus, des procédures, des acquis … qui interdisent de faire n'importe quoi. Sauf à vider l'Union européenne de son sens et de son contenu.

Quels compromis ?

Si l'on accepte l'entrée de pays d'Europe centrale et orientale dans n'importe qu'elle condition, que se passera-t-il ? Je pense que le niveau d'exigence annoncé aura des difficultés à être atteint, voire tenu. Se pose alors un problème politique. A un moment donné, il va falloir décider d'une date d'intégration. Il est évident que beaucoup de ces pays ne seront pas au niveau, parce que les réformes structurelles sont compliquées et longues à mettre en œuvre. Il faut de surcroît tenir compte des opinions publiques, des forces sociales et politiques. Pourra-t-on se limiter à intégrer les seuls pays correspondant parfaitement aux exigences de l'Union européenne ? Quel est le compromis acceptable entre l'exigence et la réalité ? N'intégrer que les pays qui correspondraient aux critères risque d'une part d'engendrer de très grandes frustrations chez les autres, et d'autre part de vider de son sens le projet politique de création d'un espace intégré. Et de renvoyer aux calendes grecques l'intégration des recalés de la première vague. Cette question est lancinante depuis un certain temps et va s'imposer au grand jour à brève échéance. Soit on fait semblant de croire que ces pays sont prêts, soit on trouve des compromis. Lesquels ?

Quid des Balkans et de la Russie ?

Les relations avec les pays qui ne sont pas entrés aujourd'hui dans le processus d'intégration posent également question, en particulier les Etats de l’ex-Yougoslavie. L'accélération des négociations avec les actuels pays candidats à l’entrée dans l’UE a été la conséquence de guerre du Kosovo. Il faut maintenant offrir des perspectives à ces Etats qui sont pour certains encore moins préparés que les actuels candidats à l'intégration. Quel est calendrier ? Plusieurs décennies ?

Par ailleurs, que fait-on de la Russie ? A-t-elle vocation à intégrer l'Union européenne ? Cela paraît difficile, ne serait ce que pour des raisons d'état général du pays et d'équilibre institutionnel. Il n'empêche que l'Union européenne doit définir un type de relation avec la Russie et que les Russes doivent définir un type de relation avec l'Union européenne. Ce dossier me semble essentiel.

Comment les pays d'Europe centrale et orientale éventuellement intégrés à l'Union européenne géreront-ils leurs relations avec la Russie ? Leur économie est devenue plus autonome que par le passé, mais certains comptent des minorités russes. Leurs élites restent parfois issues de la nomenklatura de l'époque soviétique et tout laisse à penser que la Russie y dispose encore de relais. Reste qu'il faut se garder de généraliser. La question russe est beaucoup plus complexe pour la Pologne et les pays Baltes que pour la Slovénie. La relation avec la Russie est à la fois pour ces pays un problème de politique intérieure - parce qu'il y a des minorités russes sur leur territoire - et une affaire de politique étrangère à cause de frontières communes qui nécessite un minimum de consensus.

Vladimir Poutine ne s'oppose pas du tout au processus d'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale. Il va même essayer d'être partie prenante de ce processus. Même si la Russie n'a pas vocation à intégrer l'Union européenne dans l'immédiat, cela ne veut pas dire que les relations entre l'Union européenne et la Russie seront inexistantes, au contraire. La Russie va chercher à s'associer à ce processus et à y défendre ses intérêts.Partie suivante >

Laurent Rucker Ecrire à l'auteur : laurentrucker@yahoo.fr

Entretien avec Pierre Verluise

Copyright 20 janvier 2002-Rucker/www.diploweb.com

L'adresse url de cette page est : http://www.diploweb.com/p5ruck2.htm

Lire la première partie de ce texte: http://www.diploweb.com/p5ruck1.htm

Lire la troisième partie de ce texte: http://www.diploweb.com/p5ruck3.htm

  Date de la mise en ligne: février 2002
    Plus avec www.diploweb.com - Forum diplomatique    
     

Biographie de Laurent Rucker, analyste et chargé de secteur au CEDUCEE

   
    Docteur en sociologie politique. Thèse de doctorat intitulée " L’URSS et le conflit israélo-arabe 1941-1956 ", soutenue en novembre 1999 à l’université Paris X sous la direction du professeur Marc Lazar.

Depuis 1998 : Chargé d'études au Centre d'études et de documentation sur la CEI et l'Europe de l'Est (CEDUCEE), membre de la rédaction de la revue mensuelle Le Courrier des pays de l'Est, éd. La documentation Française, 29 quai Voltaire, Paris 75007, France.

Depuis 1996 : Maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris (conférences de science politique, de sociologie des relations internationales et d’historiographie du communisme).

Depuis 1995 : Chercheur associé au Groupe d'Étude et d'Observation de la Démocratie (GEODE), Université Paris X.

1991-1995 : Allocataire de recherche moniteur puis attaché temporaire d’enseignement et de recherche en sociologie politique à l’Université Paris X.

Principales publications

Staline, Israël et les Juifs, Presses universitaires de France, 2001, 384p, (traduction en tchèque à paraître).

Stéphane Courtois, Laurent Rucker (sous la direction de), " La politique extérieure de l'URSS ", Communisme, n°49-50, 1997, 216p.

William Karel, Laurent Rucker, Israël-Palestine. Une terre deux fois promise, Paris, Editions du Rocher, 1998, 262p.

" The Soviet Union and the Suez Crisis ", in David Tal (ed.), The 1956 War : Collusion and Rivalry in the Middle East, Londres, Frank Cass, 2001, pp. 65-93.

" Russie. Une nouvelle dynamique ? " (avec Marie-Agnès Crosnier), Le courrier des pays de l’Est, n°1010, 2000, pp. 105-124.

" L'URSS et la création de l'Etat d'Israël ", Revue d'études palestiniennes, n°23, 2000, pp. 65-85.

" La Russie et l'opération Force alliée. A la recherche de la puissance perdue ", Le courrier des pays de l'Est, n°1001 (nouvelle série), janvier 2000, pp. 32-44.

" L'URSS et la crise de la Suez ", Communisme , n°49-50, 1997, pp. 151-168.

" La Jdanovchtchina : une campagne antisémite ? ", Cahiers de l'Institut d'Histoire du Temps Présent, n° 35, 1996, pp. 83-94.

" Les archives de la politique extérieure soviétique ", Vingtième siècle. Revue d'histoire, n°45, janvier-mars 1995, pp. 139-143.

   
         

 

  Recherche par sujet Editeur Ecrire :P. Verluise, ISIT 12 rue Cassette 75006 Paris France
      Recherche et enseignement

Copyright 20 janvier 2002-Rucker /www.diploweb.com

La reproduction des documents mis en ligne sur le site www.diploweb.com est suspendue à deux conditions:

- un accord préalable écrit de l'auteur;

- la citation impérative de la date de la mise en ligne initiale, du nom de famille de l'auteur et du site www.diploweb.com .

Pour tous renseignements, écrire : P. Verluise, ISIT 12 rue Cassette 75006 Paris France