Recherche par sujet

www.diploweb.com Géopolitique de l'Union européenne et de l'Europe centrale et orientale

1 ère partie - L'élargissement de l'Union européenne : quelles craintes ?

par Laurent Rucker, analyste et chargé de secteur au CEDUCEE

 

L'absence d'un véritable débat autour des enjeux de l'élargissement de l'Union européenne aux PECO et d'un travail pédagogique autour de cette question risque de favoriser la propagation d'idées fausses et leur instrumentalisation. Docteur en sociologie politique, l'auteur déplore l'évacuation de ce thème du débat public et donne son point de vue sur trois craintes courantes au sujet de l'élargissement.

Découvrir le livre de Pierre Verluise: "Géopolitique de l'Europe. L'Union européenne élargie a-t-elle les moyens de la puissance ?", éd. Ellipses, 2005.

Biographie de l'auteur en bas de page

Mots clés - key words : élargissement de l'union européenne aux pays d'europe centrale et orientale, laurent rucker, courrier des pays de l'est, documentation française, débat politique - public - médiatique, communication, information, négociation, commission européenne, gouvernements de l'UE et des PECO, élections, reprise de l'acquis communautaire, ratification des traités d'adhésion, référendum, élites ouest et est européenne, europhiles, europhobes, conséquences supposées de l'élargissement de l'UE pour la politique agricole commune, instrumentalisation de l'élargissement par l'allemagne, place de l'allemagne dans la géopolitique européenne, courant souverainiste, émigration, immigration.

  Fin 2001, les médias accordent encore très peu d’attention à l’élargissement de l’Union européenne.

Certes, le sujet est difficile. Le processus de négociation paraît complexe. L'effort de communication entrepris par la Commission ne semble pas donner beaucoup de résultats… Les gouvernements ne font à peu près aucun travail d’information des opinions publiques. Peut-être parce que des élections se profilent dans plusieurs pays, notamment en France et en Allemagne. Or, l’élargissement soulève des problèmes souvent sensibles qui peuvent avoir un coût électoral. Les dirigeants politiques ne sont donc pas toujours désireux d'éclairer leur opinion publique, ce qui ouvre la voie à toutes les manipulations et à la démagogie.

Résultat : l'opinion publique ignore à peu près tout de l'élargissement de l'Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale. Peu de personnes savent ce qu'il représente. Quels sont les pays concernés ? Quand et comment le processus a-t-il été engagé ? A quelle date peut-il aboutir ? Les enjeux réels restent méconnus, tout autant que les conséquences possibles. (Voir une carte de l'Europe géopolitique en 2002 - 362 ko)

Manipulations en perspective ?

Toute cette méconnaissance rend le processus encore plus compliqué, notamment dans la perspective des débats à venir. Lorsque les négociations seront achevées et que l'intégration entrera dans sa phase active, le réveil pourrait être douloureux. Comment procédera-t-on aux ratifications des traités d’adhésion si aucun travail d’explication et de pédagogie n’est réalisé en amont ? L'absence d'un véritable débat autour des enjeux de l'élargissement de l'Union européenne aux PECO et d'un travail pédagogique autour de cette question risque de favoriser la propagation d'idées fausses et leur instrumentalisation.

Moins les opinions sont informées et plus il est facile de les manipuler. Je crains qu'on arrive à la veille de la ratification de l'adhésion des pays candidats à l'Union européenne avant que les opinions publiques n'aient eu la possibilité de comprendre les véritables enjeux. Ce qui porte en germe le risque de dérapages et de nombreuses désillusions sur l'avenir de l'Union européenne. Si les opinions publiques ne sont pas préparées, rien ne peut empêcher qu'elles prennent des positions éventuellement hostiles à l'élargissement. Fin 2001, personne ne peut garantir que la voie du référendum - et il y a de fortes pressions pour que cela soit la procédure adoptée - donne un résultat positif. Alors, faut-il comme avec les Danois ou peut-être les Irlandais faire et refaire des référendums jusqu'à ce que les opinions publiques acceptent de ratifier les traités ? Cela me semble très problématique, aussi bien pour les pays de l'Union européenne que pour les pays candidats.

Illusions perdues

Au début des années 1990, il y a eu dans les pays d'Europe centrale et orientale des illusions et des naïvetés sur ce qu'allait être le processus de négociation avec l'Union européenne. Le projet d'adhésion a été porté par une partie des élites des PECO et présenté comme une chance formidable de modernisation, avec à la clé des largesses financières de l'UE.

Slovaquie, usine automobile. Crédits: Commission européenne

Au terme de la décennie 1990, il apparaît que les réalités sont moins idylliques que prévues. Ce qui commence à avoir des conséquences sur les opinions publiques des pays d'Europe centrale et orientale. Elles sont, au début des années 2000, beaucoup moins europhiles qu'en 1995. Et la tendance risque de s'accentuer, comme l'ont montré les résultats des élections de septembre 2001 en Pologne. Là aussi, le manque de pédagogie et d'information véhiculent de nombreux malentendus et risquent de se retourner à terme contre les partisans de l'élargissement de l'Union européenne.

Trois craintes majeures

A tort ou à raison, plusieurs inquiétudes se manifestent déjà.

Première crainte : "l'élargissement de l'Union européenne constitue une menace pour l'économie des Quinze pays membres actuels, en particulier pour la France où le secteur agricole est important". L'agriculture polonaise constituerait une menace pour l'agriculture française.

Pologne, campagne. Crédits: Commission européenne

Or, si l'on se réfère à l'histoire des élargissements successifs de l'Union européenne, on constate pourtant que ce ne sont pas les pays gros producteurs de l'Union européenne qui ont souffert de la concurrence des nouveaux membres - comme l'Espagne ou la Grèce - mais qu'il s'agissait bien davantage de marchés nouveaux pour leurs productions. Globalement, cela n'a pas affecté l'agriculture française. En outre, chacun sait que le marché commun agricole profite largement aux agriculteurs français. Sans la Politique Agricole Commune (PAC), leurs difficultés auraient été bien plus importantes que les effets induits par ces précédentes intégrations. Il est vrai, cependant, que l'Allemagne peut être tentée d'utiliser l'élargissement pour remettre en question le système de la PAC et pour renégocier sa quote-part au budget de l'Union européenne.

Deuxième inquiétude : "Les ressortissants d'Europe centrale et orientale vont déferler sur les pays d'Europe de l'Ouest". Cette hantise semble particulièrement répandue en Allemagne et en Autriche, comme l'ont montré les négociations sur la circulation des travailleurs dans l'Union européenne. Les élargissements précédents montrent qu'il n'y a pas de "vague" d'émigration en provenance des nouveaux adhérents. Globalement, les populations restent dans leur pays d'origine et on ne voit pas pourquoi cela serait différent pour les nouveaux pays candidats.

Et l'Allemagne ?

Troisième crainte, diffuse dans l'opinion française : "L'Allemagne va devenir le pôle dominant de l'Union européenne élargie aux pays d'Europe centrale et orientale". Cette thèse est notamment développée par le courant souverainiste pour qui le déplacement du centre de gravité de l'Union européenne vers l'Est va mettre l'Allemagne réunifiée en mesure de dominer le reste de l'Europe. On verra si l'avenir me donne tort ou raison, mais il me semble qu'il s'agit d'une lecture anachronique des événements actuels. La situation du début du XXI e siècle est très différente de celle de la première moitié du XX e siècle. Personne ne peut sérieusement douter de l’engagement européen de l’Allemagne et de son attachement à la démocratie même si l’Allemagne a certainement moins besoin de l’Europe que par le passé pour agir sur la scène internationale.

D'ailleurs, l'Union européenne signerait son arrêt de mort si elle était dominée par une seule puissance. Puisque le principe même de l'Union européenne repose sur une certaine collégialité, une forme d'équilibre des pouvoirs et des forces qui s'appuie sur une conception différente de celle des années 1930. L'Union européenne est fondée sur des valeurs communes, des systèmes politiques proches, des économies convergentes, des modes d'organisation des sociétés peu éloignés, la libre circulation des hommes, des idées, des marchandises …

Bruxelles a parfois bon dos

Enfin, on entend parfois que "Les Etats n'auront plus rien à décider, tout se fera à Bruxelles". Chacun sait pourtant que l'Union européenne c'est avant tout l'affaire des Etats. Rien ne peut se décider sans que les Etats n'aient donné leur accord. Quand les divers gouvernements français déclarent tour à tour :"Bruxelles nous impose que … ", il faut entendre "Bruxelles nous impose cela après que les Etats ont donné leur accord pour la mise en œuvre de ces mesures." La démagogie des uns et des autres entretient les idées fausses. Partie suivante >

Laurent Rucker Ecrire à l'auteur : laurentrucker@yahoo.fr

Entretien avec Pierre Verluise

Copyright 20 décembre 2001-Rucker/www.diploweb.com

L'adresse url de cette page est : http://www.diploweb.com/p5ruck1.htm

Lire la deuxième partie de ce texte: http://www.diploweb.com/p5ruck2.htm

Lire la troisième partie de ce texte: http://www.diploweb.com/p5ruck3.htm

Date de la mise en ligne : janvier 2002
    Plus avec www.diploweb.com  
     

Biographie de Laurent Rucker, analyste et chargé de secteur au CEDUCEE

 
    Docteur en sociologie politique. Thèse de doctorat intitulée " L’URSS et le conflit israélo-arabe 1941-1956 ", soutenue en novembre 1999 à l’université Paris X sous la direction du professeur Marc Lazar.

Depuis 1998 : Chargé d'études au Centre d'études et de documentation sur la CEI et l'Europe de l'Est (CEDUCEE), membre de la rédaction de la revue mensuelle Le Courrier des pays de l'Est, éd. La documentation Française, 29 quai Voltaire, Paris 75007, France.

Depuis 1996 : Maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris (conférences de science politique, de sociologie des relations internationales et d’historiographie du communisme).

Depuis 1995 : Chercheur associé au Groupe d'Étude et d'Observation de la Démocratie (GEODE), Université Paris X.

1991-1995 : Allocataire de recherche moniteur puis attaché temporaire d’enseignement et de recherche en sociologie politique à l’Université Paris X.

Principales publications

Staline, Israël et les Juifs, Presses universitaires de France, 2001, 384p, (traduction en tchèque à paraître).

Stéphane Courtois, Laurent Rucker (sous la direction de), " La politique extérieure de l'URSS ", Communisme, n°49-50, 1997, 216p.

William Karel, Laurent Rucker, Israël-Palestine. Une terre deux fois promise, Paris, Editions du Rocher, 1998, 262p.

" The Soviet Union and the Suez Crisis ", in David Tal (ed.), The 1956 War : Collusion and Rivalry in the Middle East, Londres, Frank Cass, 2001, pp. 65-93.

" Russie. Une nouvelle dynamique ? " (avec Marie-Agnès Crosnier), Le courrier des pays de l’Est, n°1010, 2000, pp. 105-124.

" L'URSS et la création de l'Etat d'Israël ", Revue d'études palestiniennes, n°23, 2000, pp. 65-85.

" La Russie et l'opération Force alliée. A la recherche de la puissance perdue ", Le courrier des pays de l'Est, n°1001 (nouvelle série), janvier 2000, pp. 32-44.

" L'URSS et la crise de la Suez ", Communisme , n°49-50, 1997, pp. 151-168.

" La Jdanovchtchina : une campagne antisémite ? ", Cahiers de l'Institut d'Histoire du Temps Présent, n° 35, 1996, pp. 83-94.

" Les archives de la politique extérieure soviétique ", Vingtième siècle. Revue d'histoire, n°45, janvier-mars 1995, pp. 139-143.

 
       

 

  Recherche par sujet   Ecrire :P. Verluise, ISIT 12 rue Cassette 75006 Paris France
       

Copyright 20 décembre 2001-Rucker /www.diploweb.com

La reproduction des documents mis en ligne sur le site www.diploweb.com est suspendue à deux conditions:

- un accord préalable écrit de l'auteur;

- la citation impérative de la date de la mise en ligne initiale, du nom de famille de l'auteur et du site www.diploweb.com .

Pour tous renseignements, écrire :P. Verluise, ISIT 12 rue Cassette 75006 Paris France