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"Géopolitique de la nouvelle Asie centrale",

par M.-R. Djalili et T. Kellner

 

Mots clés - key words: géopolitique de la nouvelle asie centrale, mohammad-reza djalili, thierry kellner, publications de l'institut universitaire des hautes études internationales, presses universitaires de France, kazakhstan, de l'ouzbékistan, du kirghizstan, du turkménistan et du tadjikistan, communauté des états indépendants, russie, enjeux pétroliers de la mer caspienne, stratégie, eurasie, transitions politiques et économiques du post-soviétisme, Etats-Unis, démocratisation, passage à l'économie de marché, élites néo-communistes, instrumentalisation du nationalisme, privatisations, otan, hydrocarbures, chine.

 

Une nouvelle édition, revue et augmentée, est disponible: DJALILI, M.-R., KELLNER, T., Géopolitique de la nouvelle Asie centrale, De la fin de l'URSS à l'après-11 septembre, Paris, PUF, 2003, 585p. Publications de l'Institut universitaire des hautes études internationales (Suisse), éd. Presses Universitaires de France, avril 2001, 313 pages dont 41 tableaux, 6 cartes, bibliographie et .

"Cet ouvrage de référence n'a pour le moment pas d'équivalent, tant en anglais qu'en français", a écrit le spécialiste Olivier Roy. Il s'agit d'une présentation remarquablement complète du Kazakhstan, de l'Ouzbékistan, du Kirghizstan, du Turkménistan et du Tadjikistan. Cinq Républiques de l'Union soviétique devenues indépendantes à la suite de l'auto-implosion de ce régime, le 8 décembre 1991. En dépit de retouches cosmétiques, les auteurs y voient depuis le maintien de systèmes politiques généralement autoritaires et la métamorphose du soviétisme en un nationalisme officiel qui présente peu de points communs avec la transition vers la démocratie qui devrait théoriquement accompagner le passage de l'économie planifiée à l'économie de marché.

Une grille de lecture bienvenue

Le lecteur trouve ici une étude approfondie de chaque pays et de la zone, aussi bien dans ses relations internes qu'externes, tant avec la Russie qu'avec les Etats-Unis.

De plus, l'ouvrage compte une partie bienvenue au sujet des enjeux - notamment gaziers et pétroliers - de la mer Caspienne. Avec cet ouvrage, chacun peut disposer d'une grille de lecture des conflits régionaux au cœur même de la nouvelle géopolitique de l'Asie centrale. "Ainsi, le statut juridique de la Caspienne demeure, dix ans après la chute de l'URSS, très problématique. L'absence de consensus entre les Etats riverains gêne considérablement la mise en exploitation des ressources de la Caspienne, ressources dont on a cependant du mal à estimer correctement l'importance." (p. 15)

Qui sont les signataires ?

Le premier coauteur est Mohammad-Reza Djalili, professeur aux Instituts universitaires des hautes études internationales et du développement à Genève. Il a signé de nombreux ouvrages au sujet des relations internationales, l'Iran, le Moyen-Orient, le Caucase et l'Asie centrale.

Le second coauteur, Thierry Kellner, a fait ses études à l'Université Libre de Bruxelles et l'Institut universitaire de hautes études internationales de Genève. Il prépare actuellement une thèse consacrée aux relations entre la République populaire de Chine et les Républiques d'Asie centrale.

Les auteurs organisent leur propos en cinq grandes parties : Identification - Transition - Réalignement stratégique - La Caspienne : cœur de la nouvelle géopolitique - Maux menaces et périls.

Que faut-il entendre par "Asie centrale" ?

En 1993, les Républiques du Kazakhstan, de l'Ouzbékistan, du Kirghizstan, du Turkménistan et du Tadjikistan déclarent officiellement se reconnaître sous le terme d'Asie centrale. Cette zone enclavée mais centrale au regard de l'Eurasie a pour caractéristiques majeures l'immensité - huit fois la France - un climat continental résultant de son complet isolement des influences océaniques, un découpage territorial conçu à l'époque soviétique pour mettre Moscou en position d'arbitre en cas de conflit entre les entités artificielles crées. La population est peu nombreuse - environ 55 millions d'habitants - généralement musulmane mais d'une grande complexité ethnique.

Dans la seconde partie, consacrée à la transition, les auteurs présentent successivement les volets politique, économique et géopolitique. On se trouve ici en présence d'une transition politique qui n'est pas nécessairement le passage du totalitarisme soviétique à la démocratie de type occidentale. Il s'agit plutôt le passage du totalitarisme à un autoritarisme pour cause de construction nationale. Ce qui permet aux dirigeants de faire l'impasse sur la démocratisation. En fait, plus qu'ailleurs, la transition politique doit être analysée en terme de continuité et de changement, et non de rupture brusque. Notamment parce que les élites sont restées les mêmes. En l'absence d'élites nationalistes ayant mené une lutte pour la "décolonisation", "ce sont les cadres administratifs soviétiques qui se sont arrogés le pouvoir. Ces élites qui ont montré leur capacité de changer très rapidement leur discours, ont par contre beaucoup de mal à modifier leurs comportements et leurs attitudes mentales issues de leurs expériences passées." (p. 50)

Le changement s'exprime par le recours au nationalisme comme discours de légitimation, ce qui ne garanti nullement une transition économique adaptée aux défis économiques imposés par l'héritage des structures soviétiques, conçues par rapport à la politique impériale de Moscou. Après dix ans d'indépendance, les acteurs continuent souvent à se conformer aux modèles normatifs hérités de l'URSS.

Privatisations ou pillage du bien public ?

Dans ce contexte les réformes économiques tentées - entre thérapie de choc et gradualisme - se soldent principalement par une chute substantielle du niveau de vie de la population et l'aggravation des inégalités. Ici comme ailleurs dans la CEI, les privatisations "ont largement bénéficié aux initiés, membres de l'ancienne nomenklatura, sans amélioration véritable de l'efficacité des entreprises" (p. 56) Les performances commerciales de ces Républiques restent décevantes, en deçà de leur niveau d'avant l'indépendance. De manière générale, l'expérience montre que la rente générée par les hydrocarbures n'a pas que des effets bénéfiques pour l'essentiel de la population.

Sur le plan de la transition géopolitique, il faut prendre conscience que l'émergence de l'Asie centrale remet en cause l'équilibre géopolitique du sous-système régional du continent eurasiatique. Les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, notamment à travers leurs suites en Afghanistan et leurs implications indirectes en Asie centrale, viennent renforcer cette analyse.

Manipulations dangereuses ?

La troisième partie analyse les péripéties du réalignement stratégique de l'Asie centrale. Les auteurs notent que "L'action des Etats-Unis et de l'OTAN par l'intermédiaire du "Partenariat pour la Paix" dans cette région semble particulièrement indisposer la Russie." (p. 68) Afin de justifier son retour, Moscou n'hésite pas à manipuler les craintes des dirigeants d'Asie centrale au regard de l'islamisme radical. Leur inquiétude "est en effet instrumentalisée pour fournir une couverture aux ambitions néo-impériales de Moscou dans la région." (p. 68) Le Kremlin s'intéresse particulièrement au Kazakhstan, notamment pour les ressources de son sous-sol.

Les auteurs mettent ainsi en perspective la stratégie de V. Poutine : "De manière générale, la nouvelle doctrine engage la Russie dans une sorte de retrait géopolitique. Elle devrait ouvrir une période de "recueillement", pour reprendre l'expression appliquée à la politique française à la suite de la défaite de 1870, où la priorité devrait être donnée à la protection des intérêts de la Russie, non de ses intérêts fantasmés, mais de ses intérêts concrets. Cette orientation générale ne semble pas exclure dans l'esprit de ses initiateurs le fait que Moscou entende néanmoins conserver une zone d'influence où elle disposerait d'alliés sûrs. Un des objectifs essentiels définis dans la nouvelle doctrine est ainsi l'établissement d'une ceinture d'Etats amis, une sorte de glacis de protection autour de la Russie. Cette "aire d'importance vitale" pour Moscou couvre en fait le territoire de l'ex-Union soviétique." (pp. 79-80)

Le jeu américain

De leur côté, les Etats-Unis désirent promouvoir le développement d'une Asie centrale détachée de l'influence exclusive de la Russie et aussi de celle potentielle de l'Iran. "Afin de renforcer sa sécurité énergétique, Washington désire également accroître ses sources d'approvisionnement potentielles en hydrocarbures grâce au désenclavement des productions de la Caspienne. La dépendance énergétique des Etats-Unis à l'égard d'un Moyen-Orient considéré comme volatile est en effet perçue comme potentiellement dangereuse.

C'est pour ces raisons que le gouvernement privilégie officiellement des routes multiples pour les pipelines à partir de l'Azerbaïdjan, du Kazakhstan et du Turkménistan et favorise surtout les projets de désenclavement suivant un axe est-ouest, c'est à dire évitant à la fois le territoire russe et celui de l'Iran - pour les hydrocarbures de la Caspienne. Au-delà de la rhétorique économique et idéologique, la politique américaine dans la zone caspienne est d'abord stratégique. Elle vise à assurer l'influence prépondérante des Etats-Unis dans la zone et à prévenir l'émergence d'un nouvel empire russe en Eurasie, empire qui menacerait l'équilibre des forces en Europe, au Moyen-Orient, et en Extrême-Orient." (pp. 87-88)

Qui l'emportera ?

L'Ouzbékistan a semblé un temps pouvoir jouer le rôle de point d'ancrage américain en Asie centrale, mais les relations restent complexes. Pour l'heure, les populations de la région tendent à assimiler l'idée de "démocratie" aux chocs de la pseudo transition vers l'économie de marché, ce qui met en difficulté l'idée même de démocratie dans la zone.

En l'an 2000, la coopération militaire entre l'Asie centrale et la Russie semble avoir trouvé un nouveau souffle. Affaire à suivre.

Les auteurs étudient également le jeu de la Chine, voisin attentif et intéressé, devenue en moins de dix ans un acteur important de la scène centrasiatique. Pékin compte sur l'essor des relations économiques et des investissements en Asie centrale pour renforcer la stabilité de cette zone mais aussi son influence … tout en diversifiant ses sources d'approvisionnement pétrolier.

La Caspienne

Nous ne saurions trop conseiller la lecture de la quatrième partie de l'ouvrage : "La Caspienne : cœur de la nouvelle géopolitique". De manière à la fois claire et précise, les auteurs expliquent les enjeux sous-jacents de bien des crises rarement mises en perspective et détaillent les arrières pensées des nombreux projets d'oléoducs. Si on analyse la position russe, il apparaît qu'aussi bien au niveau économique que géopolitique, Moscou devrait plutôt être enclin à empêcher - de multiples manières - le désenclavement des productions d'hydrocarbures de la Caspienne. Encore une affaire à suivre.

Menaces

Enfin, la cinquième et dernière partie de l'ouvrage présente les "Maux, menaces et périls" qui pèsent sur l'Asie centrale. Séquelles de la guerre du Tadjikistan, risque d'influence des conflits du Caucase, lutte des fractions afghanes, menace de la montée de l'islamisme, risque de dislocation de certains Etats, crise économique, désastre écologique, développement démesuré du trafic de la drogue - notamment par les talibans afghans - ainsi que la criminalité et la corruption liées à cette activité … Les menaces ne manquent pas pour une région qui ne semble pas à l'abri de nouveaux bouleversements fondamentaux.

Aussi ce livre vient-il fort à propos pour donner à comprendre la géopolitique de la nouvelle Asie centrale. A titre d'information, une traduction en espagnol est en cours.

Pierre Verluise

Sources pour l'étude de l'Asie

A lire également :

KELLNER, T., contribution à "La Dépendance pétrolière. Mythes et
réalités d'un enjeu stratégique", sous la direction de Gérard Chaliand et
Annie Jafalian, Paris, Editions Encyclopaedia Universalis, Le tour du Sujet, avril 2005, 195 p. La contribution de T. Kellner se trouve pp. 71-90.

DJALILI, M.-R., KELLNER, T.,"L'Asie centrale un an après le 11 septembre", Le Courrier des Pays de l'Est, n°1027, août 2002, pp. 4-14.

KELLNER, T., "Chine: La situation des Ouïgours de l’indépendance des républiques centrasiatiques à l’après-11 septembre", UNHCR, Centre for Documentation and Research, WriteNet paper, n°1/2002, mai 2002, 26p.

DJALILI, M.-R., KELLNER, T.,"Canaux et canalisations. La Caspienne dans la nouvelle configuration géopolitique de l'après-11 septembre", Outre-Terre, revue Française de Géopolitique, n°2, mai 2002, pp. 115-148.

KELLNER, T., "La Chine et la nouvelle Asie centrale. De l'indépendance des républiques centrasiatiques à l'après-11 septembre", Rapport du GRIP, Bruxelles, 2002/1, 39p. (http://www.ib.be/grip/pub/pub.html#rapports).

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "L'Asie centrale après le 11 septembre. Incidences géopolitiques de la crise afghane et facteur islamique", UNHCR, Centre for Documentation and Research, WriteNet paper, n° 07/2001, January 2002, 67p. en ligne http://www.unhcr.ch/cgi-bin/texis/vtx/rsd?search=coi&source=WRITENET

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Mise en ligne, octobre 2001.

 

 

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