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www.diploweb.com présente " Quelle France dans le monde au XXI e siècle ? ", par Pierre Verluise

4. QUELLE POLITIQUE ETRANGERE ?

Partie 4.2. En dehors des sommets de la francophonie,

la France mise-t-elle vraiment sur cet outil ?

 

Introduction - 1. Comment les Français voient-ils le monde ? - 2. Quelles sont les images de la France à l'étranger ? - 3. Quels sont les outils disponibles ? - 4. Quelle politique étrangère ? - 5. Quelle mondialisation construire ? - Conclusion - Postface de Gérard Chaliand : Stratégie d'influence
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Le nombre de locuteurs francophones dans le monde - France comprise - ne dépasse pas 120 millions de personnes, soit moins de 2 % de la population mondiale. Ce qui place la langue de Molière loin derrière le chinois, l'anglais, l'espagnol, le portugais, le russe …

Voici pourquoi les cartes semblent parfois trompeuses quand il s'agit de représenter la distribution géographique des Etats participants aux sommets de la Francophonie. Un tel planisphère risque de donner l'impression d'un vaste empire culturel. Pourtant, au sein même de cet espace dit francophone, le nombre de personnes réellement capables d'utiliser le français reste très faible. En Afrique du nord et en Afrique saharienne, le pourcentage des habitants parlant aujourd'hui le français ne dépasse pas 10 %. Il serait de 5 % au Zaïre et de 3 % au Rwanda, au Tchad ou au Burundi. Sur le continent asiatique, les anciennes colonies du Laos et du Vietnam compteraient moins de 1 % de francophones …

Il n'empêche que sa langue reste tout à la fois pour la France une vitrine, une ouverture sur la planète et un champ d'action qui lui reste propre, en dehors des instances de l'Union européenne.

Une offre insuffisante

Pour autant, la France met-elle en œuvre une politique de la francophonie cohérente ? Stéphane Hessel, ambassadeur de France, répond : "Ce qui me frappe le plus depuis quarante ans, c'est l'inadéquation entre la demande adressée à la France par les francophones du monde entier et l'insuffisance de l'offre française en retour. Beaucoup voudraient que notre culture soit plus présente mais déplorent son absence face au dynamisme des nord-américains, latino-américains ou asiatiques".

Cette situation résulte à la fois d'un manque de moyens financiers, de suivi des politiques et de fidélité des Français à l'égard des francophones.

Incohérences

Parallèlement aux grandes messes de la Francophonie, les crédits et les moyens de la Direction des relations culturelles, scientifiques et techniques du ministère des Affaires étrangères ne cessent de diminuer. Le sénateur André Maman s'interroge : "Ne vaudrait-il pas mieux financer des bourses d'études judicieusement attribuées que de coûteux sommets comme celui de Hanoi, en 1997 ?" Alors que la Direction culturelle peine déjà à financer les Alliances et les écoles existantes, cela a-t-il un sens d'allonger sans cesse la liste des pays invités à ces rencontres choisies ?

La pénurie budgétaire rend d'autant plus regrettable l'absence de suivi des politiques décidées, explique Philippe de Saint Robert, membre du Haut Conseil de la Francophonie. "L'administration française passe son temps à repenser une politique qu'elle n'a jamais le temps d'appliquer. A peine a-t-on décidé une politique qu'une nouvelle équipe arrive et remet tout à plat. De restructurations en redéploiements, les fonctionnaires perdent leur temps en réunions de service totalement stériles et il ne se passe jamais rien. Alors qu'il suffirait de donner aux systèmes existants les moyens de fonctionner".

Une fois encore, le mépris

La France manque singulièrement de fidélité à ceux et celles qui lui portent de l'intérêt, voire de l'affection. A cause d'une gestion aveugle de l'attribution des visas, la France désespère les élites francophones de bien des pays. Ces intellectuels sont trop souvent méprisés par l'administration française, alors que la rigueur des procédures d'immigration américaines n'empêche pas les Etats-Unis de leur ouvrir grand les portes de leurs centres de recherches. Les autorités ayant finalement pris conscience de cette difficulté, l'Académie des Sciences s'attache depuis peu à améliorer les conditions d'accueil des chercheurs et à maintenir un contact avec eux après leur retour, à travers la Fondation nationale Alfred Kastler.

Le manque de fidélité pèse également sur les relations que la France entretient avec les Québécois comme avec les Belges. L'ambassadeur de France Jacques Leprette confie : "Les Québécois se méfient des Français dont ils chérissent pourtant la langue. En dehors du discours du général de Gaulle sur le "Québec libre", les Français n'ont jamais dit aux Québécois :"Vous avez raison, nous vous avons lâchement abandonnés. Nous vous en demandons pardon. Aujourd'hui, nous voulons rétablir l'amitié qui aurait du se perpétuer entre nous. Dites-nous comment faire." Quand les Français prononceront ce discours, le Québec s'enflammera à nouveau pour la France".

A la frontière nord-est de l'Hexagone existe un pays - la Belgique - dont la partie sud, appelée Wallonie, manifeste chaque jour sa francophonie. Pourtant, observe Geneviève Delaunoy, "la Belgique s'intéresse à la France, mais qui se préoccupe de la Belgique en France ? Les Français semblent toujours jouer à saute-mouton au-dessus de la Belgique, préférant développer des relations avec d'autres pays non francophones : l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Italie … La Belgique reste laissée pour compte par les médias parisiens, alors qu'elle abrite souvent des évènements culturels aussi importants que l'Allemagne ou le Royaume-Uni. En fait, la Belgique se voit - à tort - ravalée au rang de désert culturel". Pis encore, des histoires présentées comme "drôles" font du voisin Belge l'archétype de l'idiot.

Aveuglements

Compte tenu de cette situation, il n'est pas étonnant que la Francophonie souffre d'un déficit d'anticipation. Cela apparaît aussi bien dans la gestion des bourses attribuées aux étudiants étrangers que dans l'attitude à l'égard des opportunités des nouveaux moyens d'information.

Entre 1978 et 1981, l'ambassadeur de France en Afrique du Sud n'essuie-t-il pas une fin de non recevoir du gouvernement français quand il demande que soient attribuées des bourses aux étudiants noirs Sud-Africains ? Pourtant, la France aurait ainsi à moindre coût pu constituer un réseau relationnel au sein des élites noires de ce pays destiné à jouer un rôle majeur sur le continent africain.

Le même aveuglement préside à l'accueil fait aux nouveaux moyens d'information, les cédéroms et l'Internet. Toujours prompts à prendre le drapeau de "l'exception culturelle", les pouvoirs publics français mettent de longues années à comprendre l'intérêt qu'il y aurait à numériser les trésors des musées français, notamment pour la mise à disposition sur un marché en pleine expansion : les cédéroms. Pour un peu, Microsoft s'en chargeait ! Enfin, il faut attendre 1997 pour que les services du Premier ministre comptent un conseiller Internet. A cette date, le nombre de sites français reste très modeste, alors que ce nouveau média pèse déjà lourd au niveau mondial.

Quelle politique ?

Comment expliquer tant de contradictions ? Philippe de Saint Robert répond. "Apparue dans les années 1960 - 1970, la Francophonie fut une idée neuve qui a vieillie extrêmement vite. Les "Sommets" font illusion, mais les gouvernements français ne s'intéressent plus vraiment à la situation et au rôle de la langue française dans le monde comme langue de communication internationale. Situation et rôle qu'elle continue cependant d'occuper dans toutes les grandes organisations internationales, comme l'ONU et l'UNESCO. Ils réduisent la francophonie à un gadget. La preuve en est que Paris n'a jamais mis en œuvre une véritable politique pour soutenir et défendre le rôle de notre langue dans le monde actuel.

Ce qui conduit à s'interroger sur un paradoxe : la francophonie n'est-elle pas le paravent que les Français ont inventé pour justifier l'abandon qu'ils font du rôle de leur langue dans le monde ? N'a-t-elle pas avant tout pour fonction de faire illusion, au moins sur le plan interne ? Ceci alors que le droit des Français à leur propre langue, et notamment de travailler dans leur propre langue, est de plus en plus contesté, en dépit même des lois en vigueur. Par exemple, la loi du 4 août 1994 n'est pas respectée ni même toujours appliquée par les tribunaux lorsqu'ils en sont saisis."

De toutes ces incohérences, une question sourd : ceux qui gouvernent la France sont-ils encore nombreux à croire en sa langue ? En tous cas, le ministre de l'Education nationale de la République française, Claude Allègre, a fait savoir le 30 août 1997 que l'anglais ne doit plus se voir considéré dans l'Hexagone "comme une langue étrangère". Jamais, avant sa démission pour d'autres raisons en mars 2000, son propos n'a été désavoué par le Premier ministre.

Demain

Ceux qui croient encore à l'existence d'une culture française doivent inventer une politique cohérente - soutenant notamment les étudiants et les professeurs de français à l'étranger - tout en sortant d'un provincialisme crispé quand ils s'adressent à des non- francophones.

Le Professeur Francis Balle confie : "N'enfermons plus la culture française dans la langue française. S'il faut traduire ou sous-titrer, traduisons et sous-titrons. Plus encore que la langue, l'important n'est-il pas d'avoir des messages spécifiques ? Ne nous réduisons pas davantage à une conception frileuse de la culture, qui n'intégrerait pas les œuvres de fictions télévisées dont les Etats-Unis ont su faire une industrie. Il nous faut explorer les terrains où les Américains sont devenus les champions du monde. Nous les avons suffisamment laissés dominer, au point que les talents français sont parfois obligés de s'expatrier pour se faire une place au soleil". Il faut donc décliner la totalité de la palette de l'expression française, de la culture classique au commentaire du match de football. Enfin, le multilinguisme des sites français conçus pour Internet peut contribuer à augmenter la visibilité internationale de ce pays.

La classe politique française se drape volontiers dans les plis de la République, mais n'existe-t-il pas une contradiction entre le drapeau tricolore et le drapeau européen ? Partie suivante>

Pierre Verluise

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Mise en ligne 2001
     
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