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www.diploweb.com Géopolitique des Etats-Unis et "cinéma de sécurité nationale"

"Hollywood, le Pentagone et Washington: les trois acteurs d'une stratégie globale",

par Jean-Michel Valentin

 

La France, si rétive à l’hégémonie américaine, se condamne à voir par les yeux de l’Amérique. C’est dire l’importance de cet ouvrage, auquel il faut souhaiter une large diffusion et dont on peut espérer qu’il sera à l’origine d’un débat salutaire.

Compte rendu par Thierry Sarmant, Conservateur en chef du patrimoine

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Paris, éd. Autrement, 2003. 205 p.

Le livre de M. Valantin est de ceux qui méritent une lecture attentive : il donne en effet des clefs pour décrypter une grande partie des images qui défilent sur les écrans, petits et grands, du monde entier. Sous un titre un peu nébuleux, l’auteur retrace en fait, avec une clarté et une précision remarquables, l’histoire des relations entre les autorités politico-militaires des Etats-Unis et l’industrie du cinéma. Il décrit le fonctionnement de ce complexe « militaro-cinématographique » et analyse la thématique de la production qui en est découlée, désignée par lui comme « cinéma de sécurité nationale ».  

Les avatars du « cinéma de sécurité nationale »

L’acte de naissance de cette forme de cinéma est la convocation à Washington, en 1942, des grands réalisateurs de l’époque, notamment John Ford et Frank Capra, invités par Roosevelt à mettre leurs talents au service de la mobilisation psychologique du pays. Ainsi commence une lignée de films où l’ennemi est d’abord allemand ou japonais (jusqu’aux années 1960). La Guerre froide succédant à la Seconde Guerre mondiale, l’adversaire se fait bientôt soviétique, puis vietnamien, chinois, arabo-musulman… pour devenir aujourd’hui terroriste à l’identité incertaine. Un bref divorce entre cinéma et institutions politiques intervient avec la guerre du Vietnam, divorce dont « Apocalypse Now » (1976) est resté le symbole. Mais la brouille est de peu de durée : dès 1982, « Rambo » marque le début de la réconciliation, sous la présidence de Ronald Reagan, ancien acteur hollywoodien.

Substituer à la menace disparue une série de menaces virtuelles

Après la dislocation de l’Union soviétique (1991), l’Amérique n’a plus de compétiteur dans l’hégémonie mondiale et semble à l’abri de toute menace militaire d’envergure, mais le « cinéma de sécurité nationale » ne disparaît pas pour autant. Les idéologues du complexe militaro-industriel, au premier rang desquels Samuel Huntington, inventeur du fameux « choc des civilisations » (1992), s’efforcent de substituer à la menace disparue une série de menaces virtuelles, que des artifices rhétoriques doivent rendre aussi consistantes que celles de jadis. Au premier rang, vient le « péril jaune » -  repêché dans la littérature européenne du début du XXe siècle – et auquel la montée en puissance de la Chine donne un certain crédit.  

« Il faut sauver le soldat Ryan »

La menace terroriste, aux contours beaucoup plus vagues, est également exploitée, par exemple dans les romans et scénarios d’un Tom Clancy. Terrorisme et criminalité tendent à se confondre, comme dans « Piège de cristal » (1988) ou « Goldeneye » (1995). La menace spatiale, jadis métaphore de la menace soviétique (dans la science-fiction des années 1950), revient à la mode, dans le cadre des grands programmes militaires dirigés vers l’Espace. Le manifeste de ce courant est « Independance Day » (1996), sponsorisé par l’Air Force. Et comme rien n’est simple dans cet Etat polycentrique, l’Army, inquiète de la trop grande faveur du Space Power, contribue à la réalisation de films qui rappellent que le combat au sol reste indispensable, tels qu’ « Il faut sauver le soldat Ryan » (1998). La guerre du Golfe, celle du Kosovo, celle d’Iraq ont rappelé en effet qu’il n’y avait pas de victoire possible sans occupation du terrain. 

La Menace qui plane sur l’Amérique

Le thème fédérateur de cette production très diverse aussi bien dans les genres traités (western, guerre, suspense, aventure, etc.) que dans le style des réalisateurs est celui de la Menace qui plane sur l’Amérique, « Nouvelle Jérusalem » que cernent les forces du mal. Le plus souvent, cette menace vient du monde extérieur, perçu comme espace dangereux et inorganisé, à l’instar de l’ancienne Frontière.

Mais – et c’est là un des traits qui distingue le cinéma de sécurité nationale de la propagande des régimes totalitaires – la menace peut aussi venir de l’intérieur, de l’Etat fédéral, qui, dans l’idéologie américain, protège les citoyens mais représente aussi un danger potentiel pour les libertés. Le risque de fascisation de la société est un thème récurrent, que l’on retrouve dans d’aussi grands succès que « Matrix » (1998). Le scénario de « La Guerre des étoiles » (1977) et de ses nombreuses suites peut ainsi être interprété comme une mise en garde contre les tendances dictatoriales de tout pouvoir politique, contre  la transformation d’une République en Empire.  

La dissuasion nucléaire

Une autre différence entre ce cinéma et un pur outil de propagande tient à ce qu’il intègre une part de réflexion et de distance vis-à-vis de la violence et de la guerre, objet à la fois de fascination et de répulsion. La question de la dissuasion nucléaire et de ses dangers traverse tout le cinéma américain de 1950 à nos jours, avec des films comme « Le Dernier Rivage » (1959), « Docteur Folamour » (1963), « La Planète des Singes » (1968), « L’âge de Cristal » (1976), « Le Jour d’Après » (1983) ou « USS Alabama » (1995).  

Etats-Unis, 27 juillet 2005. Sortie nationale du film de guerre consacré à l'Irak: "Over there". "The first major fictional version of the Iraq war."  The Wall Street Journal, 12 aôut 2005. Crédits: P. Verluise

 

Boomerang

M. Valantin montre enfin que la production cinématographique n’est pas qu’un instrument de communication de la classe dirigeante américaine, mais que, par un fascinant phénomène d’interaction, elle agit à son tour sur l’imaginaire des décideurs de Washington. Loin de rester dans l’ombre, les luttes de pouvoir au sein de l’administration (civils contre militaires, FBI contre CIA, Army contre Navy et Air Force) sont minutieusement décrites et deviennent même un ressort dramatique du cinéma de sécurité nationale. On peut ajouter que ce cinéma est aussi capable d’auto-dérision : « Independance Day »  a son double satirique dans « Mars attacks »

Le dimanche après-midi, au fond d'un fauteuil

Au terme de ce parcours, l’auteur laisse quelques questions dans l’ombre : il analyse la production cinématographique mais laisse de côté les films produits pour la télévision, infiniment plus nombreux et dont la diffusion internationale n’est pas moindre. Surtout, bien que soulignant les qualités narratives ou stylistiques de certains films, il ne s’interroge pas sur les causes profondes du succès mondial d’une production à thématique nationale. Les exemples ne manquent pas : une série télévisée consacrée à la glorification de la justice militaire américaine est diffusée le dimanche après-midi sur une grande chaîne généraliste française. L’audience de la chaîne ne semble pas en souffrir.

Nul ne songe à s’en inquiéter ou à s’en indigner. Le public européen regarde avec intérêt ces films de « sécurité nationale » made in USA, alors que des productions du même type faisant la louange des armées du Vieux Continent  susciteraient immanquablement des protestations ou des commentaires ironiques. 

A chacun selon ses moyens 

M. Valantin suggère en passant une cause possible de la vogue du cinéma de sécurité nationale : dans la production cinématographique française, toute thématique politique ou stratégique a depuis longtemps disparu, pour laisser place à la peinture des états d’âme de la classe moyenne.

La place est donc libre, et, paradoxalement, la France, si rétive à l’hégémonie américaine, se condamne à voir par les yeux de l’Amérique. C’est dire l’importance de cet ouvrage, auquel il faut souhaiter une large diffusion et dont on peut espérer qu’il sera à l’origine d’un débat salutaire.

Thierry Sarmant, Conservateur en chef du patrimoine

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Mise en ligne: mars 2004
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