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www.diploweb.com présente " Quelle France dans le monde au XXI e siècle ? ", par Pierre Verluise

3. QUELS SONT LES OUTILS DISPONIBLES ?

Partie 3.2. Les institutions françaises et européennes dynamisent-elles les chances de la France ?

 

Introduction - 1. Comment les Français voient-ils le monde ? - 2. Quelles sont les images de la France à l'étranger ? - 3. Quels sont les outils disponibles ? - 4. Quelle politique étrangère ? - 5. Quelle mondialisation construire ? - Conclusion - Postface de Gérard Chaliand : Stratégie d'influence
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En 1958, la Constitution de la V e République française est taillée à la mesure d’un homme d’exception, le général de Gaulle. En 1969, se jugeant désavoué par le résultat négatif d’un référendum proposant d’accorder davantage de pouvoir aux régions, il démissionne de la Présidence de la République. Depuis, les jeux politiciens mis en œuvre par les uns et les autres développent les contradictions de la Constitution de 1958. Résultat, le fonctionnement réel de la V e République n’a plus rien à voir avec ce que son fondateur escomptait. Sans prétendre à l’exhaustivité, en voici deux exemples : la confusion des pouvoirs et la marginalisation de l’Etat.

. La confusion des pouvoirs

Le général Pierre M. Gallois a écrit : " Au pays de Montesquieu, la confusion des pouvoirs est devenue constitutionnelle. L’exécutif, le législatif, le judiciaire et le Conseil constitutionnel sont à la discrétion du chef de l’Etat, le contre pouvoir étant désormais communautaire, supranational " (1).

Les deux septennats de François Mitterrand (1981-1988, 1988-1995) ne sont pas pour rien dans le développement d’un tel usage des institutions. Ancien Sous-directeur à la Direction Générale des Affaires Politiques du Quai d’Orsay, Jean-Pierre Lacroix dresse un inquiétant constat. " Avant 1981, nous pensions tous que la politique pouvait changer, sinon la vie, du moins le cours des choses. En 1995, nous ne croyons plus à la politique et beaucoup ne voient plus dans les hommes politiques autre chose que des distributeurs de bienfaits. Les changements de majorité se réduisent à l’alternance de clans dont le seul objectif est de se répartir des avantages. Cette évolution met en question le politique, voire l’administration, puisque les hauts fonctionnaires misent plus que jamais leur carrière sur leur candidat. Pour la façade, chaque clan énonce encore quelques idées, mais en réalité, l’objectif de la conquête du pouvoir devient de mettre la main sur le stylo magique qui permet de distribuer des fiefs. Le décret par lequel F. Mitterrand a accru l’extension de son champ de nomination en est le symbole. Par personnes interposées, il s’est donné les moyens de développer sa mainmise sur la vie politique, économique et culturelle. Pour qui croit à la démocratie, cette féodalisation du pouvoir ne peut être qu’une régression ".

L’affirmation de la pensée unique dans la sphère médiatique trouve dans cette dérive institutionnelle une part de son explication.

Parallèlement à cet usage des institutions, se dessine une dilution relative de l’Etat.

. La marginalisation de l’Etat

L’autorité de l’administration centrale se trouve de plus en plus prise en tenaille par le bas, via la décentralisation, et par le haut, du fait des modalités de la construction européenne. La décentralisation administrative initiée en 1982 par F. Mitterrand a répandu la corruption du haut vers le bas de la pyramide. Cette dégradation résulte à la fois d’une redistribution dispendieuse du pouvoir comme du budget publics et d’une multiplication des opportunités de s’enrichir en cédant aux corrupteurs.

A sa manière, le développement des Euro-régions met également en question le cadre habituel de l’Etat nation. Christopher Boocker écrit ainsi dans le Sunday Telegraph : "  La plus discrète des stratégies de l’Union européenne consiste à encourager l’éclatement des Etats nations en Euro-régions, de manière à ce que celles-ci contournent leur gouvernement et s’adressent directement à Bruxelles ".

Enfin, l'autorité de ce même gouvernement se retrouve singulièrement amoindrie en matière monétaire, voire budgétaire, depuis la mise en marche du processus de la monnaie unique européenne. Evolution ratifiée par un Parlement français de plus en plus réduit au rôle de chambre d’enregistrement des normes européennes. Depuis 1989, le Conseil d'Etat n'a-t-il pas admis la supériorité du droit communautaire sur le droit national, même postérieur ? A la fin des années 1990, les institutions de Bruxelles n'introduisent-elles pas dans le droit français plus de règles que le gouvernement français (54 % en 1999, contre 46 % en 1992) ?

L’optimisation de la lettre et de la pratique des institutions françaises et européennes constituent donc un véritable défi pour l’insertion de la France et de l’Europe dans le monde du XXI e siècle.

Outre les dimensions institutionnelles, les relations entre la classe politique et les Français dynamisent-elle les chances de l’Hexagone ?

. Entre des critères contre-productifs et la quête d’une flexibilité

De 1974 à 1999, aucun gouvernement ne s’avère capable de mettre fin à la production structurelle d’un chômage devenu obsédant pour les Français (2). A partir de 1983, toutes les équipes mettent en œuvre - sous des habillages à peine différents - la même politique monétariste restrictive. Pour accélérer la marche à l’Union monétaire, F. Mitterrand accepte l’essentiel des exigences allemandes en matière de critères de convergence prudentiels. Ces derniers visent à préserver la stabilité de la monnaie tout en évitant d'éventuels comportements opportunistes de la part des pays membres de l'Union économique et monétaire. Ils cherchent à prévenir l'inflation mais ne prennent pas en considération le risque de récession.

Se limitant à des critères nominaux, le traité de Maastricht ignore la convergence réelle des pays candidats (3). C’est à dire la nécessité que les partenaires approchent les mêmes niveaux de vie et conduisent des politiques de relance capables de réduire le chômage. Au contraire, les critères retenus par le traité de Maastricht rendent problématique toute politique de relance en Europe. Durant l'essentiel de la décennie 1990, les taux de chômage sont les seules variables réelles qui convergent sous l’effet de la mise en œuvre de l’Union monétaire.

Promesses

Dans ce contexte, il paraît peu surprenant que la promesse faite d’une prochaine réduction de la " fracture sociale " permette à Jacques Chirac de remporter en 1995 l’élection présidentielle. Cependant, le Premier ministre Alain Juppé range aussitôt cette préoccupation au magasin des accessoires de campagne. En 1997, Lionel Jospin peut donc promettre de nombreuses créations d’emplois par une mesure attirante : la diminution du temps de travail hebdomadaire de 39 à 35 heures. En 1999, le bilan en matière d’emploi reste loin des promesses électorales. En revanche, les négociations à propos de la mise en place de cette mesure permettent d’introduire par la bande une marge de flexibilité dans les entreprises françaises. A tel point qu’il serait légitime de se demander si tel n’était pas le véritable objectif de cet argument de campagne.

Les critères du traité de Maastricht comme les 35 heures apparaissent comme des procédés singulièrement indirects pour arriver à introduire davantage de flexibilité dans la société française.

Risque zéro ?

Pour autant, cet objectif est une nécessité dans le cadre de la mondialisation. Gérard Chaliand l’explique : " La seule menace qui pèse actuellement sur la France est interne. Il s’agit de notre incapacité à regarder froidement les facteurs de blocages et à tenter d'y mettre fin. Or, les dirigeants politiques depuis V. Giscard d'Estaing cherchent surtout à séduire. Comme disait un général, il y a trois mots qui comptent en stratégie : savoir, pouvoir et vouloir. En France, nous savons ce qui bloque, nous pourrions améliorer notre fonctionnement... mais nous ne voulons pas changer. Parce que personne, dans l'appareil, ne veut prendre de risque. Il devient pourtant urgent de trouver un moyen de dynamiser cette société. Pourtant, aucun dirigeant n’a le courage de dire où nous en sommes. C’est à dire que les Trente Glorieuses - avec leurs fameux " acquis " - sont terminées ; et que l'avenir s'annonce difficile, entre autre à cause du vieillissement de la population. Faute de quoi, nous ne changerons que talonnés de l’extérieur ".

Non dit

Ce mode de fonctionnement conduit à s’interroger à propos d’une motivation non-dite de l’adhésion d’une part des élites aux transferts de souveraineté de l’échelle nationale à celle de l’Union européenne. En effet, tel qu’il a été conçu, l’Euro oblige la France - sous la contrainte extérieure - à une harmonisation de son système fiscal et social. Faute d’être capable de produire un discours et une action qui montrent avec volonté la voie de la modernisation, une part des élites ne compte-t-elle pas sur l’Union européenne pour les imposer depuis l’étranger ? Pour sa part, l’ambassadeur Jacques Tiné confie : " Je crains que parmi les avocats français du fédéralisme européen beaucoup se disent qu’un corset allemand aiderait une France peu sérieuse à se reconstruire sur un modèle nouveau ". Auquel cas, ce serait en toute connaissance de cause que la France aurait été mise en position de se faire imposer de l’extérieur des mesures impopulaires (4). Ainsi, l’Europe deviendrait à la fois le substitut d’une classe politique nationale démissionnaire et le signe d’un désaveu de cette classe politique par une partie de l’opinion jugeant qu’il faut peut être mieux être gouverné par des gens sérieux. Quitte à ce qu’ils soient étrangers.

Un petit jeu ou un jeu petit ?

Ces procédés paraissent cohérents avec la pratique du pouvoir déjà énoncée, mais ils font peu de cas de la maîtrise interne du devenir national. De surcroît, via les critères nominaux de Maastricht, la construction européenne devient durant les années 1990 un moteur auxiliaire de la machine à produire du chômage. Enfin, ces manières développent intuitivement des représentations négatives de l’Europe dans une part de l’opinion.

Il est vrai que ce petit jeu possède un avantage décisif : en cas de contestation d’une mesure imposée par Bruxelles, il devient possible de dire : " c'est pas moi, c’est l’Europe ". Ne serait-il pas plus efficace et à vrai dire plus démocratique de réhabiliter les vertus du débat ? Surtout quand on déplore le "déficit démocratique" de la construction européenne.

Tout naturellement, ce propos conduit à étudier les modes de fonctionnement des élites qui gouvernent la France. Partie suivante>

Pierre Verluise

Notes:

1. "La France sort-elle de l’histoire ? Superpuissances et déclin national", éd. L’Age d’Homme, 1998, p. 148.

2. Lire à ce propos : "L’invention du chômage", N. Baverez, R. Salais et B. Reynaud, éd. PUF, 1986.

3. Les variables retenues sont une inflation inférieure à 2,6 %, un déficit public inférieur à 3% du PIB, une dette publique inférieure à 60 % du PIB, des taux d'intérêts à long terme inférieurs à 8,7 %.

4. Henri Guéhenno, ancien Commissaire au Plan, a déclaré : " Les politiques ne croient plus au politique et s’accommodent d’un certain renoncement devant les changements du monde. Quand on a décidé d’accrocher le franc au mark, au début des années 1980, on a remplacé une volonté politique par une contrainte extérieure ". Extrait d’une interview publiée le 22 janvier 1998 par l’"Express" Lire également à ce sujet "L'Europe, l'Etat et la démocratie", par Paul Magnette, éd. Complexe, 2000.

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Mise en ligne 2001
     
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