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www.diploweb.com présente " Quelle France dans le monde au XXI e siècle ? ", par Pierre Verluise

1. COMMENT LES FRANCAIS VOIENT-ILS LE MONDE ?

Partie 1.6. A quelles relations sociales s'alimentent les comportements contre-productifs français par rapport à l'information ?

 

Introduction - 1. Comment les Français voient-ils le monde ? - 2. Quelles sont les images de la France à l'étranger ? - 3. Quels sont les outils disponibles ? - 4. Quelle politique étrangère ? - 5. Quelle mondialisation construire ? - Conclusion - Postface de Gérard Chaliand : Stratégie d'influence
Mots clés - key words : pierre verluise, roland meyer, france, monde, sociologie, management interculturel, stratégie d'entreprises, prise en compte de l'information, déficits, défauts, conceptions et représentations de l'autre, altérité, pouvoir, structures, culture de la quête de l'information, société française, héritage historique, monarchie, république, élites, dirigeants, caste, sommet stratégique, arrogance, mépris, acquis, décision, risque, psychologie, pulsion de vie, pulsion de mort, immobilisme, conformisme, avenir, analyses, prospective, centres d'expertises française. <Partie précédente

Consultant en management interculturel et stratégie des entreprises, Roland Meyer apporte des éléments de réponse. Il s’appuie sur une large expérience, de la Petite et Moyenne Entreprise ou Industrie à la multinationale. Prenant en compte les fondements sociaux des comportements, son analyse éclaire a fortiori les dysfonctionnements de l’administration. Ainsi, son propos concerne l’ensemble de la société française, même si des entreprises ou des administrations échappent - heureusement - à ces travers. " En règle générale, la France reste un pays dans lequel on ne prend pas suffisamment en compte l’information. On l’accumule, on la garde sous le coude, mais on ne cherche pas à en tirer le meilleur parti. Parce qu’ici, l’information est - avant tout - une source de pouvoir. On préfère donc la mettre de côté plutôt que de l’échanger ou la donner. Cette pratique s’avère anti-dynamique en terme d’organisation, engendrant des structures cloisonnées et pyramidales.

Ces usages renvoient à une représentation du pouvoir conçue comme " pouvoir sur " (attribut) et non comme " pouvoir de " (puissance).

Puisqu’on réduit le pouvoir à un attribut, un Français a du mal à comprendre et à accepter que l’information - comme le pouvoir - ça se prend. C’est pourquoi il n’existe pas dans ce pays une véritable culture de la quête de l’information. Ce savoir-faire et ce savoir être sont peu enseignés. Admettre que l’information n’est qu’une représentation - donc discutable dans le débat public - reviendrait à accepter que tout pouvoir se discute. Comme les Français restent généralement dans une logique de l’avoir, ceux qui possèdent le pouvoir considèrent comme des " gens mal élevés " ceux qui osent discuter leur représentation.

En dépit des discours républicains

Si la société française a aujourd’hui tant de mal à admettre que le pouvoir et l’information se prennent, c’est parce qu’elle reste à bien des égards une société monarchique (1). La caste dirigeante considère qu’elle a le pouvoir de fait, voire de droit. Le sommet stratégique est difficile d’accès, mais une fois atteint, on devient pratiquement indéboulonnable. On n’en revient pas, dans tous les sens du terme. Notamment parce que le prestige lié à ces fonctions empêche que la parole soit mise en doute. Ne serait-ce que parce que la plupart des Français ne fréquentent jamais ces hautes sphères. Le pouvoir reste donc vécu comme un attribut : " quoi que je fasse, je demeure légitime ". Ce qui conduit la caste dirigeante à dire :  "Restons dans notre vérité et elle deviendra LA vérité de tous ".

Pour éviter les remises en question de ce système quasi monarchique - bien que drapé dans les plis de la République - il existe deux types de comportements : l’arrogance et le mépris. A minima, toute relation à l’égard d’une information contradictoire repose sur la méfiance. Ces usages produisent deux carences majeures : la non-gestion des conflits - par peur de l’autre - et la panne de la décision - par peur de perdre ses attributs.

Attendre et voir

En effet, développer une stratégie offensive intégrant l’information implique de prendre le risque de perdre ses acquis. Trop de sommets stratégiques espèrent qu’en différant leur décision de six mois, le monde aura changé en leur faveur... Ce qui les transforme en victime. Ils attendent, par exemple, que la croissance économique vienne de l’étranger. Le fantasme d’une prise de décision dans la sécurité prétend écarter le risque. Or, c’est le risque qui est porteur des pulsions de vie.

Beaucoup de dirigeants d’entreprises ou d’administrations se contentent d’une stratégie - au mieux - déterminée par la réactivité aux évolutions du monde. Cette attitude demeure, cependant, une réaction à une relation de dépendance. Alors que l’injonction offensive d’une stratégie de changement implique de tendre vers le " meilleur ", donc de " faire des choix ", soit agir pour l’être et non pour l’avoir.

Escompter perpétuer le statu quo dans un monde qui bouge sans cesse revient à reculer. La pulsion de mort domine alors, avec pour corollaires l’immobilisme et le conformisme. Ces comportements amènent à ne plus s’inscrire dans un devenir toujours à construire.

Sous le coude

L’obsession du statu quo réduit donc l’utilisation des travaux d’analyse et de prospective des directions stratégiques, dans les entreprises comme dans les ministères. Si ces travaux ne sont pas souvent intégrés comme ils devraient l’être, c’est parce que moins le sommet gère l’information plus il pense rester dans le statu quo. Ces centres d’expertises sont en fait " consommés " comme autant de prétextes et d’alibis pour ne pas changer. Parce qu’on en fait des fins en soi au lieu de les considérer comme des moyens. L’information n’étant pas perçue comme un outil pour construire un projet collectif mais comme une fin en soi, elle reste au rang d’attribut ".

* * *

Ces conceptions des relations entre information et pouvoir constituent des freins majeurs à l’insertion dynamique de la société française dans le monde à venir.

Au fond, les failles de notre culture de l’information renvoient à un déficit de lien social. Celui-ci traverse toute la société française, de la famille à la collectivité nationale. L'individualisme surdéveloppé que constatent parfois les étrangers vivant en France renvoie non seulement à une fermeture aux autres mais aussi au monde.

Il manque donc, avant tout, un projet pour dynamiser - tous ensemble - la France dans le XXI e siècle. Encore faut-il prendre connaissance des perceptions de l'Hexagone dans le monde. Partie suivante>

Pierre Verluise

Note:

1. Il ne faut pas oublier que le Général de Gaulle, pourtant fondateur de la Ve République (1958), étudie au début des années 1960 l’opportunité d’une restauration monarchique. Lire à ce propos l’article de Philippe Levillain, in l’Histoire, Les années de Gaulle, hors série n° 1, 1998.

PS: Ce propos a été à la base d'une conférence de Pierre Verluise au Palais consulaire de Toulouse, en juin 2004.

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Mise en ligne 2001
     
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