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www.diploweb.com L'eau en Asie centrale : incidences d'un nouveau contexte géopolitique

1 ère partie : Le bassin de la mer d'Aral, par Jeremy Allouche, doctorant

Cette région est, en fait, une zone riche en eau. Le problème vient de la surexploitation des ressources, due au développement d'une agriculture intensive pour la culture du coton encouragée pendant l'occupation russe, puis soviétique.
Les notes se trouvent après la conclusion

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a) La mer d'Aral

Région isolée et enclavée depuis la colonisation russe au XIXème siècle, l'Asie centrale a été malheureusement redécouverte par la presse internationale (3) à la fin des années 1980 – début des années 1990 avec l'assèchement et le rétrécissement de la mer d'Aral plutôt qu'avec l'avènement de l'indépendance de ces cinq républiques. Pour beaucoup, ce fait constitue sans doute la plus grande catastrophe écologique du XXème siècle. Le récit suivant de Marq de Villiers lors de son périple en Asie centrale exprime toute l'ampleur de cette catastrophe :

"Un vent léger soulève le sel et la poussière, et tourne dans l'air brumeux, comme un brouillard de chaleur chatoyant dans un mirage. Quand les vents deviennent plus forts, ils emportent les nuages blancs plus hauts et plus loin, et le ciel est alors opaque, laiteux, insondable et quelque peu menaçant. En roulant vers le nord, le long du fleuve Amou Daria, au nord ouest de Boukhara, en direction de la mer d'Aral - ou ce qui fut la mer d'Aral - les fermes sont également blanches, saupoudrées de ce qui ressemble à de la belle neige. Mais ce n'est pas de la neige. C'est du sel, remonté à la surface après des décennies d'irrigations inconsidérées. Continuant notre route, en passant par la morne petite ville ouzbek de Noukous, nous arrivons à Moujnak, qui était autrefois sur les bords de l'Aral, alors l'un des quatre plus grand lacs du monde. La vue, depuis la corniche, juste à la sortie de la ville, est peut-être la plus fameuse dans les annales déprimantes de l'écologie : aussi loin que vous puissiez voir, il n'y a rien, que du sable sec, des ossements blanchis de bovins morts empoisonnés par des plantes toxiques, les carcasses pourries de navire de pêche et de barges, détritus pathétiques de ce qui fut autrefois une florissante culture piscicole. Au premier plan, des poutres de bois brisées de ce qui avait dû être un quai ; plus loin, six ou sept bateaux, échoués au hasard, qui n'iront plus nulle part, quelques-uns encore debout, mais brisés, la peinture effritée et rouillée. Plus loin encore, d'autres coques enterrées sous le sable forment des bosses, et au-delà, seulement des dunes, du sable, du sel et le néant."(4)

Pourquoi ?

Les causes de cette tragédie proviennent de la surexploitation des terres irriguées pour la culture du coton. Quatrième plus grand lac du monde, d'une surface de plus de 60.000 km2 dans le début des années 1950, cette mer (ou lac selon certains) se retrouve à cause du dessèchement divisée en deux parties dès 1987, avec la 'Bolshoi Aral (5)' au sud et la 'Malgi Aral (6)' au nord. Selon de récentes estimations, sa surface a diminué de moitié et représente 33 500 km2 (7). Le volume d'eau a baissé de plus de 75% depuis 1960 (8) . Le niveau de la mer est tombé de plus de 15 mètres et le taux de salinité a triplé depuis 1950. Il atteint maintenant 30 g/l (9).

Les conséquences de cet assèchement ont été très nuisibles pour les deux États riverains, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan. Les ports de pêche ont été abandonnés. Il n'existe plus de pêche commerciale et l'économie locale est dévastée. La principale ville de cette région, Aralsk, qui fut autrefois un port important, se retrouve à plus de 100 km de la mer existante (10). Les conséquences sur la santé sont encore plus inquiétantes. Ainsi on observe une augmentation inexplicable du niveau des cancers de la gorge, mais aussi des maladies des reins et du foie, l'arthrite, les bronchites chroniques, la typhoïde (11) et l'hépatite A. D’autre part, on observe aussi un impact sur les conditions climatiques qui a d'importantes conséquences. En effet, la mer d'Aral fonctionne comme un 'thermostat climatologique' pour toute la région. Au fur et à mesure que la mer disparaît, le climat change en faveur d'étés plus secs et d'hivers plus froids. Les conséquences sur la diversification et la production agricole sont néfastes (12).

Il est vrai que ce désastre écologique ne constitue pas une cause de conflit entre les cinq nouvelles républiques. Cependant, elle reflète la situation alarmante de la gestion de l'eau en Asie centrale, résultante de l'occupation et de la stratégie russe depuis le début du XIXème siècle. Il est donc important de revenir à cette période pour comprendre les enjeux des conflits actuels par rapport à l'eau dans cette région. Auparavant, un aperçu géographique et hydrographique est nécessaire afin de mieux situer les dépendances engendrées par rapport à l'eau.

b) Les caractéristiques hydrologiques de la région

Le bassin hydrographique de la mer d'Aral occupe un très grand espace: plus de 1,8 millions de km2. Ce bassin comprend les territoires suivants : l'Ouzbékistan, le Turkménistan, le Kazakhstan, l'Afghanistan, le Tadjikistan, le Kirghizstan et l'Iran. Au niveau géographique, cet espace inclu les régions de Kzyl-Orda et de Chimkent dans le sud du Kazakhstan, presque tout le Kirghizstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, la partie Nord de l'Afghanistan, une très petite partie du Nord-est iranien et un cinquième du Turkménistan (13).

De par cette délimitation, il apparaît assez clairement que trois États jouent inéluctablement un rôle majeur dans l'utilisation de cette eau: le Kirghizstan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan. De plus, si nous examinons la structure démographique de chaque pays, l’Ouzbékistan apparaît encore comme un pays central. En effet, 50% de la population du bassin de la mer d'Aral se situent dans ce pays, suivi de l'Afghanistan (17%) et du Tadjikistan (13%) (14).

Les deux fleuves de ce bassin sont l'Amu Darya et le Syr Darya. L'Amu Darya a une longueur de 2400 kilomètres. Il s'étend du Pamir (Tadjikistan, Kirghizstan et Afghanistan) à la mer d'Aral en traversant le désert de Karakoum. Elle coule à travers le Tadjikistan, l'Afghanistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan. Le Tadjikistan qui est le pays le plus en amont de la rivière, 'contrôle' plus de 80% de son débit. Il occupe donc une place stratégique très importante.

Le deuxième fleuve, le Syr Darya, est long de 2500 kilomètres. Il prend sa source au Kirghizstan, dans le Tian Shan, puis coule en Ouzbékistan (Tadjikistan, puis encore l’Ouzbékistan) et au Kazakhstan avant de rejoindre la mer d'Aral. Dans ce cas précis, le Kirghizstan occupe une place de choix puisqu'il contrôle 74% du débit.

Un résultat du soviétisme

Sans rentrer inutilement dans des détails hydrographiques, cette région est en fait une zone riche en eau (15). Le problème vient de la surexploitation des ressources, due au développement d'une agriculture intensive pour la culture du coton encouragée pendant l'occupation russe, puis soviétique. D'autre part, les tensions au sujet de l’eau sont accentuées par les écarts dans la consommation d’eau. Les républiques qui consomment le plus pour leur agriculture (Ouzbékistan et Kazakhstan) ne correspondent pas aux républiques qui détiennent l'eau en Asie centrale (Tadjikistan et Kirghizstan) (16).

La politique russe, puis soviétique, est en grande partie responsable des problèmes liés à l'eau en Asie centrale. Cette région fut gérée comme une entité géographique unique et non en fonction des cinq différentes républiques, comme nous allons le voir dans la partie suivante. De ce fait, il existe une répartition 'inégale' dans la consommation d'eau.

D'après Micklin, en 1995, les deux pays en amont du Syr Daria et de l'Amu Darya, respectivement le Kirghizstan et le Tadjikistan, ne prélèvent à eux deux que 16% de l'eau totale consommée. Néanmoins, les pays en aval sont les plus grands consommateurs d'eau. Ceci vaut en particulier pour l'Ouzbékistan qui prélèvent plus de 52% du montant total et le Turkménistan avec 20% du montant total, alors que ce dernier ne fait pas réellement partie du bassin d'Aral. Le Kazakhstan, quant à lui, prélève 10% du montant total. Depuis l'indépendance, le développement de projets dans les pays en amont a donc des répercussions importantes sur les pays en aval qui utilisent déjà fortement l'eau du bassin de la mer d'Aral (17).

Après avoir donc décrit la situation géographique et hydrologique, nous pouvons voir comment cette région est arrivée à une situation où l'eau devient un enjeu de conflit important. partie suivante >

Jeremy Allouche allouchej@hotmail.com

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  Date de la mise en ligne: octobre 2002
         

 

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