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Evolution des régimes politiques d'Asie centrale :

dérive autoritaire, violences politiques et perspectives incertaines.

Thierry Kellner, Docteur en relations internationales,

enseignant à l’Université libre de Bruxelles et à l’Université de Genève.

 

La vague de révolutions multicolores qui a secoué l'espace ex-soviétique à partir de l'année 2003 pour finir par atteindre la République kirghize au début de l'année 2005 a renforcé les espoirs de changement dans la région. Elle a paradoxalement entraîné la chute pacifique du régime le moins autoritaire et le plus ouvert de la région. Cependant, elle a également sérieusement inquiété les autres autocrates en place et provoqué leurs réactions. Pour se protéger d'une éventuelle "contagion démocratique" encouragée selon eux par l'administration américaine, les chefs d'État centre-asiatiques se sont empressés d'adopter des contre-mesures généralement répressives visant l'opposition politique, les médias indépendants et les ONG. Certains d'entre eux, comme l'Ouzbékistan, se sont également rapprochés de la Russie et de la Chine pour garantir la sécurité de leurs régimes. Ce rapprochement réduit les perspectives de démocratisation des régimes centre-asiatiques.

 

Le maintien de régime autoritaire dans la région crée l'illusion de la stabilité alors que les politiques répressives, en l'absence de réformes, risquent pour leur part de mener finalement à l'instabilité. 

Biographie de l'auteur en bas de page.

Mots clés - Key words: évolution des régimes politiques d'asie centrale: dérive autoritaire, violences politiques et perspectives incertaines, thierry kellner, traits communs, différenciation, république kirghize : la continuité dans le changement, kazakhstan: entre coercition et apaisement, ouzbékistan : l'autoritarisme brutal, turkménistan : le stalinisme centre-asiatique,tadjikistan: un partage de moins en moins équitable du pouvoir, relations internationales, géopolitique, analyse, prospective.   

 

 

 

 

 

 

 

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Depuis le milieu des années 1990, l'évolution des régimes politiques en place dans les Républiques d'Asie centrale a été marquée par la stagnation voire, depuis le 11 septembre 2001, par une tendance à la régression en matière de démocratisation. La vague de révolutions multicolores qui a traversé l'espace ex-soviétique depuis l'année 2003 a relancé l'espoir d'une transformation démocratique pacifique possible des régimes politiques dans cette région. Rien n'est pourtant moins sûr. Seule la République kirghize a été touchée par ce mouvement en mars 2005. Dans les autres républiques de la région, les craintes des élites au pouvoir face à ce phénomène les a au contraire conduit à renforcer leur contrôle sur l'État et la société et à limiter leurs interactions avec les démocraties occidentales. Les difficultés des régimes d'Asie centrale à se démocratiser, nous invitent à nous pencher sur leur nature et leur évolution.

 

Des traits communs 

Le paternalisme et l'autoritarisme sont des tendances traditionnellement présentes à tous les niveaux dans les sociétés centrasiatiques. Historiquement, ces dernières n'ont connu aucune expérience démocratique. Soixante-dix ans de soviétisme n'ont pas contribué à atténuer cette caractéristique. Bien au contraire, l'expérience soviétique a renforcé ce trait surtout en ce qui concerne la nature du pouvoir politique. Après les indépendances, ce penchant n'a pas disparu. Il s'est dédoublé d'un discours nationaliste et d'un programme de construction de l'État et de l'identité nationale ne laissant qu'une place secondaire aux processus de démocratisation. Plusieurs facteurs expliquent cette situation parmi lesquels les plus importants sont la persistance de structures héritées de l'Union soviétique, le maintien en place des élites bureaucratiques déjà au pouvoir avant l'effondrement de l'URSS, et un certain conservatisme voire une apathie politique des populations locales. Ce dernier trait ne se retrouve cependant pas partout de manière uniforme en Asie centrale comme le montre l'exemple kirghize -ce pays a connu en effet un changement de régime en mars 2005. 

Malgré quelques changements, l'appareil étatique, les structures administratives et bureaucratiques ainsi que les modalités de l'exercice du pouvoir et les mentalités sont encore aujourd'hui quinze ans après l'effondrement de l'URSS, imprégnées par la période soviétique. Après avoir, au moment de  l'indépendance, doté le pays des apparences formelles de la démocratie représentative, les dirigeants des nouveaux États indépendants se sont tous rapidement attelés au renforcement de leur propre fonction et au prolongement de leur mandat présidentiel. Partout on a assisté à une présidentialisation des systèmes politiques. Parallèlement, le rôle des institutions représentatives a été revu à la baisse. Les instances intermédiaires ont perdu une part importante de leurs compétences initiales. Aujourd'hui, les régimes politiques centre-asiatiques sont tous des régimes présidentiels forts. Ils ne connaissent qu'une apparence de séparation des pouvoirs. Les parlements ressemblent plus à des "soviets suprêmes" qu'à de réelles assemblées législatives. Ce sont des chambres d'enregistrement plus que de véritables forums de discussions. Outre la subordination du pouvoir législatif à l'exécutif, en Asie centrale, les pouvoirs judiciaires ne jouissent pas non plus d'une réelle autonomie. 

Le culte de la personnalité du président est partout pratiqué à des degrés divers dans les républiques centre-asiatiques. Le plus caricatural est sans aucun doute le cas du président turkmène Saparmurat Niyazov.  

Services spéciaux

Partout en Asie centrale, des services spéciaux, comparables à l'ancien KGB, continuent également de fonctionner et quadrillent la société avec plus ou moins d'efficacité selon les pays. Certains chefs d'États centre-asiatiques ont toutefois innové dans le domaine du contrôle social. Ainsi, par exemple, le président ouzbèque a-t-il mis au service de son pouvoir les institutions traditionnelles que sont les mahalla. Ces dernières sont désormais utilisées à des fins politiques et pour mieux encadrer et surveiller la population.  

Du point de vue de l'organisation du territoire également, la centralisation qui une des caractéristiques essentielles du système administratif soviétique n'a pas disparu. Elle s'est même souvent renforcée, en tout cas sur le papier. Par rapport à l'époque soviétique, l'autonomie de certains territoires ont ainsi été restreintes par les nouveaux pouvoirs. Les gouverneurs de provinces sont également généralement désignés par le président. Cependant, la réalité est plus nuancée. La situation varie de pays à pays en fonction du degré de puissance de l'État central. Certaines régions peuvent ainsi quasiment échapper à l’emprise administrative du pouvoir central lorsqu'il est faible comme cela a été le cas du sud de la République kirghize ou de certaines régions du Tadjikistan, mais même lorsqu’il est plus puissant, comme dans les cas kazakh et ouzbèque, des espaces d’autonomie ont néanmoins pu être créés par les élites régionales[i].

Dans les pays de la région, le multipartisme est également plus apparent que réel. Au Turkménistan, on ne trouve qu'un seul parti politique officiellement enregistré, le parti du président Niyazov. En Ouzbékistan, il existe cinq partis pro-gouvernementaux enregistrés. Mais les clivages qui les séparent sont purement formels. L'opposition, la vraie, est soigneusement muselée. Si la situation semble meilleure de ce point de vue en République kirghize où il existe plusieurs dizaines de partis politiques, au Tadjikistan qui compte six partis enregistrés dont un parti islamique modéré -le Parti de la Renaissance Islamique du Tadjikistan (PRI)-, et au Kazakhstan où l'on compte douze partis enregistrés –dont huit appartiennent cependant au camp présidentiel-, elle est cependant très loin d'être idyllique. La simple présence de diverses formations dans le paysage politique ne suffit pas à assurer l'existence d'un véritable multipartisme. Malgré quelques améliorations, la tenue d'élections justes et honnêtes relève encore dans ces pays de la gageure. Même si la situation en République kirghize, au Tadjikistan et au Kazakhstan est moins sévère qu'en Ouzbékistan et au Turkménistan, la possibilité d'une véritable alternance politique par les urnes reste fort éloignée.

 

Opportunisme de la nomenklatura

Le maintien en place d'une partie importante des élites dirigeantes de l'ancien système soviétique est aussi un facteur important qui explique la continuité du modèle autoritaire. Les républiques d'Asie centrale ont accédé à l'indépendance sans l'avoir vraiment sollicitée et, pour ainsi dire, par défaut. Du jour au lendemain, les élites soviétiques de ces États, issues de la nomenklatura et apparatchiks du parti communiste local, sont devenues les dirigeants et responsables politiques d'États souverains. Ces élites, qui ont montré leur capacité à s'adapter au nouveau contexte et à changer très rapidement de discours, ont par contre beaucoup de mal à modifier les comportements et les attitudes mentales issues de leurs expériences passées. Cela d'autant plus que les opinions publiques nationales, habituées depuis plusieurs générations au système soviétique et non préparées à l'indépendance, n'ont pas formulé de demandes particulières en ce sens. Cette inclination à une sorte de conservatisme s'explique aussi par le fait qu'en Asie centrale, les dirigeants avaient, de longue date, détourné les institutions soviétiques à leur profit, ce qui a abouti à la mise en place de réseaux clientélistes et à des reconstructions claniques, qui peuvent servir, plus ou moins efficacement, à la fois les populations et les élites au pouvoir. 

Enfin, plus surprenant pour nous, jusqu'à la "Révolution tulipe" kirghize de mars 2005, le comportement autocratique des dirigeants, leur attitude paternaliste et la persistance des pratiques clientélistes ne semblaient pas trop émouvoir ni heurter la sensibilité des populations locales, habituées de longue date à ce mode d'exercice du pouvoir et, depuis les indépendances, plus préoccupées par leur survie et les difficultés de la vie quotidienne que par une volonté d'implication active dans le champ politique. Certes, ici et là, on a pu constater un réveil de l'esprit revendicatif comme le montre le cas de la République kirghize, mais ces ébauches, même dans ce dernier cas, n'ont pas vraiment abouti à une contestation organisée cela d'autant plus que les États n'ont cessé d'améliorer et de renforcer leurs appareils répressifs. L'inertie héritée de décennies de soviétisme n'a pas disparu aux lendemains des indépendances.

 

Différenciation

Malgré l'existence des traits communs et le recours à des pratiques non démocratiques dans l'ensemble des cinq républiques de la région, les régimes politiques ont expérimenté des évolutions différenciées depuis 1991. Si tous ont connu une dérive autoritaire, leur autoritarisme varie cependant en intensité. Il est possible d'établir une distinction entre régimes très autoritaires et systèmes politiques plus modérés. Pour ce faire, il faut prendre en considération des facteurs comme le degré de personnalisation du pouvoir, le rôle du népotisme et du clientélisme, la place laissée à l'opposition, le respect des libertés fondamentales et des droits de l'Homme. Partant de ces considérations, on peut placer au bas de l'échelle du degré d'autoritarisme la République kirghize, puis le Kazakhstan et en haut de cette échelle le Turkménistan et l'Ouzbékistan, le Tadjikistan occupant une place à part à cause des conséquences de la guerre civile qui s'y est déroulée.

 

République kirghize : la continuité dans le changement

Longtemps, la République kirghize a été perçue comme le pays ayant le système politique le plus démocratique de l'Asie centrale. Les médias ont ainsi pu travailler en République kirghize dans une atmosphère plus libre qu'ailleurs dans la région. Les ONG, très nombreuses (plus de 1000 en 2005), ont pu opérer sans trop d'entraves dans de nombreux secteurs (santé, agriculture, business, droits de l'Homme, femmes, éducation/science, famille, enfance/jeunesse, médias, écologie, etc.). Cependant, malgré ses tendances libérales initiales, le président Akaev a rapidement renforcé son autorité personnelle. Il a progressivement réduit la marge de manœuvre des médias indépendants et des formations d'opposition. Il a aussi employé le pouvoir judiciaire pour faire taire certaines critiques. Parallèlement, la mainmise significative de sa famille et de ses proches sur les secteurs les plus rentables de l'économie du pays ont alimenté le ressentiment populaire à son égard et lui ont fait perdre le soutien des élites locales. Affaibli par l'incident d'Ak-Sui dans la région de Jalalabad au sud de la République en mars 2002, le président kirghize organise en février 2003 un référendum qui le confirme officiellement dans ses fonctions jusqu'à la fin de son mandat à l'hiver 2005. Cette victoire le remet politiquement en selle mais elle ne résout aucun des problèmes de fond auxquels est confrontée la République kirghize (pauvreté endémique, corruption, difficultés socio-économiques, inefficacité de l'administration, régionalisme, existence de groupes mafieux, etc.). En outre, légalement, A. Akaev ne peut plus se présenter aux élections présidentielles prévues pour octobre 2005. La protection des privilèges et des intérêts économiques acquis par sa famille l'incitent pourtant à essayer de trouver une solution pour prolonger son mandat ou pour s'assurer une succession contrôlée (le modèle "Poutine") par l'intermédiaire d'un candidat de son choix. Les incertitudes autour des choix du président Akaev alimentent le mécontentement latent en République kirghize. Parallèlement, le climat international marqué par les événements de Géorgie (2003) et d'Ukraine (2004) inquiète le pouvoir kirghize qui craint la possibilité d'une "contamination démocratique". Les mesures qu'il adopte pour empêcher la répétition d’un scénario de type géorgien ou urkrainien renforcent le mécontentement et provoquent des manifestations. Les fraudes constatées au moment des élections législatives de mars 2005 finissent d'ébranler le pouvoir d'A. Akaev. Son administration est balayée à la fin du mois de mars 2005 à la suite d'une émeute plutôt que d'une véritable révolution. Cet effondrement imprévu qui s'est accompagné de désordres importants a plongé le pays dans une période, toujours ouverte, marquée à la fois par des espoirs de démocratisation mais aussi par une volatilité inquiétante de la situation et une grande incertitude quant à l'avenir du pays. Un rapport de l'ICG datant de la fin de l'année 2005, mettait ainsi en garde contre le risque réel de voir la République kirghize devenir un "failed state". Malgré les aspirations populaires soulevées par la "révolution" tulipe, étant donné le passé bureaucratique des "nouveaux" dirigeants, les défis majeurs auxquels le pays est confronté (difficultés économiques, pauvreté croissante, corruption, présence d' "éléments criminels" dans le gouvernement, phénomènes de violences politiques, insécurité aux frontières comme le démontre l'incident de Batken de mai 2006, présence de groupes radicaux islamiques, possibles tensions inter-ethniques dans le sud du pays avec la minorité ouzbèque, …) et aussi les pressions exercées par les régimes autoritaires voisins, l'avancée de la démocratisation dans cette république montagnarde reste une perspective incertaine.

 

Kazakhstan : entre coercition et apaisement 

Le Kazakhstan a également été marqué par une tendance croissante du président Nazarbaev à l'autoritarisme. Ce dernier a travaillé au renforcement de son autorité personnelle ainsi qu'au prolongement de son mandat dès le début des années 1990. Il a ainsi été à nouveau "réélu" pour sept ans en décembre 2005 avec 91% des voix. Sous la présidence Nazarbaev, ses proches, sa famille et ses "protégés" ont accru leur influence formelle et informelle non seulement dans le domaine politique (ils contrôlent ainsi le Parlement à travers des partis politiques pro-régime) mais aussi dans les secteurs vitaux de l'économie kazakhe (par exemple le pétrole et le gaz). L'administration Nazarbaev surveille et décourage les mouvements d'opposition politique. Elle utilise la stratégie de la "carotte" et du "bâton" en cooptant certains opposants mais aussi en recourant à l'intimidation et à l'utilisation du pouvoir judiciaire qu'elle contrôle contre les membres de l'opposition. Bien que divisés, les mouvements d'opposition politique kazakh ont l'avantage d'être indépendants financièrement et jouissent d'une meilleure organisation que dans les autres républiques d'Asie centrale. C'est pourquoi le régime kazakh est très attentif à leur action, n'hésitant pas à les interdire en cas de besoin. Le parti "Choix Democratique du Kazakhstan" a ainsi été interdit en janvier 2005. Si la presse privée est plus développée au Kazakhstan qu'ailleurs en Asie centrale, son indépendance doit être fortement relativisée. L'espace médiatique est en effet dominé par des groupes appartenant aux proches du président Nazarbaev -notamment à sa fille Dariga Nazarbaeva- ou à son entourage. Le pouvoir contrôle en outre les moyens d'impression et de publication. L'administration Nazarbaev surveille et intimide par ailleurs les médias indépendants, recourant par exemple aux procédures administratives et judiciaires pour faire taire les critiques touchant au Président. Il exerce censure, pressions et intimidations judiciaires sur les médias de l'opposition, ce qui amène de nombreux journalistes locaux à s'autocensurer. Certains d'entre eux trop critiques à l'égard du pouvoir, ont été agressés, sanctionnés, voire peut-être éliminés. Les sites internet qui diffusent des informations touchant à l'administration Nazarbaev, ceux des opposants politiques ou de la presse d'opposition sont généralement bloqués ou rendus inaccessibles pour les internautes kazakhs. Malgré tout, le Kazakhstan maintient un espace d'expression qu'il ne faut pas négliger dans le contexte centre-asiatique.

 

Comme ailleurs en Asie centrale, le pouvoir kazakh s'est inquiété des changements de régimes en Géorgie, Ukraine et en République kirghize. Pour parer à toute éventualité, il a adopté des mesures pour renforcer son contrôle sur l'opposition politique mais aussi sur les ONG opérant sur son territoire. Les ONG bénéficiant de fonds étrangers sont particulièrement surveillées par les autorités. Pour assurer son contrôle, le pouvoir kazakh navigue généralement entre deux options : la coercition et l'apaisement. En ce qui concerne un possible changement de régime, on retiendra que le président kazakh est moins vulnérable que son homologue kirghize. Contrairement au cas de la République kirghize, le bilan économique du président Nazarbaev lui assure un soutien de la population dont ne pouvait pas se prévaloir A. Akaev. En outre, en raison de son contrôle des importantes ressources pétrolières et gazières du pays, l'administration Nazarbaev dispose aussi de revenus conséquents qu'elle peut utiliser à la fois pour renforcer son appareil de contrôle et de répression mais aussi pour calmer l'opinion publique et faire taire les critiques. Le nouveau statut d'Etat rentier dont dispose désormais le Kazakhstan du fait de l'exploitation des hydrocarbures rend les perspectives de démocratisation du régime très incertaines.

 

Ouzbékistan : l'autoritarisme brutal 

Dès 1992, le président Islam Karimov s'est attaché à asseoir et à étendre son monopole sur le pouvoir, éliminant toute velléité d'opposition et plaçant sous son autorité exclusive l'ensemble des niveaux de l'administration. Il s'est continuellement fait réélire au cours des années 1990. En janvier 2000, il remporte ainsi les élections présidentielles avec 91,9% des suffrages face à son "adversaire" Abdoullaziz Djalalov (4,1 % des voix). La candidature de ce dernier était factice et visait à cautionner le processus de démocratisation dont se prévalent les autorités, soucieuses de leur image internationale. D'ailleurs, Djalalov a lui-même reconnu avoir voté pour Islam Karimov. Dans la période post-11 septembre, malgré des rumeurs de maladie, le président Karimov a continué à travailler au renforcement de son autorité personnelle. En janvier 2002, il a fait prolonger le mandat présidentiel à 7 ans. La prochaine élection présidentielle devrait ainsi avoir lieu en 2007. Depuis 1992, tous les groupes politiques d'opposition ont été interdits. Leurs dirigeants sont poussés à l'exil ou emprisonnés. Les divisions de l'opposition politique contribuent par ailleurs à réduire sa crédibilité en tant qu'alternative au régime Karimov, ce qui facilite le maintien de l'autorité du président ouzbèque. Les mouvements religieux non-gouvernementaux ont également été interdits dès le début des années 1990 et le pouvoir a renforcé son contrôle sur le clergé musulman. Cette politique répressive à l'égard des activités religieuses indépendantes a eu pour conséquence de radicaliser les opposants religieux au régime. L'Ouzbékistan est ainsi devenu le pays où les mouvements radicaux islamiques -comme le Mouvement islamique d'Ouzbékistan- sont les plus violents. En fait, la répression exercée par le pouvoir ouzbèque contre toute forme de contestation interne à l'ordre politique établi ne laisse pas la possibilité de voir émerger dans la société ouzbèque une opposition politique. Le président Karimov a également réduit les médias indépendants au silence dès le début des années 1990. Les médias sont rigoureusement contrôlés par les autorités. Aucune information indépendante n'est réellement tolérée dans le pays. On notera toutefois que malgré ce contrôle strict, l'information pénètre malgré tout, principalement grâce à internet. Outre la structure traditionnelle des mahallas qu'il a détournée à son profit, ce dernier s'appuie également sur une police, un réseau d'informateurs étendus, et des services de sécurité omniprésents. Si dans la période post-11 septembre, sous la pression des Occidentaux, des mesures cosmétiques ont été adoptées par le pouvoir (comme l'enregistrement en 2002 après 5 ans d'attente de l'Independent Human Rights Organization of Uzbekistan/IHROU), rapidement les tendances autoritaires du régime ont refait surface. A l'occasion de la vague de "révolutions multicolores", l'administration Karimov a renforcé son contrôle sur les ONG présentes en Ouzbékistan. Au printemps 2005, si les médias officiels n'ont quasiment pas couvert les événements en République kirghize, les autorités ont pour leur part tiré des leçons de la "révolution tulipe". Face au danger de "contagion démocratique", l'administration Karimov a choisi de recourir à la manière forte. Ce choix a abouti à la tragédie d'Andijan de mai 2005. Des militaires ont en effet ouvert le feu de manière indiscriminée sur plusieurs milliers de personnes lors d'une manifestation, faisant sans doute plusieurs centaines de victimes. Les événements d'Andijan constituent le plus grave incident enregistré en Ouzbékistan depuis l'indépendance du pays. Il s'agit d'une étape supplémentaire dans la dérive autoritaire du régime.  

Le président ouzbèque présente les événements d'Andijan comme un soulèvement islamiste orchestré de l'étranger. Il a refusé l'idée soutenue par les Nations unies et les Occidentaux d'une commission d'enquête internationale pour faire la lumière sur ces événements et a choisi l'isolement. Convaincu que l'administration américaine cherchait à déstabiliser son régime, le président Karimov a accéléré le rapprochement diplomatique en cours depuis quelque temps avec ses voisins russe et chinois, indifférents à la question de la protection des droits de l'Homme. Le régime ouzbek a réduit ses interactions avec les Occidentaux (surtout les Anglo-Saxons). La base militaire américaine de Karshi-Khanabad a ainsi été fermée. Les médias étrangers comme la BBC, Radio Free Europe/Radio Liberty, Internews, etc. puis de nombreuses ONG étrangères -notamment américaines comme Freedom House, the Eurasia Foundation, the American Bar Association, American Councils for Collaboration in Education and Language Study- mais aussi ouzbèques, ont dû arrêter leurs activités dans le pays. Depuis mai 2005, le climat en Ouzbékistan s'est ainsi fortement alourdi. Pour Amnesty international, les événements d'Andijan servent désormais de prétexte aux autorités ouzbèques pour réduire encore davantage les libertés politiques au nom de la sécurité nationale. Ailleurs en Asie centrale, cet incident sert également de catalyseur à la réduction des libertés individuelles et de la liberté de la presse. Malgré sa capacité manœuvrière, le régime ouzbèque semble aujourd'hui dans une impasse. Etant donné les problèmes réels auxquels est confronté le pays (difficultés socio-économiques, pauvreté endémique, corruption, etc.) et les conséquences du massacre d'Andijan tant dans l'opinion internationale que dans l'opinion ouzbèque en terme d'image et de légitimité pour le régime, la poursuite d'une politique répressive risque de s'avérer rapidement contre-productive. Dans le pays, le massacre d'Andijan fragilise le président Karimov, ce qui pourrait encourager l'opposition tant au sein de son administration qu’en dehors de celle-ci. En outre, les mouvements radicaux présents en Ouzbékistan pourraient instrumentaliser les événements d'Andijan et l'autoritarisme croissant du régime pour élargir leur base de soutien au sein d'une population ouzbèque désenchantée. Dans ce cas, un cycle répression/radicalisation pourrait alors s'enclencher, rendant la situation politique du pays particulièrement explosive. Pour l'heure, Islam Karimov cherche du soutien auprès de ses voisins russes et chinois pour contrebalancer les pressions américaines. Ce choix n'augure pas vraiment d'un tournant vers l'ouverture même si l'on peut penser qu'aucun de ces deux pays n'a intérêt à soutenir inconditionnellement un régime dont l'autoritarisme pourrait finir par déboucher sur l'instabilité du pays. L'opposition ouzbèque, profitant de l'affaiblissement de l'administration Karimov et des turbulences dans ses relations avec Washington, cherche à s'organiser afin de pouvoir jouer le rôle d'alternative sur la scène politique en cas de changement de régime ou au cas où un scénario de démocratisation progressive de l'Ouzbékistan se mettrait finalement en place. On notera qu'au moment des élections présidentielles de 2007 -si elles ont lieu-, le président Karimov sera âgé de 69 ans. Il pourrait éventuellement briguer un nouveau mandat à ce moment. En l'absence de préparation de sa succession, sa disparition prématurée pourrait quant à elle créer un vide de pouvoir susceptible de déclencher une lutte féroce au sein des élites régionales et des clans ouzbèques. Comme on le constate, la transition politique en Ouzbékistan pourrait être chaotique. Si le pire n'est pas certain, les risques d'instabilité de ce pays ne doivent en tout cas pas être minimisés.

 

Turkménistan : le stalinisme centre-asiatique 

Si le régime d'Ouzbékistan est un régime présidentiel fort, celui du Turkménistan est un régime que l'ont peut qualifier d'extrêmement fort sinon de stalinien. Ce pays, contrairement aux autres États de la région, n'a même pas connu au moment de la chute de l'Union soviétique une brève période d'euphorie démocratique. Les quelques voies dissidentes ont rapidement été réduites au silence. Dès 1993, le pays s'est installé dans le culte de la personnalité et le règne sans partage de Saparmurat Niyazov. Ce dernier a été "élu" en juin 1992, président du Turkménistan indépendant avec 99,5% des voix. Il était le seul candidat. En janvier 1994, un référendum étend la période de son mandat. Puis, en décembre 1999, il a fait modifier l'article de la Constitution qui interdisait à un président de briguer plus de deux mandats de cinq ans. Cet amendement constitutionnel a été entériné une seconde fois en août 2002. Le président Saparmurat Niyazov concentre tous les pouvoirs entre ses mains. Il gère lui-même toutes les questions politiques et économiques importantes et administre même la justice à certaines occasions. Il règne par la terreur -grâce à des de puissants organes de sécurité : une garde d'élite présidentielle et le puissant Comité de Sécurité nationale (KNB)-, les purges contre les officiels trop influents, le contrôle des ressources économiques du pays (notamment les rentrées pétrolières, gazières, cotonnières mais aussi peut-être le trafic de la drogue provenant d'Afghanistan), l'isolationnisme en matière de politique étrangère et enfin le repli sur soi -son pays a ainsi été qualifié avec raison de nouveau "royaume ermite"-. Au Turkménistan, tous les partis politiques sont interdits. C’est aussi le pays le plus répressif d'Asie centrale en matière de liberté de la presse. Les médias (radio, télévision et journaux) locaux sont totalement contrôlés par le pouvoir. La censure est omniprésente et la "diffamation" (c'est-à-dire les critiques) à l'égard du président sévèrement punie. Le pouvoir turkmène filtre également les informations provenant de l'étranger, bloquant la distribution de la presse internationale et brouillant les radios étrangères. L'accès à internet, pourtant peu développé dans le pays, est sévèrement contrôlé. Les sites d'informations et ceux de l'opposition en exil sont bloqués. A l'exception notable des programmes de Radio Liberty en turkmène -dont les journalistes sont cependant harcelés- et de la radio russe Radio Mayak, il n'y a pas réellement d'informations indépendantes dans le pays. Les autorités ont d'ailleurs interrompu la retransmission de Radio Mayak, la plus populaire du pays et la dernière fenêtre sur le monde extérieur en juillet 2004. Les ONG sont également moins présentes au Turkménistan qu'ailleurs en Asie centrale. Il n'existe aucune organisation de défense des Droits de l'Homme active dans le pays. Les autorités turkmènes ont par ailleurs adopté une loi en novembre 2003, interdisant et punissant sévèrement les activités des groupes non-enregistrés et rendant plus difficile l'enregistrement des ONG. Depuis la tentative alléguée d'assassinat commise contre lui en novembre 2002, le président Niyazov a orchestré une vaste campagne de répression visant ses opposants supposés, les activistes de la société civile et aussi les minorités russe et ouzbèque présentes dans le pays. Pour l'avenir, l'extrême personnalisation du régime turkmène crée une incertitude quant à la stabilité du pays en cas de disparition du président Niyazov. Certaines rumeurs circulent en effet depuis quelques années sur son état de santé. Plus encore que dans le cas de l'Ouzbékistan, l'absence totale de préparation de sa succession -même ses enfants vivent en exil- pourrait créer un vide de pouvoir susceptible de déclencher une lutte violente entre les membres de l'élite turkmène. La société turkmène étant extrêmement fracturée, les identités clanique et régionale y étant particulièrement fortes, un tel scénario pourrait plonger le pays dans le chaos. Au Turkménistan comme en Ouzbékistan, l'autoritarisme du régime offre l'illusion de la stabilité. Dans les deux cas, les risques d'instabilité à moyen terme ne doivent donc pas être minimisés.

 

Tadjikistan : un partage de moins en moins équitable du pouvoir

Le parcours du Tadjikistan, le pays le plus fragile de l'Asie centrale ex-soviétique, diffère sensiblement de celui des autres États de la région. Quelques mois après la proclamation de l'indépendance, une guerre civile a en effet éclaté dans le pays. Ce conflit qui a fait des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés a revêtu une dimension régionaliste très importante. La guerre civile s'est poursuivie jusqu'en 1997, au moment où a été signé un accord entre le gouvernement et l'opposition tadjik unie (UTO, créée en 1994). Au terme de négociations sous les auspices des Nations unies, de l'OSCE, de la Russie et de l'Iran, les belligérants au conflit inter-tadjik sont parvenus à un compromis, traduit dans un accord prévoyant les conditions de partage du pouvoir (l'opposition s'est vue attribuer 30 % des postes dans les structures de l'État). Des élections présidentielles et législatives devaient couronner le processus de réconciliation. Mais les élections présidentielles de novembre 1999 ont abouti au maintien pour sept ans du président Emomali Rakhmanov, installé au pouvoir depuis novembre 1994 et appartenant à l'élite de la région de Kulyab. Les élections législatives de 2000, auxquelles ont pris part six partis politiques ont ensuite été marquées par la victoire écrasante du parti présidentiel. Ces élections ont été caractérisés par des irrégularités importantes. Pourtant, en dépit de tensions latentes, le processus de paix a tout de même tenu. Les populations tadjikes, très éprouvées par la guerre civile, désirent par-dessus tout le maintien de la paix et de la stabilité du pays. Ce facteur a amené les différentes parties à rester prudentes et à éviter que leurs querelles ne s'enveniment et ne provoquent une nouvelle conflagration. Cette réussite laisse toutefois entiers les problèmes fondamentaux auxquels est confronté le pays (persistance du régionalisme, existence de seigneurs de la guerre quasi autonomes, pauvreté endémique, problèmes socio-économiques, corruption endémique, clientélisme, faiblesse de l'État et de l'administration, existence de tendances radicales islamistes, criminalité, trafic de la drogue, etc.).

 

Depuis 1997, le président Rakhmanov a quant à lui travaillé à la consolidation de son autorité personnelle en essayant de placer des hommes loyaux -pour la plupart originaires de son district de Dangara-  aux postes clés au sein de l'État et des administrations, en cooptant ses adversaires politiques modérés et en marginalisant les autres. Dans la période post-11 septembre, disposant à la fois du soutien de la Russie et de celui, plus nouveau, des États-Unis dans le cadre de la campagne contre le terrorisme, le président tadjik a intensifié ses efforts pour accaparer le plus de pouvoir possible et pour consolider sa mainmise sur l'État. Ainsi, les changements constitutionnels introduits en 2003 à la suite d'un référendum ont renforcé sa position et ouvert la possibilité de son maintien au pouvoir jusqu'en 2020. Il travaille à présent à sa réélection. Il s'est parallèlement attaché à réduire le rôle de l'opposition politique, mais aussi celui de ses anciens amis (notamment les seigneurs de la guerre de la région de Kulyab). L'opposition occupe désormais moins des 30 % des positions gouvernementales prévues par les dispositions des accords de paix de 1997. Ayant consolidé son pouvoir personnel, E. Rakhmanov s'est attaché à restreindre l'espace laissé aux activités politiques. Des formations politiques d'opposition ont ainsi fait l'objet de pressions et d'intimidation. Les élections législatives de février et mars 2005 ont pour leur part été marquées par des pratiques non-démocratiques qui ont permis au parti présidentiel de s'assurer du contrôle de la majorité des sièges en jeu. Dans le contexte des "révolutions multicolores", outre l'accroissement des pressions sur les mouvements d'opposition politique, le pouvoir tadjik a également renforcé sa surveillance des organisations de la société civile actives sur son territoire. Les médias indépendants n'ont pas non plus été épargnés par ce tournant répressif. Bien que l'administration présidentielle domine les médias publics, des médias indépendants ont pu progressivement se développer dans le pays et y opérer jusqu'à un certain point. Mais depuis le début de l'année 2005, les pressions multiformes latentes des autorités sur les médias indépendants et les journalistes se sont multipliées. La presse indépendante et celle des partis d'opposition, ainsi que les télévisions indépendantes et les journalistes trop critiques ont été particulièrement visés, réduisant d'autant l'espace d'expression libre dans le pays. La dérive autoritaire du président Rakhmonov observée depuis 2001 et plus encore depuis le début de l'année 2005 est un signal inquiétant pour l'avenir de ce pays où les plaies de la guerre civile sont encore mal cicatrisées. Alors que les nombreux problèmes auxquels le Tadjikistan est confronté restent entiers, la remise en cause du compromis établi dans les accords de paix entre les forces politiques tadjikes par la confiscation progressive de l'espace politique au seul profit de la faction présidentielle ainsi que la dégradation du climat pluraliste maintenu tant bien que mal depuis 1997 risquent de conduire à l'instabilité du pays. Dans cet État fragile, si aujourd'hui l'apathie politique de la population semble dominer, les réactions de mécontentement pourraient se développer à l'avenir. Le régionalisme latent pourrait à nouveau s'exacerber et, une partie de la population, laissée pour compte et désillusionnée quant au pouvoir, pourrait être poussée dans les bras des mouvances radicales présentes dans le pays et contestant l'ordre établi.

 

Conclusion

Déjà marqués par le développement de l'autoritarisme à des degrés divers, grâce à leur coopération avec Washington dans la lutte contre le terrorisme, la plupart des pouvoirs étatiques de la région sont initialement sorti renforcés de la campagne lancée par les États-Unis après le 11 septembre 2001. Conscients de la bienveillance de Washington à leur égard, parallèlement à l'adoption de mesures largement cosmétiques, ces États ont choisi, en matière de réformes politiques et de démocratisation, au mieux l'immobilisme, mais plus généralement le durcissement de leurs tendances autoritaires. Alors que les présidents ont tous profité de ce contexte pour renforcer leur pouvoir personnel, la lutte contre le terrorisme a aussi servi dans certains cas de prétexte à une répression accrue contre les opposants et les dissidents. Mais cette situation a également eu un revers pour les régimes en place. Une présence occidentale, beaucoup plus importante que par le passé, a davantage attiré l'attention de la communauté internationale sur la situation réelle de chacun de ces pays, ce qui a mieux fait apparaître aux yeux de l'opinion publique internationale les manquements importants au respect des règles les plus élémentaires des droits de l'Homme dans cette région et a également ouvert la voie à de nouvelles aspirations mais aussi à davantage de revendications au sein même de ces républiques.  

La vague de révolutions multicolores qui a ensuite secoué l'espace ex-soviétique à partir de l'année 2003 pour finir par atteindre la République kirghize au début de l'année 2005 a renforcé les espoirs de changement dans la région. Elle a paradoxalement entraîné la chute pacifique du régime le moins autoritaire et le plus ouvert de la région. Cependant, elle a également sérieusement inquiété les autres autocrates en place et provoqué leurs réactions. Pour se protéger d'une éventuelle "contagion démocratique" encouragée selon eux par l'administration américaine, les chefs d'État centre-asiatiques se sont empressés d'adopter des contre-mesures généralement répressives visant l'opposition politique, les médias indépendants et les ONG. Certains d'entre eux, comme l'Ouzbékistan, se sont également rapprochés de la Russie et de la Chine pour garantir la sécurité de leurs régimes. Ce rapprochement réduit les perspectives de démocratisation des régimes centre-asiatiques. Le maintien de régime autoritaire dans la région crée l'illusion de la stabilité alors que les politiques répressives, en l'absence de réformes, risquent pour leur part de mener finalement à l'instabilité. 

L'avenir des régimes politiques en Asie centrale est aussi conditionné par la situation qui prévaut à l'intérieur de chaque pays. De ce point de vue, à mesure que les années passent, à cause de leur vieillissement ou de leur état de santé dégradé, la plupart des dirigeants en place dans les républiques centre-asiatiques depuis le début de la décennie 90 devront être remplacés dans quelques temps. On assistera à ce moment à l'arrivée aux affaires de nouvelles élites dirigeantes formées cette fois après l'accession à l'indépendance des républiques. Ce renouvellement des élites, dont une partie a eu l'occasion de voyager et même d'étudier en Occident, marquera véritablement la rupture avec le passé soviétique. Cependant, la relève des élites et le passage du flambeau d'une génération à l'autre peut se révéler  très problématique. Dans ce type de régimes autoritaires, la période transitoire et de passage d'un leadership à un autre, est toujours une période délicate, qui peut s'avérer porteuse de menaces sérieuses surtout si les modalités de succession ne sont pas réglées à l'avance. 

En l'absence de procédure de succession clairement définie aujourd'hui en Asie centrale, le risque d'instabilité existe partout, surtout si le président disparaît brutalement ou s'il se trouve soudain dans l'incapacité d'exercer ses fonctions. Même dans des circonstances moins dramatiques, la succession peut poser problème au cas où il n'existerait pas dans le pays de personnalités ayant une certaine envergure politique et pouvant prendre la relève. Les cas ouzbèque et turkmène sont de ce point de vue les plus préoccupants pour l'avenir puisque les autocrates en place, dont la santé est déclinante, ont soigneusement fait le vide autour d'eux. Il subsiste aussi une possibilité de scénario catastrophe que l'on ne peut totalement écarter : la plupart des États de la région, malgré la nature autoritaire des régimes en place, demeurent des États faibles par manque de cohésion nationale, de ressources matérielles et d'expérience politique. Malheureusement, dans ces conditions on ne peut écarter le risque de chaos lors de la transition voire de faillite et même de délitement de l'État dans certains cas, étant donné par exemple la puissance du régionalisme. La période qui s'ouvre aujourd'hui en Asie centrale, marquée dans certains pays par une crise de légitimité des régimes en place et des violences politiques, est donc pleine d'incertitudes. 

Thierry Kellner, Docteur en relations internationales, enseignant à l’Université libre de Bruxelles et à l’Université de Genève

 

Note


[i] Voir sur cette question : ILKHAMOV, A., « The Limits of Centralization. Regional challenge in Uzbekistan » dans The transformation of Central Asia : states and societies from Soviet rule to independence, edited by Pauline Jones Luong, Ithaca and London, Cornell University Press, 2004, pp. 159-181 et JONES LUONG, Pauline, « Economic ‘Decentralization’ in Kazakhstan », dans Idem, pp. 182-210.

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Date de la mise en ligne: octobre 2006

   

 

Biographie de Thierry Kellner, Docteur en relations internationales

   
   

Docteur en relations internationales (Histoire et politique internationales) de l’IUHEI/Université de Genève. Enseigne à l’Université libre de Bruxelles et à l’Université de Genève.

 

Publications         

 

Thèse (non-publiée)

 

KELLNER, T., La République populaire de Chine et l'Asie centrale post-soviétique : étude de politique étrangère, Institut Universitaire de Hautes Études Internationales, Thèse présentée à l'Université de Genève pour l'obtention du grade de Docteur en relations internationales (Histoire et politique internationales), Genève, décembre 2004, 754p.

 

Livres

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., Géopolitique de la nouvelle Asie centrale, De la fin de l'URSS à l'après-11 septembre, Paris, PUF, 4e édition, 2006, 585p. (avec une nouvelle préface)

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., Géopolitique de la nouvelle Asie centrale, De la fin de l'URSS à l'après-11 septembre, Paris, PUF, 3e édition revue, actualisée et augmentée, 2003, 585p. (traduit en espagnol, La nueva Asia Central : Realidades y desafíos, Biblioteca del Islam Contemporaneo, n°21, Barcelona, Edicions Bellaterra, 2003, 660p.)

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., Géopolitique de la nouvelle Asie centrale, Paris, PUF, 2001, 311p. (deux éditions, traduit en arabe, Editions Daralistiklal, Beyrouth, novembre 2001)

 

Ouvrages collectifs

 

KELLNER, T., "L' ‘axe turco-iranien’ : vers un nouveau concept géopolitique ?" dans Le monde turco-iranien en question : évolution historique et perspective d'avenir, Actes du colloque organisé en l’honneur du professeur M.-R. Djalili par l’Institut universitaire d’études du développement (IUED), Genève, en collaboration avec l’Institut universitaire de Hautes Études internationales (IUHEI), Genève, 10-11 novembre 2005, Genève/Paris, IUED/Karthala, 15p. (à paraître hiver 2006-2007)

 

KELLNER, T., "Les enjeux de la situation iranienne", dans Actes du colloque Les enjeux géopolitiques liés aux ressources rares au XXIe siècle : les cas de l’eau, du gaz et du pétrole. Paris, 11 mai 2006, Colloque du CEREMS (Centre d’Etudes et de Recherche de l’Enseignement Militaire Supérieur) organisé en partenariat avec l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale) et le Centre de Géostratégie de l’ENS-Ulm, Paris, juillet 2006, pp. 17-21.  (en ligne http://www.ihedn.fr/portail/cerems/CEREMS_Actes11mai.pdf)

 

KELLNER, T., "La Chine et le pétrole : perceptions sécuritaires et démarche stratégique" dans La Dépendance pétrolière. Mythes et réalités d’un enjeu stratégique, sous la direction de Gérard Chaliand et Annie Jafalian, Paris, Editions Encyclopaedia Universalis, Le tour du Sujet, Avril 2005, pp. 71-90.

 

KELLNER, T., "Bouleversements et reconfiguration régionale en Asie centrale (1991-2004)" dans The Illusions of Transition: Which Perspectives for Central Asia and the South Caucasus ? Geneva, March 17, 2004, Cimera Publication, July 2004, pp. 36-71. (également en ligne http://www.cimera.org/publications/cp6/popup.html)

 

KELLNER, T., "The People's Republic of China and the New Central Asia Ten Years after Independence", dans The OSCE and the Multiple Challenges of Transition. The Caucasus and Central Asia, Edited by Farian Sabahi and Daniel Warner, London, Ashgate, February 2004, pp. 37-67.

 

 

Articles

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "L’Iran et les deux géants asiatiques", Outre-Terre, Revue française de Géopolitique, n°16, Septembre 2006, 25p. (à paraître)

 

KELLNER, T., "Le ‘dragon’ et le ‘simorgh’ : les relations sino-iraniennes contemporaines", Journal d’Iran, n°10, Septembre 2006, 8p. (à paraître)

 

KELLNER, T., "Un différend sino-kazakh méconnu : la question de l'utilisation des eaux de l'Irtych et de l'Ili", Transitions, vol. xlvi, n°1, 2005, 15p.  (à paraître en 2006)

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "La Chine, l’Iran et la crise du nucléaire", The Middle East Review of International Affairs (MERIA)/Journal d'études des relations internationales au Moyen-Orient, Edition française, vol. 1, n°1, Juillet 2006, 25p. (en ligne http://meria.idc.ac.il/journal_fr/2006/jv1no1a2.html)

 

KELLNER, T., "La politique pétrolière de la République populaire de Chine : stratégies et conséquences internationales", Outre-Terre, Revue française de Géopolitique, n°15, juin 2006, pp. 425-469.

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "Au centre pétrolier du monde : le golfe Persique", Outre-Terre, Revue française de Géopolitique, n°14, mai 2006, pp. 341-375.

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "Regímenes políticos de Asia Central", Revista d'Afers Internacionals, nº 70-71, Octubre 2005, pp. 35-68 (en ligne http://www.cidob.org/catalan/publicaciones/Afers/70-71.cfm#)

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "Iran. Le regard vers l'Est : la politique asiatique de la République islamique", Rapport du GRIP, Bruxelles, 2005/2, 35p.  (http://www.grip.org/pub/rapports/rg05-2_iran.pdf)

(traduction anglaise en préparation pour le Centre for South Asian Studies- Geneva)

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "Les États-Unis et l'Asie centrale de l'après 11 septembre à la guerre d'Irak", Revue française de géopolitique, n°3, 2005, pp. 333-349.

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "Géo-économie des hydrocarbures de la Caspienne", Risques et management international, n°2, Septembre 2003, pp. 61-94.

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "Les États-Unis et l'Asie centrale après le 11 septembre", Revue française de géopolitique, n°1,  2003, pp. 243-267.

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "L'Asie centrale un an après le 11 septembre", Le Courrier des Pays de l'Est, n°1027, août 2002, pp. 4-14.

 

KELLNER, T., "Chine : La situation des Ouïgours de l'indépendance des républiques centrasiatiques à l’après-11 septembre", UNHCR, Centre for Documentation and Research, WriteNet paper, n°1/2002, mai 2002, 26p. (traduit en anglais "China : the Uighur Situation from Independence for the Central Asian Republics to the Post 11 September Era", UNHCR, Centre for Documentation and Research, WriteNet paper, n°1/2002, May 2002.)

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "Canaux et canalisations. La Caspienne dans la nouvelle configuration géopolitique de l'après-11 septembre", Outre-Terre, revue française de Géopolitique, n°2, mai 2002, pp. 115-148.

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "L'Asie centrale après le 11 septembre. Incidences géopolitiques de la crise afghane et facteur islamique", UNHCR, Centre for Documentation and Research, WriteNet paper, n° 07/2001, Janvier 2002, 67p. (http://www.unhcr.ch/cgi-bin/texis/vtx/rsd?search=coi&source=WRITENET)

 

KELLNER, T., "La Chine et la nouvelle Asie centrale. De l'indépendance des républiques centrasiatiques à l'après-11 septembre", Rapport du GRIP, Bruxelles, 2002/1, 39p. (www.grip.org/pub/rapports/rg02-1_chine.pdf).

 

KELLNER, T., "La Chine et la nouvelle Asie centrale", paper prepared for the “The Ninth International Seminar on Central Asia and the Caucasus : The Caspian Sea : Prospects and Challenges, Teheran,  22-23 December 2001”, 45p. (non-publié)

 

KELLNER, T., "Note sur l’histoire du Xinjiang et des Ouïgours", janvier 2002, 8p. 

( http://www.diploweb.com/p7kell2.htm )   

 

KELLNER, T., "La Chine, les talibans et le Xinjiang", 20 novembre 2001, 3p. (http://www.diploweb.com/p5kell1.htm)

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "La Russie et la 'nouvelle' Asie centrale", Géostratégiques, n° 1, janvier 2001  (http://www.strategicsinternational.com)

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "L'Asie centrale dix ans après l'indépendance, étude de géopolitique", Sécurité et stratégie, Institut Royal Supérieur de Défense, Bruxelles, juin 2000, 84p. (www.mil.be/rdc/viewdoc. asp?LAN=nl&FILE=doc&ID=153)

 

DJALILI, M.-R., KELLNER, T., "Moyen-Orient, Caucase et Asie centrale : des concepts géopolitiques à construire et à reconstruire ?", Central Asian Survey,  vol. 19, n°1, 2000, pp. 117-140.

 

KELLNER, T., "China and the New Central Asian Republics", Paper prepared for the 10th CIS-SWISS Conference, -The Caspian and Central Asia : A New Challenge for Europe-, Geneva, 29th of November-1st of December, 1998, 10p. (non-publié)

 

KELLNER, T., "La Chine et le pétrole, enjeux stratégiques", Transitions, vol. xxxix, n°2, 1998, pp. 161-179.

 

DJALILI, M.R., KELLNER, T., "Pétrole et gaz de la Caspienne, entre mythe et réalité", Transitions, vol. xxxix, n°2, 1998, pp. 121-158.

 

KELLNER, T., "La Chine et les Républiques d'Asie centrale : de la défiance au partenariat", Cahiers d'études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, n°22, juillet-décembre 1996, pp. 277-313. (http://cemoti.revues.org/document144.html)

 

KELLNER, T., La République populaire de Chine et l'Asie centrale, Modern Asia Research Centre, Genève, Occasional Papers, n°6, September 1996, 43p.

 

KELLNER, T., La Fédération de Russie et la République populaire de Chine, Brochure introductive au colloque "Extrême-Orient : que sera le XXIème siècle", Insitut Royal Supérieur de Défense, Bruxelles,1993, 20p.

   
   

 

   

 

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