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Mélissa Levaillant, "La politique étrangère de l’Inde envers l’Iran", L’Harmattan, 2013

Par François GUILBERT , le 7 novembre 2013  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Par petites touches, M. Levaillant détaille tous les ingrédients de la relation bilatérale indo-iranienne, ses soubresauts historiques depuis la ratification du traité d’amitié du 15 mars 1950, en passant par le soutien de Téhéran à New Delhi lors de la guerre sino-indienne de 1962 aux divergences de la guerre Iran - Irak, l’Inde ayant choisi de soutenir Saddam Hussein son principal fournisseur pétrolier.

F. Guilbert présente le livre de Mélissa Levaillant, "La politique étrangère de l’Inde envers l’Iran", Paris, L’Harmattan, 2013, 205 p.

DANS un essai tout récent, l’historien Pierre Grosser se demandait comment les diplomates doivent parler avec les parias de la scène internationale [1]. La doctorante de Sciences Po, Mélissa Levaillant nous donne un aperçu de ce possible après avoir consacré son sujet de master aux relations indo-iraniennes de 1993 - 2010. Cette étude est particulièrement bienvenue car elle regarde l’Iran depuis l’un de ses confins les moins étudiés en France. Observer la République islamique depuis ses marges est des plus instructif car ses intérêts stratégiques ne se limitent pas aux seuls espaces de confrontation du Proche et Moyen-Orient, comme on le croit trop souvent.

Contextualisation

Regarder l’Iran "de biais" nous rappelle le caractère enchâssé du territoire iranien, combien les marges du pays sont habitées majoritairement de populations non chiites et de groupes ethniques non perses. Ces cardinalités sont d’ailleurs au cœur des intérêts stratégiques de Téhéran et de sa diplomatie active au Caucase, en Asie centrale et du sud mais également de son souci d’instrumentaliser les organisations régionales (ex. IOR-ARC [2]), Organisation de coopération économique (ECO), Organisation de coopération de Shanghai (SCO)). Pour ceux qui voudraient se plonger dans cet écheveau relationnel, comment ne pas leur conseiller de compléter leur lecture de M. Levaillant par celles des travaux récents de la directrice de recherches à la Fondation nationale des sciences politiques Fariba Adelkhah [3], du directeur de recherches à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire Pierre Razoux [4] ou de leur collègue associé au CNRS, Gilles Riaux [5]. Ils auront ainsi accès à un large panorama sur les raisons qui nourrissent le sentiment d’assiégé véhiculé par certaines élites politiques, religieuses et de l’appareil de sécurité de Téhéran. Pour dé-serrer cet étau les options diplomatiques qui s’offrent au président Rohani comme à ses prédécesseurs ne sont pas si nombreuses, notamment quand Téhéran cherche à bâtir des partenariats au-delà des deux membres du Conseil de sécurité des Nations Unies que sont la Russie et la Chine. Ils sont pourtant quelques uns en Asie à pouvoir se prêter à ce jeu par intérêts propres [6].

En examinant l’Iran comme un partenaire "naturel" de la quête de puissance indienne et l’un des axes de la Look West Policy de New Delhi, M. Levaillant ne s’intéresse guère à la politique asiatique de Téhéran dans son ensemble mais à l’un de ses principaux piliers. On ne peut pas lui reprocher puisqu’elle destine d’abord ses recherches académiques au sous-continent indien. Cependant, l’Iran n’en a pas moins construit au cours des décennies une habile politique asiatique d’influence, faite d’intérêts économiques pour ne pas dire hydrocarbures partagés avec la Corée du Sud, le Japon et dans une certaine mesure la Malaysie. Il serait toutefois erroné de croire que les intérêts croisés se limitent aux seules préoccupations énergétiques même si New Delhi ne désespère pas un jour bénéficier des ressources appelées à être transportées par le gazoduc IPI (Iran - Pakistan - Inde [7]).

Des vues parfois convergentes

Sur plusieurs dossiers internationaux, Téhéran et New Delhi ont des vues convergentes. Ils s’interrogent sur les conséquences de l’arrivée au pouvoir à Islamabad d’un premier ministre Nawaz Sharif notoirement connu pour entretenir des relations étroites avec l’Arabie Saoudite. Ils affirment conjointement aux Nations Unies qu’il n’existe aucune solution militaire au conflit syrien et récusent toute intervention combattante étrangère. Autant de proclamations susceptibles de trouver un large écho grâce à l’Inde dans des fora internationaux élargis tels le Mouvement des non alignés ou les réunions des BRICS. Cependant, ce relais d’opinions convergentes peut connaître bien des ratés. L’Inde n’est que rarement une puissance "actrice" s’impliquant dans la gestion des crises extra-régionales. Aujourd’hui, les tensions politiques aux Maldives ont ainsi plus d’importance stratégique que le conflit syrien. En outre, l’Inde pour asseoir son autorité internationale a besoin de se forger une image de puissance "responsable". Un objectif incompatible avec la défense d’un régime allié de Téhéran qui n’hésite pas à employer aussi régulièrement que massivement des armes de destruction massive contre des populations civiles désarmées. Les relations indo-iraniennes s’en trouvent d’autant plus perturbées.

Depuis vingt ans, les progrès des relations indo-iraniennes ont été modestes. Ils se sont limités à fixer les instruments institutionnels du dialogue (ex. réunion régulière des ministres des Affaires étrangères ; mise sur pied de commissions mixtes dans les domaines de l’agriculture, le commerce, les communications, l’énergie, l’industrie, les sciences et technologies, les transports). Quant au dialogue dit "stratégique", il ne semble pour l’essentiel porter que sur la question afghane, encore faudrait-il s’interroger sur sa substance même et celle du dialogue trilatéral qui le complète. Il est vrai qu’il est difficile d’aller plus loin pour New Delhi sans fâcher les États-Unis ou encore mettre en cause les relations de défense étroites construites discrètement pour ne pas dire secrètement avec Tel Aviv depuis la normalisation des relations diplomatique entre les deux pays en 1992 [8].

Les ingrédients d’une relation bilatérale

Par petites touches, M. Levaillant détaille tous les ingrédients de la relation bilatérale indo-iranienne, ses soubresauts historiques depuis la ratification du traité d’amitié du 15 mars 1950, en passant par le soutien de Téhéran à New Delhi lors de la guerre sino-indienne de 1962 aux divergences de la guerre Iran - Irak, l’Inde ayant choisi de soutenir Saddam Hussein son principal fournisseur pétrolier. Elle rappelle aussi combien l’Inde s’est inquiétée de l’écho de la révolution iranienne au Cachemire ou encore auprès des 30 millions de chiites duodécimains installés sur son sol [9]. Enfin, la question iranienne suscitant ponctuellement des polémiques au parlement indien et dans les diasporas influentes au Royaume Uni et aux États-Unis, il était intéressant de voir comment cette ressource politique peut être manipulée sur la scène politique intérieure notamment par la gauche de l’échiquier politique, les Nehruviens et tous ceux qui cherchent à mobiliser à leur profit le vote musulman. Autant d’éléments à connaître à l’heure où nombre d’observateurs s’interrogent sur la manière dont le nouveau président iranien va conduire et influer sur la politique étrangère et de sécurité. S’il est encore trop tôt pour savoir quel chemin prendra la coopération indo-iranienne, il ne sera pas si facile pour le président Rohani de construire une dynamique politique concourant à sortir l’Iran de son isolement diplomatique surtout s’il se limite comme nombre de ses prédécesseurs à fonder un rapprochement stratégique sur la base d’un dialogue des civilisations et d’échanges intellectuels vantant une culture littéraire et artistique en partage.

Copyright Novembre 2013-Guilbert/Diploweb.com


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Mélissa Levaillant : La politique étrangère de l’Inde envers l’Iran, L’Harmattan, 205 p, 21 €

Mélissa Levaillant, "La politique étrangère de l'Inde envers l'Iran", L'Harmattan, 2013

4e de couverture

Solidaire d’un Pakistan porteur des valeurs islamiques, fâché avec les Etats-Unis, mobilisé contre Israël, avec qui l’Inde approfondit sa coopération, l’Iran n’avait rien pour s’entendre avec le géant de l’Asie du Sud. Pourtant les deux Etats coopérent dans de nombreux domaines. Cette étude se centre sur les éléments qui ont contribué à faire de l’Inde et de l’Iran des partenaires privilégiés.

Voir le livre de Mélissa Levaillant, La politique étrangère de l’Inde envers l’Iran, sur le site des éditions l’Harmattan


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[1P. Grosser : Traiter avec le diable ? Les vrais enjeux de la diplomatie au XXIème siècle, Odile Jacob, Paris, 2013, 365 p, 25,9 €

[2Indian Ocean Rim Association for Regional Cooperation (IOR-ARC) dont le secrétariat est installé à l’île Maurice et dirigé depuis janvier 2012 par un diplomate indien, l’ambassadeur K V Bhagirath .

[3F. Adelkhah : Les mille et une frontières de l’Iran. Quand les voyages forment la Nation, Khartala, Paris, 2012, 486 p, 32 €

[4P. Razoux : La guerre Iran - Irak. Première guerre du Golfe 1980 - 1988, Perrin, Paris, 2013, 604 p, 27 €

[5G. Riaux : Ethnicité et nationalisme en Iran : la cause azerbaïdjanaise, Karthala, Paris, 2012, 303 p, 26 €

[6En septembre 1993, le président Rafsandjani proposa la création d’un partenariat stratégique entre l’Iran, l’Inde et la Chine.

[7Il existe des projets encore plus ambitieux notamment visant à relier l’Iran et l’Inde par des pipelines sous-marins. L’un des scénarios envisagés depuis le début de la décennie constituerait à mettre en place un gazoduc du Turkménistan au port iranien de Chahbahar puis de relier par la mer ce dernier à la côte indienne du Gujarat.

[8N. Blarel : Inde et Israël : le rapprochement stratégique, L’Harmattan, Paris, 2006, 156 p

[9Les communautés chiites sont principalement implantées à Hyderabad et Lucknow.


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