"Histoire de l’Iran contemporain", M-R Djalili et T Kellner, La Découverte

Par Lebriz YAKACIKLI, le 22 octobre 2010  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Docteur en Sciences politiques - Relations internationales de l’Université Libre de Bruxelles (ULB)

Ecrit dans un style clair et précis, cet ouvrage synthétique, bien documenté et très complet, malgré sa petite taille, se laisse lire aisément.

Présentation du livre de Mohammad-Reza Djalili et Thierry Kellner, Histoire de l’Iran contemporain, Paris, La Découverte, collection Repères, n°559, 2010, 127 p. ISBN : 978-2-7071-4641-0.

L’OUVRAGE de synthèse M-R. Djalili et T. Kellner est une contribution majeure à la compréhension de l’histoire de l’Iran de ces deux derniers siècles. Leur démarche chronologique permet de suivre aisément l’évolution des principaux courants de la vie politique iranienne.

Ecrit dans un style clair et précis, cet ouvrage synthétique, bien documenté et très complet, malgré sa petite taille, se laisse lire aisément. Couvrant la période des deux derniers siècles (1796-2009), il se compose de six parties : le « siècle des Qadjar », l’ « entrée dans le XXe siècle », « Reza Shah et la fondation de l’Iran moderne », le « règne de Mohammad-Reza Shah », la « création de la république islamique et les années Khomeyni » et enfin la période de « l’après-Khomeyni ». Il s’agit d’une lecture vivement recommandée pour tous ceux qui souhaitent découvrir l’histoire mouvementée de ce pays au cœur de l’actualité internationale depuis des décennies. Le choix du XIXe siècle comme début de la période contemporaine de l’histoire de l’Iran est particulièrement pertinent puisqu’il s’agit d’un moment clé, marqué par les prémices de l’intégration de la Perse dans l’économie mondiale, par les premières tentatives de réformes, par l’accroissement des contacts de ce pays avec l’étranger et enfin par la pénétration de l’influence des puissances impériales européennes.

La période des Qadjar

La première partie de l’ouvrage est consacrée à la période des Qadjar. Les convoitises des puissances impériales (essentiellement la Russie et la Grande-Bretagne) vis-à-vis de la Perse, la fragilité économique et politique du régime, la pénétration économique occidentale, ainsi que la montée en puissance du clergé chiite sont quelques-uns des phénomènes qui la caractérisent. Cette période voit aussi le lancement du développement pétrolier de la Perse et au-delà, de la région du golfe Persique. Les débuts d’un mouvement de contestation s’annoncent dès le tournant du siècle. Il aboutira à la révolution constitutionnelle, la première du genre au Moyen-Orient. C’est aussi à cette époque que l’expression velayat-e faqih apparaît. Elle exprime le pouvoir conféré aux docteurs de la loi impliquant non pas le pouvoir politique mais des aspects juridiques. Elle sera reprise plus tard par Khomeyni pour désigner « le gouvernement du juriste théologien », fondement doctrinal de la république islamique.

La révolution constitutionnelle (1906-1911)

La deuxième partie débute avec la révolution constitutionnelle (1906-1911) entreprise pour réduire le despotisme monarchique et restreindre la mainmise étrangère dans les affaires du pays. Elle n’atteindra pas ses objectifs. La constitution signée en 1906 et qui reste en vigueur jusqu’en 1979 transforme cependant la Perse et marque son entrée de plain-pied dans la modernité. La Première guerre mondiale aura ensuite des conséquences dramatiques pour le pays. A la sortie de la guerre, la Grande-Bretagne, toute puissante, tentera d’imposer sa mainmise en Perse par la signature d’un traité anglo-persan. La résistance à ce traité sera vive et va ouvrir la route à la prise de pouvoir de Reza Khan.

L’avènement de la dynastie Pahlavi

La troisième partie de l’ouvrage s’intéresse à l’avènement de la nouvelle dynastie Pahlavi par le couronnement de Reza Khan en 1926, couronnement qui marque la fin de la dynastie Qadjar. L’Iran sera le nouveau nom du pays à partir de 1935. La modernisation, la centralisation, l’unification et l’iranisation sont les maîtres mots du programme de Reza Shah qui est soutenu par l’intelligentsia et la classe moyenne. La sécularisation du système juridique, la création de la banque nationale, le renforcement des infrastructures, la mise au pas du pouvoir des tribus, la mise en place de normes inspirées de l’Occident en matière pénale et civile, l’urbanisation, les réformes dans l’enseignement, comptent parmi les nombreuses initiatives de ce Shah modernisateur. En politique étrangère, il favorise les liens d’amitié, de bon voisinage et de non-agression avec ses voisins et cherche à contrebalancer les influences anglaises et soviétiques qui demeurent majeures dans le pays en développant des relations avec d’autres puissances, notamment l’Allemagne. Pour diverses raisons, il s’attirera cependant pendant son règne l’opposition du clergé, des marchands du bazar, des membres des tribus nomades et des jeunes intellectuels. Très isolé en raison de ses dérives autoritaires, le Shah sera déposé finalement par les anglo-soviétiques en 1941.

Le règne de Mohammad-Reza Shah

Mohammad-Reza Shah succède ainsi dans des circonstances difficiles à son père. Son règne fait l’objet de la quatrième partie de l’ouvrage. Le rôle du clergé, écarté de la scène politique par Reza Shah, se renforce à nouveau. Un rapprochement entre les Etats-Unis et l’Iran se dessine aussi dès les années 40 et plus encore dans le contexte de la Guerre froide. L’Iran va basculer dans le camp occidental et ainsi devenir un des principaux piliers de la stratégie moyen-orientale de Washington jusqu’à la révolution islamique de 1979. A la sortie de la Seconde guerre mondiale, la souveraineté territoriale de l’Iran est cependant menacée par la proclamation de la république autonome de l’Azerbaïdjan sous la protection de l’armée rouge et la République du Kurdistan (République de Mahabad). Après bien des manœuvres, la crise irano-soviétique s’achèvera par un échec pour Staline. Une autre crise majeure de l’après-guerre est celle de la nationalisation du pétrole iranien par le Dr. Mossadegh. La crise prend une dimension internationale. Après le renversement de Mossadegh, des négociations au sujet du contentieux pétrolier aboutissent toutefois à un accord reconnaissant la nationalisation et l’appartenance des installations pétrolières à la Société Nationale Iranienne du Pétrole en 1954. La fin des années 50 et les années 60 ouvrent une nouvelle période caractérisée par l’accroissement du pouvoir personnel de Mohammad-Reza Shah. Une deuxième tentative de modernisation autoritaire après celle de Reza Shah démarre avec des réformes qui sont à la base de la « Révolution Blanche ». C’est à cette époque que Rouhollah Khomeyni commence à se distinguer par sa vive opposition à ces réformes. La première moitié des années 70 est pourtant marquée par d’importants succès du Shah sur les plans de l’économie et de la politique extérieure. Pour la première fois dans son histoire moderne, l’Iran devient un acteur politique et économique majeur sur la scène régionale. Il est le garant de la stabilité dans le golfe Persique. Malgré ces succès, la situation interne reste marquée par le blocage politique. La nouvelle classe moyenne est aliénée sur le plan politique par l’autoritarisme du Shah. Les réformes ayant affaibli l’establishment traditionnel, Mohammad-Reza se trouve isolé. Ce phénomène devient éclatant dans la seconde moitié de la décennie 1970. L’autoritarisme du Shah, son isolement politique, les difficultés économiques, la montée des contestations et le manque de soutien de ses alliés occidentaux porteront un coup fatal à son règne. Khomeyni rassemble autour de lui l’opposition. Après le triomphe de la Révolution, il parviendra à évincer ses alliés, notamment les mouvements de gauche, et à instaurer une République islamique, un événement dont l’onde de choc s’est étendue bien au-delà des frontières du pays et continue à avoir des répercussions jusqu’à aujourd’hui.

La mise en place et le renforcement du régime de Khomeyni

Le cinquième chapitre est consacré à la mise en place et au renforcement du régime révolutionnaire de Khomeyni. Après avoir qualifié les Pahlavi d’ennemis de l’Islam, Khomeyni rejette le régime impérial pour le remplacer par une République islamique d’inspiration divine avec une place de choix réservée au clergé et surtout au « Guide ». L’élément théocratique domine l’édifice institutionnel. Une politique étrangère révolutionnaire, tiers-mondiste, antisioniste et anti-américaine est mise en place. A l’intérieur du pays, une véritable « révolution culturelle » est lancée avec pour but de se débarrasser des forces laïques, d’islamiser l’enseignement. La guerre Iran-Irak, déclenchée par Bagdad et qui ne sera qu’un gâchis pour les deux pays, permet néanmoins à Khomeyni de renforcer son régime. Avant de disparaître en 1989, il s’assurera, grâce à sa fatwa contre Salman Rushdie et à l’élimination en prison de nombreux prisonniers politiques, que sa République islamique est entre de bonnes mains.

L’après-Khomeyni

La période relative à l’après-Khomeyni constitue le dernier chapitre du manuel. La présidence de Rafsandjani de 1989 à 1997, poussée par la nécessité de la reconstruction du pays exsangue après huit années de conflit, est marquée par une volonté de prendre quelque distance par rapport à la période Khomeiny. Il s’agit d’essayer de tourner la page d’une décennie d’isolement international en renouant des liens avec le monde extérieur et surtout de relancer l’économie en favorisant les privatisations et le secteur privé. Mais divers facteurs causent l’échec de sa réforme. L’arrivée de Khatami à la présidence en 1997 est caractérisée par l’accent mis –en tout cas dans la propagande- sur le réformisme. Après l’échec des réformes économiques de Rafsandjani, Khatami semble lui vouloir ouvrir politiquement le régime. L’atmosphère de la société évolue en tout cas à ce moment. Mais l’opposition conservatrice se réorganise, fait obstruction aux projets et même si les réformateurs remportent les municipales en 1999 et les législatives en 2000, Khatami, par son manque de courage, perd sa crédibilité. Les ambitions nucléaires de l’Iran et son rejet des demandes d’inspection de l’AIEA accentuent l’opposition avec Washington. Une nouvelle génération d’islamistes militants arrive au pouvoir suite à la victoire des conservateurs aux municipales en 2003 et aux législatives en 2004. Le vainqueur, Mahmoud Ahmadinejad s’appuie sur la faction la plus conservatrice du clergé chiite, sur les Gardiens de la Révolution et sur les couches sociales défavorisées et non sur la classe moyenne comme son prédécesseur. Jugeant les priorités de ce dernier erronées et déviantes, il veut le renforcement du caractère révolutionnaire de la république islamique, un retour aux sources doctrinales de la révolution de Khomeyni des années 80. L’hostilité vis-à-vis d’Israël et les relations avec les Etats-Unis dominent sa politique étrangère. En matière nucléaire, il accuse l’Occident de refuser à l’Iran l’accès aux nouvelles technologies et poursuit le processus de l’enrichissement de l’uranium malgré les sanctions du Conseil de Sécurité, ce qui lui permet de se poser en victime dans les pays musulmans et de jouer du nationalisme pour créer une cohésion nationale autour de son régime. Alors que la situation économique de l’Iran se dégrade et l’isolement politique du pays se renforce, Mahmoud Ahmadinejad se fait réélire à la suite de fraudes massives. Cette manœuvre déclenche les plus importantes manifestations vues dans le pays depuis la Révolution de 1979. La répression sera massive et efficace, mais le régime se trouve désormais fragilisé. La question de sa légitimité est aujourd’hui plus que jamais ouverte.

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