L’Union européenne s’affiche volontiers comme le premier pourvoyeur mondial d’aide publique au développement, loin devant les Etats-Unis, le Japon et les pays émergents. Cependant, l’aide de l’UE reste peu visible, peu cohérente et parfois peu efficace. P. Verluise présente pourquoi l’UE hésite entre auto-satisfaction et auto-critique au sujet de son aide au développement.
A l’échelle mondiale, l’Union européenne est de loin le premier pourvoyeur d’aide au développement (APD). En 2009, celle-ci s’élevait à 49 milliards d’euros, soit 0,42% du RNB de l’Union européenne.
Les Etats financent directement plus des trois quart de cette aide, la Commission assurant environ un quart du total. En 2009, la Commission a engagé 12 milliards d’euros et en a déboursé 10 milliards. La ventilation par secteur des ressources d’aide publique au développement gérées par la Commission européenne est la suivante pour les postes principaux : infrastructures sociales (éducation, santé, eau…) 34,7% ; production (agriculture, sylviculture et pêche, industrie…) 14,5% ; multi/intersectoriel (environnement…) 13,7% ; infrastructures économiques et services (transport, communication, énergie…) 10,6%. [1] Cette aide à bénéficié à plus de 140 pays dans le monde.
Dans son Rapport annuel 2010 sur les politiques de développement et d’aide extérieure de l’UE et leur mise en œuvre en 2009, la Commission européenne insiste sur ses efforts pour améliorer l’efficacité de son aide, se présentant comme un acteur en première ligne dans les forums organisés à ce propos. La Commission européenne se veut « catalyseur et coordinateur afin d’améliorer les synergies entre les Etats membres » [2] de l’UE. Le collège des commissaires se déclare à la fois ambitieux, soucieux de rendre les acquis durables, capable de déléguer au Etats membres la mise en œuvre de programmes de soutien, attaché à la prévisibilité et la transparence de l’aide, capable de travailler en étroite collaboration avec les organisations internationales comme l’ONU et la Banque mondiale, préoccupé de coopérer avec les autorités locales et les acteurs non étatiques… Ajoutons qu’une des spécificités de l’aide communautaire tient au fait que les deux tiers de cette dernière prennent la forme de dons, alors que la plupart des bailleurs internationaux (Fonds monétaire international, Banque mondiale) octroient des prêts remboursables. Bref, l’Union européenne serait proche de la perfection en la matière.
D’autant plus que l’UE devait porter en 2010 à 69 milliards d’euros son aide publique au développement, de façon à se conformer à l’engagement collectif de la conduire à 0,56% du RNB de l’UE, pris lors du sommet du G8 à Gleneagles en 2005. Ce qui débloquerait 20 milliards d’euros supplémentaires au profit des objectifs de développement. Notons que l’UE s’est engagée à porter son aide publique au développement à 0,7% de son RNB d’ici 2015, afin d’être en conformité avec l’objectif des Nations unies. Ce qui n’a rien d’acquis, nous y reviendrons.
Derrière ces chiffres et ces effets d’annonce, il est bien délicat de s’y retrouver.
En fait, l’APD de l’Union européenne est difficile à appréhender parce qu’elle est répartie entre plusieurs enveloppes et divers instruments. Le diplomate Maxime Lefevre avance qu’environ 6% du budget de l’UE est « consacré à l’aide extérieure, soit un total d’environ 50 milliards d’euros pour le cadre financier [pluriannuel] 2007-2013. A quoi s’ajoutent les 22 milliards du Fonds européen de développement [pluriannuel] (2008-2013) qui est financé séparément. » [3]
Il s’agit notamment, selon cet auteur, de :
. L’instrument de coopération pour le développement (ICD) et le Fonds européen de développement (FED) pèsent 40 milliards d’euros d’aide au développement.
. L’instrument de pré-adhésion (IPA), 12 milliards d’euros destinés aux Balkans occidentaux et à la Turquie.
. L’instrument européen de voisinage (IEPV), 12 milliards d’euros pour les 16 pays du voisinage [4]. Il existe entre Etats membres une tension pour savoir si le Sud doit être prioritaire dans l’attribution de ces fonds. La France donnerait volontiers l’avantage au Sud quand les pays d’Europe centrale et orientale souhaiteraient privilégier le voisinage oriental.
. L’aide humanitaire avoisine 6 milliards d’euros.
. La politique étrangère et la réponse aux crises absorbent 4 milliards d’euros : une moitié pour l’instrument de stabilité, l’autre pour les actions de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).
Retenons qu’à l’échelle planétaire l’Union européenne est de loin le premier pourvoyeur d’aide publique au développement mais que cette dernière demeure difficile à appréhender, ce qui renvoie à la multipolarité constitutive de l’UE. En effet, l’essentiel de l’aide est distribuée par les Etats membres et environ un quart par les institutions communautaires. La comptabilité reste peu accessible, voire peu claire.
Notons que la montée en charge progressive du traité de Lisbonne apporte des modifications juridiquement contraignantes qui pourraient contribuer au renforcement du pôle communautaire de l’aide européenne. Le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le Service européen pour l’action extérieure pourraient progressivement l’encadrer politiquement.
Le 29 juin 2011, la Commission européenne a suggéré de consacrer 70 milliards d’euros aux instruments d’aide extérieure de l’Union européenne pour le cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020. [5] Soit une augmentation de quelque 14 milliards d’euros par rapport au budget prévu dans le CFP 2007-2013. Cette enveloppe profiterait essentiellement à la politique d’aide au développement et à la politique européenne de voisinage.
En matière de politique d’aide au développement, la Commission invite à doubler le montant pluriannuel consacré à l’instrument de financement de la coopération au développement. Il passerait de 10 à 20,6 milliards d’euros.
La politique européenne de voisinage (PEV) bénéficierait également d’une augmentation importante. La Commission européenne envisage d’augmenter de 40% le soutien financier aux 16 participants : Algérie, Arménie, Autorité palestinienne, Azerbaïdjan, Belarus, Egypte, Géorgie, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Moldavie, Maroc, Syrie, Tunisie et Ukraine. Le budget pluriannuel de la PEV envisagé pour la période 2014-2020 serait de 16,1 milliards d’euros, soit 4,7 milliards de plus que sur la période précédente. Suivant les principes de révision de la PEV communiqués le 25 mai 2011, l’Instrument européen de voisinage (IEPV) se concentrerait sur la promotion des réformes politiques, économiques et sociales, mais aussi le soutien aux priorités définies dans les plans d’actions PEV et au rapprochement des politiques et normes de l’UE.
Concernant le budget total proposé au titre du 11e FED – qui ne s’inscrit pas dans le cadre financier pluriannuel mais dans un accord intergouvernemental entre les pays membres de l’UE – 30,3 milliards d’euros sont annoncés. Ce qui représenterait une hausse de quelques 8 milliards d’euros.
Notons à ce propos que depuis juin 2011 la Commission européenne semble devenue plus attentive à la lutte contre la corruption. Celle-ci devrait devenir partie intégrante de toutes les politiques de l’UE concernées, aussi bien internes qu’externes, qu’il s’agisse des pays candidats officiels ou potentiels comme des pays du voisinage ou partenaires.
La Commission européenne a ainsi déclaré le 6 juin 2011 : « L’appui à la bonne gouvernance et à la démocratisation accordé par l’Union européenne dans le cadre de sa politique de coopération et de développement couvre également les politiques de lutte contre la corruption [6]. Sur ce point, la Commission suit une approche basée sur le partenariat en engageant un dialogue avec les gouvernements et la société civile des pays partenaires, les États membres de l’Union et d’autres donateurs. Tout en reconnaissant qu’en l’absence d’une volonté politique dans le pays, il est peu probable que l’aide extérieure produise des résultats, la Commission estime néanmoins que des approches incitatives peuvent porter leurs fruits [7]. La Commission entend intensifier son dialogue avec les pays partenaires sur la lutte antifraude et anticorruption, et accroître son soutien au renforcement des capacités, de sorte à aboutir à l’adoption de stratégies nationales de lutte contre la corruption sous toutes ses formes. Pendant la période de programmation et tout au long du processus d’exécution, elle accordera une attention particulière à ces stratégies et à leur bonne exécution.
Dans cet objectif, la Commission préconisera une application plus fréquente du principe de conditionnalité en matière de développement, afin de favoriser le respect des normes internationales minimales de lutte contre la corruption énoncées dans la convention des Nations Unies contre la corruption et dans d’autres conventions internationales et régionales auxquelles ces pays sont parties. Dans le même esprit, la Commission appliquera plus systématiquement les dispositions relatives à la lutte contre la corruption qui existent déjà dans les bases juridiques de la coopération avec les pays partenaires, en procédant à des consultations spécifiques en présence de cas de corruption graves, et en infligeant des sanctions si des mesures appropriées n’ont pas été mises en place. » [8]
En dépit des chiffres avancés et des bonnes intentions affichées, l’aide au développement de l’UE n’échappe pas à la critique.
Des experts, des parlementaires européens et la Cour des comptes de l’Union européenne ont parfois la dent dure au sujet de la politique d’aide au développement de l’UE.
En 2008, le géographe Yann Richard voyait dans « L’Union européenne : un champion en trompe l’œil de l’aide publique au développement ». Il écrivait : « L’aide au développement de l’Union européenne, qui représente environ la moitié de l’aide annuelle mondiale, souffre de défauts structurels. Elle manque de cohérence et demeure dispersée. L’UE est le premier donateur dans de nombreuses régions du monde mais c’est une domination en trompe l’œil qui résulte de l’addition artificielle de l’aide versée par la Commission européenne et par les quinze pays de l’Union membres du CAD [Comité d’aide au développement]. Pris individuellement, ces pays n’exercent pas souvent une réelle domination dans les régions bénéficiaires. Et la part de la Commission dans l’aide totale de l’Union reste minoritaire. Tout cela nuit à la visibilité et à l’efficacité de l’Union et accrédite l’idée selon laquelle elle demeure un nain politique. La faible visibilité de son action en matière d’aide au développement réduit le capital politique qu’elle pourrait tirer de ces transferts financiers en terme d’influence. » [9]
La dispersion et le saupoudrage de l’aide européenne réduisent son efficacité. La multiplication des lignes budgétaires comme des règlements communautaires rendent difficiles son appréhension, aussi bien par les citoyens européens que par les pays bénéficiaires. L’inefficacité de la Commission européenne se trouve volontiers dénoncée. Faute de personnels suffisant, la Commission doit externaliser une part de la gestion de l’aide européenne, ce qui génère un manque de transparence et multiplie les irrégularités potentielles. Il existe une contradiction manifeste entre centralisation, contrôle, externalisation, dispersion et lutte contre les détournements.
Maxime Lefebvre écrit pour sa part, en 2011 : « Parfois, l’aide européenne est considérée comme « aveugle » politiquement, en ce sens quelle ne serait pas assez mise au service d’objectifs politiques. De nombreux exemples ont défrayé la chronique : inauguration par le secrétaire d’Etat américain, dans la deuxième moitié des années 1990, de l’aéroport de Sarajevo reconstruit essentiellement sur des fonds européens ; ou destruction par des bulldozers israéliens des infrastructures palestiniennes financées par l’UE ; ou délégation des fonds européens au PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) sans même que le drapeau européen apparaisse visiblement là ou l’argent est utilisé. » [10]
Le Parlement européen semble parfois encore plus critique.
Le Parlement européen a rendu public le 5 mai 2010 un rapport de la Commission du développement à la tonalité critique. [11]
Malgré son engagement en matière de cohérence des politiques au service du développement (CPD), « l’Union européenne mène des politiques qui nuisent aux objectifs de développement de plusieurs façons » [12], déplorent les députés européens.
La Commission du développement dénonce ainsi que :
« . dans les pays en développement, les marchés sont inondés de produits européens lourdement subventionnés, ce qui contribue à l’affaiblissement des infrastructures sociales et économiques de ces pays, aggrave la malnutrition et la famine et expose les agriculteurs locaux à la pauvreté et à l’aggravation de leur dépendance vis-à-vis de l’aide extérieure ;
. plusieurs pays, dont la Malaisie, l’Indonésie et la Colombie, ainsi qu’un nombre certains de pays africains consacrent une part importante de leurs terres arables à la production exclusive de biocarburants afin de répondre aux besoins de l’Union européenne en matière d’énergie renouvelable et ce, au détriment de la sécurité alimentaire et de la bio-diversité ; […]
. le document de la Commission [européenne] intitulé « une Europe compétitive dans une économie mondialisée », qui comprend la stratégie commerciale de l’Union européenne, montre que les stratégies politiques bilatérales et régionales de libre échange stimulent l’accès de l’Union européenne aux marchés des matières premières des pays en développement, y compris les matières premières agricoles, en les ouvrant à des grandes entreprises européennes, aux dépens des petits exploitants et des industries naissantes ;
. l’accès des pays en développement au marché de l’Union européenne se limite dans la pratique aux exportations de matières premières, moins taxées que les produits manufacturés. Cette politique cantonne les pays en développement au rôle de fournisseurs de matières premières de l’industrie européenne ;
. la libéralisation financière, y compris les flux financiers spéculatifs et volatils, sur lesquels les pays en développement n’ont que peu de contrôle, a engendré, au niveau international, une instabilité considérable qui a eu des conséquences désastreuses pour les économies des pays en développement ;
. les différents accords d’association et de libre-échange en cours de négociation risquent d’entraîner une libéralisation irresponsable des services bancaires et financiers, faisant ainsi planer au dessus de communautés déjà appauvrie la menace de produits financiers et de spéculations peu sûrs, de cas d’évasion fiscale, etc. ;
. en 2009, la Commission [européenne] à réintroduit les subventions à l’exportation pour les produits laitiers, lesquels sont essentiellement exportés dans les pays ACP [pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique, signataires des accords de Lomé et de Cotonou ], alors même que les marchés des pays pauvres demeurent sans protection. Ainsi, les prix mondiaux du lait sont supérieurs à ceux des pays ACP et la volatilité des cours a de graves conséquences pour les agriculteurs locaux et l’industrie des produits laitiers : elle a notamment provoqué une hausse brutale de la dépendance aux importations et nuit aux prix locaux. Au Nigéria, où 80% de la population est composée d’éleveurs, les importations de produits laitiers ont quadruplé depuis 1996 et 65% d’entre elles proviennent de l’Union européenne ;
. en tant qu’exportateur d’armes de premier plan, l’Union européenne exporte ou facilite le transport d’armes à ses frontières. Tout en versant des sommes considérables pour l’aide au développement, l’Union européenne exporte des armes, que ce soit directement ou indirectement, dans les pays mêmes où des millions d’euros sont dépensés au titre de fonds de développement (l’[ex]UE-15 dépense annuellement près de 70 milliards d’euros chaque année au titre des fonds de développement, alors qu’elle exporte des armes pour un volume d’affaires qui représente 360 milliards d’euros chaque année) ;
. par ailleurs, les nouveaux accords de pêche n’empêcheront pas la surexploitation des réserves halieutiques, les données scientifiques fiables qui permettraient de définir un niveau maximal de captures faisant souvent défaut. Les pêcheurs locaux ne disposent pas d’un accès prioritaire aux zones de pêches et continueront de pâtir de la concurrence des navires européens, dont la pêche est subventionnée ; dans ce cas, l’industrie de transformation locale, qui présente le potentiel de valeur ajoutée le plus élevé de la chaîne de production, ne reçoit que peu de soutien ;
. l’Union européenne a inscrit à son agenda politique les questions liées au développement durable, à la déforestation, à la perte de la biodiversité qui s’en suit, au changement climatique et à la diminution de la pauvreté. […] Néanmoins, pour ce qui est de traduire ses engagements dans la pratique, l’Union n’a pas accompli de progrès manifestes. […]
. s’agissant du changement climatique, l’Union ne réduit pas suffisamment ses émissions pour atteindre l’objectif des 2 degrés Celsius et ce, alors même que les pays en développement seront les premières victimes du réchauffement mondial des températures.[…] [13] »
Comme chacun peut le constater, la Commission du développement du Parlement européen n’est pas complaisante. Elle va même jusqu’à reprendre à son compte une accusation grave : « […] les subventions de l’Union aux exportations de produits agricoles européens ont un effet désastreux sur la sécurité alimentaire et le développement d’un secteur agricole viable dans les pays en développement » [14]. Voilà pourquoi la Commission du développement au Parlement européen « appelle à la suppression des subventions à l’exportation […] » [15]. Ce qui ne ferait pas l’affaire des agriculteurs – notamment français - qui bénéficient de ce système. En attendant, l’agriculture ne figure pas au nombre des cinq domaines d’action à mettre en cohérence avec l’aide européenne au développement. Faut-il y voir le fruit de l’influence de Paris ?
Donnons enfin le dernier mot à une institution de contrôle, la Cour des comptes européenne.
Succès mitigé : c’est l’expression qui résume le rapport spécial de la Cour des comptes européenne rendu public le 15 février 2011 au sujet de « L’aide au développement fournie par l’UE en matière d’éducation de base en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud » [16].
Globalement, les interventions de l’UE ont permis de réaliser certaines améliorations visées dans le domaine de l’éducation mais moins que prévu. En effet, seulement 45% des objectifs fixés dans les conventions de financement auraient été entièrement atteints, soit moins de la moitié. Les progrès réalisés ont été lents, modestes et partiels. De manière très diplomatique, la Cour écrit : « Le succès est mitigé, mais les réalisations ne devraient pas être sous-estimées. Celles-ci démontrent cependant à quel point une bonne gestion est nécessaire pour garantir que les fonds de l’UE sont correctement ciblés et qu’ils font l’objet d’un suivi afin d’en garantir une utilisation optimale [17] ». Qu’en termes choisis ces choses là sont dites.
La Cour des comptes européenne regrette que la gestion de la Commission européenne n’ait pas toujours permis de garantir la programmation et la mise en œuvre appropriée des interventions de l’UE.
Lorsque le mode d’acheminement de l’aide était l’appui budgétaire sectoriel, ce choix était généralement conforme aux orientations de la Commission. En Afrique subsaharienne, le recours de plus en plus fréquent à l’appui budgétaire général a limité nettement la définition d’objectifs et d’indicateurs détaillés pour l’éducation de base, et le dialogue sectoriel est moins approfondi. La Cour estime que la Commission n’a pas pleinement tenu compte des avantages que présentent les mesures visant à atténuer les risques fiduciaires telles que celles utilisées dans le cadre du financement groupé. Par ailleurs, les systèmes nationaux d’information de gestion en matière d’éducation sur lesquels s’appuie la Commission ne fournissent pas toujours en temps utile des informations suffisantes et fiables.
Et la Cour d’enfoncer le clou : « L’UE a fourni une aide au développement des capacités [à l’éducation] mais, dans la majorité des cas, celle-ci n’a pas fonctionné comme prévu. [18] »
Avec franchise, les magistrats constatent que dans ces programmes éducatifs, « la contribution de l’UE n’est qu’une contribution parmi d’autres, et la Commission [européenne] n’a aucun pouvoir direct sur la mise en œuvre. » [19] Aussi recommandent-ils de mettre en place des indicateurs et des objectifs réalistes comme de veiller à ce que les délégations européennes affectent du personnel possédant les connaissances et l’ancienneté nécessaires pour être en position d’obtenir des gouvernements partenaires que l’aide fournie par l’UE débouche sur les résultats escomptés, notamment en matière de qualité d’éducation.
Ainsi, l’étude de la politique d’aide publique au développement de l’UE conduit à un bilan en demi-teinte. Chacun aura noté que l’Union européenne est à la fois capable de produire un discours globalement auto-satisfait et de nourrir en son sein des éléments critiques, notamment au Parlement européen et à la Cour des comptes. C’est aussi à cela qu’on reconnait une démocratie, même imparfaite. Aux critiques institutionnelles présentées, il faudrait ajouter celles des Organisations non gouvernementales (ONG)… pour qui l’aide publique au développement de l’UE représente une ressource budgétaire, évidemment jamais suffisante. Aux critiques européennes mentionnées, il serait souhaitable d’ajouter des critiques extra-européennes.
Il conviendrait pour élargir la réflexion de se pencher sur les politiques d’aide publiques au développement des autres pôles de la Triade et des pays émergents. Rien ne permet d’affirmer qu’ils soient – a priori – au-dessus de toute critique.
Enfin, il conviendrait de s’intéresser de plus près aux usages de l’aide publique européenne au développement par les acteurs locaux. Et de se demander pourquoi les pays en développement continuent à pratiquer une évasion fiscale évaluée de 1 000 à 1 600 milliards de dollars chaque année.
Quel sera l’impact de la crise économique et budgétaire sur l’aide publique au développement de l’Union européenne ?
La part prévue par le budget de l’Union européenne pourrait rester hors d’eau mais la part financée par les Etats membres pourrait se voir rabotée. Si la France affiche en 2010 une forte augmentation en volume de son aide publique au développement (+16,9%), d’autres pays taillent déjà dans cette enveloppe. En 2010, l’aide publique au développement aurait baissé de 12% en Allemagne, 18,9 % en Irlande et 31,1% en Italie [20].
Si nous considérons non pas le volume mais la part de l’aide publique au développement en pourcentage du PNB, alors même la France revient en 2010 à peine au niveau de 2005, avec 0,46%. On reste donc loin des 0,7% souhaité par les Nations unies à l’horizon 2015. Ce ne sont pourtant pas les défis à relever qui manquent : la faim, l’accès à l’eau potable, l’accès à l’éducation, la mortalité maternelle, la mortalité infantile, les soins aux personnes infectées par le VIH/Sida…
Le Commissaire européen au développement Andris Pielbalgs a beau déclarer : « la crise ne peut être une excuse », rien ne permet d’assurer que l’Union européenne - au cœur d’une crise économique et monétaire – restera aussi généreuse à l’avenir. Ce qui pourrait faciliter encore la pénétration des pays émergents sur ce terrain, dont la Chine et l’Inde. Ces acteurs n’incluent aucune conditionnalité démocratique dans l’aide au développement qu’ils fournissent, ce qui les rend attractifs pour des régimes souvent rétifs à cette préoccupation. Leur faible intérêt pour la lutte contre la corruption rend la communication plus facile. En outre, les offres de leurs entreprises sont moins chères que celles des sociétés européennes. Les entreprises chinoises sont très actives dans le domaine des infrastructures (routes, chemin de fer, énergies). Les entreprises indiennes semblent appréciées dans le domaine de l’agriculture et des industries agro-alimentaires, le renforcement des capacités et le transfert de technologies intermédiaires.
Que l’UE se fasse tailler des croupières par les pays émergents sur le terrain de l’aide au développement… ne l’empêche pas de poursuivre son aide aux émergents qui connaissent, accessoirement, une croissance économique significative. L’UE a bien sûr des bonnes raisons à cela : maintenir la solidarité envers les populations les plus pauvres, soutenir les évolutions démocratiques dans les pays émergents et promouvoir ses intérêts. Cependant, chacun conviendra que le jeu devient de plus en plus subtil.
Aux défis démographiques, économiques, institutionnels et stratégiques, l’Union européenne doit donc ajouter la nécessité de défendre sa place dans la gouvernance mondiale de l’aide au développement. [21]
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Directeur du site géopolitique Diploweb.com. Distinguished Professor de géopolitique à Grenoble Ecole de Management (GEM). Directeur de recherche à l’IRIS. Directeur de séminaire à l’Ecole de guerre (Paris). Chercheur associé à l’Observatoire géopolitique de la Chaire Raoul Dandurand (Montréal, Canada). Auteur ou co-auteur en plusieurs langues de nombreux articles et ouvrages. verluise iris-france.org
[1] Source : Commission européenne, « Rapport annuel 2010 sur les politiques de développement et d’aide extérieure de l’UE et leur mise en œuvre en 2009 », p. 9
[2] Ibidem. p. 10.
[3] Maxime Lefebvre, La politique étrangère européenne, PUF, 2011, p. 74.
[4] Algérie, Arménie, Autorité palestinienne, Azerbaïdjan, Belarus, Egypte, Géorgie, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Moldavie, Maroc, Syrie, Tunisie et Ukraine.
[5] Manon Malhère et Joanna Sopinska, « CFP/Relations extérieures : des budgets développement et PEV en forte hausse », Europolitique, 1er juillet 2011.
[6] Commission européenne, « Communication sur la gouvernance et le développement », COM (2003) 615 final, et « Communication sur la gouvernance dans le consensus européen pour le développement : Vers une approche harmonisée au sein de l’Union européenne », COM (2006) 421 final.
[7] À titre d’exemple, l’initiative de soutien à la gouvernance dans les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, qui a pris la forme d’une ’tranche incitative’ de 2,7 milliards d’euros destinée à encourager la volonté politique de réforme.
[8] Communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen, « La lutte contre la corruption dans l’Union européenne », Bruxelles, 6 juin 2011, COM (2011) 308 final eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do ?uri=CELEX:52011DC0308:FR:NOT
[9] Yann Richard, « L’Union européenne : un champion en trompe l’œil de l’aide publique au développement », Confins, n°3, 2e trimestre 2008, publié en ligne sur confins.revues.org/document2793.html
[10] Maxime Lefebvre, La politique étrangère européenne, PUF, 2011, pp. 76-77.
[11] Parlement européen, session 2009-2014, Rapporteure Franziska Keller, « Rapport sur la cohérence des politiques européennes pour le développement et "l’aide publique au développement plus " », 5 mai 2010, A7-0140/2010, 28 p.
[12] Ibidem, p. 18.
[13] Ibid. pp. 18-19.
[14] Ibid. p. 7, point I.
[15] Ibid. p.13, point 45.
[16] Cour des comptes européenne, Rapport spécial n°12/2010, « L’aide au développement fournie par l’UE en matière d’éducation de base en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud », rendu public le 15 février 2011.
[17] Ibidem, point 75.
[18] Ibid. point 81.
[19] Ibid. point 82.
[20] Jessica Berthereau, La France premier contributeur à l’aide au développement de l’Union européenne, Les Echos, 15 avril 2010.
[21] Pour aller plus loin : Corinne Balleix, L’aide européenne au développement, Coll. Réflexeeurope, La documentation française, novembre 2010, 222 p.
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Date de publication / Date of publication : 5 février 2012
Titre de l'article / Article title : UE/APD : Aide au développement. Entre auto-satisfaction et auto-critique
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L’Union européenne s’affiche volontiers comme le premier pourvoyeur mondial d’aide publique au développement, loin devant les Etats-Unis, le Japon et les pays émergents. Cependant, l’aide de l’UE reste peu visible, peu cohérente et parfois peu efficace. P. Verluise présente pourquoi l’UE hésite entre auto-satisfaction et auto-critique au sujet de son aide au développement.
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