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"Europe and the Recognition of New States in Yugoslavia",

Richard Caplan

 

Présentation et discussion par Bertrand Vayssière, Maître de conférences à l’université de Pau

 

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Cambridge, Cambridge University Press, 2005, 229 p., ISBN 0-521-82176-2, 45 £.

Richard Caplan s’intéresse dans cet ouvrage au « second printemps des peuples » européen (p.1) du début des années 90, qui, lui, a vu la création de pays après l’écroulement de fédérations multinationales. L’auteur ne fait ici qu’un rappel des principaux faits, l’essentiel de son travail étant l’analyse de la réponse de la communauté internationale aux événements en ex-Yougoslavie, et essentiellement de l’Union européenne. Il essaie de démontrer que l’action de cette dernière représentait une innovation dans la politique de sécurité européenne, appuyée sur des éléments diplomatiques originaux : la « reconnaissance conditionnelle » comme instrument de gestion des conflits. C’est ainsi la mise en avant de normes qui a été le critère de base de cette politique de reconnaissance européenne, ce qui renvoie au droit émergent de la gouvernance démocratique, et à la notion de soft power qui serait aujourd’hui celle de l’UE, lui permettant d’accéder au rang d’acteur politique à part entière par la diffusion de ses valeurs. Le travail de Richard Caplan est donc l’occasion de mener une étude de cette politique et de ses conséquences stratégiques, à partir d’un cas qui rassemble plusieurs éléments : conflit interne, hostilités entre Etats, guerre ethnique. L’auteur a choisi de ne pas suivre un récit linéaire, mais une approche analytique, principalement à partir de la stratégie, du droit et des relations internationales, s’appuyant sur une centaine de documents officiels et d’interviews d’acteurs de tous les camps. R. Caplan a l’honnêteté de reconnaître que certains matériaux lui ont échappé (e-mails, téléphone), dont on connaît pourtant l’importante utilisation dans ce conflit, notamment en ce qui concerne les ordres relatifs au nettoyage ethnique. Cependant, il est vrai que l’essentiel de son analyse tourne autour de cette politique de reconnaissance européenne, dont il veut démontrer qu’elle a eu un rôle crucial dans les événements.

Le premier chapitre porte ainsi sur les origines et les termes de référence de cette politique, ainsi que les considérations politiques et stratégiques y afférentes. La décision prise le 16 décembre 1991 à Bruxelles de reconnaître pour le mois suivant Croatie et Slovénie (ces deux entités avaient déclaré leur indépendance le 25 juin), avait comme principaux avocats l’Allemagne et le Danemark. D’après l’auteur, ce geste n’est pas seulement fait pour sauver la face d’une UE déjà empêtrée dans ses contradictions, comme il est souvent dit (p.16) : il ne faut pas oublier un contexte général où les frontières peuvent être remises en question un peu partout en Europe après la chute de l’URSS (8 décembre 1991) ; d’ailleurs, l’Allemagne, comme l’ensemble des pays de l’UE, a d’abord plaidé pour l’unité du pays. Assez vite cependant, la question de la reconnaissance n’apparaît plus bientôt que comme une simple question de temps tellement les parties en présence sont peu enclines à transiger : les discussions commencent alors au sein de la Conférence sur la Yougoslavie que l’UE a mis en place fin août, instance dont la légitimité aura toujours du mal à s’affirmer. Dans le même temps, les pays européens n’étaient pas toujours sur la même longueur d’ondes, ce qui explique que certains (Dumas) aient voulu profiter des négociations qui se tenaient à Maastricht à ce moment-là pour établir une série de conditions à remplir et à exiger en commun pour la reconnaissance d’un nouveau pays. C’est ce document qui est adopté par les Douze le 16 décembre (un texte pour les pays de l’Est et l’URSS et un pour la Yougoslavie) : parmi les critères retenus figure l’adoption par le pays candidat des textes fondamentaux de la démocratie (Charte des Nations unies, acte final d’Helsinki, Charte de Paris) et les normes de base de la société internationale. La réponse est rapide et positive de la part de la Croatie et de la Slovénie (19 décembre), ainsi que de la part de la Bosnie et de la Macédoine (20 décembre), pays qui vont adopter des constitutions, et qui tous vont accepter le principe du respect du droit des minorités, faisant de ce dernier point un sujet de portée internationale. La Commission Badinter, qui devait rendre son rapport pour le 15 janvier, avait pour mission de juger si ces conversions étaient sincères, ou au moins comportaient suffisamment d’assurances pour l’avenir. Or, les Allemands, qui plaidaient depuis quelques temps pour la reconnaissance comme moyen d’internationaliser le conflit, annoncent le 19 décembre leur intention de reconnaître Croatie et Slovénie pour le 23, très vite suivie par l’Italie (le 20). On a pu, à ce propos, évoquer le retour des visées expansionnistes outre-Rhin, surtout lorsque Helmut Kohl a parlé, à propos de la reconnaissance, de « grande victoire pour la politique étrangère allemande » (p.43). Pour l’auteur cependant, ces accusations sont insuffisantes, dans la mesure où les intérêts économiques de Bonn dans la région sont insignifiants : Caplan pense au contraire que l’Allemagne aurait plutôt eu tendance à aller dans le sens de l’Europe avec une politique de « self-containment by integration » (p.44), tout en défendant le droit à l’autodétermination qui avait concerné le pays quelques mois plus tôt (et aussi, accessoirement, se méfiant d’une vague de migrants qui atteindrait l’Allemagne tôt ou tard). 

Le deuxième chapitre se concentre sur les éléments juridiques que comporte cette politique européenne de reconnaissance. Le modèle historique sur lequel s’appuie les relations entre souverainetés est déjà ancien, reposant sur le système westphalien, à travers lequel a été établi un système international basé sur une pluralité d’Etats indépendants. La question est de savoir comment ces différentes souverainetés traitent entre elles, et surtout comment un nouvel Etat peut naître dans un système par définition aussi fermé. En effet, comme le montre le cas contemporain de la Tchétchénie, les conditions juridiques de reconnaissance semblent tout de même masquer un choix politique sélectif qui réduit la portée d’un droit véritablement international. Les critères traditionnels reposent sur la Convention de Montevideo (1933), qui établit les critères de la souveraineté de l’Etat dans la loi internationale, reposant entre autres sur l’interdiction du droit d’ingérence. Depuis, l’autodétermination a assoupli ces critères (la décolonisation est passée par là) ; mais, même si certains Etats, parce qu’ils ne semblaient pas respecter certaines règles du droit international, ont été mis au ban de la communauté internationale (Rhodésie, Bophuthatswana), cette dernière, à travers la Charte des Nations Unies, a continué à refuser le droit d’ingérence (article 2-7). De fait, la reconnaissance ne peut pas créer d’Etats, mais confirme seulement que telle entité respecte les différents critères pour définir un Etat. Cela dit, si la reconnaissance est un état de fait, quel pouvait être le rôle de la commission Badinter dans le cas yougoslave ? En effet, ce type de structure apporte une dimension politique à l’acte de reconnaissance d’Etats qui peuvent ainsi avoir une grande influence sur le processus en cours (on peut dire la même chose quand il s’agit, toujours suivant le même point de vue porté sur les libertés ou la constitution, de ne plus reconnaître un Etat fautif) : dans ce cas d’espèce, une reconnaissance collective, comme celle que peut assurer l’UE, donne un poids certain et une influence capitale à cette politique normative que sous-tend le respect demandé des critères démocratiques de base. Cela dit, le rapprochement que fait l’auteur avec le Traité de Berlin de 1878 pour le respect des minorités nationales (p.61) n’est-il pas abusif ? L’évocation du principe de la reconnaissance collective à travers le respect des minorités, qui faisait partie du projet wilsonien, est plus juste, bien qu’en la matière la pratique en ait érodé une grande partie de sa portée. Dans le cas yougoslave, il y a continuité et rupture : l’UE se rend assez vite compte que la dissolution est inévitable, sans qu’on ne puisse l’accuser d’avoir voulu encourager des visées sécessionnistes. L’autodétermination prônée par les Allemands paraît une assez bonne idée, mais elle inquiète dans le cas des communautés serbes de Croatie et Bosnie, et elle annonce une politique de reconnaissance qui peut expliquer la suite des événements : la Commission Badinter, en effet, a suggéré, dans un souci de clarté et de fonctionnalité, de reconnaître en priorité les entités fédérales et pas celle qui étaient d’un rang en dessous (autant dire que le Kosovo était condamné d’avance, de même que, pour prendre un autre cas comparable , la Tchétchénie). 

Le troisième chapitre, centré sur l’étude des relations entre le droit international et la diplomatie, nous donne un bref aperçu sur la portée d’une législation universelle d’après les écoles réalistes et légalistes. Pour la première (Hans Morgenthau), la loi internationale n’est pas un critère, car « la survie des Etats n’est pas une affaire de droit » (Dean Acheson, cité p.78) : la vision est dite « réaliste », dans la mesure où chaque Etat développe sa propre stratégie. L’autre école (Robert Keohane) pense que les arrangements coopératifs dans un système globalisé peuvent faire l’objet d’institutionnalisations qui lient l’ensemble des acteurs. Pour en revenir au problème de la reconnaissance, Richard Caplan estime que cet acte a connu une évolution qui semble démontrer qu’une codification à l’échelle internationale est possible : la politique de reconnaissance telle qu’elle était pratiquée pendant la Guerre froide renforçait les principes fondamentaux du système westphalien (centralité de l’Etat, souveraineté de l’Etat et inviolabilité de ses frontières). Ce système a été accepté par les deux principaux belligérants, ce qui explique que les superpuissances n’aient jamais encouragé la sécession, même quand celle-ci pouvait les arranger (Katanga, Biafra, Erythrée). Avec la fin de la Guerre froide, une autre façon de procéder s’est imposée, dont l’UE a tiré partie dans le cas yougoslave : la loi internationale sert à établir une société des Etats démocratique, d’où le respect et la recherche de légitimité dans l’acte de reconnaissance. Dans ce cas de figure, la loi est certes formelle, mais elle finit par contraindre si elle est soutenue par une tendance en faveur de la gouvernance démocratique (qui, dans le cas de l’UE, anticipe les critères de Copenhague de 1993).  

Les conséquences stratégiques d’une telle approche sont étudiées dans un quatrième chapitre. Certains ont évoqué, à propos de la politique européenne, la peur de la tâche d’huile, et ont à ce propos accusé l’Allemagne, mais également l’UE, d’avoir reconnu trop rapidement Croatie et Slovénie, et d’avoir ainsi encouragé la Bosnie à suivre. Caplan estime que cette critique est exagérée : la Yougoslavie avait inauguré quelques années auparavant une politique de centralisation autoritaire, niant par nature les différentes minorités, et le facteur de reconnaissance ne serait donc pour rien dans l’escalade de la violence. Il est vrai qu’au départ l’UE ne souhaite pas légitimer le fait accompli, parfois pour des raisons idéologiques concernant certains gouvernements (il faut se rappeler l’attitude des socialistes, désireux de conserver une Yougoslavie à laquelle ils ont cru). Selon l’auteur, c’est l’usage de la violence par les Serbes qui a poussé à la reconnaissance, sans compter la détermination des entités en quête d’indépendance (provoquant la méfiance des Serbes vivant sur les territoires concernés, qui à leur tour déclarent leur indépendance, comme en Krajina, le 19 décembre 1991). La Bosnie-Herzégovine devait ainsi prendre la suite : malgré les préventions, l’UE choisit de la reconnaître le 7 avril 1992. Pour l’auteur, l’UE n’est cependant pas responsable d’un conflit qui aurait éclaté de toute manière (dès septembre 1991, des armes étaient apportées par Milosevic aux troupes paramilitaires de Karadzic). En revanche, en retardant la reconnaissance de la Macédoine, l’UE, otage de l’intransigeance grecque, a contribué à provoquer des tensions qui auraient pu dégénérer dans les Balkans en général. La question du Kosovo ne s’est posée qu’à partir du 28 février 1998, lorsque Belgrade entame une politique d’agression systématique contre la communauté albanaise. Avant, cette entité ne rentrait pas dans les critères de l’UE, qui a refusé de considérer la question lorsque cela lui fut demandé en décembre 1991. Une confirmation de cette attitude sera donnée avec les accords de Dayton, qui déçoivent beaucoup les kosovars : ces accords encouragent cependant ceux qui croient dans les territoires ethniques, effectivement dessinés à Dayton, et qui pensent que l’attention internationale est attirée par la guerre. 

Le dernier chapitre, sortant un peu du cadre yougoslave, s’interroge sur les potentialités de la reconnaissance conditionnelle comme moyen de gérer les conflits. Pour Caplan, cette politique annonce une approche nouvelle de promotion des droits de l’Homme, de démocratisation et de bonne gouvernance. D’autres politiques peuvent aller dans le même sens, en particulier en ce qui concerne l’aide économique en faisant pression sur un éventuel contrevenant. C’est cependant une « conditionnalité négative » (p.149) qui l’a emporté jusqu’ici (voir le plan Marshall, non dans l’esprit mais dans les faits). Des éléments plus constructifs sont apparus avec les critères imposés par la Banque mondiale ; cette tendance à vouloir inclure des éléments politiques s’est renforcée après la Guerre froide, impliquant des changements dans les politiques diplomatiques traditionnelles (voir la France après le sommet de La Baule en 1990) et dans les mentalités (des études ont ainsi montré que, contrairement à l’idée reçue, les régimes autoritaires ne sont pas plus efficaces en matière économique que les régimes démocratiques). De même, certains éléments conjoncturels semblaient aller dans le sens d’une nouvelle prise de conscience d’une loi internationale : les donneurs d’aide, tous situés principalement à l’Ouest, n’avaient plus à introduire des éléments sécuritaires dans leur politique extérieure, par pur anti-communisme, et pouvaient ainsi se montrer plus vigilants en matière de respect de la démocratie par les pays qu’ils aidaient (voir la décision prise par l’UE, le 28 novembre 1991, de prendre en compte, dans toute négociation avec les pays développés, les critères des droits de l’Homme et de démocratie). Cette apparente victoire des valeurs occidentales a pu être interprétée comme un tremplin pour le « néo-colonialisme ». Cela dit, elle ne marche pas avec tous comme le montre l’exemple chinois après Tiananmen : dans ce cas, les sanctions n’ont pas tenu parce que le marché est juteux et parce que la coopération du pays au Conseil de sécurité est recherchée. La politique de conditionnalité, l’auteur le reconnaît, ne pourra fonctionner que si elle est défendue de manière homogène et qu’elle puisse jouir d’un soutien interne. Cela peut parfois faire accélérer les choses (l’auteur cite l’exemple du règlement du vieux différend entre Roumanie et Bulgarie par l’intermédiaire de l’entrée de ces deux pays dans l’OTAN). L’utilité de la conditionnalité ne peut donc être prouvée qu’au cas par cas, mais, parce qu’elle contient en elle-même les espérances d’un ordre démocratique, c’est sans ambiguïté que Richard Caplan défend son existence (p.178). 

On comprend bien l’importance de ce dernier point pour le projet européen, essentiellement en matière politique : tout en maintenant l’existence de sociétés pluralistes en Europe, l’action de reconnaissance ferait partie d’un arsenal ambitieux et d’une approche commune justifiant enfin la confiance de l’UE dans l’influence dont elle peut disposer. Celle-ci doit non pas reposer sur l’imposition de valeurs, qui nécessitent forcément, au bout d’un moment, l’emploi de la force, mais sur la supériorité des « lois et normes » que devront s’engager à respecter tout nouvel Etat, signe de la reconnaissance des bases d’une véritable communauté internationale. 

L’analyse que fait Richard Caplan du problème de la reconnaissance d’Etat est complet, mais donne un point de vue qui, sur de nombreux points, nous paraît par moments un peu réducteur. La politique de reconnaissance de l’UE, pour être qualifiée de novatrice, devrait d’abord s’avérer cohérente : or, outre les balbutiements de départ que nous rappelle l’auteur, et qui en annonceront d’autres, à tel point que les Etats-Unis ont fini par intervenir dans une affaire dont ils se détournaient ostensiblement au départ, la reconnaissance européenne n’est-elle pas une simple conséquence de la politique violente et imprévue menée par les forces en présence sur le sol de l’ex-Yougoslavie (et donc s’est révélée être un facteur aggravant, comme a pu le dire le secrétaire d’Etat américain Warren Christopher) ? Peut-on, si l’on admet ce fait, dire que la politique de reconnaissance de l’UE était « conditionnelle » ? N’apparaissait-elle pas plutôt comme un dernier moyen de restreindre la violence et de circonscrire les conflits à résoudre, sans que cela ne réussisse outre mesure ? Il ne faut pas oublier l’enthousiasme de départ, lorsque la troïka représentée par Jacques Poos, Hans van den Broek et Gianni de Michelis s’est rendue sur place dès la fin du mois de juin pour proposer un cessez-le-feu aux parties en présence, pensant avoir démontré une force de réaction qui en imposerait par la suite. Or, une violation de ce cessez-le-feu a été presque immédiate, annonçant le déchaînement de l’horreur en dépit de toutes promesses et exhortations. Doit-on oublier le malaise que révéla très rapidement le problème de la reconnaissance au sein même des Etats européens ? L’ « Europe impuissante » entre dans les clichés communs, alors qu’en France on se met à parler de la « complaisance allemande » et du retour des « amitiés traditionnelles » (celle que la France éprouvait pour la Serbie en concurrence avec l’attirance des Allemands pour les Croates et surtout les Slovènes). Pendant très longtemps, les Européens ont été liés par le fait accompli sur le champ de bataille, ce que les milices pro-serbes ont très vite compris. L’UE n’a alors pas de vision très nette de la situation, à tel point qu’elle adopte des sanctions économiques contre… toute la Yougoslavie, faute de s’entendre sur « l’agresseur ». De toute manière, les autorités européennes se sont assez tôt dessaisies du dossier au profit du Conseil de sécurité, qui décrète l’embargo complet sur les livraisons d’armes en Yougoslavie le 26 septembre. Certes, la médiation communautaire a fini par aplanir les différences, et ceci n’aurait pas pu se faire sans un minimum d’accord commun : la re-nationalisation des politiques étrangères et de défense a pu ainsi être évitée, mais le recours au déclaratoire (que ce soit contre les Serbes, les Croates, les différents miliciens ou… les Grecs) n’a pas forcément annoncé l’heure d’une « nouvelle diplomatie » au sens wilsonien, sauf à tenir compte des Etats-Unis, qui se sont révélés une fois de plus « une puissance européenne », pour reprendre les termes de Richard Holbrooke. 

Caplan a raison lorsqu’il évoque le désaccord sur les principes et l’interprétation du droit international qui, à cette occasion, va mettre aux prises les Etats-Unis et l’Union européenne. Cette dernière a du endurer l’éternel dilemme des démocraties face à l’emploi de la force, et l’a fait sans mettre en péril l’unité européenne : dans les faits, le conflit ne s’est pas étendu ailleurs dans les Balkans, et l’UE a pu assurer la protection humanitaire de centaines de milliers de civils (et repenser les opérations de maintien de la paix à Petersberg, en juin 1992). Mais tout cela n’est pas forcément du à la politique de reconnaissance pratiquée par l’UE, comme semble le dire Richard Caplan : un Etat reconnu n’est pas forcément un Etat défendu, surtout lorsque les intentions de l’agresseur sont extrêmes. Il est vrai, à ce propos, que la guerre en Yougoslavie aurait pu représenter un enjeu politique majeur de défense du modèle démocratique occidental : cependant, le refus de voir triompher, dans le nouvel ordre européen, les réminiscences du nationalisme racial n’a pas été suffisant. Vouloir imposer des normes ne suffit pas si la dissuasion n’existe pas : difficulté éternelle de penser la violence pour la démocratie, déjà évoquée par Tocqueville et Weber, qui plus est entretenue par un siècle de mauvaise conscience coloniale et impérialiste. 

Avoir réussi à maintenir la cohésion communautaire sur un dossier aussi sensible est une victoire en soi, certes. Mais peut-on en conclure que les pays de l’UE ont ainsi fait triompher la démocratie ? L’affaire yougoslave a pour seul et principal mérite de révéler la nécessité d’élaborer une diplomatie préventive digne de ce nom, et de parfaire l’Europe de la défense. Cette conciliation de la protection des valeurs occidentales et des critères stratégiques est la seule à même de permettre à l’UE d’exister, et de peser dans le débat sur la normalisation par le droit à l’échelle internationale, face à d’autres puissances, alliées ou non, démocratiques ou pas, qui n’ont pas forcément la même vision, et du monde, et de la loi.

Bertrand Vayssière, Maître de conférences à l’université de Pau

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Date de la mise en ligne janvier 2007

 

 

 

   

 

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