Recherche par sujet

www.diploweb.com Géopolitique et diplomatie

 

"Les diplomates. Négocier dans un monde chaotique",

dirigé par Samy Cohen (CERI)

 

Mots clés - keywords: samy cohen, les diplomates, éditions autrement, ceri, acteurs étatiques et non étatiques de la diplomatie, jacques andréani, georges-marie chenu, lucile desmoulins, guillaume devin, michel doucin, françois heisbourg, christian graeff, didier leroy, françois scheer, hubert védrine, philippe zeller, joanna kuenssberg, marnix krop, états-unis, administration américaine, gestion de crise, présence française dans les balkans de 1991 à 1995, politique étrangère de la France.

 

Autrement, coll. Mutations n° 213, 182 pages, mars 2002

Voici un ouvrage passionnant pour qui s'intéresse au métier de diplomate, non pas tel qu'il est caricaturé mais tel qu'il se pratique au début du XXI e siècle. Avec une grande diversité de tons et d'approches, ce livre permet une plongée dans la vie quotidienne d'un métier finalement méconnu.

Une expérience plus que jamais nécessaire

Directeur de recherche au Centre d'études et de recherches internationales, Samy Cohen justifie ainsi le propos de l'ouvrage : "Même concurrencés par d'autres acteurs, étatiques et non étatiques, les diplomates conservent un rôle essentiel. Les contributions ici rassemblées le démontrent largement. Ce rôle est même à la hausse, pourrait-on ajouter, bien que les intéressés eux-mêmes n'en soient pas nécessairement toujours conscients. Car loin d'affaiblir l'Etat et les diplomates, les nouvelles turbulences mondiales renforcent leur potentiel d'intervention sur la scène internationale." (p. 5) "La fin de la bipolarité, le nouveau désordre mondial ne rendent que plus nécessaire l'intervention des Etats et en particulier celles des diplomates. Il devient plus important encore que par le passé de savoir comprendre et interpréter les changements internationaux, imaginer des solutions aux problèmes mondiaux, communiquer."(p. 14) Le temps de la négociation permanente est venu et les diplomates peuvent y apporter une sérieuse contribution.

Les coauteurs

Voici les coauteurs de cet ouvrage : l'Ambassadeur de France Jacques Andréani, le ministre plénipotentiaire hors cadre Georges-Marie Chenu, la chercheuse Lucile Desmoulins, le professeur des universités Guillaume Devin, le secrétaire général du Haut Conseil de la coopération internationale Michel Doucin, le directeur de la Fondation pour la recherche stratégique François Heisbourg, l'Ambassadeur de France Christian Graeff, le diplomate Didier Leroy, l'Ambassadeur de France François Scheer, le ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, le directeur général de l'administration du ministère des Affaires étrangères Philippe Zeller et - seulement - deux diplomates étrangers Joanna Kuenssberg (Royaume-Uni) et Marnix Krop (Pays-Bas).

Il est bien sûr impossible de rendre compte de la totalité des contributions, mais tordons le cou à trois idées fausses à partir de ces témoignages.

Cette publicité qui énerve tant le Quai...

Premièrement, le métier d'ambassadeur se bornerait à offrir des chocolats à de superbes jeunes femmes à l'occasion de réceptions mondaines. Le témoignage de Gilles Andréani, ambassadeur de France aux Etats-Unis de 1989 à 1995, brosse tout au contraire un emploi du temps épuisant et une charge complexe. De manière très utile, il présente une plongée pragmatique dans les coulisses du pouvoir fédéral, difficile à appréhender pour un Français habitué à la centralisation. "D'une façon générale, le pouvoir aux Etats-Unis est très morcelé. Les deux principales causes sont le rôle du Congrès et le système fédéral." (p. 45). L'auteur attire en outre l'attention sur la difficulté de gérer l'information : entre surabondance et manipulations, les pièges ne manquent pas. Cet article peut-être considéré comme un véritable mode d'emploi de l'administration américaine. Il sera, à ce titre, utile à plus d'un.

Au cœur de l'action

Deuxièmement, le métier de diplomate serait coupé des réalités. Le texte de l'Ambassadeur de France Christian Graeff apporte un démenti, sous le titre :"Tripoli-Beyrouth (1982-1987) : l'ambassadeur dans la crise". Ceux qui s'intéressent aux travers de la "diplomatie parallèle" liront avec intérêt la note 4, p. 117. Prises d'otages, trafic d'armes à démanteler, double diplomatie, assassinat de l'attaché militaire de l'ambassade de France … le chef de poste vit sous la dictature de l'urgence. "Elle laisse peu de place à l'analyse et à la réflexion approfondie sur le milieu et l'environnement ; elle se développe plutôt dans le pragmatique et le décisionnel. Vu sous cet angle, elle serait assez en contradiction avec le travail diplomatique classique. A chacun d'apprécier l'inconvénient ou l'avantage."(p.127)

Le drame du haut fonctionnaire

Troisièmement, le métier de diplomate serait forcément satisfaisant. Dans son texte intitulé "Balkans (1991-1995 : une amère expérience", le ministre plénipotentiaire hors cadre Georges-Marie Chenu avoue sa frustration pour ne pas dire son malaise. Après avoir notamment été responsable des observateurs français au sein de la Mission européenne, puis premier ambassadeur de France à Zagreb, il écrit : "Pendant les cinq années où j'exerçais des fonctions officielles dans la région, je découvris peu à peu que mon pays, l'un des plus engagés sur le terrain et dans les négociations, suivait une politique hésitante et molle, en décalage constant et croissant avec les évènements et, surtout, en flagrante contradiction avec nos grands principes éthiques et nos ambitions européennes et internationales. Au cours des trois guerres dont je fus le témoin, les autorités françaises s'accommodèrent aisément des souffrances extrêmes qui furent infligées à des populations européennes. En outre, elles acceptèrent que leurs ressortissants envoyés sur le terrain en mission de paix (observateurs, Casques bleus et humanitaires) soient exposés, comme leurs homologues étrangers, à de très grands risques, sans exiger que les Nations unies leur accordent une protection sérieuse. En bref, la France se comporta en partenaire européen timoré et cynique et en "mauvaise Mère"". (p. 129) Il est rare, et d'autant plus précieux, qu'un responsable de ce niveau s'exprime de manière aussi franche.

Cet livre rassemble bien d'autres éclairages intéressants, notamment celui de Didier Leroy:"Afghanistan (1993-1997) : une ambassade sans ambassadeur" ou bien celui de Philippe Zeller : "La protection de l'environnement : un exemple de diplomatie mondialisée."

Quel grand dessein ?

Quel que soit l'engagement de ses représentants, la France ne peut cependant faire l'économie … d'une politique étrangère. Comme cela a déjà été écrit ici voici 18 mois, Samy Cohen s'interroge : "Quelle grande vision, en effet, habite les dirigeants français depuis 1997 ? Quel grand dessein ont-ils à faire valoir ? La politique étrangère de la France est purement réactive, consistant à préserver l'Etat des nombreux facteurs d'érosion qui le menacent, à tenter d'enrayer le déclin de son influence sur la scène internationale. La diplomatie française se focalise de manière quasi-obsessionnelle sur la menace que fait peser sur sa marge de manœuvre l'"hyperpuissance américaine". Les dirigeants français ont développé une rhétorique galvanisante, certes, mais peu convaincante. Affirmer que la France est l'"une des sept ou huit puissances d'influence mondiale" apparaît comme un substitut du discours gaullien sur la "grandeur", qui est tout aussi éloigné de la réalité française. La politique étrangère française reste beaucoup trop souvent prisonnière de ses mythes. De quelle influence la France dispose-t-elle en Asie ou en Amérique latine ?"(p. 19).

"Pour que les diplomates puissent donner pleinement la mesure de leur capacité, encore faut-il que la France se dote d'une politique étrangère imaginative, qui ne se réduise pas à des mesures d'ajustements ponctuelles aux défis internationaux. Faute de quoi, les diplomates risquent de se voir confinés dans le rôle, peu glorieux, de gestionnaires du déclin de l'influence française sur la scène internationale." (p. 20)

Les nouveaux responsables sauront-ils entendre cet appel ?

Pierre Verluise

A consulter également : Bibliographie pour l'étude de la diplomatie à l'adresse suivante http://www.diploweb.com/diplomatie.htm

NDLR. A lire également: "La diplomatie en transformation", un dossier de la revue ENA Mensuel, janvier 2003, n°328. ENA Mensuel, 226 boulevard Saint Germain, 75007 Paris, France. Tél: 01 45 44 49 50. Abonnement d'un an: 47 euros, à l'ordre de l'AAEENA.

Copyright 20 avril 2002-Verluise/www.diploweb.com

L'adresse url de cette page est : http://www.diploweb.com/p6cohen1.htm

  Date de la mise en ligne: mai 2002

 

 

Plus avec www.diploweb.com

   

 

 

Un livre en ligne, réalisé à partir d'entretiens avec de nombreux diplomates

Quelle France dans le monde au XXI e siècle ?, par Pierre Verluise

 

   

 

 

 

   

 

  Recherche par sujet   Ecrire :P. Verluise ISIT 12 rue Cassette 75006 Paris France
      Recherche

Copyright 20 avril 2002-Verluise /www.diploweb.com

La reproduction des documents mis en ligne sur le site www.diploweb.com est suspendue à deux conditions:

- un accord préalable écrit de l'auteur;

- la citation impérative de la date de la mise en ligne initiale, du nom de famille de l'auteur et du site www.diploweb.com .

Pour tous renseignements, écrire : P. Verluise ISIT 12 rue Cassette 75006 Paris France