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www.diploweb.com Géopolitique de la Russie : Vladimir Poutine, an III

2 ème partie : 2002, l'année des illusions perdues ?

par Massada

 

Fin 2002, les gros investissements étrangers donnent l'impression de se ralentir. Les capitaux russes de retour au pays s'investissement rarement dans le secteur industriel. Les grandes entreprises - qui sont les plus gros contribuables - restent encore très en deçà de ce qu'elles devraient contribuer au budget de l'Etat. On observe de curieuses pratiques.

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Quel est l'état de la Russie post-soviétique au début de l'année 2003 ? La crise économique de 1998 avait laissé espérer un assainissement des investissements et du secteur bancaire russe. Ces espoirs ont été justifiés jusqu'en 2001. La production industrielle a beaucoup augmenté. Les investissements étrangers ont été assez importants. Le Kremlin a mis en œuvre quelques réformes en matière fiscale. Au 1er janvier 2002, le régime russe de fiscalité des personnes semble un des plus intéressant au monde, avec un taux de prélèvement de 13 %, toutes tranches confondues. Ce qui est très avantageux, particulièrement pour les tranches les plus élevées. Au moins dans un premier temps, cela a été de nature à convaincre les Russes de déclarer leurs revenus plutôt que de les occulter.

Il reste beaucoup à faire

Cependant, on a l'impression que la tendance positive amorcée en 1999 s'essouffle. Courant 2002, les bonnes résolutions semblent revues à la baisse. Résultat, les investissements directs étrangers se réduisent considérablement. Ils atteignent difficilement 30 milliards de dollars pour 2002. Ce qui représente peu à l'échelle de ce pays-continent et de ses gigantesques ressources naturelles. La réforme bancaire reste à faire. La Banque centrale russe est toujours dans l'impossibilité de procéder à la liquidation de plusieurs banques qui ont été partie prenante de la crise de 1998, laissant des créances énormes. Le gouverneur de la Banque centrale jusqu'au début de l'année 2002, Victor Gueratchenko, était assez frileux. Il a été depuis remplacé par Sergueï Ignatiev. V. Gueratchenko se caractérisait à la fois par son passé soviétique et par une politique monétaire assez conservatrice. Pour autant, l'encadrement mis en place à la suite de la crise a joué un rôle favorable, puisque les réserves bancaires se sont reconstituées grâce à l'obligation faite aux entreprises de convertir 75 % de leurs devises en devise locale. A l'automne 2002, les réserves de la Banque centrale russe avoisinent la valeur de 45 milliards de dollars en or et devises fortes.

Un compromis avec les oligarques ?

Cependant, Gueratchenko a évité d'affronter les autorités politiques. En effet, les banques qui ont fait défaut étaient principalement adossées à de gros groupes industriels du complexe des ressources naturelles. Ces structures pèsent très lourds dans la balance commerciale de la Russie et dans l'emploi de la population. L'obligation de transférer 75% des revenus en monnaie forte en rouble vise essentiellement ces groupes. Parce qu'ils vendent du pétrole, du gaz, du diamant, de l'or … contre des dollars. Ces derniers sont pour une part convertis en roubles et viennent grossir les réserves de la Banque centrale de Russie. Ces groupes avaient souvent mis en place des banques. C'était le cas de Gazprom pour Gazprombank, de Menatep, qui détenait d'importantes participations dans le groupe Youkos .

Après avoir été très agressif à l'égard des oligarques, V. Poutine a été amené à faire un compromis. En échange du retour tacite d'une partie des avoirs de ces groupes en Russie à des fins d'investissement, l'Etat a abandonné les poursuites judiciaires engagées après la crise de 1998. Ces groupes se sont donc maintenus, sans avoir pour autant mis en place les règles opérationnelles que l'on peut connaître dans les pays Occidentaux. Par exemple qu'une entreprise précédemment en difficulté qui commence à se rétablir doit progressivement rembourser les petits porteurs… ou les gros porteurs.

L'Allemagne ferait-elle un deal ?

En effet, le Club de Paris et le Club de Londres sont toujours à l'affût pour le remboursement de la dette soviétique et russe. Même si durant les trois dernières années des accords ont été réalisés à ce sujet. Par exemple, l'Allemagne Fédérale - premier créancier de l'URSS au moment de la suspension du paiement de la dette extérieure, en 1991 - a accepté de transférer une partie de ses créances en participations dans des entreprises russes. L'accord remonte à l'an 2001,mais fin 2002 on ignore quel volume de ces créances au bénéfice de l'Allemagne a été transformé en participation dans des entreprises russes. Ces chiffres ne sont pas disponibles. Soit parce que l'opacité satisfait toutes les parties en présence, allemandes et russes. Soit parce que la mise en œuvre reste si ridicule qu'il n'est pas souhaitable pour les Allemands de mentionner publiquement leurs prises de participation. Il est vrai que les groupes allemands ne sont pas les plus actifs en Russie en 2002.

On peut se demander si l'Allemagne à travers cette opération ne cherche pas à effacer discrètement la dette russe sans que cela se sache trop. Ou du moins qu'elle a garanti une partie de dette jugée non recouvrable avec de supposées meilleures conditions qui finalement ne le sont pas. Ce qui forcerait finalement l'Allemagne à "reswaper" sa dette, pour finalement l'abandonner dans un certain nombre d'années. Il ne s'agit, bien sûr, que d'une hypothèse. Ce qui ferait encore plus peser son coût sur le contribuable Allemand. L'oubli de la dette servira peut-être un jour à "acheter" l'enclave de Kaliningrad, ex-Koenigsberg.

Voir une carte de Kaliningrad

Que font les Etats-Unis ?

Les Américains, eux, ont une conception plus stratégique de leur gestion des créances russes à leur égard. Ils ont réussi, certes de manière imparfaite, à s'assurer du démantèlement de la Russie. Je n'évoque pas ici seulement le démantèlement d'une partie de la force nucléaire mais aussi de celui des élites russes. L'aide publique des Etats-Unis s'élève à 1 milliard de dollars. Celle-ci va essentiellement à l'octroi de bourses à des chercheurs des sciences dures et à des transferts de brevets ou de laboratoires, ainsi qu'aux médias. Les Américains se portent également depuis fin 2001 vers le secteur de l'énergie et pour cause dans un contexte international où les pays du golfe sont des alliés moins sûrs.

Les Russes gardent une marge de manoeuvre considérable

Il y a d'autres pays créanciers pour lesquels on peut penser qu'on se dirige vers un abandon progressif des dettes, même si la Russie dispose fin 2002 de 45 milliards de dollars de réserve officielle. Ce qui la mettrait en mesure de rembourser progressivement non seulement les remboursements au Fonds Monétaire International et à la Banque Mondiale, mais encore au Club de Paris et au Club de Londres. Or, elle a réussi à obtenir une décote importante.

Elle pourrait payer bien davantage. D'autant que les scénarios de règlement ont été faits en 2001 avec un prix du barril de pétrole à 18 dollars. Alors qu'à l'automne 2002 le baril monte à 30 dollars. Soit une considérable augmentation des revenus réels, presque un doublement. Ce qui laisse à la Russie une marge de manœuvre colossale. Il s'agit de milliards de dollars qui sont générés chaque mois. Sont-ils ensuite récupérés par l'Etat ?

Le taux de collecte de l'impôt reste insuffisant

Même s'il y a eut des récupérations de l'Etat pour les déclarations fiscales des entreprises et des personnes, l'embellie de 2001 ne s'est pas confirmée en 2002. Le taux d'imposition de 13 % reste pourtant très incitatif quand on a des revenus non déclarés ou illégaux. Il subsiste fin 2002 en Russie la pratique d'une double comptabilité. D'un côté une comptabilité officielle, et à côté une "comptabilité noire". Cette pratique est clairement généralisée et acceptée, quasi institutionnalisée.

Le taux de collecte de l'impôt reste insuffisant, en dépit de campagnes de communication intéressantes, faisant le lien entre le non-versement de l'impôt et l'avenir des systèmes de retraite ou d'éducation. Pour autant, les résultats restent assez piètres. Les grandes entreprises - qui sont les plus gros contribuables - restent encore très en deçà de ce qu'elles devraient contribuer au budget de l'Etat.

Ces groupes industriels des ressources naturelles ont de très bons relais au Kremlin, dans l'entourage de Vladimir Poutine et dans d'autres ministères. Résultat, la Banque centrale n'a pas été politiquement en mesure de procéder à la liquidation de banques aux avoirs pourris, avec de grosses créances à rembourser. Elles n'ont toujours pas entamé leur remboursement aux porteurs alors qu'elles disposent maintenant des réserves nécessaires. Ce qui est une grande déception quant à la réalité de l'économie russe en 2002.

Investisseurs attentistes ?

Deuxième grande déception, le tassement de la croissance économique. La crise de 1998 avait provoqué une dévaluation du rouble engendrant le renchérissement de nombreux produits d'importation. Résultat, les groupes russes comme les groupes étrangers installés en Russie ont donc été obligés d'investir sur place pour continuer à être concurrentiels et augmenter leur part de marché. Nestlé et Danone, par exemples, ont massivement investi dans des usines de transformation du lait. Les autres grands investisseurs de la fin des années 1990 et du début des années 2000 sont Caterpillar, Stimorol, Parmalat, Wolkswagen. Plus récemment, les gros groupes de distribution ont fait leur entrée : Metro, Ikea, Spar, Ramstor, Auchan, Leroy-Merlin. Carrefour a des projets mais le dossier n'est pas encore opérationnel fin 2002. Pour les Russes, on a les groupes comme Youkos, Will Bin Dam Interros…

Fin 2002, ces gros investissements donnent l'impression de se ralentir. Certes, General Motors a fait de gros investissements, avec Jigouli/Autovaz. Pour autant, il n'y a pas eu beaucoup de gros coups. S'agit-il d'une phase de consolidation ? On peut le penser, c'est un scénario. Plus probablement, on peut supposer qu'après la frénésie de 1999 certains groupes ont déchanté, compte tenu de la modestie des réformes véritablement engagées, mis à part sur le plan fiscal. Fin 2002, les investisseurs semblent donc dans une position plus attentiste que par le passé.

Que deviennent les capitaux russes de retour au pays ?

Il importe de noter, par ailleurs, que la source principale d'investissements en 2002 est Chypre…Il s'agit en fait de capitaux russes qui ont fuit dans les années 1990 à Chypre pour échapper à la forte pression fiscale des années Eltsine. Compte tenu d'une pression fiscale réduite par Vladimir Poutine, avec de surcroît un accord de non-double imposition qui est en train d'évoluer vers des termes moins favorables, ces capitaux sont revenus en Russie.

Pour autant, il faut savoir que ces capitaux de retour au pays s'investissent peu dans le domaine productif industriel ou agricole. Ils s'investissent essentiellement dans la propriété foncière. En effet, il y a eu une importante réforme du code de la propriété foncière en 2001-2002, avec la possibilité d'acquérir du foncier en domaine urbain. Même si le cadre légal reste imparfait, on voit désormais dans le centre de quelques grandes villes de l'Ouest comme Moscou ou Saint-Pétersbourg des immeubles sortir de terre par dizaines. Avec des prix du mètre carré avoisinant 3 500 dollars dans le centre de Moscou pour de l'immobilier de gamme moyenne… Encore faut-il préciser que les finitions ne sont pas faites. A l'intérieur de ces quatre murs, il reste à faire les cloisons et l'aménagement des sanitaires. Il faut donc rajouter près de 1 000 dollars au mètre carré.

On observe dans les zones boisées à la périphérie de Moscou la réalisation de villages communautaires de luxe, avec école, terrains de sports … Le ticket d'entrée est à 1 million de dollars. Avec cela, vous pouvez acheter une petite maison. Si le client veut un peu plus, l'addition monte très rapidement.

En l'absence de cadastre, nous ne sommes pas en mesure de savoir qui achète quoi et où avec ces capitaux de retour.

Des hommes d'affaires habiles…

En revanche, la propriété de la terre reste un sujet sensible. Il est vrai que certains seraient capables d'acheter des millions d'hectares. On observe, cependant, que certains grands groupes russes adossés à l'exploitation des ressources naturelles ont déjà commencé à acheter discrètement de la terre. Compte tenu de leurs relations au niveau régional avec les gouverneurs, ces groupes achètent massivement du terrain. Interros - ex-Menatep - est dans ce cas de figure. Ce groupe a été créé par Potanine, un homme qui a eu plusieurs mandats d'arrêts internationaux contre lui avant d'être blanchi par la Procurature russe… Il serait intéressant de savoir comment les actifs de Menatep, banque en faillite dont une partie des actifs venaient de Youkos, ont pu être transférés pour échapper à une liquidation. Youkos est aujourd'hui un groupe indépendant, mais dans quelle mesure d'autres actifs ont-ils été transférés pour constituer Interros ? En 1999, Youkos pesait environ 300 millions de dollars. Fin 2001, Youkos pesait 23 milliards de dollars. Nous nous trouvons donc en face d'un rythme de croissance qui sont beaucoup plus impressionnant que ce que nous pouvons connaître en Europe de l'Ouest. Le patron de Youkos, Monsieur Khodorovsky, a une fortune personnelle estimée à 7, 5 milliards de dollars (Fortune, 2002). Il n'avait pas la moindre fortune personnelle voici quinze ans. Il a été habile.

Comment de petits exploitants pourraient-ils voir le jour ?

Ces groupes sont donc en train de racheter de la terre, avec le risque de mettre en place des politiques latifundiaires. Alors que le secteur agricole russe a besoin de petits producteurs pour rompre avec la tradition soviétique des kolkhozes et des sovkhoses. Or, le petit producteur ne pourra se mettre en place qu'avec une terre qui lui est propre. D'ailleurs, peut-être faudrait-il mettre en place des baux à 49 ans qui lui permettrait d'accumuler un capital initial, avec un droit de préemption qui lui permettrait d'acheter cette terre au terme des 49 ans. Qu'il ait la possibilité - pour l'inciter à investir - de devenir un jour propriétaire de sa terre. S'il ne doit être qu'un locataire de la terre avec le risque de subir les pressions de plus gros opérateurs pour faire baisser les prix, pourquoi prendrait-il des risques ? Dans ce cas, le groupe des petits exploitants agricoles productifs ne percera jamais en Russie. Partie suivante >

Massada

Entretien avec Pierre Verluise

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  Date de la mise en ligne: janvier 2003
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