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Chine: ambitions, réalité, futur et coopérations stratégiques. 

Par le général (CR) Daniel Schaeffer

Consultant senior International Focus, Chine et Asie du sud-est.

Ancien attaché de défense auprès des ambassades de France à Bangkok, Hanoi et Pékin.

Jusqu’à quel point est-il possible de coopérer avec la Chine ? Où faudrait-il savoir s’arrêter? L'expert tient ici un langage argumenté destiné à provoquer la réflexion et le questionnement afin de mieux penser la manière d’aborder la Chine. S’agit-il de l’aborder avec naïveté, de continuer à lui apporter sans contrepartie suffisante comme on le fait parfois? Ou s’agit-il de prendre des précautions légitimes, en particulier celle de se former à toutes les nuances, toutes les subtilités de l’approche du marché chinois ? Il est fondamental d'étudier vraiment le marché chinois avant de s'y aventurer et d'analyser sérieusement l’intérêt à long terme pour sa société d’aller ou de ne pas aller en Chine. En tout cas, il ne faut pas y aller n’importe comment, sur un engouement, sur un coup de cœur, ou pour souscrire à l’effet de mode.

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le diploweb.com est heureux de vous présenter un extrait des minutes du Point de Veille organisé par International Focus « Chine – Corée – Japon : enjeux technologiques, enjeux stratégiques ».

Biographie de l'auteur en bas de page.

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Dans ce collège restreint qui nous rassemble, j'exposerai ma perception des choses en matière d’enjeux technologiques et d’enjeux stratégiques dès lors que la Chine se développe, à la vitesse que vous observez, dans de nombreux domaines. Dans cette perspective, il s’agit d'envisager jusqu’à quel point, avec en ligne de visée permanente les intérêts de sa propre entreprise, de notre pays, de l'Europe d'une manière générale, il est possible de coopérer avec la Chine et, dans ce cadre, de déterminer là où il faudrait savoir s’arrêter. Mon discours pourra parfois paraître très direct, mais cela peut toutefois favoriser la réflexion.  

Depuis 1978 la Chine connaît le développement extraordinaire que l'on sait grâce au lancement du programme des « quatre modernisations », programme que je rappelle rapidement ici :

- L’agriculture qui, malgré les perpétuels discours, reste le parent pauvre du développement économique chinois ;

- L’industrie ;

- Les sciences et la technologie ;

- La défense, sachant que, au fur et à mesure que la Chine se développe, tout le système de défense chinois bénéficie du développement économique du pays autant que du développement industriel et que du développement des sciences et des technologies.

Ainsi, les Chinois ont mis en premier la priorité sur l’industrie. Et puis, un jour, ils ont porté l’accent sur le développement des sciences et de la technologie avec plusieurs orientations qui sont soit approcher, soit égaliser, soit dépasser les niveaux occidentaux. Ces orientations sont présentes dans les différentes directives qui ont été données par les échelons centraux. L’objectif est également de cesser de redécouvrir « l’eau tiède ». Les Chinois se sont en effet aperçus qu’en acquérant tel ou tel type de matériel à une date donnée, puis en l’analysant, ils réussissaient, grâce à cette analyse, à le reconstituer vingt ans après. Autant dire que dans ces conditions le matériel en question en était au stade de l'obsolescence. Cela ne touche évidemment pas les DVD et autres technologies relativement faciles à copier. Je parle ici de matériels assez complexes tels que le matériel militaire, les machine- outils, etc.

L’objectif fixé est désormais de développer, chaque fois que possible, un matériel chinois parce que les Chinois se sont aperçus que les Occidentaux, malgré leur volonté de coopérer avec eux, cherchaient toujours finalement, pour conserver une vitale longueur d’avance, à ne leur délivrer que la technologie n-1. Les Chinois se sont dits : « Cette situation a suffisamment duré. Nous allons désormais essayer de nous débrouiller seuls ». Ce qui n’empêche pas la Chine, qui connaît encore des lacunes sur le plan technologique, de continuer à s’adresser aux Occidentaux et aux Russes pour en obtenir toujours davantage.

Je dois ajouter un élément aux raisons qui ont amené les Chinois à essayer de se débrouiller par eux-mêmes et à avancer aussi vite sur le plan technologique. A partir du moment où ils ont pris conscience qu’il n’était en fin de compte pas rentable d’analyser un matériel pour le reproduire ensuite tel quel, ils ont décidé de procéder par bonds technologiques. C’est-à-dire qu’ils ont résolu de sauter les étapes des générations antérieures, pour démarrer à partir de technologies abouties de dernières générations.

C'est à partir de l'ensemble de ces considérations que les Chinois vont progressivement déployer tout l’éventail des mesures destinées à attirer les investissements étrangers en Chine. Nous partons de 4 zones économiques spéciales en 1980 pour arriver aux 14 zones frontalières de coopération économiques en 1992 et aujourd'hui à très grande partie du territoire chinois. Je réserve une autre série de zones économiques pour la bonne bouche.

 

Les ambitions chinoises liées aux technologies

Comment ces décisions de développement scientifique et technologique ont-elles été prises ?

Ces décisions ont été prises en 3 phases : 1986, 1995, et 2006.

- Le temps des initiatives (1986) :

Quatre savants chinois sont allés rencontrer le Bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois et y ont tenu ce langage : « La situation actuelle ne peut plus durer comme cela. Nous avons des idées, nous avons des cerveaux. Il faut que nous parvenions à nous débrouiller seuls. ». C'est à partir de cette initiative que sort le fameux programme 863 (signifiant mars 1986). Sept axes prioritaires de recherche sont fixés. Pourquoi sept seulement et non pas plus ? Tout simplement parce que les Chinois ont pris conscience que leur capacité budgétaire de l’époque ne leur permettait pas de coiffer tous les axes possibles d'activité. Ils en ont donc défini un certain nombre. Ce fut la porte ouverte à toutes les inventions possibles et inimaginables. Cela a abouti à des résultats tout à fait intéressants autant qu'à de multiples trouvailles plus farfelues les unes que les autres.

- L’accélération du développement scientifique et technique (1995) :

En 1995, le pouvoir central réagit à cette effervescence intellectuelle désordonnée et déclare qu'il vaut beaucoup mieux cerner les activités de recherche et de développement, de façon en particulier à éviter les pertes de budgets et les pertes de matières grises. Ce fut la fameuse décision sur l’accélération du développement scientifique et technique prise au mois de mai 1995.

- Le maintien des orientations (2006) :

En janvier 2006, toutes les orientations fixées en 1986 ont été maintenues, soit en les remodelant, soit en les élargissant, et en introduisant en particulier la question des nanotechnologies.  

Il est un autre temps sur lequel il faut particulièrement insister. C’est celui de 1988, époque qui voit naître le programme « Torch ». Qu’est-ce que le programme « Torch » ? C’est d'abord un programme qui naît d’une décision du Conseil d’Etat, donc du gouvernement, avec comme objectif d’accélérer le développement de l’intégration des technologies de pointe dans les procédés industriels de fabrication. Avec, dans cette affaire-là, pas simplement quelque chose qui concerne la Chine elle-même, mais également - et c’est pour cela que je l’ai traduit en point d’alerte pour nous - une forte orientation vers l’extérieur en matière de recherche de l’information. En effet, au sein du bureau du programme « Torch», qui lui-même se situe au sein du Ministère des Sciences et de la Technologie, nous avons deux divisions qui nous intéressent à ce propos spécifique :

- La division « information et renseignement » et là, les Chinois sont clairs, ils parlent bien de renseignement.

- La division du développement international.

 

À partir de là sont créées les fameuses zones de développement industriel des hautes technologies (ZDIHT) qui sont au nombre de 53. Autrement dit, des pôles de compétitivité en Chine avant que la moindre notion n’émerge effectivement chez nous. En raison de leur spécificité, ces zones, ces ZDIHT, ne sont pas à confondre avec les autres zones de développement économique. Il en existe, en effet, de tous types : des zones de développement économique côtières, des zones de développement économiques et technologiques… Mais les ZDIHT sont vraiment spécifiques avec comme objectifs, en « intra-chinois » d’industrialiser les produits de la recherche, et en international, d’attirer non pas toutes les technologies, mais les technologies de pointe et les assimiler. Au passage, l’on fait bénéficier la Défense de ces avancées-là. C'est-à-dire qu’une coopération qui se fait en vertical comme, par exemple, sur le plan électronique, électromagnétique, etc… avec une société d’une ZDIHT, en transverse, en horizontal, nous avons des contingents de scientifiques militaires qui visitent les entreprises pour repérer toutes les technologies qui pourraient être applicables aux produits de défense, et en ce sens  récupérable au profit de l’industrie chinoise de défense.

 

Les réalisations chinoises sur le plan technologique

Comment cela s’est-il traduit sur le plan pratique ?

Essentiellement, en lançant beaucoup plus à fond les travaux de recherche fondamentale et de R&D avec les trois organismes centraux que sont :

- L’académie chinoise des sciences.

- L’académie chinoise d’ingénierie.

- La fondation d’Etat pour les sciences naturelles.

Sachons que, lorsque l’on parle ici de sciences naturelles, il n’est pas question de biologie, mais de recherche fondamentale.

Nous avons également 60 universités subdivisées en académies, instituts, laboratoires. Nous avons une myriade d’organismes qui se situent au niveau des provinces. Voici quelques noms, histoire d’illustrer certaine de leurs activités, mais il y aurait un véritable catalogue à réaliser :

- Université de Qinghua (Pékin) : réacteur nucléaire expérimental.

- Institut technologique de Pékin : une division laser.

- Institut de la physique des hautes énergies (Pékin) : accélérateur de particules en montée en puissance pour l’automne 2007.

- Et bien d'autres encore.

154 laboratoires-clés ont été également désignés pour opérer dans un certain nombre de domaines. À tel point que la Chine est en passe de devenir le 2ème investisseur mondial en R&D avec 136 milliards en 2006. Déjà en 2005, l’UNESCO avertissait en intitulant un livre blanc « China challenging US and Europe in scientific research ». Que cela soit dit !

 

Quels sont les moyens utilisés par les Chinois ?

Les moyens d’appui sur l’étranger sont multiples.

D’abord, la coopération éducationnelle. Il y avait à l’étranger 110 000 étudiants en 2004, mais le chiffre est aujourd’hui en régression. Il est en régression non pas parce que les pays étrangers ne veulent plus de Chinois, mais simplement parce que les Chinois estiment avoir suffisamment de monde étudiant à l’extérieur du pays.

De cette population de Chinois à l’étranger, un quart seulement revient immédiatement au pays. En France, nous avons approximativement 15 000 Chinois dans les universités et diverses écoles ou instituts. Sur ces 15 000, 1600 sont intégrés dans nos grandes écoles, se répartissant entre 1000 en écoles d’ingénieur et 600 pour tout ce qui est gestion de projets. Car il est reconnu par de nombreux spécialistes que l’un des gros problèmes des Chinois réside dans leur difficulté à conduire des projets de grande envergure. C’est en ce sens que, lorsque EADS signe un contrat pour la construction d’une ligne d’assemblage de 150 avions, il signe d'abord un transfert de savoir-faire en gestion de projets aux Chinois puisque, sur l’ensemble des appareils, seulement 7% des éléments seront fabriqués en Chine. Tout le reste continuera d’être fabriqué en Europe.  

Le deuxième apport est celui de ceux que j’appelle « les Retours d’Occident ». J’ai mis entre guillemets cette expression car, à l’époque où nous avons contribué au "dépeçage" de la Chine, à la fin du 19ème siècle, les Chinois ont commencé à venir en Occident, pour s’y former… Ceux qui en revenaient, enseignaient à leur tour au pays ou y travaillaient, étaient ainsi nommés les "Retours d’Occident". Nous sommes au 21e siècle et, compte tenu de la politique chinoise de formation d'élites à l'étranger, nous pouvons considérer cette catégorie des "retours d'Occident" existe toujours. Ainsi, 80% des chercheurs de l’Académie chinoise des sciences reviennent d’Occident, 54% de ceux l’Académie chinoise des sciences de l’ingénieur reviennent d’Occident, etc…  

Troisième volet via lequel la Chine acquiert de l’information : la coopération scientifique et technologique. Et je désigne en tête l’AFCRST (Association Franco-Chinoise pour la Recherche Scientifique et Technique) que j'ai déjà citée précédemment. Je nomme en deuxième lieu le LIAMA (Laboratoire franco-chinois d’informatique, d’automatique et de mathématiques appliquées), qui est une belle opération franco-chinoise dont Pierre Nepomiastchy vous parlera… Ceci juste pour citer quelques beaux exemples parmi d’autres. 

Autre source de récupération de technologies de la part des Chinois : les implantations de centres internationaux industriels de R&D. 750 en moins de quatre ans. En fait, ce n’est pas tout à fait exact : on devrait dire 550 en moins de 4 ans puisqu’en 2002, il y en avait déjà 200 installés. Siemens en a installé 7, Ericson 6, et tout à l’avenant. Le premier Français installé, ce fut Alcatel qui s’est établi à Shanghai, avec Shanghai Bell, en misant sur l’immense promesse du marché chinois de la téléphonie mobile.  

Nous avons également les prises chinoises de participation dans les projets internationaux. Les Chinois sont entrés immédiatement dans Galiléo en offrant une participation financière assez conséquente. Ils sont aussi intéressés pour entrer dans le projet Iter. Ils sont également intéressés pour contribuer aux expériences du futur accélérateur linéaire international de particules, en cours d’installation dans la région de Genève, si je ne me trompe pas.  

 

Qu’est-ce que tout cela donne sur le plan des réalisations concrètes ?

Je ne m’étends pas et ne m’engage pas beaucoup en disant qu’elles sont multiples en tous domaines, avec priorité fixée aux différents plans, ce qui nous ramène au plan 863 et à la 4ème conférence nationale du début du mois de janvier.

Cela se traduit par des publications technologiques où les Chinois sont en passe de rattraper les Etats-Unis quant à leur nombre. Aujourd’hui, ils se placent en deuxième position, à égalité avec le Japon et l’Allemagne. En revanche en ce qui concerne la qualité des travaux, ils ont encore un petit peu de chemin à réaliser car, au niveau des travaux cités, ils arrivent en 14ème position. Ce qui, en fin de compte est loin d’être mal. L’on notera en particulier, et cela m’a été confirmé lors de mon voyage à Pékin au mois d’avril 2006, que les Chinois réalisent une vraie percée dans le domaine des nanotechnologies.

Voici quelques chiffres sur lesquels nous pourrons revenir :

- 2003 : 4 500 publications ;

- 2004 : 5 100 publications ;

- 1994 : 12 000 citations ;

- 2003 : 71 500 citations.

 

Sur le plan de l’industrialisation, comment cela se passe-t-il ?

Au premier niveau, les Chinois ont tiré des gains conséquents des investissements directs étrangers, non seulement dans les ZDIHT, mais également dans toutes les autres zones économiques puisque les étrangers peuvent également y investir.

Le différentiel est important puisqu’en 1991 l’on était seulement à 4 milliards de $ d’investissements directs étrangers en Chine et, en 2005, nous en sommes arrivés à 72,4 milliards de $.

Les Chinois ont également tiré quantité de bénéfices des sociétés à capitaux mixtes, de la coopération internationale. A titre d’exemple la China National Offshore Oil Company (CNOOC), qui savait très peu faire dans le domaine il y a une dizaine d’années en matière d’exploration – exploitation Off Shore, se débrouille maintenant seule à 50%.

J’ai tiré très récemment un article de l’International Herald Tribune, du 18 décembre 2006, intitulé : « China’s welcome cools to foreign Invesment » (la Chine tempère sa bienvenue aux investissements étrangers). Cela signifie que les Chinois commencent à ralentir sur un certain nombre d’investissements, ceux concernant les domaines dans lesquels ils n’ont plus besoin de nous et à protéger leurs propres capacités de production contre des acquisitions extérieures. 

Au deuxième niveau, les acquis proviennent des ZDIHT, au nombre de 53. 

En repérant les 53 zones, nous remarquons qu’il existe des ZDIHT dans pratiquement toutes les provinces, sauf au Tibet. Dans certaines provinces, la concentration est même particulièrement importante. C’est le cas autour de Canton, Hong Kong et Macao, autour de Shanghai, dans le Shandong… L’on en conclura que la pompe à aspiration de technologies est bien installée.  

 

Les réalisations industrielles chinoises dérivées des développements technologiques

À partir de là, nous avons l’émergence des grands groupes que vous connaissez. Nous n'en citerons que quelques-uns : 

- TCL Multimédia qui, en achetant Thomson Télévision, a constitué TTE en Juillet 2004.

- ZTE, Zongxin Telecom Equipment, le n°2 des télécoms chinois ;

- Huawei, spécialisé dans les télécommunications, Internet, opérateur télécoms, notamment dans le domaine des mobiles ;

- Les 4 grands opérateurs télécoms ;

- Lenovo dans l’informatique, aujourd’hui 3e mondial, dont on a pu voir les publicités sur les quais de nos gares ;

- Galanz et Haier dans l’électroménager ;

- CNPC, Sinopec, CNOOC, les 3 grands des hydrocarbures chinois ;

- Les 11 groupes civilo-militaires de la COSTIND (Commission of Science and Technology of the Industry and Defence), qui construit non seulement des armements, des matériels militaires mais aussi tout un éventail de matériels civils comme, par exemple, ses sociétés de construction navale qui produisent des bâtiments de guerre tout comme des pétroliers, des méthaniers…

Je citerai maintenant quelques-unes, mais quelques-unes seulement, des réalisations industrielles dérivées des développements technologiques. Je ne les passerai pas toutes en revue, bien entendu. Mais nous noterons que, parmi celles-ci, il n’y a pas que des technologies de l’information. Par ailleurs, j’ai pris la précaution de spécifier, pour chaque réalisation, si ces technologies avaient été développées en solo ou avec l’aide internationale.

- Avec une aide partielle russe : la fusée LM2F, Long March 2F, qui a propulsé le premier astronaute chinois et lance le satellite Shenzhou. 

- En national ou avec aide internationale : sur le plan aéronautique, les Chinois connaissent d’importants problèmes, surtout dans la motorisation des aéronefs et dans les matériaux. Cela n’empêche qu’ils ont mis au point un avion d’entraînement, le K8 qu’ils vendent à l’international assez facilement. Ils semblent bien avoir mis au point un AWACS qui ressemble fortement à ceux qui sont construits en Occident, ceci sur la base d’une cellule russe, ainsi que le chasseur J8-2. Et puis, dans le domaine des missiles balistiques, le DF-31, est le dernier en date des missiles mis au point.

- En national ou avec les aides japonaise, sud-coréenne, russe : sur le plan naval, les Chinois sont aussi parvenus à un niveau assez élevé. Ceci en grande partie, dans le domaine des transports civils, grâce à l’aide des Sud-Coréens et des Japonais, simplement parce que les carnets de commande de ces derniers sont saturés au moins pour une dizaine d’années. Ils se déchargent donc à la fois sur les Chinois et sur les Vietnamiens, ce qui constitue autant de facteurs de progrès, pour l'un comme pour l'autre. Notons que, au niveau technologique, il y a lieu de noter que les Chinois ont réussi à développer, apparemment seuls, un bâtiment de suivi de trajectoire de satellite. Sur le plan du transport pétrolier, ils en sont aujourd'hui au stade de la construction des VLCC (Very Large Crude Carrier), et qu’ils développent actuellement, avec l’aide des Japonais et des Sud- Coréens, des ULCC (Ultra Large Crude Carrier) ainsi que des méthaniers, pour le transport du Gaz naturel liquéfié (GNL).  

- En national et avec aide internationale : Lenovo, avec le Rachat d’IBM PC, est passé du 9ème rang mondial, au 3ème.

- En national et avec aide internationale : TTE après le rachat de Thomson télévision par TCL.

Nous en arrivons maintenant au sujet qui nous a occupés ce matin, avec des possibilités de contestation évidemment, mais j’ai tenu à citer certains éléments pour diverses raisons, dont une que j’expliquerai à la fin.

Les Chinois ont bien compris que s’ils parvenaient à imposer leurs normes sur le plan technologique, cela leur rapporterait énormément sur le plan économique, le but étant bien de prendre une position hégémonique pour en tirer les plus grands bénéfices. Cela ne concerne pas seulement le marché chinois, mais également tous les marchés des pays émergents que les Chinois approchent actuellement. Dans ce cadre, ils ont tenté d’imposer contre le Wifi une norme chinoise, dénommée Wap. Mais elle a été rejetée par l’ISO le 16 mars 2006, malgré un lobbying extrêmement important mené par  22 groupes chinois, parmi lesquels Lenovo et Huawei. Une tentative !

De ce fait, désinformation ou pas, il ne nous est pas paru de prime abord absurde que les Chinois veuillent lancer leur propre norme IPV9 contre IPV6. Ici, il semble cependant bien s’avérer qu’il s’agisse d’une manœuvre d’intoxication que les vrais spécialistes ont eu tôt fait de déceler. Mais il est aussi arrivé que la Chine se soit livrée à la diffusion d’informations accueillies comme fausses au départ, dont tout un chacun se gaussait et qui, au bout du compte, se sont révélées être non plus des élucubrations mais des réalisations bien effectives.

La promotion des logiciels libres fait également partie de la stratégie chinoise pour contrer des monopoles ou quasi-monopoles qui existent, comme celui de Microsoft, avec une forte recherche d’influence de cette position sur les pays en développement. Et là, lorsque par exemple l’on connaît la qualité des relations actuelles entre la Chine et le Venezuela, avec un président Chavez trop heureux de faire les pieds de nez aux Américains, l’on comprend mieux pourquoi celui-ci a décrété que l’administration vénézuélienne se doterait prioritairement de Linux. Cette position a par ailleurs entraîné une vigoureuse réaction de la part des Etats-Unis, sous forme de menace, dans le cas où le gouvernement vénézuélien mettrait son projet à exécution.

Nous avons également la fameuse norme TD-SCDMA contre la norme UMTS, adoptée en Europe, au Japon et au Etats-Unis. Les Chinois ont réussi, en mai 2000, à la faire homologuer par l’Union Internationale des Télécommunications, une promotion appuyée par différents constructeurs européens avec les différents opérateurs et constructeurs chinois auxquels ils se sont associés. Ainsi, a-t-on Ericson, allié à ZTE dont il faut savoir que ce dernier était le précurseur de la norme TD-SCDMA en Chine. Alcatel s’est allié avec Datang Mobile, Siemens avec Huawei… Derrière cette norme homologuée, se profilent des intérêts économiques importants. Ils peuvent, peut-être, de ce fait, expliquer les raisons pour lesquelles nos constructeurs européens se sont alliés, sur place, avec des Chinois.

Enfin, le 20 janvier 2006, le gouvernement chinois a décrété TD-SCDMA norme technologique nationale pour l’industrie des télécommunications. Le problème de cette norme est qu’elle se trouve en concurrence avec les autres normes des autres opérateurs chinois qui, pour leur part, ont opté pour l’UMTS. Mais, si j’ai bien compris ce que les intervenants de ce matin ont exposé, cette diversité des opérateurs et des normes pour lesquelles ils ont opté ne constitue guère un réel problème puisque tout semble, pour l’instant, assez éclaté.

Dans cette affaire des télécommunications pourquoi tant d’insistance de ma part sur cette volonté de la Chine de chercher à imposer ses propres normes, qu’elles soient réelles ou pas, puisque l’avons-nous souligné, le cas de l’IPV9 par exemple ressortit de la communication d’intoxication. Pourquoi la Chine tient-elle tant à imposer ses normes ? Il n’y a pas seulement un intérêt économique. Il faut, pour bien le comprendre, revenir au fond culturel, à ce fond traditionnel chinois de la domination par la pensée, facteur de puissance chez un Chinois, davantage qu’une force armée imposante. Un Chinois sera satisfait le jour où il aura l’impression, par le biais de la communication, de régner sur une partie du monde, de régir une partie du monde, voire le monde tout entier. Lorsque l’on travaille avec la Chine, il est fondamental de ne jamais perdre de vue la profondeur de l’empreinte culturelle portée sur ses ressortissants. Garder en conscience cet élément permet d’expliquer bon nombre de choses ou de réactions observées chez un interlocuteur ou un partenaire chinois.

 

Les lacunes technologiques chinoises

Malgré cette montée en puissance de la Chine, son développement connaît malgré tout des lacunes.

Pour le souligner, nous noterons qu’en 2005, 56% des exportations chinoises étaient constitués de produits fabriqués en coopération avec l’Occident. Cela signifie que, si l’on abandonnait brutalement  cette coopération, le commerce extérieur chinois connaîtrait sans doute quelques problèmes pendant quelque temps.

Le deuxième indice de ces lacunes, c’est le forcing chinois pour obtenir les technologies ou savoir faire manquants. Pour participer au programme Galiléo, les Chinois ont pratiqué un véritable entrisme sous couvert, en affichage de devant de scène, d'une contribution au développement scientifique et économique international, mais en réalité dans le but évident de perfectionner leur propre système de navigation par satellite, « Beidou », dont la connotation est d’abord militaire avant d’être civile.

Cette évidence est apparue à l’occasion du salon CIDEX 2006, dédié à l’électronique de défense, au mois d’avril 2006, à Pékin. Sur le stand de Beijing BDStar Navigation Technology, qui présentait la promotion de la coopération avec Galiléo, était également présentée celle de Beidou. Quatre panneaux comportant d'excellentes photographies indiquaient clairement que la destination de Beidou était : premièrement l’orientation des navires de guerre, deuxièmement celle des avions militaires, troisièmement celle des forces terrestres, quatrièmement la vérification de la gestion des transits de conteneurs dans les ports. Ne manquaient plus que les missiles. Sur ce point ce serait se voiler la face que de feindre d’ignorer que ce que recherchent les Chinois dans leur accès à Galileo est un moyen perfectionné, indépendant des systèmes GPS américains et GLONASS russe, de guider des missiles.

Par ailleurs, sur le plan général de la coopération internationale, l’exigence chinoise a aujourd’hui changé. Les Chinois ne veulent plus, sauf exception, de matériels "sur étagère". Ils exigent désormais de l’apport de savoir-faire. C’est sans doute l’une des  raisons pour lesquelles l’on assiste aujourd’hui à cette floraison de centres de R&D en Chine, ce qu’en fin de compte les Américains expriment en disant : « Chinese coerce our entrance into the Chinese market », c'est-à-dire conditionnent l’accès au marché chinois par la coercition.

Le troisième indice, c’est celui du bilan de l’insuffisance sectorielle. Je n’en nomme que quelques-uns mais, là aussi, il y aurait un véritable catalogue à réaliser.

Les Chinois ont des lacunes :

- En télédétection, donc dans le domaine spatial.

- Dans le domaine militaire naval.

- En aéronautique, où ils ont des ambitions. Mais leurs réacteurs d’avion, malgré l’aide reçue des Soviétiques, en particulier dans le domaine des moteurs à réaction n’ont qu’une courte durée de vie et exigent donc des remplacements fréquents.

- Dans le domaine des hydrocarbures, les Chinois connaissent encore beaucoup de problèmes, notamment lorsqu’il s’agit d’exploiter en eau profonde ou dans les terrains à morphologie complexe.

- Dans le domaine des lasers où ils font des progrès mais où, dans certains cas, ils connaissent des difficultés à maîtriser la stabilité des rayons.

- Et c’est beaucoup dans le domaine du développement durable et des maîtrises d’énergie où les lacunes sont encore les plus graves malgré un certain nombre d’efforts tels que les réorientations en cours, en particulier vers le charbon propre et la liquéfaction du charbon.

- L'établissement de cette liste pourrait encore se poursuivre.


Les conséquences pour les intérêts stratégiques européens

La Chine rattrape ses retards très rapidement. Ceci est incontestable. Aujourd’hui, la Chine est prise au sérieux. Depuis quelques années, un certain nombre de personnes pensent que lorsque les Chinois disent quelque chose, mieux vaut en tenir compte. Partant de là, l’on peut se poser certaines questions, qui apparaîtront peut-être un peu brutales, mais elle sont essentiellement destinées à alimenter la réflexion et à trouver le juste équilibre dans nos relations en matière de coopérations scientifique, technologique et industrielle avec la Chine. La question fondamentale est la suivante : « Sommes-nous sûrs d’avoir toujours bien réalisé que… » ?

Sommes-nous sûrs d’avoir toujours bien réalisé que…

- En regardant la Chine avec les yeux de Chimène, en succombant parfois à l’effet de mode – aller en Chine parce que c’est à la mode - en lui apportant tout ou presque ce qu’elle demande, exige dans son seul et unique intérêt, nous agissons bien aussi dans le sens de nos propres intérêts ?

- Sommes-nous sûrs d’avoir toujours bien réalisé que si nous laissons, un jour, à la Chine l’exclusivité de la fabrication de matériels stratégiques, nous en deviendrons alors dépendants, notamment dans le domaine électronique comme nous le sommes déjà, dans un certain sens, du Japon ?       

Nous deviendrons susceptibles d’être soumis à des ruptures d’approvisionnement par simple décision de « l’Empereur » et là, je rejoins un peu la conférence de ce matin de Monsieur Toutain. Il faut garder à l’esprit qu’une technologie transmise à la Chine, en particulier dans l’un de ses centres de R&D tout comme de production, devient une « technologie otage » qui peut lui permettre de dépasser les quotas convenus.    

Je prends l’exemple des sous-marins « Roméo ». Les Soviétiques avaient signé en 1962 une licence avec les Chinois pour permettre à ceux-ci de construire 28 unités. Eh bien en 1987, ce sont 86 sous-marins qui avaient été construits. Certes, les « Roméo » sont aujourd’hui obsolètes, mais ceci illustre bien le fait que les Chinois ne se sentent pas forcément tenus par un contrat.      

Même chose pour les hélicoptères « Dauphin ». Le 2 juillet 1980, Aérospatiale signe une licence pour la construction de 50 « Dauphin » en Chine. En 2001, une source russe nous indique que 110 unités ont été construites jusqu’alors. Combien d’autres l'ont-elles été depuis? Il est en effet fort possible que cela ait continué.    

En revanche, concernant le contrat des 150 A320, je pense que lorsque ces avions seront montés, ils seront dépassés. Mais la Chine pourra toujours fournir, à des coûts inférieurs à ceux du constructeur européen, des pays en voie de développement ou en développement.

- Sommes-nous sûrs d’avoir toujours bien réalisé qu’en transférant des technologies à la Chine, même pour des technologies d’apparence anodine, nous pouvons devenir notre propre concurrent commercial par Chine interposée qui vendra à qualité égale et à prix nettement inférieur ? Il y a déjà des exemples de la sorte..

- Sommes-nous sûrs d’avoir toujours bien réalisé que si nous laissons la Chine gagner la bataille des normes, en lui permettant de déverser ses produits et ses normes sur le marché international, en les faisant notamment accepter par les PED, les Pays en Développement, elle captera alors un marché important à notre détriment, avec des technologies qui seront devenues fiables, voire très fiables, et à moindre coût ?

- Sommes-nous sûrs d’avoir toujours bien réalisé qu’en fournissant à la Chine de la haute technologie pour un bénéfice à court terme, nous risquons d’être pénalisés sur le moyen et sur le long terme ?

 

En conclusion, vouloir maintenir la tête de la Chine sous l’eau du sous-développement relèverait du pur fantasme. Mais il s’agit aussi de maintenir nos propres têtes largement au-dessus des flots.  

Bien sûr, le langage que je viens de tenir peut paraître pessimiste, mais c’est un langage délibéré face à tous les discours délibérément optimistes tenus à propos de la Chine. C’est un langage destiné à provoquer la réflexion, le questionnement, pourquoi pas la contestation afin de mieux penser la manière d’aborder la Chine. S’agit-il de l’aborder avec naïveté, de continuer à lui apporter sans contrepartie suffisante comme on le fait parfois, ou s’agit-il de prendre des précautions, en particulier celle de se former à toutes les nuances, toutes les subtilités de l’approche du marché chinois ?

Général (CR) Daniel Schaeffer

NDLR: Cet article et la table ronde ci-après sont extraits des minutes du Point de Veille organisé par International Focus le 20 décembre 2006, « Chine – Corée – Japon : enjeux technologiques, enjeux stratégiques ». Vous pouvez obtenir le sommaire détaillé de ces minutes en écrivant à : valerie.fert@inter-focus.com.

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Date de la mise en ligne: septembre 2007

 

 

 

Questions et débats entre Daniel Schaeffer, Laurent Toutain, Philippe Bornstein et Alain-Marc Rieu

   

 

 

Laurent Toutain : Pouvez-vous approfondir sur IPV9 ?

Général (CR) Daniel Schaeffer : Nous en avons discuté tout à l’heure, entre nous. J’ai tenu ici à citer IPV9 car il y a quantité de choses à propos desquelles nous avons ri de la Chine et qui se sont révélées exactes par la suite. Je ne vais pas affirmer que IPV9 est une réalité. C’est vous le spécialiste et vous avez rencontré les Chinois sur cette question. Mais j’ai tenu à en parler pour montrer que, soit les Chinois sont capables de pratiquer l’intoxication informationnelle, soit, contre toute attente, de sortir des choses réelles. Le problème est de savoir trier après…

Laurent Toutain : Bien souvent, l’intoxication vient des Français eux-mêmes, d’ailleurs… Cependant,il est vrai - comme on le voit par exemple sur la TNT, le DVD – qu’ils sont en train de développer leurs normes et que, dans d’autres domaines, ils ont déjà leurs normes. Je voudrais ajouter aussi, puisque l’on parlait ce matin des dangers de la Chine… Est-ce que l’on n’a pas d’autres dangers ? Par exemple, on voit que nombre d’étudiants chinois disent : « J’en ai marre de faire ma thèse en Chine, parce que je suis l’esclave de mon directeur de thèse. Il veut me faire bosser pour sa boîte etc… Je veux faire une thèse en Europe ». Est-ce que l’on n’a pas déjà cette tendance de recours aux petites mains mais qui veulent se révolter et qui peuvent poser problème ?

Général (CR) Daniel Schaeffer : Oui, bien sûr, c’est une possibilité.

Laurent Toutain : Au niveau de la R&D, est-ce qu’ils ne peuvent pas passer par un pays tiers comme l’Inde ? Ou est-ce qu’il y a une concurrence ?

Général (CR) Daniel Schaeffer : Entre l’Inde et la Chine ?

Laurent Toutain: Oui.

Général (CR) Daniel Schaeffer : Effectivement, les relations entre l’Inde et la Chine sont mitigées. Je prends l'exemple de Huawei. Huawei a installé un centre de R&D en Inde, avec à la fois la peur et la réticence des Indiens. Les Indiens, dont on connaît l'excellent niveau en électronique, se sont demandés ce que les Chinois allaient venir piller chez eux.

Laurent Toutain : Huawei est une société impressionnante. Nous avons eu l’occasion de les rencontrer dans des groupes de travail internationaux et il est clair que nous nous sommes faits « approcher ». Ce n’était pas pour nous débaucher, même s’ils pratiquent aussi ces techniques puisque des collègues de l’ITF ont tous été approchés pour aller grossir les rangs de Huawei dans le centre de développement qu’ils vont ouvrir au Texas, et nous savons qu’ils aimeraient bien faire des offres similaires à des Européens.

Général (CR) Daniel Schaeffer : Huawei ouvre un centre de R&D au Texas ?

Laurent Toutain : Oui.

Philippe Bornstein : Derrière les problèmes de transferts technologiques, il y a aussi la problématique des sociétés européennes, américaines, occidentales. Elles sont elles-mêmes en concurrence. Donc, on a l’impression que si ce n’est pas nous qui le faisons ce seront les autres. Quelle réponse apporter à cela ? Parce que ces entreprises, au niveau individuel, sont tributaires de leurs résultats financiers, évidemment, et en concurrence avec d’autres qui poursuivent les mêmes objectifs. Conclusion, n’est-on pas obligé de coopérer avec « l’ogre » ?

Général (CR) Daniel Schaeffer : Effectivement, les sociétés on parfois la tête sous l’eau et se demandent comment elles vont terminer leur année avec les conséquences à en tirer sur le long terme. Je pense donc qu’il faut savoir bien analyser le marché chinois, ne pas se dire uniquement : « J’ai besoin de me développer, je vais aller en Chine », en se jetant à l’eau sans réelle réflexion. Je pense que, si l’on veut aller en Chine, il faut très bien préparer sa négociation en se donnant de larges marges de manœuvre, sans se laisser marcher sur les pieds par les Chinois, « lâcher ce qui peut être lâché certes mais toujours avec un élastique très fort », si l’on ne peut pas faire autrement que d’aller en Chine. Mais je trouve un peu dommage de risquer de se faire piller et de finalement risquer de tomber à l’eau avec un délai retardé de 5 ou 10 ans. Il n’y a pas tant que cela de sociétés occidentales, en tout cas françaises ou européennes, qui réussissent vraiment en Chine. Je crois fondamental d'étudier son marché à fond avant de s'y aventurer et d'analyser sérieusement l’intérêt pour sa société d’aller ou de ne pas aller en Chine. En tout cas, il ne faut pas y aller n’importe comment, sur un engouement, sur un coup de cœur, ou pour souscrire à l’effet de mode.

Question : L’enjeu aujourd’hui, pour les sociétés technologiques, c’est d’abord la R&D finalement. Car, on ne peut aller en Chine qu’à condition que la R&D suive derrière, que l’on soit innovant, afin d’avoir toujours un temps d’avance sur la Chine. Ce que font d’ailleurs très bien les Japonais. Mais est-ce que les Français savent le faire ?

Général (CR) Daniel Schaeffer : La vraie question est de savoir tenir la distance.

Alain-Marc Rieu : N’aurions-nous pas intérêt à globaliser notre questionnement, sinon nous allons reproduire un schéma qui consiste à donner au phénomène chinois une importance qu’il n’a peut-être pas à l’échelle mondiale. Parce que, si nous raisonnons en termes économiques, tout de suite, évidemment, nous gonflons les résultats de la Chine. Mais si nous pensons en termes de recherche, la situation devient extrêmement différente. Donc, je pense que si nous ne globalisons pas notre questionnement, nous allons reproduire ce schéma qui consiste à « diaboliser » ou à « glorifier » le rôle, l’importance, de la Chine actuellement. Je crois qu’il y a un effet d'entraînement chinois qui, d’une certaine façon, est à relativiser.

   

 

 

 

   
   

Biographie du général (CR) Daniel Schaeffer

   
   

Général (cadre de réserve). Saint-Cyrien (promotion 1963- 1965). Breveté de l'Enseignement militaire supérieur scientifique et technique (Ecole de guerre)

Diplômé de l'Institut national des langues et civilisations orientales (maîtrise de chinois)

Sorti de Saint-Cyr en 1965, il effectue la première partie de sa carrière d'officier dans des unités de combat du génie militaire et comme instructeur à l'Ecole nationale des sous-officiers d'active. Son premier séjour opérationnel à l'étranger se situe en 1975-76, en Egypte, comme observateur de l'ONU pour la Surveillance de la Trêve en Palestine. A son retour, il est affecté à l'Etat-major de la 4ème division, à Nancy avant d'être sélectionné pour être formé aux relations internationales et au chinois et suivre les cours de l'Ecole de Guerre.

Attaché de défense

A partir de là, il connaît essentiellement une carrière internationale, occupant trois postes d'attaché de défense en Asie :

-          Thaïlande (1986 – 89), avec accréditation en Birmanie jusqu'à la cessation de sa fonction dans ce pays, cessation décidée par la France à la suite de la réaffirmation violente du pouvoir militaire birman le 18 septembre 1988 ; la Thaïlande le remercie par ailleurs pour son activité en faveur des relations franco-thaïlandaises en lui conférant la cravate de commandeur de "l'ordre le plus exalté de l'éléphant blanc" ;

-          Vietnam (1991 – 95), où il ouvre le poste d'attaché de défense dans un fort contexte émotionnel lié aux évènements de l'histoire récente commune à ce pays et à la France ; là, le colonel Schaeffer, outre les activités normales dévolues à sa fonction, contribue en particulier à l'organisation des premières opérations de soutien logistique lié aux activités de retour à la paix au Cambodge ;

-          Chine (1997 – 2000), où il doit notamment faire oeuvre de pédagogie à propos de l'embargo européen sur les armements à l'encontre de ce pays.

Fonctions internationales

Entre ses diverses affectations asiatiques, il occupe, à Paris, des fonctions internationales, essentiellement liées aux opérations extérieures. Ainsi, dans le cadre de la 1ère guerre du Golfe, puis du soutien aux réfugiés kurdes, il est vice-président des points de contact militaires de l'Union européenne occidentale (UEO). A ce titre, il lui revient d'assurer les négociations sur la coordination logistique entre pays membres de l'UEO.

Enfin, à son retour du Vietnam, il prend un poste de responsabilité aux côtés du commandant du Centre des Opérations interarmées et, à ce titre, participe à la gestion des multiples crises dans lesquelles les forces françaises interviennent durant cette période : opérations de rétablissement ou de maintien de la paix, protection ou évacuation de ressortissants français menacés, crises diverses, etc...

Consultant international

Admis en deuxième section des généraux le 1er juillet 2001, il poursuit ses activités en direction de l'Asie en s'installant comme conseiller en stratégie d'entreprise à l'international, sur la Chine et l'Asie du sud avec, pour ambition, d'appuyer les sociétés françaises et européennes qui décident de s'engager sur le terrain asiatique. Dans cette fonction, son concours a déjà été sollicité plusieurs fois, autant au profit de sociétés privées que d'organes institutionnels. Il intervient notamment au profit des sociétés de conseil "International Focus", "EMR International" (Evaluer et maîtriser les risques à l'international), et à l'Ecole supérieure du commerce extérieur (ESCE), au Pôle Universitaire Léonard de Vinci, à La Défense. 

   
         

 

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