Fukushima-Daiichi : accident nucléaire et géopolitique de l’énergie

Par Alain NONJON, le 11 août 2013  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Professeur à Intégrale et au lycée Michelet.

Géopolitique de l’énergie nucléaire, avec une carte des accidents de centrales nucléaires. Le 11 mars 2011, à 14 h 46 heure locale, un séisme de magnitude 9 a généré un tsunami à 130 km à l’est de Sendaï, avec une vague déferlante de 23,6 m de hauteur maximale, causant plus de 30 000 morts… et des dysfonctionnements graves dans le parc nucléaire japonais dont un accident de niveau 7 sur l’échelle Ines (notation retenue pour Tchernobyl) et la contamination a minima d’une région de 30 km et 60 km au nord-ouest de la mégalopole de Sanyodo, le grand Tokyo.

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le Diploweb.com est heureux de vous présenter cet article d’Alain Nonjon publié sous le titre "Fukushima-Daiichi… L’onde de choc" dans la revue Espace Prépas n° 141, janvier 2012.

Fukushima : le « big one » nucléaire ?

Les accidents nucléaires ont jalonné l’histoire de cette énergie. Même si le regretté G. Besse me recevait dans ses bureaux de la Cogema et m’invitait à réfléchir à un nucléaire français qui avait fait moins de morts que la voiture de Kennedy…, on ne peut effacer les accidents de cette technologie à risques : Throp/selal field au Royaume-Uni en avril 2005 (échelle 3), Saint-Laurent-des-Eaux en France en mars 1980, Lubmin en Allemagne en 1975. Des problèmes de corrosion ou des courts-circuits sur les transformateurs du réacteur ou des défauts de refroidissement ont rappelé que le nucléaire n’était pas une énergie à risque zéro.

. Three Miles Island en 1979 (niveau 5) a dénoncé une réactivité trop faible face à des défaillances techniques et une incohérence de l’information. Mais cela a conforté la thèse de la triple barrière (gaines, cuve, enceinte de confinement pour contenir toute la radioactivité)…

. Tchernobyl le 26 avril 1986, un accident de criticité déclenche un accident échelle 7 où, pour la première fois, tout contrôle a été perdu. L’erreur de conception est flagrante : pas de culture du confinement pour les réacteurs russes RBMK.

. À Fukushima-Daiichi le 11 mars 2011, les réacteurs ont bien résisté au séisme magnitude 9, mais la déferlante du tsunami a envahi les 350 ha de la centrale, recouvert les groupes électrogènes et empêché le fonctionnement des circuits de refroidissement d’eau. L’accident est donc provoqué par la superposition d’événements extérieurs (séisme, tsunami), des retards dans le refroidissement par eau de mer et l’absence de prise en compte des vulnérabilités en chaîne.

Ces trois accidents majeurs montrent qu’il n’y a pas de risque zéro dans le nucléaire, que la compatibilité entre exigence de sûreté et contrainte de rentabilité est difficile à gérer, que la réflexion sur l’avenir du nucléaire doit s’étendre à des scénarios qui ne sont pas que techniques (catastrophes naturelles, violence des intempéries) majorées par le réchauffement climatique et les menaces terroristes…

Fukushima-Daiichi : accident nucléaire et géopolitique de l'énergie
Carte des accidents de centrales nucléaires
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L’après-Fukushima : des réactions en chaîne… peu coordonnées

L’effet de la catastrophe a été immédiat mais sans coordination. Comment en serait-il autrement eu égard à la place qu’occupe le nucléaire dans l’énergie électrique (Allemagne 20 %, France 74 %) et dans l’inconscient de chaque nation au niveau militaire ?

. L’arrêt partiel. le Japon a donné le ton en arrêtant 19 réacteurs sur 54, un arrêt brutal pour une filière fournissant 11 % de l’énergie et 30 % de l’électricité de l’archipel.

. Le renoncement planifié. L’Allemagne, sous la pression des Verts victorieux dans le land de Bade Wurtenberg, a annoncé un désengagement progressif avec une sortie totale en 2022.

. Le maintien des choix en l’état. Les États-Unis n’ont pas d’autres consignes qu’accélérer les programmes de mise à jour de la sécurité définis déjà après le 11 septembre 2001. Mais le parc des 104 réacteurs ne devrait pas subir d’autres révisions que celles de fermeture liées au coût des mises aux normes de l’entretien.

. Le maintien des choix… du passé comme du futur. L’Italie, qui avait déjà renoncé au nucléaire par référendum après Tchernobyl en 1987, persiste et signe pour le futur après un nouveau référendum en 2011. L’Arabie saoudite vise toujours, à l’horizon 2030, 16 réacteurs pour 100 milliards de dollars de contrats.

. Le baptême du nucléaire contre vents et marées. L’Afrique du Sud, à l’heure de la conférence de Durban sur le réchauffement climatique, engage de nouveaux choix énergétiques et rouvre le dossier nucléaire : construite il y a plus d’une trentaine d’années par le français Framatome, la centrale de Koeberg va être complétée par 6 réacteurs d’ici 2030 pour parvenir à briser le diktat du charbon (85 % de l’électricité du pays, désormais 13e pollueur de la planète notamment à cause de Eskom, firme qui produit la moitié de l’électricité nationale par le charbon). La Pologne veut aussi entrer dans le gotha des puissances nucléaires.

. L’accélération des choix. L’Iran n’a visiblement pas réfléchi à l’après-Fukushima, mais plutôt au nombre de centrifugeuses qui lui permettrait de maintenir le cap d’une indépendance militaire nucléaire pour s’affirmer comme puissance régionale.

. Le débat refondateur. La France inaugure un grand débat au cœur des présidentielles. Autant le choix de Messmer n’avait pas été pleinement débattu, autant le nucléaire fait son entrée dans les choix électoraux de 2012 avec la confirmation de l’EPR de Flamanville, le désengagement partiel et compensé du nucléaire, le maintien du cap ou le désengagement total pour les écologistes avec des ultimatums (pas d’EPR et plus de nucléaire !).

De cette Babylone nucléaire, il ressort cependant quelques certitudes :

. Les pays émergents se croient condamnés à faire le choix du nucléaire à la suite du Chili, de l’Afrique du Sud, de la Turquie comme de la Corée du Sud. Ces pays consolident leur choix nucléaire malgré Fukushima par : le rêve de basculer dans la puissance nucléaire militaire, la pression des besoins des shining class, l’espoir de diversification commerciale et de remontée de la filière pour la vendre comme la Corée du Sud qui subtilise aux Français les marchés du Golfe (Abu Dhabi), la soif de décollage rapide sans prendre en compte les risques… La jeunesse du développement explique leur volonté d’anticiper l’après-pétrole. À côté, le renoncement malais ou thaïlandais pèse peu.

. L’Europe montre une nouvelle fois sa division sur des questions stratégiques : hier partagée sur les procédés d’enrichissement de l’uranium, écartelée entre Urenco et Eurodif, elle parle de plusieurs voix sur ce dossier crucial : poids des cultures (la France est très attachée au bloc de croissance du nucléaire), poids des lobbys de l’industrie nucléaire ou verts, nationalismes à fleur de peau, volonté de rattrapage à l’Est…

. Les défis sont nombreux : la pression de la demande est soutenue avec 7 milliards d’hommes en 2011, 9 en 2050 et des besoins accrus parallèles à l’émergence et à l’urbanisation. L’accès à l’électricité pour tous est une exigence difficilement maîtrisable : 1,3 milliard d’hommes ne reçoivent pas l’électricité et 2, 7 milliards d’habitants ne disposent pas de moyens propres pour cuisiner. Ce n’est donc qu’en 2030 qu’on pourrait envisager l’accès universel à l’énergie avec des investissements de l’ordre de 50 milliards de dollars par an… soit 3 % des investissements mondiaux prévus dans l’énergie ou un dixième des sommes affectées à l’armée par les États-Unis.

. La véritable question n’est pas ce qu’il faut interdire comme énergie mais ce qu’il faut développer : les énergies fossiles qui assurent 80 % de l’approvisionnement énergétique de la planète s’épuisent inexorablement, le réchauffement climatique dresse un catalogue des interdits vitaux, géothermie et marémotrice sont à ranger dans les énergies de complément… Resteraient le solaire et le nucléaire de fusion. C’est le sens de projets comme Desertec, une utopie à 400 milliards d’euros qui risque de s’enliser dans les coûts des transports de l’électricité, de l’eau pour refroidir les panneaux solaires et l’instabilité de cette zone grise saharienne, ou Iter au coût exorbitant (16 milliards de dollars pour le moment.) qui n’utilise pas de matériaux fossiles, n’a pas de connexion avec le militaire et produit peu de déchets mais aux résultats incertains pour les physiciens. Qui peut donc dire que l’atome ne sera pas au rendez-vous du xxie siècle ? Peut-être le mot de l’après-Fukushima appartient-il à Winston Churchill « Rarement quoi que ce soit de matériel ou d’établi et dont on m’avait appris à le tenir pour permanent et vital a duré. Tout ce dont j’étais certain ou dont on m’avait appris que c’était impossible est arrivé » !

Copyright 2012-Nonjon / Espace Prépas n° 141, janvier 2012


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