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Le Conseil constitutionnel et l'alternance, par Marie-Christine Steckel,

Docteur en droit public, Maître de conférences à l'université de Limoges

L'auteur présente ici sa thèse de doctorat de droit public, publiée sous le titre " Le Conseil constitutionnel et l'alternance ", LGDJ, collection " bibliothèque constitutionnelle et science politique ", tome 106, préface du doyen Henry Roussillon, avril 2002, 398 p. Découvrez l'articulation entre les institutions françaises et les institutions de l'Union européenne

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Mots clés - key words: france, marie-christine steckel, conseil constitutionnel, jurisprudence constitutionnelle, alternance droite/gauche, cohabitation, souveraineté nationale, " volonté générale ", juridicisation, régulateur des pouvoirs publics, " ordre constitutionnel ", élections présidentielles, élections législatives, alternative, cinquième République, partis politiques, quinquennat.   Loin d’être un frein à l’alternance politique droite/gauche, le Conseil constitutionnel en protège le principe en régulant ses effets juridiques. Il existe aussi une dialectique de légitimation réciproque : l’alternance légitime le Conseil constitutionnel et le Conseil constitutionnel légitime à son tour l’alternance.

L’alternance légitime le Conseil constitutionnel dans la mesure où celui-ci joue le rôle de protecteur du principe d’alternance. En conférant un " certificat de constitutionnalité " (p.32) aux réformes politiques, le Conseil constitutionnel concilie la volonté des électeurs exprimée par les gouvernants avec " l’ordre constitutionnel ". La majorité au pouvoir incarne seulement une majorité temporaire et partielle qui s’oppose à celle de la nation souveraine, entité abstraite englobant le passé, le présent et le futur. Ce rôle de protecteur, le Conseil constitutionnel l’exerce à l’égard du principe d’alternance " institutionnelle " et " substantielle ".

Protections

Le principe " d’alternance institutionnelle " (p.27), c’est-à-dire la répartition des compétences entre les pouvoirs, est protégé à la fois au niveau horizontal (entre pouvoirs législatif et exécutif), vertical (entre pouvoirs central et local) et politique (entre partis de la majorité et de l’opposition) de la répartition des compétences. Au niveau horizontal, le Conseil constitutionnel veille à ce qu’aucun des trois pouvoirs n’empiète sur les prérogatives des deux autres. Ce contrôle juridique permet de pallier les lacunes du contrôle politique engendrées par le fait majoritaire. Créé à l’origine pour cantonner le législateur dans le champ de l’article 34 de la constitution, le Conseil constitutionnel a permis d’asseoir, par une jurisprudence audacieuse (notamment depuis la décision du 30 juillet 1982), un véritable " plateau continental de la loi " (formule du doyen Henry Roussillon, citée p.48). Le Conseil constitutionnel joue, d’autre part, un rôle important en vérifiant la régularité des opérations électorales et référendaires. En veillant à la fois au respect du principe d’indivisibilité et de celui de libre-administration des collectivités locales, le Conseil constitutionnel protège aussi la répartition verticale des compétences. La répartition politique des compétences, enfin, est garantie par l’extension du droit de saisine depuis les réformes fondamentales du 29 octobre 1974 et 25 juin 1992.

Le Conseil constitutionnel protège, d’autre part, le principe " d’alternance substantielle " (p.24), c’est-à-dire l’évolution des normes, au nom de la stabilité des règles juridiques. Ainsi, la technique de l’effet cliquet est utilisée par les neuf sages pour sanctionner les modifications législatives qui remettraient en cause des acquis juridiques. Le contrôle minutieux des lois électorales (mode de scrutin et découpage électoral) conduit, ensuite, le juge constitutionnel à sanctionner toute instrumentalisation des règles de droit par la majorité au pouvoir pour éviter une alternance. En matière de droit de la presse, le Conseil constitutionnel a sanctionné à plusieurs reprises la nouvelle majorité qui tentait de remettre en cause la liberté de communication et l’indépendance des médias.

Cohérence

Cette stabilité des règles juridiques a pour finalité de créer un " ordre constitutionnel " cohérent. Le juge constitutionnel s’affirme, en effet, comme le gardien de la temporalité constitutionnelle. Il assure, après les alternances, le respect de la constitution par les normes législatives, et concilie les dispositions constitutionnelles contradictoires, qui représentent des temps constitutionnels différents. Le Conseil constitutionnel assure la cohérence de " l’ordre constitutionnel " adopté par le pouvoir constituant en gommant les contradictions entre la philosophie libérale de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et l’idéologie socialisante du Préambule de 1946 auxquelles a adhéré la nation à un siècle et demi d’intervalle. De plus, les normes constitutionnelles deviennent un enjeu politique puisque les acteurs politiques s’y référent pour légitimer leurs actions et leurs réformes politiques.

Le Conseil constitutionnel est également amené à protéger le principe d’alternance en jouant notamment le rôle d’aiguilleur des pouvoirs publics nationaux. Les décisions du juge constitutionnel disposant de l’autorité absolue de chose jugée, en vertu de l’article 62 de la constitution du 4 octobre 1958, constituent une contrainte non négligeable pour les pouvoirs publics nationaux. La légitimité des décisions du juge constitutionnel renforce la portée de sa jurisprudence après une alternance. La mission du juge constitutionnel est, toutefois, limitée puisqu’une norme valide ne peut pas être appliquée en l’absence de volonté politique. Ce sont les gouvernants qui sont à l’origine du droit et qui sont les acteurs de la constitution, règle du jeu des représentants. Bien que les gouvernants prennent en compte la jurisprudence constitutionnelle, ils disposent d’une certaine autonomie. A ce propos, G. Vedel soulignait " l’insoutenable autonomie du politique " et D. Loschak soutient que le " droit occulte la domination " de la majorité au pouvoir. Cette analyse doit, bien entendu, être nuancée dans la mesure où l’irréductibilité du politique trouve, après une alternance, sa limite dans les règles juridiques, c’est-à-dire que " la politique est saisie par le droit ".

Légitimation

Le Conseil constitutionnel légitime l’alternance dans la mesure où ses décisions de conformité sous réserve lui permettent de concilier les intérêts de la majorité au pouvoir et ceux de l’opposition. Conférant aux réformes politiques un " certificat de constitutionnalité ", l’opposition accepte les réformes réalisées par la majorité au pouvoir, et la minorité d’aujourd’hui pourra devenir la majorité de demain. Le Conseil constitutionnel rend, ainsi, possible le fonctionnement régulier de l’alternance, et assure la mise en conformité des réformes politiques avec " l’ordre constitutionnel ". La continuité de la jurisprudence constitutionnelle au-delà des alternances montre que les membres du Conseil constitutionnel ont bien un " devoir d’ingratitude " à l’égard des autorités de nomination et que la politique jurisprudentielle n’est pas empreinte d’idéologie. Dès lors, l’alternance légitime à son tour le Conseil constitutionnel. En s’érigeant en gardien des droits de la minorité parlementaire, l’institution est même devenue la pierre angulaire du régime de la Vème République. En excluant tout monopole du pouvoir par la majorité, la jurisprudence constitutionnelle garantit donc le principe d'alternance qui, réciproquement, légitime le rôle du Conseil constitutionnel.

La légitimation de l’alternance par le Conseil constitutionnel repose, d’autre part, sur le rôle de régulateur que joue l’institution à l’égard des effets juridiques de l’alternance. Ceux-ci touchent la répartition des compétences entre les pouvoirs (" alternance institutionnelle ") et la stabilité des règles de droit (" alternance substantielle "). L’exégèse de la jurisprudence en apporte la claire illustration.

La portée du contrôle de " l’alternance institutionnelle " par le Conseil constitutionnel reste limitée au regard des pratiques d’autres pays européens. La compétence du juge constitutionnel français se borne, en effet, à l’arbitrage des conflits de compétences entre le domaine de principe du gouvernement et le domaine d’exception du Parlement. Le titre VII de la constitution, relatif au Conseil constitutionnel, n’attribue pas à ce dernier le règlement des litiges entre les pouvoirs publics nationaux. Le juge constitutionnel vérifie, cependant, de manière directe, les actes du Parlement par le biais des dispositions concernant la rationalisation du parlementarisme. L’article 61 al. 1 de la constitution lui donne l’occasion de vérifier la conformité à la norme suprême des règlements des assemblées. Le Conseil constitutionnel va, aussi, intervenir sur la base de l’article 41 de la constitution sur saisine du gouvernement ou du président de l’assemblée concernée par le litige. Cette disposition sur l’exception d’irrecevabilité l’autorise à sanctionner les empiétements du législateur dans le domaine réglementaire. Le gouvernement ne pourra, par ailleurs, en vertu de l’article 37 al.2, déclasser dans le domaine réglementaire les dispositions législatives adoptées après 1958 qu’après autorisation du juge constitutionnel. D’autre part, le Conseil constitutionnel participe, par sa fonction consultative, à l’organisation des pouvoirs publics comme le démontrent ses avis sur l’intérim et le référendum relatif au quinquennat.

Un régime mixte

Un renouvellement de la théorie des cycles constitutionnels permet d’apprécier l’évolution du régime politique entre présidentialisme et gouvernementalisme, depuis 1958. La nature mixte du régime de la Vème République et le développement des différentes formes d’alternance expliquent, en effet, le développement de phases " présidentialistes " et " gouvernementalistes ". Il ne s’agit pas de cycles, en ce sens qu’ils n’aboutissent nullement à la dégénérescence du régime politique en vigueur. De plus, si les phases " présidentialistes " se distinguent des phases " gouvernementalistes ", il est possible de relever des dissemblances l’intérieur même de chaque phase. La théorie des cycles explique que la Vème République n’est pas une synthèse des fondements doctrinaux (autoritarisme, démocratie libérale et socialismes), mais favorise une évolution du régime politique en fonction de l’intensité de l’alternance. Le phénomène de juridicisation, propre à la Vème République du fait de l’intensité de l’alternance, justifie un rôle accru du Conseil constitutionnel après une alternance.

Le rôle crucial des neuf sages

Le juge constitutionnel, en revanche, encadre de manière plus poussée " l’alternance substantielle ", en veillant au respect du bloc de constitutionnalité (p.302) par les lois adoptées par la nouvelle majorité au pouvoir. Le Conseil constitutionnel va, ainsi, réguler les effets juridiques de l’alternance au nom de la " volonté nationale ". Les représentants exercent, en effet, le pouvoir au nom de la nation, même si dans le régime semi-représentatif, les électeurs disposent, d’un pouvoir d’influence sur les élus. La multiplication des saisines du Conseil constitutionnel après chaque alternance confère un rôle crucial aux neuf sages. En se prononçant sur les réformes politiques consécutives à l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle majorité, la haute instance est conduite, en tant que gardienne de la primauté de la " volonté nationale " sur la " volonté générale ", à réguler les effets juridiques de l'alternance. Pour remplir cette mission, le Conseil constitutionnel va encadrer les réformes politiques en combinant la philosophie libérale de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et la philosophie socialisante du préambule de la constitution de 1946. Depuis son obiter dictum (phrase incidente et inutile) de la décision du 23 août 1985 Evolution de la Nouvelle-Calédonie, " la loi n’exprime la volonté générale que dans le respect de la constitution " (p.112). Dès lors, en protégeant le bloc de constitutionalité, le juge constitutionnel assure la garantie des situations juridiques après les alternances. En vérifiant l’adéquation de la " volonté générale " à la " volonté nationale ", il interdit à la majorité au pouvoir de s’accaparer la souveraineté. Il régule, ainsi, les effets juridiques de " l’alternance substantielle " et conséquemment légitime l’alternance.

Marie-Christine Steckel, Docteur en droit public

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  Date de la mise en ligne: octobre 2002
         
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