L’auteur met en perspective une région de la Chine agitée par un mouvement indépendantiste. Alors que la "question ouïgoure" n’atteint pas encore dans le public occidental l’acuité de celle du Tibet, à Pékin, au contraire, le "séparatisme des minorités" est pris très aux sérieux et fait l’objet d’une répression inquiétante.
LA REGION AUTONOME du Xinjiang, située à l’extrême-ouest du territoire de la République populaire de Chine, s’étend sur 1 646 800 km2.
Elle est constituée de deux bassins : au nord le bassin de la Dzoungarie (380 000 km2) et au sud le bassin du Tarim (500 000 km2). Ils sont séparés par le système montagneux des Tian Shan, un des plus vastes de la planète. En effet, il couvre 1500 km d’ouest en est, sur une largeur de 200 à 300 km (1).
Le bassin du Tarim est véritablement entouré de montagnes. On trouve les Tian Shan au nord, la chaîne des Pamirs à l’ouest et les Kunlun au sud. Le centre de ce bassin est occupé par un désert, le Taklamakan. Autour de ce désert, au nord comme au sud, sont disposées des villes-oasis comme Kucha, Aksu, Kachgar, Yarkand ou Khotan. En Djoungarie, les villes principales sont Urumqi, Kuldja, Karamay et Changji. A l’est de la zone, on trouve également les deux villes historiquement très importantes de Turfan et Hami. Cette immense région - la plus grande unité administrative de la Chine - est aussi une des moins densément peuplées du pays avec le Tibet et le Qinghai. Elle partage une frontière avec la Mongolie, la Fédération de Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, l’Afghanistan, le Pakistan, le Cachemire et l’Inde. Ce qui en fait la province chinoise la plus extravertie du pays.
Avant le XIXème siècle, les sources chinoises utilisent le terme "Xiyu" (Contrée d’Occident) pour qualifier cette zone géographique. Mais comme le rappelle Françoise Aubin, avant l’établissement de la province du "Xinjiang" en 1884, " aucune unité n’a jamais existé dans l’ensemble de la région, non plus qu’aucun nom ethnique ou géographique global " (2). Sur le plan terminologique, la dénomination utilisée par Pékin comporte en elle-même la démonstration du fait que cet espace a longtemps échappé au domaine impérial chinois. Le grand spécialiste américain Owen Lattimore a ainsi calculé que la Chine n’y a exercé son autorité qu’environ 425 ans sur près de 2000 ans d’histoire (3). Le développement ci-dessous consacré à l’histoire éclairera ce propos.
Sur le plan terminologique donc, Xinjiang signifie en fait "nouvelle frontière". Historiquement, c’est l’empereur Qianlong de la dynastie mandchoue des Qing (1644-1911) qui crée cette expression en 1768, soit neuf ans après la conquête qui intègre la région à l’Etat chinois et en double ainsi la superficie. L’analyse terminologique confirme bien le fait que ce territoire n’appartient pas, avant la conquête, au domaine géographique sur lequel le pouvoir central chinois étend son emprise. Le temps mais aussi la ligne officielle adoptée par Pékin soulignant le caractère "immémorial" de l’appartenance de la région autonome au territoire de la République populaire de Chine ont contribué à masquer peu à peu ce fait historique.
Sur le plan ethnique, le "Xinjiang" contemporain est une région complexe. En effet, le recensement de novembre 2000 montre que 59,39% des 19,25 millions d’individus qui composent la population de la région autonome sont d’origine ethno-linguistique non-Han, Han étant l’expression officiellement utilisée en Chine pour qualifier "les populations ethniquement chinoises". Lors de ce recensement, la population Han a été estimée à 7,49 millions d’individus soit 40,61% du total (4). Au Xinjiang, les Han se concentrent plus particulièrement en Djoungarie. Ils se répartissent le long d’un axe est-ouest courant entre Hami et Urumqi puis Karamay avec des branches vers Aksu et Korla.
Outre les Han, le Xinjiang compte officiellement une vingtaine de groupes ethniques différents. La région arrive donc en deuxième position, juste derrière le Yunnan en terme de nationalités reconnues par l’Etat chinois. Cependant, certains de ces groupes sont numériquement très faibles, ils représentent à peine quelques dizaines de milliers voire quelques milliers de personnes comme les Tadjiks, les Xibes, les Mandchous, les Ouzbeks, les Russes, les Daurs ou les Tatars. Les populations " allogènes " principales du Xinjiang sont en fait les Ouïgours - qui représentaient en 1990 environ 47,50% de la population totale de la région autonome et se trouvent localisés principalement dans le bassin du Tarim et dans la région de Kuldja - et les Kazakhs (7,30% de la population en 1990), groupés dans les vallées de l’Altaï et de l’Ili en Djoungarie. Ces deux groupes parlent des langues turques.
Outre la complexité ethnique, la région est traversée par un clivage religieux. En effet, une majorité de la population du Xinjiang est de confession musulmane, soit 61,7% en 1990. Il s’agit des turcophones mais également des Hui qui sont ethniquement Han mais islamisés. Ces derniers représentaient 4,5% de la population du Xinjiang en 1990 (5). La majorité de la population du Xinjiang est musulmane sunnite de rite hanafite, à l’exception des Tadjiks persanophones qui sont chiites.
Pour résumer, une grande partie de la population de la région autonome entretient une communauté géographique, historique, ethnique, linguisitique, religieuse et culturelle avec l’Asie centrale plutôt qu’avec la Chine.
Au cours de son histoire, la région géographique connue aujourd’hui sous le nom chinois de "Xinjiang" a été une voie de passage où se sont mêlées un grand nombre de populations d’origines ethniques diverses. Le paysage ethno-culturel complexe que nous venons de décrire est le produit d’une histoire elle-même compliquée. A l’origine, la région a sans doute été peuplée par des populations indo-européennes (6) avant d’être confrontée à des vagues d’envahisseurs nomades non indo-européens : paléo-asiatiques d’abord puis proto-turques, turque et proto-mongoles (7).
Dès le IIème siècle avant Jésus-Christ, notamment sous le règne de l’Empereur Wudi de la dynastie des Han (206 avant Jésus-Christ- 220 après Jésus-Christ), les Chinois pénètrent dans la zone dans le cadre de la lutte pour le contrôle de la région qui les oppose aux Xiongnu, puissance dominant les steppes de l’Asie entre 200 avant Jésus-Christ et 48 après Jésus-Christ (8). Le pouvoir chinois y installe des colonies militaires, les tuntian. Elles ne peuvent cependant pas se maintenir. Cette idée est néanmoins reprise par le pouvoir chinois au cours des périodes ultérieures. On peut ainsi y voir l’ancêtre du fameux Corps de Production et de Construction du Xinjiang mis en place en 1954 par le gouvernement communiste (9). La dynastie chinoise des Tang (618-907 Ap. J-C.) reprend à partir du VIIème siècle la voie tracée par les Han. Elle installe quatre gouverneurs militaires à Karachahr, Kutcha, Kachgar et Khotan mais là encore son autorité n’est pas très assurée. Les Tang perdent le contrôle de la zone dès le VIIIème siècle au profit des Tibétains d’abord (791-842) puis rapidement des Ouïgours.
Parallèlement aux tentatives chinoises pour s’implanter durablement dans la zone, la région connaît une turquisation progressive de sa population à partir du Vème siècle après Jésus-Christ. Les Gaoche d’origine turque fondent ainsi un Etat puissant à la fin du Vème siècle en Djoungarie, entre les Tian Shan et l’Altaï (10), avant d’être confrontés aux Hephthalites puis subjugués par les Juan Juan. Ces derniers sont bientôt remplacés par d’autres Turcs, les fameux Tujue (11). La région n’est cependant complètement turquisée qu’au XIIIème siècle. Dans les textes des auteurs arabes des XIIème et XIIIème siècles comme Ibn al-Athir et Yaqut, le bassin du Tarim est baptisé "Turkestan" (pays des Turcs) (12). Mais comme le rappelle Haneda, la turquisation se fait par le passage à la langue turque. A la fin du XIXème siècle, la mission scientifique française menée par J. L. Dutreuil de Rhins et F. Grenard constate que si la population de la région parle bien un dialecte turc, elle est, d’un point de vue ethnique, composée d’éléments divers, principalement d’une combinaison d’éléments indo-européens et turcs (13).
Quant aux Tibétains, aux Mongols et aux Chinois qui ont joué un rôle politique important dans l’histoire de cet espace, Grenard note que d’un point de vue ethnique, ce sont "des quantités négligeables "sauf à Karachahr où l’on trouve" un groupe de population mongole considérable" (14).
L’importance de la population Han au Xinjiang est donc un phénomène récent. Il résulte en fait d’une politique mise en œuvre depuis l’avènement du pouvoir communiste en Chine. En effet, avant 1949, les Han ne représentaient guère plus de 6% de la population de la région. C’est l’afflux de colons et de militaires chinois, afflux encouragé par le pouvoir central, qui a profondément modifié la composition ethnique de la région. Jamais, sauf au début du XIXème siècle, c’est-à-dire à l’apogée de la puissance des Qing sur la région, la proportion de population Han dans la composition ethnique de la zone n’a été si importante (15).
Pour en revenir à l’histoire de la turquisation de la région, au milieu du VIIIème siècle, succédant aux Tujue, apparaissent les Ouïgours. Il s’agit d’une population également d’origine turque, faisant partie des grandes tribus Oghouz, originaires de l’Orkhon en Mongolie (16). Le Khanat ouïgour, avec pour capitale Karabalghasun située sur la rivière Orkhon, s’étend depuis l’Altaï jusqu’en Mandchourie et au sud au désert de Gobi. Si son centre de gravité n’est pas situé au Xinjiang, son influence culturelle s’étend déjà sur la région. Ce puissant Etat entretient des relations diplomatiques, militaires et commerciales suivies avec la Chine des Tang (17) qui étend sa puissance sur le bassin du Tarim et la Djoungarie depuis le milieu du VIIème siècle. La défaite de Talas face aux Arabes en 750 et surtout la rébellion de An Lushan (755-763) marquent la fin de la présence des Tang dans ces deux régions. Du côté ouïgour, à partir de 763, le manichéisme devient la religion officielle du Khanat (18).
En 840, suite à la défaite face aux envahisseurs kirghiz, un grand nombre de Ouïgours émigrent vers l’ouest. Ils pénètrent dans la région actuelle du Xinjiang et transfèrent leur capitale des bords de l’Orkhon à Beshbalik alors que Turfan (connue à l’époque sous le nom de Qocho) devient la seconde capitale du nouvel Etat (19). Ce " Royaume des Ouïgours occidentaux " domine la région entre 840 et 1284 (20). Progressivement, les Ouïgours abandonnent leur mode de vie nomade pour adopter celui plus policé des populations sédentaires indo-européennes des oasis (21). Ils finissent par se mélanger à elles. La langue ouïgoure remplace ainsi le Tokharien, langue indo-européenne parlée jusque là par les populations locales.
De cette fusion entre nomades et sédentaires naît la brillante civilisation de Kocho. Sur le plan religieux, les populations de la région pratiquent le manichéisme, le bouddhisme ou le christianisme nestorien (22).
L’islamisation de la zone est progressive. Les agents de sa propagation sont au XIème et XIIème siècles les Qarakhanides (998-1212), première dynastie islamique turque, qui lancent des campagnes militaires contre les bouddhistes à partir de Kachgar (23). Les Qarakhanides gardent le contrôle du sud et de l’ouest du bassin du Tarim jusqu’en 1141, date de leur défaite face aux Kara Khitaï. Malgré sa propagation et avant de s’imposer définitivement, l’islam affronte un retour du bouddhisme et même du christianisme sous l’influence de la dynastie des Kara Khitaï (1124-1211) qui détruit le khanat musulman de Kachgar (24). Le bouddhisme se perpétue d’ailleurs dans certaines parties de la région (Turfan et Hami) jusqu’au XVIème siècle. Aux Kara Khitaï succèdent les Mongols qui conquièrent l’ensemble des bassins du Tarim et de la Dzoungarie en 1218.
En 1209, le royaume ouïgour de Kocho se soumet volontairement à Gengis Khan. Les Ouïgours fournissent aux Mongols leur alphabet mais aussi des administrateurs pour leur nouvel empire (25). Sous la dynastie mongole des Yuan qui règne en Chine de 1277-1367, la région fait brièvement partie de l’Empire avant d’être placée dès les années 1320 sous l’autorité complète des Djaghataïdes. C’est sous cette dynastie mongole que la conversion totale de la région à l’islam est acquise. Entre le XIVème et le XVIème siècles, les artisans de cette islamisation sont les cheiks de l’ordre soufi des Naqshbandis (26). En 1513, avec l’annexion de Hami par Mansur Khan (Djaghataï de l’est), le nom même de " Ouïgour " disparaît. Il ne refait surface qu’au début du XXème siècle sous l’influence du nationalisme turkestanais (27).
Au XVIème siècle, le déclin des Djaghataïdes permet l’ascension politique d’une famille de religieux musulmans dans le sud de la région, les Makhdumzada Khodjas. Ces derniers, en tant que sayyed, c’est-à-dire descendants du Prophète, s’allient aux Djaghataïdes et finissent par les dominer totalement (28). Les Khodjas se divisent cependant en deux clans, l’un basé à Yarkand (les Karataghliks ou peuple de la Montagne Noire) et l’autre à Kachgar (les Aktaghliks ou peuple de la Montagne Blanche), en lutte pour la prééminence. A la fin du XVIIème siècle, dans le cadre des affrontements contre les Karataghliks, les Aktaghliks font appel aux Oïrats (les Mongols occidentaux ou aussi connus sous le nom de Eleuthes (1619-1758)) qui se sont installés en Djoungarie dès le XVème siècle et sont les maîtres du Xinjiang oriental, du Qinghai et du Tibet (29). En 1678, Kachgar est conquise. La région, certes dirigée par des musulmans, devient cependant une sorte de protectorat, placé sous la tutelle de l’Etat Djoungare (30). En 1754, devant le danger que fait peser le pouvoir des Oïrats sur la sécurité de la Chine, la dynastie mandchoue des Qing alors au pouvoir à Pékin se lance à la conquête de leurs territoires.
C’est à cette occasion que les Chinois ou plutôt les Mandchous en l’occurence, " oubliés depuis des siècles " selon l’expression de Grenard (31), reviennent véritablement sur la scène régionale. La campagne militaire des Mandchous mais aussi les maladies détruisent 70% de la population djoungare. En 1759, les Qing établissent leur pouvoir sur l’ensemble du " Xinjiang ". Les Mandchous pratiquent l’ " indirect rule " dans le sud de la région alors qu’ils établissent des colonies civiles et militaires au nord des Tianshan. La Pax Manjurica pour reprendre une expression de Millward dure soixante ans (32) avant d’être confrontée à des révoltes dirigées par les Khodjas (1815, 1820 à 1828, 1847, 1855, 1862) (33).
Le soulèvement des musulmans chinois de 1862 isole la région du reste de la Chine. Les Qing perdent pied et la zone leur échappe en 1864 alors que les Russes occupent la vallée de l’Ili (34). Entre 1864 et 1877, la région est dirigée par Yaqub Bey qui fonde l’Emirat de Kachgar et entretient des relations avec l’Angleterre, la Russie et la Porte ottomane (35). Mais son règne est éphémère. Son pouvoir s’effondre alors que les Mandchous reconquièrent rapidement la région. Ils l’érigent en province de l’Empire en 1884.
Entre 1911, date de la chute de la dynastie des Qing, et l’établissement du pouvoir communiste en Chine en 1949, la situation du Xinjiang reste extrêmement troublée. Les puissances extérieures s’ingèrent dans les affaires de la zone (36). Le Xinjiang connaît des révoltes locales et subit le pouvoir autoritaire de potentats chinois quasi-indépendants de Pékin comme Sheng Shicai (37). Le voisin soviétique s’immisce dans la politique locale à tel point que la province devient sa sphère d’influence exclusive (38). Entre 1944 et 1949, une République indépendante du Turkestan Oriental, dirigée par des turcophones, est proclamée et contrôle certaines parties de la région avec la bénédiction de Moscou (39). En 1949, avec l’assistance des Soviétiques, Pékin se réinstalle cependant dans la zone.
Depuis la " libération pacifique " de 1949 par les troupes chinoises, l’agitation des populations locales est latente au Xinjiang. En fait, la conscience nationale des groupes ethniques locaux s’est développée tout au long du XXème siècle. C’est ainsi que l’ethnonyme moderne " Ouïgour " a fait sa réapparation sous l’influence des Soviétiques (40) et s’est popularisé dans la région dans les années 30. Avant cette date, si on se réfère aux observations de Grenard, le groupe des cultivateurs sédentaires vivant dans les oasis n’avait " aucun nom ethnique. (…) L’expression la plus ordinairement usitée pour désigner le bassin du Tarim (est) celle très vague de mouçoulman yourti, la terre des musulmans, dont les habitants sont les musulmans, mouçoulman khalk, qui parlent la langue musulmane, mouçoulman tili. Ceux qui veulent être plus précis le sont trop, ils se disent gens de Kachgar, de Khotan, de Tourfan, etc. (Kachgarlyk, Khotanlyk, etc. ) " (41). Selon Grenard, à la fin du XIXème siècle, l’ethnonyme " Ouïgour " a donc complètement disparu de la région même qui a vu briller la puissance du Khanat Ouïgour (42).
La réappropriation du nom antique de " Ouïgour " est un " coup de génie " selon Françoise Aubin (43). Nathan Light la qualifie pour sa part d’événement fondateur pour l’identité ouïgoure moderne (44). Mais, la création d’une identité nationale ouïgoure commune doit surmonter l’identification traditionnelle des individus aux oasis dont ils sont originaires. A la fin des années 1980, ce localisme, accentué par l’isolement géographique des oasis et par les influences culturelles diverses qui se sont exercées au Xinjiang à travers l’histoire, est encore très présent comme le montrent les travaux de J. Rudelson (45).
Les années 90 font cependant passer au second plan ces " identités d’Oasis ". L’influence du contexte international marqué par la disparition de l’URSS et l’indépendance des Républiques d’Asie centrale, mais aussi de la politique interne de la Chine caractérisée par l’afflux de population Han, l’institutionnalisation de la langue chinoise et la perception chez les Ouïgours d’une disparité économique et d’une exploitation des ressources du Xinjiang au profit des seuls Han, a conduit à un renforcement de l’ethno-nationalisme au sein d’une partie de la population ouïgoure (46).
S’il est aujourd’hui très délicat d’évaluer l’importance quantitative du mouvement indépendantiste, les chercheurs contemporains constatent néanmoins que les franges les plus jeunes de la population sont travaillées par ce sentiment (47). Alors que la " question ouïgoure " n’atteint pas encore dans le public occidental l’accuité de celle du Tibet, à Pékin, au contraire, le " séparatisme des minorités " (minzu fenlie zhuyi) est pris très aux sérieux (48). Les auteurs chinois considèrent qu’il s’agit de la menace principale qui pèse aujourd’hui sur la région du Xinjiang et donc sur la "souveraineté " de la Chine dans cette zone.
C’est pour cette raison que la répression qu’exerce Pékin à l’encontre de toute manifestation du "séparatisme " est extrêmement sévère et tend même à s’accentuer encore davantage (49).
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Plus Un autre article de Thierry Kellner, Xinjiang : les émeutes interethniques de juillet 2009 : décryptage et commentaires, publié sur ce site en septembre 2009. Voir
Notes
(1) TROLLIET, P., "Xinjiang" in Encyclopeadia Universalis, Corpus 23, Paris, Encyclopeadia Universalis, 1990, p. 903.
(2) AUBIN, F., "L’arrière-plan historique du nationalisme ouïgour. Le Turkestan oriental des origines au XXème siècle", Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, n°25, janvier-juin 1998, p. 26. Article disponible sur le Web in (http://www.ceri-sciencespo.com/publica/cemoti/resume25.htm)
(3) LATTIMORE, O., Inner Asian Frontiers of China, With an introduction by Alastair Lamb, Second Impression, Hong Kong, Oxford, New York, Oxford University Press, 1992, p. 171.
(4) Les chiffres du recensement ne comprennent pas ce qu’on appelle en Chine les " populations flottantes ", c’est-à-dire les individus, principalement des paysans, qui parcourent le territoire chinois à la recherche d’un emploi. Ces populations sont composées en grande majorité de Han, ce qui accroît en fait le nombre de chinois ethniques présents dans la région du Xinjiang. En outre, les Hui (voir ci-dessous) ne sont pas considérés par le pouvoir chinois comme Han, ce qui contribue à minorer le poids réel des Han dans la région. Si on observe les chiffres de plus près, on constate que comparée au précédent dénombrement de 1990, la population du Xinjiang s’est accrûe de 4,09 millions d’individus soit 26,98% en dix ans et quatre mois. Si on compare les chiffres du recensement de 2000 avec ceux de 1990, la population Han a augmenté de 1,8023 millions d’individus soit 31,64% alors que les autres groupes ethniques connaissaient une croissance de 1,5034 millions d’individus soit 15,89%. Cette croissance des Han est dûe à l’immigration de chinois ethniques vers le Xinjiang. D’après "Xinjiang’s Population Statistics Reveals Increase in Number of Hans", Xinjiang Ribao in FBIS-CHI-2001-0517, April, 2, 2001.
(5) Concernant les musulmans chinois (Hui) dont les autorités ont fait une minorité ethnique voir les études fondamentales suivantes : GLADNEY, D. C., Muslim Chinese Ethnic Nationalism in the People’s Republic, Published by Council on East Asian Studies, Cambridge (Massachussetts) and London, Harvard University Press, 1991, xvi-473p. et DILLON, M., China’s Muslim Hui Community. Migration, settlement and sects, Richmond, Curzon, 1999, xiv-199p.
(6) Concernant le peuplement indo-européen du Xinjiang voir MALLORY, J. P., MAIR, V. H., The Tarim mummies : ancient China and the mystery of the earliest peoples from the West, New York, Thames and Hudson, 2000, 352p. ainsi que les articles concernant les Tokhariens et leur langue in Journal of Indo-European Studies, vol. 23, n° 1 & 2, 1995, pp. 1-256 et Journal of Indo-European Studies, vol. 23, n° 3 & 4, 1995, pp. 257-512.
(7) AUBIN, F., "L’arrière-plan historique du nationalisme ouïgour. Le Turkestan oriental des origines au XXème siècle", op. cit., p. 18.
(8) YU, Ying-Shih, "The Hsiung-nu" in The Cambridge history of early Inner Asia, edited by Denis Sinor, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1990, pp. 118-149.
(9) SEYMOUR, J.D., "Xinjiang’s Production and Construction Corps, and the Sinification of Eastern Turkestan", Inner Asia, vol. 2, n°2, 2000, pp. 171-193.
(10) HANEDA, A., "Problems of the Turkicization", Acta Asiatica, vol. 34, 1978, pp. 2-3.
(11) Voir SINOR, D., "The establishment and dissolution of the Türk empire" in The Cambridge history of early Inner Asia, op. cit., pp. 285-316 et pour les Tujue, les travaux fondamentaux de Edouard Chavannes, notamment CHAVANNES, Edouard, Documents sur les Tou-Kiue (Turcs) occidentaux, Recueillis et commentés par Edouard Chavannes, Presenté à l’Académie impériale des sciences de St-Petersbourg le 23 août 1900, St.-Petersbourg, Commissionnaires de l’Académie impériale des sciences, 1903, iv-378p.
(12) HANEDA, A., "Problems of the Turkicization", op. cit., p. 10.
(13) Voir GRENARD, F., Le Turkestan et le Tibet. Etude ethnographique et sociologique, deuxième partie de DUTREUIL de RHINS, Mission scientifique dans la Haute Asie, 18980-1895, Paris, Ernest Leroux, 1898, p. 11 et p. 53.
(14) GRENARD, F., Le Turkestan et le Tibet. Etude ethnographique et sociologique, op. cit., p. 53.
(15) MILLWARD, J.A., "Historical Perspectives on Contemporary Xinjiang", Inner Asia, vol. 2, n°2, 2000, p. 125.
(16) MACKERRAS, C., The Uighur Empire according to the Tang dynastic histories : a study in Sino-Uighur relations, 744-840, 2d edition., Columbia, University of South Carolina Press, 1973, viii-226p. et MACKERRAS, C., "The Uighurs" in The Cambridge history of early Inner Asia, edited by Denis Sinor, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1990, pp. 317-342.
(17) MACKERRAS, C., "Uygur-Tang relations, 744-840", Central Asian Survey, vol. 19, n°2, 2000, pp. 223-234.
(18) Sur le manichéisme en Chine voir LIEU, S. N. C., Manichaeism in Central Asia and China, Leiden, Boston, Brill, 1998, xiii-258p.
(19) Voir SINOR, D., GENG, Shimin, KYCHANOV,Y. I., "The Uighurs, the Kyrgyz and the Tangut (eighth to the thirteenth century)", in History of civilizations of Central Asia, vol. 4, Part I., The age of achievement : A.D. 750 to the end of the fifteenth century, ed. M.S. Asimov and C.E. Bosworth, Paris, Unesco Publishing, 1998, pp. 191-214.
(20) HANEDA, A., "Problems of the Turkicization", op. cit., p. 6.
(21) Concernant la culture raffinée des populations sédentaires des oasis du Tarim voir ZHANG, Guang-da, "The city-states of the Tarim Basin" in History of civilizations of Central Asia, vol. 3, The crossroads of civilizations : A.D. 250 to 750, ed. B.A. Litvinsky, co-editors Zhang Guang-da and R. Shabani Samghabadi, Multiple History Series, Paris, Unesco Publishing, 1996, pp. 281-301 et ZHANG, Guang-da, "Kocho (Kao-ch’ang)" in History of civilizations of Central Asia, vol. 3, op. cit., pp. 303-314.
(22) Sur le Nestorianisme voir PELLIOT, P., Recherches sur les Chrétiens d’Asie Centrale et d’Extrême-Orient, Oeuvres Posthumes de Paul Pelliot, Paris, Imprimerie Nationale, 1973, iv-307p.
(23) Voir GOLDEN, P., "The Karakhanids and early Islam" in The Cambridge history of early Inner Asia, op. cit., pp. 343-370 et DAVIDOVITCH, E.A., "The Karakhanids" in History of civilizations of Central Asia, vol. 4, Part I., The age of achievement : A.D. 750 to the end of the fifteenth century, ed. M.S. Asimov and C.E. Bosworth, Paris, Unesco Publishing, 1998, pp. 119-143.
(24) ROUX, J.-P., L’Asie centrale : histoire et civilisations, Paris, Fayard, 1997, p. 262. Voir SINOR, D., "The Kitan and the Kara Khitay" in History of civilizations of Central Asia, vol. 4, Part I., op. cit., pp. 227-242.
(25) Voir ROSSABI, M., "Chinese Turkestan in the Mongol Period" in Encyclopeadia Iranica, edited by Ehsan Yarshater, volume V, Fascicle 1, Costa Mesta, California, Mazda Publishers, 1992, pp. 473 et sv. ; ALLSEN, T.T., "The Yuan Dynasty and the Uighurs of Turfan in the 13th Century" in China among equals : the Middle Kingdom and its neighbors, 10th -14th centuries, edited by Morris Rossabi, Berkeley, University of California Press, 1983, pp. 243-280 et de RACHEWILTZ, I., "Turks in China under the Mongol", in Idem, pp. 281-310.
(26) Voir sur la Naqshbandiyya dans le nord–ouest de la Chine, FLETCHER, J., "The Naqshbandiyya in Northwest China", in FLETCHER, J., Studies on Chinese and Islamic Inner Asia, edited by Beatrice Forbes Manz, Aldershot, Great Britain, Brookfield, VT, Variorum, 1995, Texte XI.
(27) ODA, J., "Uighurstan", Acta Asiatica, vol. 34, 1978, p. 42.
(28) TOGAN, I., "Chinese Turkestan under the Khodjas" in Encyclopeadia Iranica, op. cit., pp. 474-476.
(29) Voir COURANT, M., L’Asie centrale aux XVIIème et XVIIIème siecles : empire kalmouk ou empire mantchou ?, Lyon, A. Rey, imprimeur-editeur ; Paris, Librairie A. Picard & fils, 1912, 151p. et BERGHOLTZ, F. W., The partition of the steppe. The struggle of the Russians, Mandchus, and the Zunghar Mongols for Empire in Central Asia, 1619-1758. A study in power politics, American University Studies, Series IX, History, vol. 109, New York, Peter Lang Publishing, 1993, vii-522p.
(30) Voir LIN, Chang-Kuan, "Sinkiang" in The Encyclopaedia of Islam, New Edition, Edited by C.E. Bosworth, E. van Donzel, W.P. Heinrichs and G. Lecomte, vol. IX, Leiden, E.J. Brill, 1997, p. 649.
(31) GRENARD, F., Le Turkestan et le Tibet. Etude ethnographique et sociologique, op. cit., p. 80. Les Qing ont cependant déjà conquis Hami en 1697.
(32) MILLWARD, J.A., Beyond the pass : economy, ethnicity, and empire in Qing Central Asia, 1759-1864, Stanford, Stanford University Press, 1998, p. 34.
(33) Sur la gestion mandchoue de la région entre 1759 et 1864 voir MILLWARD, J.A., Beyond the pass : economy, ethnicity, and empire in Qing Central Asia, 1759-1864, op. cit.. ; et sur le rôle des Khodjas voir SAGUCHI, T., "The revival of the White Mountain Khwajas, 1760-1820 (from Sarimsaq to Jihangir)", Acta Asiatica, 14, 1968, pp. 7-20.
(34) HSU, I.C.Y., The Ili Crisis. A Study of Sino-Russian Diplomacy 1871-1881, Oxford, Clarendon Press, 1965, xiii-231p.
(35) Voir l’étude de Kim Ho-dong : KIM, Ho-dong, The Muslim rebellion and the Kashghar emirate in Chinese Central Asia, 1864-1877, PhD Dissertation, Inner Asian and Altaic Studies, Harvard University, 1986, xix-305p. et KARPAT, K. H., "Yakub Bey’s Relations with Ottoman Sultans : a Reinterpretation", Cahiers du monde russe et soviétique, vol. XXXII, n°1, janvier-mars 1991, pp. 17-32.
(36) NYMAN, Lars-Erik, Great Britain and Chinese, Russian and Japanese interests in Sinkiang, 1918-1934, Stockholm, Esselte studium, Lund studies in international history, 1977, x-165p.
(37) Voir WHITING, A.S., Sinkiang : pawn or pivot ?, East Lansing, Michigan State University Press, 1958, xxii-314p.
(38) Voir FORBES, A.D.W., Warlords and Muslims in Chinese Central Asia. A political History of Republican Sinkiang 1911-1949, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, xv-376p.
(39) Voir BENSON, L., The Ili rebellion The Moslem challenge to Chinese authority in Xinjiang 1944-1949, New York, Armonk, London, M.E. Sharpe, 1990, xxvii-265p. et WANG, D., Under the Soviet Shadow. The Yining Incident : Ethnic Conflicts and International Rivalry in Xinjiang, 1944-1949, Hong Kong, The Chinese University Press, 1999, 588p.
(40) FLETCHER, J. F., "China and Central Asia, 1368-1884", in The Chinese World Order, Traditional China’s Foreign Relations, edited by John King Fairbank, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 1968, p. 364.
(41) GRENARD, F., Le Turkestan et le Tibet. Etude ethnographique et sociologique, op. cit., pp. 9-11.
(42) Idem, p. 46.
(43) AUBIN, F., "L’arrière-plan historique du nationalisme ouïgour. Le Turkestan oriental des origines au XXème siècle", op. cit., p. 27.
(44) LIGHT, N., Slippery Paths : The Performance and Canonization of Turkic Literature and Uyghur Muqam Song in Islam And Modernity, PhD Dissertation, Folklore Department, Indiana University, May 1998.
(45) RUDELSON, J. J., Oasis Identities. Uyghur Nationalism Along China’s Silk Road, New York, Columbia University Press, 1997, 209p.
(46) Voir l’étude de terrain de Joanne Smith in SMITH, J., Changing Uyghur Identities in Xinjiang in the 1990s, PhD Dissertation, Department of East Asian Studies, The University of Leeds, March 1999, 288p. ainsi que MACKERRAS, C., "Xinjiang at the turn of the century : the causes of separatism", Central Asian Survey, vol. 20, n°3, 2001, pp. 289-303.
(47) SMITH, J., "Four Generations of Uyghurs : The Shift towards Ethno-political Ideologies among Xinjiang’s Youth", Inner Asia, vol. 2, n°2, 2000, pp. 195-224.
(48) Ce facteur est par exemple un des déterminants essentiels de la politique chinoise à l’égard des nouvelles Républiques d’Asie centrale. Voir KELLNER, T., La République populaire de Chine et la nouvelle Asie centrale dix ans après l’indépendance, 35p. in "The OSCE and the Multiple Challenges of Transition in the Caucasus and Central Asia (1991-2001)", PSIO, IUHEI, Genève, Decembre 2001, (publication prévue juin 2002).
(49) Amnesty International, People’s Republic of China. Gross Violations of Human Rights in the Xinjiang Uighur Autonomous Region, Report, ASA 17/18/99, April 1999, 42p. ; Voir Amnesty International, China : Fight against terrorism is no excuse for repression, AI Index ASA 17/032/2001, News Service n° 181, 11 October 2001 ; Human Rights Watch, China/APEC Summit : Crackdown in Xinjiang, New York, October 18, 2001 et China : Human Rights Concerns in Xinjiang, Human Rights Watch Backgrounder, October 2001, 8p. in (www.hrw.org).
Doctorant
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Date de publication / Date of publication : 1er janvier 2002
Titre de l'article / Article title : Chine : le Xinjiang et les Ouïgours
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L’auteur met en perspective une région de la Chine agitée par un mouvement indépendantiste. Alors que la "question ouïgoure" n’atteint pas encore dans le public occidental l’acuité de celle du Tibet, à Pékin, au contraire, le "séparatisme des minorités" est pris très aux sérieux et fait l’objet d’une répression inquiétante.
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