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Dans un monde en transition, quel développement durable ? Entretien avec Y. Veyret et P. Arnould

Par Paul ARNOULD, Pierre VERLUISE, Yvette VEYRET*, le 26 juin 2022.

Comment définir le développement durable ? Quid des inégalités aujourd’hui en matière d’IDH, de santé et de faim ? Quelles sont les preuves de la dégradation accélérée en matière de gaz à effet de serre, d’accès à l’eau, de dégradation des sols et de biodiversité ? Quelles réponses durables au changement climatique ? Comment mieux gérer la biodiversité ? Comment imaginer et mettre en œuvre un tourisme durable ? Voici quelques-unes des questions de Pierre Verluise auxquelles Yvette Veyret et Paul Arnould apportent des réponses précises. Avec deux cartes.

Yvette Veyret et Paul Arnould publient « Atlas du développement durable. Un monde en transition  », cartographie Claire Levasseur, éd. Autrement, 2022, 2 e édition.

Pierre Verluise (P. V.) : Le développement durable fait partie des thèmes récurrents des discours publics voire pédagogiques, mais cela n’empêche pas un certain flou. Votre « Atlas du développement durable » (éd. Autrement) apporte des clarifications nécessaires. Pouvez-vous préciser les origines, les principaux volets et les nouveaux objectifs du développement durable ?

Yvette Veyret (Y. V.) et Paul Arnould (P. A) : La notion de développement durable (DD) définie dans « L’Atlas du développement durable » (éd. Autrement, 2022) est née dans les pays riches, de réflexions issues d’un double courant de pensée. L’un, économique plonge ses racines au XVIIIe siècle avec Malthus, l’autre, écologique, apparaît au XIXe siècle aux Etats-Unis et en Europe. Les choix politiques qu’implique l’instauration d’un développement durable, développement associant économie, écologie, social, ne sont pas unanimement partagés et de nombreuses tensions peuvent survenir qui constituent autant de freins à la transition souhaitée. Ces choix imposent une balance complexe entre économie, emploi, qualité de vie (éducation, santé…), gestion durable des ressources et plus largement de la nature, réduction du réchauffement climatique… et ceci pour l’ensemble des populations de la planète. Les objectifs du DD ne peuvent être que difficiles à mettre en œuvre notamment dans nombre de pays en développement pour lesquels développement et croissance demeurent la priorité, souvent au détriment des aspects plus écologiques. La condamnation sans nuances des pratiques anthropiques, la dramatisation parfois outrancière des discours qui accompagnent aussi bien le DD, que la transition vers un autre modèle socio-économique réduisent l’impact de ces dénonciations pourtant nécessaires

Aujourd’hui les changements globaux souhaités se lisent dans l’agenda pour 2030, programme universel pour le DD, adopté par les chefs d’Etat et de gouvernement lors du sommet spécial de 2015. Précédemment, les différentes préconisations en termes de DD n’ont pas fourni les résultats attendus qu’il s’agisse du rapport Brundtland « notre avenir à tous », du programme Action 21 (Rio 1992), de la « déclaration du millénaire » (2000). Celle-ci qui plaçait l’être humain au centre de tous les programmes par le biais des huit objectifs du millénaire pour le développement (OMD) : éliminer l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité des sexes, réduire la mortalité des enfants, améliorer la santé maternelle, combattre le VIH/sida, le paludisme, assurer un environnement durable, mettre en œuvre un partenariat pour le développement s’est soldée par des bilans inégaux et parfois insuffisants. L’agenda pour 2030 qui s’appuie sur 17 objectifs de DD ou ODD, déclinés en 169 sous–objectifs, concerne 193 pays membres de l’ONU. Il insiste sur de nouvelles préoccupations articulées autour de cinq thèmes interreliés : population, prospérité, planète, paix, partenariat. Cet agenda a pour objectif de transformer le monde en éradiquant la pauvreté et les inégalités, en maîtrisant le changement climatique et la dégradation de l’environnement. Il s’agit prioritairement de « ne laisser personne de côté ». Cet objectif très large, qui vise à des changements globaux s’inscrit aussi dans le « local ». Le rapport d’étape 2020 montre que les objectifs sont encore loin d’être atteints s’agissant de la réduction de la pauvreté, du changement climatique, de la justice, des institutions et cela avant même que la pandémie (Covid 19) n’aggrave la situation sociale, économique et environnementale de nombreux pays.

P. V. : Vous placez les origines de l’intérêt pour le développement durable dès le XVIIIe s. mais cela n’a pas empêché la Révolution industrielle et l’augmentation des inégalités de tous types. Quid des inégalités aujourd’hui en matière d’IDH, de santé et de faim ?

Carte. Indice de pauvreté en 2020
Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte. Source : Y. Veyret, P. Arnould , « Atlas du développement durable », Autrement, 2022. Carte réalisée par Claire Levasseur
Levasseur/Autrement

Y. V. et P. A. : Le XVIIIe siècle, « siècle des Lumières »où les progrès scientifique et technique commencent à avoir des effets positifs en Occident sur l’agriculture, la nourriture, la mortalité, est marqué par le développement d’activités économiques variées, l’industrialisation s’affirme au XIX ème siècle, favorisée dans certains pays d’Europe par les apports financiers de la colonisation. Le niveau de vie des populations augmente, mais en dépit de cela de fortes inégalités économiques et sociales perdurent. En 2022, les pays riches et industrialisés soit 20% de la population mondiale détiennent 80% des richesses et au sein de ces pays des inégalités existent qui peuvent être très fortes. Plusieurs indices permettent de mettre en évidence ces inégalités, l’indice de développement humain créé par le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en 1990, s’appuie sur trois indicateurs, espérance de vie, niveau d’études et revenus. L’indice de pauvreté humain IPH introduit par le PNUD en 1996 prend en compte la santé, l’éducation et le niveau de vie et exclut le revenu. L’indice de pauvreté multidimensionnelle qui date de 2010 remplace l’IPH pour les pays en développement, il cumule privation en matière d’éducation, de santé , de niveau de vie, nombre d’années de scolarité, et taux de scolarisation, malnutrition et mortalité infantile, caractéristique des logements, accès à l’eau potable et à l’électricité, nature du combustible de cuisson, possession de moyens de transport et de communication. L’IPM pour 104 pays et 5,2 milliards d’habitants (78 % de la population mondiale en 2020) montre que la pauvreté concerne 1,7 milliards de personnes : 51% en Asie, 28% en Afrique. En se basant sur cet indice, l’Ethiopie a 90% de pauvres, le Pakistan 51%, le Niger 93%. Comme on le voit les inégalités concernent l’accès aux soins (nombre de médecins et d’équipements hospitaliers, possibilité financières d’avoir recours à la médecine), de nombreuses maladies sont liées à l’environnement notamment à l’eau non potable (paludisme, choléra, dengue, hépatite…) , les inégalités concernent aussi l’accès à la nourriture, 750 millions de personnes étaient sous alimentées ou carencées en 2019, la qualité de la nourriture entraîne aussi des maladies comme l’obésité qui se répand notamment chez les populations pauvres du monde occidental. Les inégalités sont aussi évidentes quand il s’agit d’exposition aux pollutions (de l’air et de l’eau près des entreprises industrielles, des réseaux de communication) et aux risques naturels.

P. V. : La dégradation semble s’accélérer en matière de gaz à effet de serre, d’accès à l’eau, de dégradation des sols et de biodiversité. Quels en sont les preuves ?

Y. V. et P. A. : Les informations quant à l’évolution du climat, sont fournies par le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat GIEC ou IPCC créé en 1988, à la demande du G7 (composé de l’Allemagne, du Canada, des États-Unis, de la France, du Japon, de l’Italie et du Royaume-Uni), par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et sous le patronage du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Le GIEC dans le rapport paru en 2021 indique que le climat change plus rapidement que prévu sur l’ensemble de la planète. La température moyenne de celle-ci devrait augmenter de +1°5 C dès 2030 soit dix ans plus tôt que ne l’envisageaient les précédents travaux du GIEC. Ce réchauffement est expliqué par le rejet d’origine anthropique de gaz à effet de serre, un américains rejette 15,4 t/CO2 par an, un chinois 7,6 t, un habitant de l’UE 6,7 (9,4 en Allemagne, 5 en France), quand celui du Burkina Faso ne rejette que 0, 2 t/an. Ainsi, 29,2 % des rejets totaux sont imputables à la Chine, 14% aux Etats-Unis, 9,6% revient à l’UE, 7% au Moyen Orient, 3% à l’Afrique. Entre 1990 et 2017 les émissions mondiales ont augmenté de 40%, les causes en sont l’usage des énergies fossiles (charbon, pétrole), les activités industrielles, les transports, le chauffage, la production d’électricité. Le réchauffement a des effets sur la biodiversité, des espèces végétales migrent non sans problèmes et sans perte en fonction de l’évolution des conditions climatiques, ce que constatent les scientifiques mais aussi les agriculteurs. Le réchauffement explique en Arctique, en Sibérie, au Canada l’augmentation de l’épaisseur du mollisol, partie supérieure du pergélisol qui dégèle en été dégageant du méthane, gaz à effet de serre bien plus efficace que le CO2. L’exploitation des forêts, l’agriculture, l’urbanisation, la pêche et la surpêche entraînent une forte dégradation voire localement la destruction de la biodiversité. Les terres émergées portaient en 1990, 4,128 milliards d’ha de forêt contre 3,999 milliards d’ha en 2015, le Brésil, l Indonésie et l’Afrique centrale étant les espaces les plus affectés par la déforestation. La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) organe intergouvernemental créé en 2012, équivalent du GIEC pour la biodiversité a pour mission d’établir des liens entre la communauté scientifique et les gouvernants. Environ 1,8 million d’espèces vivantes ont été décrites sur la planète, dont 280 000 dans les mers et les océans. Le recensement des espèces se poursuit et l’on décrit chaque année plus de 10 000 espèces nouvellement observées. Dans le même temps, les experts indiquent que le rythme de disparition des espèces est 100 à 1000 fois supérieur au taux naturel d’extinction. Certains scientifiques considèrent que la planète enregistre aujourd’hui la sixième extinction de masse des espèces ; sa caractéristique étant la rapidité par comparaison aux précédentes extinctions qui se sont produites aux échelles géologiques sur plusieurs centaines de milliers d’années. L’Union internationale pour la conservation de la nature UICN établit une liste rouge des espèces en danger en raison de la destruction ou de la fragmentation des habitats, de leur pollution, du surpâturage, de la surpêche. En 2018, 28 % des 96 951 espèces étudiées étaient menacées, dont 40 % des amphibiens, 33 % des coraux formant des récifs, 25 % des mammifères, 14 % des oiseaux, 31 % des requins et raies, 34 % des conifères.

Carte. Les « points chauds » de la biodiversité terrestre et maritime
Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte. Source : Y. Veyret, P. Arnould , « Atlas du développement durable », Autrement, 2022. Carte réalisée par Claire Levasseur.
Levasseur/Autrement

P. V. : Quelles réponses durables au changement climatique ? Comment mieux gérer la biodiversité ? Comment imaginer et mettre en œuvre un tourisme durable ?

Y. V. et P. A. : L’objectif 13 du Développement durable pour 2030 (ODD13) indique la nécessité de prendre des mesures pour lutter contre le changement climatique et ses conséquences. Pour faire face au changement climatique, les pays ont adopté lors de la COP 21, l’Accord de Paris en 2015. Les pays ont convenu de limiter l’augmentation de la température mondiale au dessous de 2 degrés Celsius et, compte tenu des risques graves, de s’efforcer de ne pas dépasser 1,5 degré Celsius. Bien que politiquement contraignant l’accord ne prévoit pas de sanction en cas de non application. Tous les pays sont concernés par l’effort de réduction (pour les pays riches ) ou de limitation (pour les pays les moins avancés) des émissions de gaz à effet de serre. Les pays ont donc prévu des plans de réduction des rejets de GES, ainsi, pour répondre à l’accord de Paris, la France a engagé le Plan Climat de 2017 qui doit conduire à la neutralité carbone au milieu du XXIe siècle. L’accord de Paris fait aussi une large place à l’adaptation au changement climatique qui implique des modifications des territoires, des innovations techniques, organisationnelles et sociales et un usage adapté de la nature.

La lutte contre le changement climatique nécessite de modifier nos comportements.

En France, beaucoup de territoires, d’entreprises, de villes et de citoyens tentent de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et de promouvoir des énergies renouvelables. La lutte contre le changement climatique nécessite de modifier nos comportements : déplacements, chauffage, climatisation. La loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, date de 2021.

La protection de la biodiversité est depuis la fin du XIXe siècle effectuée dans le cadre de parcs ou de réserves naturelles. Sous l’égide de l’ONU la protection des espaces ou des espèces considérés comme majeurs est le fait de plus de 200 000 aires protégées couvrant 46 millions de km2 répartis sur l’ensemble des continents et des océans. Les ONG, (WWF, Sierra Club..) sont souvent les acteurs principaux de la protection. Il faut aussi souligner l’importance de la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel (Unesco) de 1972 et qui a contribué à la reconnaissance internationale d’environ 3 500 000 km2 dans plus de 250 sites répartis dans plus de 95 pays. La protection demande un suivi afin d’en envisager l’efficacité et parfois les limites. Elle peut avoir des effets discutables, notamment quand elle nécessite de déplacer des populations pour laisser la nature hors de toute empreinte humaine (cf. les villages déplacés en raison de la protection au Sénégal, en Chine, au Canada…). Désormais la gestion durable de la biodiversité, ne relève plus seulement d’espaces spécifiques même s’il s’agit des « hot spot » (espaces particulièrement riches en biodiversité), elle nécessite de gérer de manière acceptable l’ensemble de la biodiversité de la planète dans sa complexité, les relations qui lient entre elles les espèces et celles-ci aux espaces. La Convention sur la diversité biologique (CDB), traité international juridiquement contraignant signé lors du sommet de la terre (1992) a trois objectifs : la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de celle-ci et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques. L’Assemblée générale des Nations Unies a déclaré 2011 - 2020 la Décennie des Nations unies pour la biodiversité. Un plan stratégique a été proposé qui comprend 20 objectifs nommés "Objectifs d’Aichi". Ce Plan sert de cadre pour la mise en place d’objectifs nationaux et régionaux et favorise la mise en œuvre cohérente et efficace des objectifs de la CDB. Le plan stipule que "d’ici à 2050, la diversité biologique (soit )valorisée, conservée, restaurée et utilisée avec sagesse, en assurant le maintien des services fournis par les écosystèmes, en maintenant la planète en bonne santé et en procurant des avantages essentiels à tous les peuples". Dès 2004 la France a adopté sa stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) ce qui fait entrer celle-ci dans les politiques publiques. Divers objectifs sont précisés notamment la réduction de l’artificialisation des espaces naturels et agricoles et la reconquête des espaces de biodiversité, en ville comme dans les campagnes Il s’agit de favoriser un urbanisme sobre en consommation d’espace. La séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC) a pour objectif d’éviter les atteintes à l’environnement, de réduire celles qui n’ont pu être suffisamment évitées et, si possible, de compenser les effets notables qui n’ont pu être ni évités, ni suffisamment réduits.

P. V. : Comment concilier tourisme, biodiversité et durabilité ?

Y. V. et P. A. : Le tourisme durable relève d’une démarche intégrant les principes du développement durable. La responsabilité individuelle des touristes est aussi importante. Le tourisme durable est défini par l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) comme “un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil”. L’objectif du développement touristique durable a été défini par l’Agenda 21 en 1992 : « rendre compatible l’amélioration des conditions environnementales et sociales qui résultent du développement touristique avec le maintien de capacités de développement pour les générations futures ». Mais est-ce si facile ? Les problèmes liés au tourisme résultent d’abord des transports gros consommateurs d’énergie fossiles (avions, bateaux, voitures…) mais aussi des impacts locaux de la fréquentation, voire surfréquentation des lieux. Le classement de certains espaces en aires protégées ou l’inscription des lieux sur la liste de l’Unesco entraînent une forte augmentation des flux touristiques donc obligatoirement de leur impact sur l’environnement. Faut-il limiter les flux mais selon quels critères ? En réduisant l’accès à certains lieux par des coûts élevés ? En mettant en question le tourisme de masse ? Mais l’apport du tourisme en termes économiques particulièrement important dans les Pays en développement, et qui ne peut être négligé y compris dans un pays comme la France doit être souligné. L’écotourisme, le tourisme solidaire, « slow tourism », peuvent être des réponses, ils sont en forte croissance d’après l’association ATR (Agir pour un tourisme responsable), en moyenne de 20 % par an en France.

P. V. : Comment s’articulent l’échelle de l’UE et l’échelle nationale pour progresser sur le chemin du développement durable ?

Y. V. et P. A. : L’environnement et le développement durable sont des préoccupations majeure de l’UE. L’Agence européenne de l’environnement a un rôle d’information sur la situation environnementale des Etats membres. La politique de l’UE repose sur quatre principes fondamentaux : précaution, prévention, correction des atteintes à l’environnement et principe du “pollueur-payeur”. L’UE dans ces domaines promulgue des directives qui doivent être ensuite déclinées dans les Etats. La Commission européenne a adopté une série de propositions visant à adapter les politiques de l’UE en matière de climat, d’énergie, de transport et de fiscalité dans le but de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Elle a édicté une directive–cadre sur l’eau (2000/60/CE) adoptée en 2000, la gestion des déchets a fait l’objet de plusieurs directives relatives aux emballages et déchets d’emballages (94/62/CE), aux déchets d’équipements électriques et électroniques (2002/96/CE), à la gestion des déchets de l’industrie extractive (2006/21/CE), la préservation de la biodiversité a conduit à la création d’un vaste réseau de sites protégés, le réseau « Natura 2000 ». L’UE a également adopté, en 2011, une Stratégie pour la préservation de la biodiversité. L’Union européenne a pris de nombreuses mesures pour limiter les risques industriels. (règlement REACh (1907/2006/CE), directives Seveso (82/501/CEE dite directive Seveso 1), (96/82/CE dite directive Seveso 2) (2003/105/CE dite Seveso 3), directive relative à la limitation de l’utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques, dite RoHS (2002/95/CE), directive biocides (98/8/CE)) couvrent des risques chimiques et technologiques spécifiques. La stratégie européenne en matière de qualité de l’air de 2013 fixe des objectifs pour 2030. Dans le cadre du pacte vert pour l’Europe, l’Union révise ses normes afin de rejoindre les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. La ville durable est aussi une préoccupation de l’UE en relation avec les Etats et les villes européennes. Les directives européennes sont à la base de la politique environnementale des Etats de l’Union, le droit national doit s’adapter aux exigences de la législation européenne, le droit de l’Union ayant une valeur supérieure à celle du droit national. Le Rapport sur le DD en Europe 2020 montre qu’aucun pays européen n’est en voie d’atteindre les 17 ODD d’ici 2030. Les principaux défis des pays de l’UE concernent l’agriculture et de l’alimentation, le climat et la biodiversité, mais aussi la réduction des inégalités. [1]

La périurbanisation si importante depuis quelques décennies est remise en question.

P. V. : Comment aller vers des villes durables ?

Y. V. et P. A. : On peut définir une ville durable comme celle qui correspond aux objectifs du DD. En 1996 l’OCDE définit la ville durable comme « une ville écologique qui se distingue par le degré d’intégration des préoccupations relatives à l’environnement (au sens d’écologie) dans la prise de décision, qu’elle soit le fait du public ou du privé ». La ville durable en France aujourd’hui s’inscrit en opposition avec la dédensification prônée par l’hygiénisme du XIXe siècle. Les mouvements écologistes des années 1980 défendaient l’idée de la « ville à la campagne ». Aujourd’hui la ville durable implique de réduire la consommation énergétique afin de réduire la pollution et le réchauffement climatique, ce qui nécessite de repenser la circulation en ville, de repenser la ville elle-même au travers du bâti et des caractéristiques de l’urbanisme. La ville inscrite dans le développement durable est largement définie comme une ville dense. La périurbanisation si importante depuis quelques décennies est remise en question. Elle consomme des terres dévolues à l’agriculture et nécessite d’importants déplacements et les pollutions associées. La ville durable doit privilégier les circulations douces et réduire la place de l’automobile. Le verdissement et l’importance accordée à la nature en ville sont une autre composante de la ville durable, la nature étant considérée comme un gage de meilleure qualité de vie, une façon de réduire l’ilot de chaleur urbain qui risque de s’aggraver avec le réchauffement climatique (verdissement associé aux jardins partagés, aux forêts urbaines, aux arbres urbains…). La nécessité de maîtriser les déchets, les pollutions, les nuisances (bruit..) et les risques (inondations…) est une autre composante de la ville durable. Mais la ville durable devrait être celle qui permet à tous ses habitants de vivre et de se loger décemment, de travailler et d’avoir accès aux services et à la culture, d’avoir la meilleure qualité de vie possible. Or la plupart des villes sont affectées par le chômage et enregistrent de fortes inégalités socio-spatiales. Les villes y compris dans les pays riches sont encore assez encore éloignées du développement durable même si des efforts sont effectués notamment s’agissant du volet écologique.

P. V. : Avec bientôt 8 milliards d’habitants sur Terre, l’agriculture est plus que jamais un enjeu majeur. Comment dans ce contexte se détourner d’une agriculture productiviste pour mettre en œuvre une agriculture durable ?

Y. V. et P. A. : Une équipe de chercheurs allemands, finlandais, suédois et américains a entrepris de modéliser la production agricole mondiale (2020) en identifiant plusieurs limites de durabilité liées aux spécificités de la planète. Ces limites concernent l’intégrité de la biosphère, la préservation des forêts, des masses d’eau et enfin le rééquilibrage des flux d’azote. Les résultats ont été publiés dans la revue « Nature ». Ces travaux montrent qu’avec la mise en place des pratiques appropriées, la planète pourrait nourrir plus de 10 milliards de personnes de manière durable. La première limite à respecter est l’intégrité de la biosphère, c’est-à-dire la protection de la biodiversité. Les espaces contenant plus de 5% d’espèces menacées devraient être exclus de l’espace agricole. A l’inverse de nouvelles terres pourraient être mises en culture si cela n’affectent pas la biodiversité. La deuxième limite prône la réduction des avancées des fronts agricoles sur les espaces forestiers dans le but de préserver 85% des forêts tropicales et boréales et 50% des forêts tempérées. La troisième contrainte concerne les l’usage de l’eau douce. Il faut réduire les prélèvements d’eau de façon à maintenir les écosystèmes fluviaux. Pourtant les auteurs conseillent de développer l’irrigation dans les régions où la contrainte est faible et d’en améliorer l’efficacité chaque fois que cela est possible et nécessaire. La dernière contrainte concerne les flux d’azote dans les eaux de surfaces. Il s’agit de réduire l’utilisation de fertilisants azotés dans les espaces où existent des concentrations élevées d’azote dans les eaux de surface, ce qui n’exclut pas d’augmenter l’utilisation de ces fertilisants dans toutes les zones où les rendements sont encore faibles. Aujourd’hui 48,6% de la nourriture mondiale est produite sans tenir compte d’au moins une des quatre limites planétaires. Néanmoins, la capacité d’augmentation de la production de manière durable ne suffit cependant pas pour assurer une nourriture suffisante à tous, la sécurité alimentaire n’est pas qu’une question d’équilibre entre production et consommation , elle nécessite un accès à la nourriture et renvoie donc au commerce des produits alimentaires.

Aujourd’hui, de nombreux modèles d’agriculture sont pratiqués à travers le monde : agricultures intensive, raisonnée, biologique, agriculture à haute valeur naturelle, agroécologie, permaculture etc. Tous ces modèles ne relèvent pas de l’agriculture durable. Pour être durable, l’agriculture ne peut se limiter à la question environnementale mais doit intégrer les trois dimensions du développement durable et proposer une approche systémique. L’agriculture durable ne correspond pas à un label ou un cahier des charges précis mais se définit comme une démarche en accord avec les trois piliers. Certaines exploitations certifiées agriculture biologique peuvent entrer dans le cadre de l’agriculture durable, si elles intègrent une dimension humaine et sociale à côté de l’aspect environnemental. Les systèmes agricoles en agriculture biologique préservent la qualité de l’eau, n’utilisent pas de produits phytosanitaires de synthèse et consomment en moyenne moins d’azote que les systèmes conventionnels. Ils préservent davantage la biodiversité grâce à une plus grande diversité des cultures et à la préservation de haies, talus, bandes enherbés.... Ils préservent aussi la qualité des sols avec des teneurs en matière organique généralement plus élevées. Le passage à une agriculture durable peut s’appuyer sur des pratiques nouvelles, permettant une économie de main d’œuvre en raison notamment de la faible attractivité des métiers de l’agriculture et du nécessaire maintien de la compétitivité. Les progrès réalisés en robotique, la biologie moléculaire, l’agriculture « numérique peut contribuer à améliorer la production agricole et l’écosystème. Néanmoins ces innovations seront difficiles à mettre en œuvre dans les pays en développement. [2]

P. V. : Comment rendre durable la gestion des forêts ?

Y. V. et P. A. : Deux remarques préliminaires.

Une question de vocabulaire : que faut-il entendre par rendre durable la gestion forestière ? Faut-il mettre l’accent sur les hommes, les acteurs, les textes de lois ? Ou au contraire s’attacher à mieux comprendre le fonctionnement du milieu forestier et à son enseignement ?

Une question d’échelle : les arguments ne sont pas les mêmes suivant que l’on pense à la forêt française ou aux forêts du monde.

Pour la France il est possible en premier abord de s’appuyer sur une panoplie de brillants rapports de chercheurs ou de parlementaires. Une lecture critique de différentes initiatives : « Forestiers juniors », « A l’école de la forêt », expérience devenue « La forêt s’invite à l’école », les chartes forestières de territoire, la création du label forêt d’exception… sont des marqueurs de la marche vers une gestion durable. La focalisation sur des sujets problématiques mais polémiques comme les coupes rases, les espèces envahissantes, l’utilisation des produits chimiques en forêt, les risques de la monoculture… n’est pas saine. Elle mérite, certes, des débats mais son utilisation est souvent caricaturale et manipulatrice. Les solutions dans l’air du temps sur la libre évolution des forêts, les forêts sauvages voire la réactivation du mythe des forêts primaires vont à l’encontre de la gestion multifonctionnelle qui reste un véritable défi à relever.

Le concept de déforestation importée montre que les pratiques alimentaires, notamment des pays développés (utilisation de l’huile de palme par exemple), influent sur la déforestation dans le monde tropical. Il oblige à sortir d’une vision étroite et nationale des questions forestières.

Copyright Juin 2022-Veyret-Arnould-Verluise/Diploweb.com


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. Yvette Veyret et Paul Arnould publient « Atlas du développement durable. Un monde en transition  », cartographie Claire Levasseur, éd. Autrement, 2022, 2 e édition.

Le développement durable est une notion complexe, qui considère l’environnement dans son sens large : ressources, biodiversité, alimentation, santé, risques naturels et technologiques, gestion des déchets...
Quels sont les objectifs à atteindre et les réponses apportées pour réussir la transition ?
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Yvette Veyret est agrégée de géographie, professeur émérite de géographie à l’Université Paris-Nanterre, auteur d’une thèse de doctorat d’Etat sur les paléoenvironnements. Elle est spécialiste de l’environnement, des risques, du développement durable. Paul Arnould est professeur émérite de géographie à l’Ecole normale supérieure ENS de Lyon. Spécialiste des forêts et de l’environnement il travaille aussi sur la biodiversité, la multifonctionnalité, la nature en ville et la labellisation. Il fait partie de l’UMR, Unité mixte de recherche EVS, Environnement Ville Société qu’il a dirigé de 2007 à 2010. Yvette Veyret et Paul Arnould publient « Atlas du développement durable. Un monde en transition  », cartographie Claire Levasseur, éd. Autrement, 2022, 2 e édition. Propos recueillis par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb.com. Producteur de trois Masterclass sur Udemy : "Les fondamentaux de la puissance" ; "Pourquoi les données numériques sont-elles géopolitiques ?" par Kévin Limonier ; "C’était quoi l’URSS ?" par Jean-Robert Raviot.

[1Cf. SDSN and IEEP. 2020. “The 2020 Europe Sustainable Development Report : Meeting the Sustainable
Development Goals in the face of the COVID-19 pandemic
”. Site Web : https://sdgindex.org/EU

[2Cf. Bellon-Maurel V., Huyghe Ch.2016 https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2016-3, Gaudoin Ch . 2020 https://www.agriculture-strategies.eu/2020/03/


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Auteur / Author : Paul ARNOULD, Pierre VERLUISE, Yvette VEYRET

Date de publication / Date of publication : 26 juin 2022

Titre de l'article / Article title : Dans un monde en transition, quel développement durable ? Entretien avec Y. Veyret et P. Arnould

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Comment définir le développement durable ? Quid des inégalités aujourd’hui en matière d’IDH, de santé et de faim ? Quelles sont les preuves de la dégradation accélérée en matière de gaz à effet de serre, d’accès à l’eau, de dégradation des sols et de biodiversité ? Quelles réponses durables au changement climatique ? Comment mieux gérer la biodiversité ? Comment imaginer et mettre en œuvre un tourisme durable ? Voici quelques-unes des questions de Pierre Verluise auxquelles Yvette Veyret et Paul Arnould apportent des réponses précises. Avec deux cartes.

Yvette Veyret et Paul Arnould publient « Atlas du développement durable. Un monde en transition  », cartographie Claire Levasseur, éd. Autrement, 2022, 2 e édition.

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