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Le couple SNLE Borey-missile Bulava, une histoire de la Force océanique stratégique (FOST) russe

Par Cyril GLOAGUEN*, le 30 octobre 2025.

Dans le contexte stratégique présent, il est précieux de disposer d’une approche documentée de la situation de la Force océanique stratégique russe. Ce document est exceptionnel tant par la qualité et la quantité d’informations à propos de la dissuasion nucléaire russe dans sa dimension navale que par la précision de l’expression. C’est à la fois une mine d’or et une leçon de méthode.

Malgré l’entrée en service à la fin des années 2010 du missile Bulava et de son SNLE porteur de la classe Borey, le retard qualitatif, quantitatif et, surtout, technologique de la FOST russe sur son adversaire américain, mais aussi demain chinois [1], non seulement ne devrait pas se réduire, mais pourrait s’amplifier en raison du fléchage des budgets militaires opéré depuis plus de trois ans vers les armées de Terre et de l’Air, qui contrairement à une Marine (VMF) très marginalisée, constituent le moteur même de l’ « opération militaire spéciale » (SVO) en Ukraine. Il n’est pas impossible que dans les années à venir, la Marine russe (VMF) se retrouve ainsi devant le choix cornélien de devoir arbitrer entre la modernisation de ses flottes de surface et de sous-marins d’attaque, encore très dépendantes de bâtiments construits sous l’URSS, et celle de son parc de SNLE …

EN
Despite the deployment of the Bulava missile and Borei-class SSBNs in the late 2010s, the Russian Strategic Deterrent Force continues to lag behind its American counterpart − and potentially Chinese in the future − in quality, quantity, and technology. This gap is unlikely to narrow and may even widen due to recent military budgets prioritizing the Army and Air Force, which underpin Russia’s “special military operation” in Ukraine, over the increasingly marginalized Navy (VMF). In the coming years, the VMF may face a critical dilemma : whether to modernize its aging surface and attack submarine fleets, still reliant on Soviet-era vessels, or to prioritize its ballistic missile submarine (SSBN) fleet…

A Monsieur Jourdain (qui se reconnaîtra)

LE MISSILE naval Bulava et le sous-marin Borey sont, respectivement, le premier SLBM et le premier SNLE conçus et construits par la Russie post-soviétique. Ces deux programmes condensent à eux seuls, si l’on peut dire, tous les aléas géopolitiques et politiques, les crises financières, les à-coups technologiques et les nécessaires adaptations industrielles qui furent le lot commun de cette nouvelle Russie de l’après-1991, au moins jusqu’à la première moitié des années 2010. Le Bulava n’aurait jamais dû voir le jour et naît précipitamment dans les remous politico-industriels provoqués par l’échec du développement d’un autre missile, le Bark, que devait initialement embarquer le Borey dans un design différent de celui qu’on lui connaît en 2025. Bulava et Borey sont aussi le résultat d’une volonté politique invariable : celle du Kremlin de disposer, malgré tous les obstacles financiers, technologiques et industriels, d’un outil naval performant capable de renforcer par ses capacités de seconde frappe une triade nucléaire où le poids des missiles terrestres (en silo et sur TEL [2]) demeure, quoi qu’il en soit, prépondérant. Enfin, ce missile et ce sous-marin servent aussi de toile de fond à la lente modernisation et à l’adaptation de la FOST russe au paysage géopolitique né des grands traités d’Arms Control, des relations et des crises soviéto puis russo-américaines et, plus largement, des avancées et des percées technologiques et militaires de part et d’autre.

Après un bref point sur l’influence des grands traités des années 1970 et 1990 (SALT et START) sur le développement des missiles intercontinentaux navals, on entrera dans le détail des programmes Bulava et Borey, sur les raisons et les hasards qui ont présidé à leur naissance, sur leur gestation, on étudiera les dysfonctionnements techniques qui ont bien failli provoquer leur avortement, avant de conclure par une rapide revue des programmes et des concepts en cours, ou supposés en cours, susceptibles de remplacer ce missile et ce sous-marin à l’horizon 2050.

Cyril Gloaguen
Ancien attaché naval et militaire en Russie et au Turkménistan, ancien collaborateur des Nations Unies en Abkhazie/Géorgie, docteur en géopolitique (IFG, Paris VIII).
Gloaguen/Diploweb.com

Avant-propos

Lorsqu’au mitan des années 1980 débutent les première études qui mèneront au SNLE [3] Borey et à son missile naval (SLBM [4]) Bulava tels qu’on les connaît aujourd’hui, l’URSS vit ses dernières années. La FOST [5] soviétique est alors à son apogée avec entre 70 et 80 SNLE en service (contre treize en 2025 [6]), l’invasion de l’Afghanistan (1979) bat son plein, R. Reagan vient de lancer sa « Guerre des étoiles [7] » (1983) et si cinq traités importants, qui bornent le déploiement et le développement des armements nucléaires, ont été signés (Traité sur l’espace extra-atmosphérique en 1967, TNP [8], ABM [9], Salt I [10] et II), les tensions géopolitiques, après une courte période de détente [11], sont reparties à la hausse, tout comme la modernisation des arsenaux nucléaires et conventionnels. La crise des « Euromissiles » marque l’apogée de ces tensions [12]. En 1985, M. Gorbatchev devient Secrétaire général du Comité central du Parti communiste. L’URSS est à bout de souffle, mais ses réformes (Glasnost, Perestroïka), qui conduisent droit au démantèlement de l’URSS [13] en décembre 1991, sont aussi propices, pour diverses raisons, à la négociation de nouveaux grands traités internationaux. Gorbatchev avait-il seulement le choix ? [14] Citons les FNI [15] et MTCR [16] en 1987, le Ballistic Missile Launch Notification Agreement en 1988, FCE [17], Start I et II (1991 et 1993).

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Le couple SNLE Borey-missile Bulava, une histoire de la Force océanique stratégique (FOST) russe. C. Gloaguen. Document complet
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Cyril Gloaguen, ancien attaché naval et militaire en Russie et au Turkménistan, ancien collaborateur des Nations Unies en Abkhazie/Géorgie, docteur en géopolitique (IFG, Paris VIII).

[1Voir « U.S.-China Rivalry Sparks a Submarine Arms Race », The Wall Street Journal du 8 septembre 2025.

[2TEL : tracteur-érecteur-lanceur, ou, en anglais, transporter erector launcher.

[3SNLE : sous-marin nucléaire lanceur d’engins (c’est-à-dire de missiles balistiques intercontinentaux nucléaires).

[4Missile mer-sol balistique stratégique (MSBS) en français. En anglais, SLBM (Submarine Launched Ballistic Missile).

[5FOST : Force océanique stratégique (en russe « морские стратегические ядерные силы/forces stratégiques nucléaires navales »). La FOST est la composante de la dissuasion nucléaire qui met en œuvre les SNLE, les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.

[68 Borey (dont 5 Borey-A) récents et 5 vieux Delta-IV. Sur ces 13 SNLE, 2 au moins sont chaque année en arrêt technique de longue durée (rechargement du cœur, modernisation des systèmes, etc.). 5 autres Borey sont en construction, ce qui portera leur nombre total à 13 unités, dont 10 en version Borey-A.

[7Initiative de défense stratégique (IDS). L’IDS prend appui sur 2 idées : 1) la dissuasion doit être complétée par un mécanisme de prévention d’une première frappe par l’URSS rendue possible par l’existence des missiles MIRVés, notamment des gros SS-18. 2) Utiliser les avancées technologiques américaines pour forcer les Soviétiques à dégager des ressources financières aux développements de nouvelles armes sur fond de crise financière, de façon à les amener à de nouvelles négociations. L’URSS tentera de faire interdire l’IDS dans le cadre de l’article V du Traité ABM (1972).

[8Le Traité de non-prolifération des armes nucléaires a été signé en 1968.

[9Traité sur la limitation des systèmes antimissiles balistiques (Anti-Ballistic Missile) (1972).

[10Strategic Arms Limitation Talks, 1972

[11Volonté, notamment, des deux camps de sortir de la logique (doctrine) de Destruction Mutuelle Assurée (MAD en anglais) qui repose sur l’idée que URSS et Etats-Unis possèdent un arsenal nucléaire suffisamment puissant pour garantir la destruction totale de l’adversaire en cas de guerre nucléaire, même après une frappe en premier de l’un d’entre eux. Cette capacité à infliger des dégâts inacceptables à l’adversaire (frappe en second) dissuaderait chaque partie de lancer une première frappe.

[12La crise dite des « Euromissiles » débute en 1976 avec l’installation en Europe de l’Est de missiles soviétiques IRBM SS-20, auquel les Etats-Unis vont répondre en installation en Europe de l’Ouest des Pershing II, et s’achève en 1987 par la signature du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF/FNI) qui élimine les missiles à portée intermédiaire basés à terre (IRBM).

[138 décembre 1991, les dirigeants de la Biélorussie, de l’Ukraine et de la RSFSR déclarent que « l’URSS en tant que sujet de droit international et réalité géopolitique a cessé d’exister ». Signature de l’accord créant la Communauté des États indépendants (CEI) ouverte à tous les États membres de l’URSS.

[14En 1985, l’URSS dépensait encore pour sa défense quelque 15 à 20 % de son PIB. La SDI de Reagan va mettre l’URSS face à un mur à la fois financier et technologique et renforcer la position des États-Unis dans les pourparlers de contrôle des armements. Lors des sommets de Genève (1985) et Reykjavik (1986), Gorbatchev va chercher, en vain, à limiter la SDI en échange de réductions nucléaires avant d’accepter des concessions (traité INF de 1987). Voir aussi note de bas de page 4.

[15Intermediate-Range Nuclear Forces/ Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (500 à 5500kms).

[16Régime de contrôle de la technologie des missiles.

[17Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (1990).


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Citation / Quotation

Auteur / Author : Cyril GLOAGUEN

Date de publication / Date of publication : 30 octobre 2025

Titre de l'article / Article title : Le couple SNLE Borey-missile Bulava, une histoire de la Force océanique stratégique (FOST) russe

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Dans le contexte stratégique présent, il est précieux de disposer d’une approche documentée de la situation de la Force océanique stratégique russe. Ce document est exceptionnel tant par la qualité et la quantité d’informations à propos de la dissuasion nucléaire russe dans sa dimension navale que par la précision de l’expression. C’est à la fois une mine d’or et une leçon de méthode.

Malgré l’entrée en service à la fin des années 2010 du missile Bulava et de son SNLE porteur de la classe Borey, le retard qualitatif, quantitatif et, surtout, technologique de la FOST russe sur son adversaire américain, mais aussi demain chinois [1], non seulement ne devrait pas se réduire, mais pourrait s’amplifier en raison du fléchage des budgets militaires opéré depuis plus de trois ans vers les armées de Terre et de l’Air, qui contrairement à une Marine (VMF) très marginalisée, constituent le moteur même de l’ « opération militaire spéciale » (SVO) en Ukraine. Il n’est pas impossible que dans les années à venir, la Marine russe (VMF) se retrouve ainsi devant le choix cornélien de devoir arbitrer entre la modernisation de ses flottes de surface et de sous-marins d’attaque, encore très dépendantes de bâtiments construits sous l’URSS, et celle de son parc de SNLE …

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Despite the deployment of the Bulava missile and Borei-class SSBNs in the late 2010s, the Russian Strategic Deterrent Force continues to lag behind its American counterpart − and potentially Chinese in the future − in quality, quantity, and technology. This gap is unlikely to narrow and may even widen due to recent military budgets prioritizing the Army and Air Force, which underpin Russia’s “special military operation” in Ukraine, over the increasingly marginalized Navy (VMF). In the coming years, the VMF may face a critical dilemma : whether to modernize its aging surface and attack submarine fleets, still reliant on Soviet-era vessels, or to prioritize its ballistic missile submarine (SSBN) fleet…

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