Quel avenir pour l’Amérique Latine dans la globalisation ?

Par Gérard-François DUMONT, le 1er janvier 2007  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Recteur. Professeur à l’Université de Paris IV.

Vaste zone géographique et aux diverses populations, l’Amérique Latine avec ses 34 pays connaît une mutation sociale, économique et politique importante, les populations aspirent à la démocratisation de leurs Etats, à la stabilité de leurs institutions, à la réforme du système judiciaire et à la lutte contre la corruption. La rupture avec les chimères des révolutions et l’atonie générale des systèmes se transforment par des transmutations en forces régionales et en acteurs de la globalisation. Néanmoins, les élections, ainsi que les droits économiques, constituent toujours des inégalités disparates d’un pays à un autre. L’intégration régionale constitue aussi un aspect positif dans le rapprochement entre les différents pays et entraîne l’émergence de forces régionales qui s’internationalisent tels que le Brésil, le Venezuela, le Chili, ou l’Argentine.

L’année 2005 a été marquée par des événements cruciaux dans l’avenir politique et économique de l’Amérique Latine : quatrième sommet des Amériques, celui du Mercosur, les élections présidentielles en Bolivie avec la candidature de l’indien Evo Morales, au Chili avec la percée de la candidate socialiste Michelle Bachelet et l’élection de Zelaya en Honduras. Une année qui s’achève avec la tenue du sommet de l’OMC tant attendu par les puissances émergentes latino-américaines. Quel est aujourd’hui la place ainsi que le rôle du continent sud-américain dans l’élaboration de l’économie mondiale ? Quel est l’état de ses relations avec ses partenaires européens et américains ? Quel avenir leurs prédestinent les nouvelles logiques de la mondialisation ?

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le site www.diploweb.com est heureux de vous présenter sur Internet un entretien de Gérard-François Dumont, « Quel avenir pour l’Amérique latine dans la globalisation ? », paru dans Géostratégiques, n° 11, mars 2006, pp. 177-188.

Géostratégiques : En tant que spécialiste de la géographie humaine, pourriez-vous nous rappeler le contexte de l’évolution économique, sociale et politique des Etats d’Amérique Latine ?

G.F. DUMONT : Le contexte se trouve fondamentalement changé pour trois raisons. Depuis l’implosion soviétique, les Etats-Unis ne peuvent plus justifier des politiques de soutien à des régimes autoritaires ou dictatoriaux puisque le risque de voir un pays d’Amérique latine se ranger dans le bloc soviétique, et donc devenir un outil dans la guerre froide (Cf. la crise des fusées d’octobre 1962), n’existe plus. Deuxièmement, la globalisation planétaire (il faut en effet distinguer l’échelle de cette globalisation planétaire et celles des diverses globalisations régionales dont la plus intense est celle de l’Union européenne) , dont on peut dater la véritable naissance de 1994, année de création de l’Organisation mondiale du commerce, contraint beaucoup moins l’Amérique latine à des liens économiques privilégiés avec l’Amérique du Nord. [1]
Troisièmement, même si les évolutions démographiques de l’Amérique latine se caractérisent par une nette décélération, le rapport de force change. En 1950, l’Amérique du Nord était légèrement plus peuplée que l’Amérique latine. En 2005, l’Amérique latine pèse 559 millions d’habitants contre 329 en Amérique du Nord. (Cf. « La population des continents et des pays », Population et Avenir, n° 675, novembre-décembre 2005.)

Voir aussi : Quelle intégration de l’Amérique du Sud ? Les infrastructures de liaison des régions périphériques et les tendances

Géostratégiques : Quels sont les problèmes majeurs auxquels le continent latino-américain est confronté ?

G.F. DUMONT : Il faut d’abord citer l’insuffisance, voir l’absence d’état de droit, dans un contexte où la corruption, corollaire d’une bureaucratie souvent importante, demeure une pratique très courante du nord au sud de l’Amérique latine. Comme la presse nous l’a appris, même le parti et les proches de Lula s’y sont adonnés. À cela s’ajoute de profondes inégalités sociales dont la résorption est limitée par une insuffisance de classes moyennes. Enfin, on refuse souvent de citer un autre élément important, la dimension nationaliste qui explique bien des attitudes.

Géostratégiques : Les différentes communautés ethniques qui composent les populations de l’Amérique Latine (Europe, Afrique, Proche et Moyen-Orient et Inde) cohabitent sans grandes difficultés, en revanche, depuis quelques années, la question des Noirs commence à émerger à Cuba et au Brésil où les descendants d’esclaves revendiquent une plus grande autonomie pour la sauvegarde de leur patrimoine afro-américain. Comment expliquez-vous cette marginalisation qui pose la question de l’inégalité entre différentes communautés ethniques ?

G.F. DUMONT : En 1998, j’ai rêvé un jour que la difficulté des Noirs américains à accepter leur identité soit levée. En effet, Recteur de l’Académie de Nice, j’ai organisé, pour commémorer les 150 ans de l’abolition de l’esclavage, une visioconférence entre des lycéens des Alpes-Maritimes et de Martinique. Au cours de la discussion que j’animais, un lycéen des Alpes-Maritimes a posé la question aux jeunes Martiniquais : « Y a-t-il parmi vous des descendants d’esclaves ». Tous les jeunes Martiniquais ont éclaté de rire et l’un a répondu : « Mais, nous sommes tous des descendants d’esclaves ». Ils semblaient ainsi accepter le passé tragique de leurs ancêtres et donc prêts à se tourner vers l’avenir. Malheureusement, d’autres idéologies sont à l’œuvre qui raisonnent comme s’il fallait refaire le passé. Or, on ne refait pas le passé ; il ne sert à rien de reprocher aux Allemands actuels les malheurs et les atrocités que Hitler et ses troupes ont commis en France ou l’occupation pendant plus de 35 ans de l’Alsace-Lorraine. Vouloir refaire le passé ne peut d’ailleurs conduire qu’à des catastrophes et explique de nombreux conflits. Le problème des Noirs américains est identitaire. Trop d’entre eux continuent de vivre dans l’idée impossible de réécrire le passé, et se comportent en conséquence comme s’ils devaient porter ce passé comme un boulet, tout en refusant une partie de ce passé, le fait que des Noirs aussi ont participé au trafic du bois d’ébène. Ils se mettent alors en situation de marginalisation, développent une sorte de complexe d’infériorité, d’où leur difficulté à participer à un développement endogène, même dans les territoires latino-américains où ils sont majoritaires. Et des hommes politiques utilisent ce sentiment identitaire, à l’exemple de Jean-Bertrand Aristide expliquant la pauvreté d’Haïti dans les années 2000 par les conditions de l’indépendance de 1804 ! Comme si l’on expliquait les difficultés rencontrées par la France d’aujourd’hui par Bismarck et les Prussiens !

Géostratégiques : Un peu plus de 17 millions d’enfants sont encore exploités dans divers secteurs économiques (industrie manufacturière, commerce, etc.) et agricoles. Quelles sont en ce sens les politiques de prévention et de protection des enfants mises en œuvres par ses Etats ?

G.F. DUMONT : Il faut bien constater que les politiques en question sont dans une large mesure, là où cette exploitation est la pire, aux abonnés absents. Il faut ajouter que cette exploitation touche aussi des adultes. D’où la question du commerce équitable dans le cadre de l’OMC et des règles du Bureau international du travail.

Géostratégiques : Le marxisme a constitué un danger pour l’Eglise catholique en Amérique Latine, avait dit Jean Paul II, aujourd’hui, l’Eglise catholique a une faible influence dans un continent de 528 millions d’âmes au profit d’autres religions et sectes. Quel est l’avenir de la religion catholique dans le sous-continent américain et que propose le Vatican pour remédier à ce déclin ?

G.F. DUMONT : Concernant l’Eglise catholique, votre question semble dire que le verre est à moitié vide, mais il est aussi à moitié plein. Partout dans le monde, la première règle stratégique de l’Eglise catholique est de préserver son unité, d’empêcher des schismes qui mettraient le vers dans le fruit et la minerait, réduisant sa présence spirituelle mais aussi, en conséquence, son poids géopolitique. Or, il faut bien constater que l’Eglise catholique d’Amérique latine est parvenue, non sans difficultés, à maintenir son unité et, surtout, son lien avec l’évêque de Rome. Cela lui donne d’importantes marges d’action et lui permet de conserver un caractère universel. Le développement d’autres religions chrétiennes et de sectes est incontestable, d’autant qu’elles proposent une vision spirituelle souvent plus primaire, donc plus aisée pour des populations parfois peu alphabétisées. Mais chacune d’entre elle exerce plutôt son influence à un échelon local, sans pouvoir se référer à une dimension universelle. Les difficultés de l’Eglise catholique en Amérique latine restent celle d’une religion confrontée à un athéisme parfois militant présent depuis longtemps, comme au Mexique, mais qui pourrait s’étendre dans le cadre de la diffusion d’un esprit de sécularisation.

Géostratégiques : Evos Morales, premier président indigène de la Bolivie, prône, depuis la découverte des gisements gaziers de la province de Tarija, la nationalisation du gaz et le développement de la culture du Coca. Cela mettra t- il fin à la guerre du gaz ? A ce titre, quel rôle jouera ce pays puisqu’il recèlera la plus grande réserve de gaz d’Amérique du Sud ?

G.F. DUMONT : Il faut d’abord rappeler qu’on ne connaît guère d’économie fondée sur une rente qui permette un développement durable. D’ailleurs un prix Nobel d’économie, le néerlandais Jan Tinbergen, a démontré ce qu’on appelle le « syndrome hollandais », c’est-à-dire combien la découverte de gaz naturel aux Pays-Bas a provoqué des déséquilibres économiques, donc plus d’inconvénients que d’avantages. Au cours de l’année 2005, on a vu par exemple le Tchad décider de ponctionner les quelques revenus pétroliers mis de côté pour les générations futures à des fins, semble-t-il, militaires. Et même les sages norvégiens ont élu un nouveau gouvernement qui considère qu’on peut se permettre de ponctionner dans les revenus des recettes du pétrole qu’on avait décidé de préserver pour le futur. Les exemples de l’Iran, de l’Irak, de l’Algérie, de l’Arabie saoudite ou du Kazakhstan montrent que les rentes d’hydrocarbures ont deux effets. Premièrement, elles n’enrichissent guère les populations. Deuxièmement, elles sont source de conflits à l’intérieur des pays ou en raison du contexte géopolitique. La nationalisation du gaz bolivien permettrait peut-être d’augmenter les redevances du gouvernement bolivien, mais quel serait l’usage fait de ces redevances ? Deuxièmement, on peut imaginer de fortes tensions internes pouvant aller jusqu’à des risques sécessionnistes dans la province de Santa Cruz qui possède ce gaz. Enfin, le gaz ne change pas la nature des relations de la Bolivie avec le Chili qui restent difficiles en raison de leur histoire.

Géostratégiques : Quelles différences, voyez-vous, entre le gouvernement du Venezuela et d’autres gouvernements d’Amérique latine, comme le Brésil et l’Argentine, par exemple ?

G.F. DUMONT : Il demeure une importance essentielle dans la vie institutionnelle. Chacun de ses pays se définit officiellement sous une forme fédérale. Mais le fédéralisme y est vécu très différemment. Au Venezuela, le fédéralisme est étouffé par l’importance de la rente pétrolière et de sa distribution. En Argentine, les effets équilibrants du fédéralisme sont limités par une réalité macrocéphalique, avec Buenos Aires dont l’agglomération regroupe 34% de la population du pays. En revanche, le fédéralisme brésilien concourt dans une certaine mesure à une émulation globalement profitable au développement.

Géostratégiques : Le cas du Venezuela est atypique. Pour contester la globalisation, Chavez est soutenu dans sa vision populiste. Il illustre le type de contestation contrôlée par le pouvoir. Que deviendrait alors la démocratie si le contrôle de l’Etat est plus renforcé ?

G.F. DUMONT : Chavez ne conteste pas dans ses actes la globalisation : il entre au Mercosur et ne retire pas son pays de l’OMC. Il utilise la bonne vieille méthode politique consistant à unifier son électorat sur un repoussoir commun extérieur, qui est la place des Etats-Unis dans le monde. Le bouc émissaire d’un PIB par habitant moitié moindre (en parité de pouvoir d’achat) que celui du Chili, plus de moitié moindre de celui de l’Argentine et huit fois moindre que celui des Etats-Unis, est ainsi tout trouvé. En même temps, son admiration pour Castro le conduit à affectionner quelqu’un dont le seul « mérite » (sic) est d’être parvenu à conserver le pouvoir depuis 1959 en utilisant tous les moyens. Si Chavez a la même ambition, empêcher toute alternative démocratique, on peut être soucieux de l’avenir de la démocratie au Venezuela.

Géostratégiques : Le Soja est devenu le moyen incontournable qui permet au gouvernement argentin de Nestor Kirchner de finaliser son budget et tenir ses engagements internationaux. Ce produit sera-t-il un nouvel instrument international de marchandage au sein de l’OMC ?

G.F. DUMONT : Selon votre formulation, le soja serait un instrument de marchandage, mais il en est de même de toutes les productions agricoles, industrielles ou tertiaires.

Ce qui a permis à l’Argentine de sortir de la crise de 2002 tient moins aux décisions du gouvernement qu’à l’état d’esprit des Argentins qui conservent un esprit pionnier lié à une volonté de vivre au pays (la crise a peu déclenché d’émigration). Restent les coûts et les réflexes de l’héritage du système péroniste qui empêchent l’Argentine de redevenir un pays dont le PNB par habitant était encore dans les années 1950 supérieur à celui de la France. Alors que l’économie du Venezuela s’est enfermée dans le pétrole, celle de l’Argentine n’est nullement prisonnière du soja, mais bénéficie aussi d’autres ressources (prairies, élevage, hydrocarbures, énergie hydro-électrique), et d’un capital humain soutenu par un système éducatif souvent de qualité ou par la capacité des Argentins à aller se former dans les meilleures universités étrangères avant de revenir faire profiter leur pays de leurs compétences.

Géostratégiques : Comment expliquez-vous la tentation américaine de recruter des mercenaires (ex-officiers colombiens) en Colombie par la société Halliburton Latinoamérica, anciennement dirigé par le vice-président Dick Cheney (source El Tiempo) ?

G.F. DUMONT : Le besoin crée l’offre. Partout dans le monde, ceux qui considèrent avoir besoin de mercenaires en recrutent. Rappelons par exemple ces slaves qui dirigeaient les avions ivoiriens de Laurent Gbagbo pour bombarder des troupes françaises exerçant une mission de paix dans le cadre de décisions de l’ONU en Côte d’Ivoire.

Géostratégiques : Deux tendances se distinguent en Amérique Latine, l’une conformiste-opportuniste, et l’autre révolutionnaire. Cela dit, aujourd’hui le débat se focalise sur une gauche destructrice et une gauche constructrice. Comment définissez-vous le retour de la gauche anti-libérale en Amérique Latine ?

G.F. DUMONT : Je pense qu’il faut globalement interpréter cette évolution comme un progrès démocratique permis, comme précisé ci-dessus, par la fin du soviétisme. Il n’y a pas de démocratie sans possibilité d’alternative. La « gauche constructive » est selon moi, celle qui joue le jeu de la démocratie et accepte que l’électorat puisse ne pas lui renouveler son mandat. La « gauche destructive » est celle qui pense avoir le droit de conserver le pouvoir, quitte à contourner les règles démocratiques.

Quant à l’adjectif « anti-libéral », il est largement inadapté à beaucoup de pays d’Amérique latine. L’économie de l’Amérique latine est souvent bridée non par des règles libérales, mais au contraire par des règles bureaucratiques qui nuisent à la liberté d’entreprendre, de créer un commerce, de créer un artisanat, donc de créer des emplois et de la richesse, règles qui, en outre, contribuent à la corruption.

Géostratégiques : Comment expliquez-vous la montée des mouvements sociaux contre le néolibéralisme en Amérique Latine ?

G.F. DUMONT : Les médias adorent parler des contestataires et le plus connu dans le monde n’est pas un latino-américain, mais un français, José Bové. Contester est aisé, construire plus difficile. Sur un plan intellectuel, je suis satisfait que les antimondialisations aient changé leur nom en altermondialistes, car ils ont ainsi confirmé mes analyses. Sur le plan des idées, on attend toujours les propositions concrètes permettant de changer le monde. José Bové, à Honk Kong, en décembre 2005, a bien proposé pour chaque pays le souverainisme économique, chacun enfermé derrière ses frontières. Or, aucun chef d’Etat ne le propose…

Géostratégiques : Par quel moyen les Etats-Unis tentent de recadrer ce revirement à gauche ?

G.F. DUMONT : Lorsqu’il s’agit d’une « gauche constructive », les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à la combattre. La croissance de la démocratie ne peut nuire aux Etats-Unis et les libertés, dont la liberté d’entreprendre, qui accompagne inévitablement toute vraie démocratie, ne peuvent qu’être favorable au développement, comme l’a montré le prix Nobel Amartya Sen, et donc améliorer le sort des partenaires économiques de l’Amérique du Nord. Le problème se pose avec la « gauche destructrice » dans la mesure où elle peut avoir les moyens de contribuer à la déstabilisation d’autres pays, comme Le Venezuela en Colombie ou au Guyana, voire de tenter de perturber de l’intérieur les Etats-Unis par la manipulation de ses ressortissants aux Etats-Unis.

Géostratégiques : L’intégration sous-régionale, à l’image de la Communauté andine des nations, ouverte comme champ d’essai de la globalisation et comme inducteur de rationalité économique et de convergence politique constitue-t-elle une voie de développement pour les pays les plus pauvres de l’Amérique Latine ?

G.F. DUMONT : Ce pourrait être effectivement une voix de développement, mais elle suppose dans chaque pays de très nombreuses réformes structurelles et la progression vers un état de droit. La Communauté andine a encore un très long chemin à parcourir pour parvenir à des résultats probants.

Géostratégiques : L’échec du quatrième sommet des Amériques, tenu à Mar del Prata en Argentine, reflète la dichotomie existante entre le projet américain de la création d’une zone libre d’échange (ZLEA) et le refus sud-américain de l’hégémonie américaine. Quel est le poids de l’organisation des Etats Américains dans le continent et en quoi se résument ses objectifs ?

G.F. DUMONT : Mon analyse est différente. Il n’y a pas eu véritablement échec, mais un changement du contexte. La ZLEA, organisation s’inscrivant dans une ambition de globalisation régionale, pouvait être considérée comme une nécessité pour faciliter le développement de l’Amérique latine lors de son annonce par George Herbert Bush dans un discours du 27 juin 1990. Depuis, la globalisation mondiale a fortement progressé avec l’OMC et surtout l’adhésion à l’OMC de pays comme la Chine. La ZLEA n’est plus un impératif de développement pour l’Amérique du Sud. En revanche, elle le serait pour l’Amérique centrale, et le grand perdant du sommet de Mar del Plata est le Mexique, qui aurait, bien entendu, besoin de la Zlea.

Géostratégiques : Cuba est toujours exclue de l’OEA, quel est le devenir de l’île dans cette restructuration régionale et une présence américaine plus agressive ?

G.F. DUMONT : Le devenir de l’île ne peut que susciter une grande inquiétude, si l’on excepte les images touristiques. Même si Cuba, après Castro, cherchait à s’approcher de règles démocratiques, il reste très difficile de digérer un demi-siècle d’un régime dictatorial, liberticide, fondé sur la menace permanente et les crimes politiques. Et il n’est pas sur que la diaspora cubaine, excédé par tous les « démocrates » qui à travers le monde, à l’instar de la femme d’un ancien président de la république française, ont contribué au maintien de la dictature castriste, puisse exercer un rôle de stabilisation.

Géostratégiques : Le Mercosur (Marché commun du Sud - Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Venezuela) est une véritable force économique régionale développant une association économique avec la Bolivie, le Chili, le Pérou, la Colombie et l’Equateur. Comme évaluez-vous l’évolution de cette intégration régionale, intéressant aussi bien les États dans leur intégralité que leurs villes ou leurs régions.

G.F. DUMONT : Le Mercosur n’est pas à ce jour une force régionale et il se développe dans un contexte fort différent de celui de l’Union européenne car l’un de ses membres, le Brésil, est un « géant ». Je vois plutôt le Mercosur comme une économie-monde, au sens de Fernand Braudel, avec un centre – Sao Paulo- et une périphérie, ce qui ne veut pas dire que la périphérie ne puisse pas bénéficier de ses échanges avec le centre.

Géostratégiques : Le 27e sommet du Mercosur tenu le 17 décembre 2004 à Ouro Preto, au Brésil, officialise l’entrée de trois nouveaux membres associés : l’Equateur, la Colombie et le Venezuela. La Panama ainsi que le Mexique envisagent d’intégrer le marché. La Communauté sud-américaine des nations (CSAN) qui prévoit une fusion du Mercosur avec la Communauté andine (Venezuela, Colombie, Equateur et Bolivie) et l’intégration du Chili, du Guyana et du Surinam. Une véritable intégration économique qui aspire à une force régionale. Comment les Etats-Unis perçoivent cette coordination des politiques macroéconomiques et sectorielles ?

G.F. DUMONT : Les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à contrer ces évolutions. Le véritable problème demeure celui de la réforme de l’ONU et de son Conseil de sécurité où l’Amérique latine mériterait d’être mieux représenté, ce qui diminuerait le poids des Etats-Unis, mais également des autres membres permanents. Mais le principal adversaire du Brésil en la matière est peut-être le Mexique. Quant à l’Afrique, elle ne parvient pas à s’entendre sur un candidat commun tandis que la Chine ne veut pas voir l’Inde… Et il ne faut oublier l’importance des nationalismes en Amérique latine.

Géostratégiques : L’Union européenne est le premier partenaire de la zone Mercosur. Quelles sont ses ambitions dans la région ?

G.F. DUMONT : Dans le contexte d’une Europe dont l’atonie démographique limite par définition la croissance économique, les économies européennes ont intérêt à développer leurs échanges et leur présence économique en Amérique latine. Contrairement à ce qu’on dit, la globalisation a sauvé des milliers d’emplois en Europe en permettant à des entreprises européennes d’être compétitives grâce aux marchés extérieurs. L’Union européenne a donc un intérêt majeur à développer ses relations avec le Mercosur.

Géostratégiques : Nous sommes à la fin de l’année du Brésil en France, quel bilan peut-on tirer de cette expérience exceptionnelle ?

G.F. DUMONT : Le bilan est évidemment positif, même si j’aurais aimé que cette occasion permette encore plus de faire connaître la géographie historique, politique, culturelle, démographique du Brésil.

Copyright mars 2006-Dumont / Géostratégiques


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[1Constatant l’usage abusif du mot mondialisation, utilisé en France comme un fourre-tout jamais clairement défini, Gérard-François Dumont distingue une dimension normative, la globalisation, une dimension géographique, l’internationalisation et une dimension relevant de la pratique des agents économiques, la mondialisation. En géostratégie, c’est évidemment la dimension normative, celle qui relève des décideurs politiques (gouvernements, parlements, organisations régionales ou internationales), qui se trouve au cœur de la réflexion. Cf. Gérard-François Dumont, « Globalisation, internationalisation, mondialisation : des concepts à clarifier », Géostratégiques, n° 2, février 2001, p. 5-22.


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