Les incertitudes de l’identité ukrainienne

Par François de JABRUN , le 24 décembre 2008  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Chef de bataillon (Armée de Terre, France), Collège interarmées de défense, 15e promotion, 2007-2008.

Géopolitique de l’Ukraine. Quatre ans après la Révolution orange, le défi de l’Ukraine reste notamment de réussir à dépasser les antagonismes identitaires latents que lui ont légués l’histoire et la géographie. Les Ukrainiens ne parlent pas tous la même langue aujourd’hui. La population ukrainienne est ukrainophone ou russophone, ou encore mélange les deux langues. L’identité ukrainienne s’appuie donc sur une langue slave dont les expressions sont plurielles. Les Ukrainiens sont majoritairement chrétiens mais leur foi ne s’exprime pas dans les mêmes églises. A côté de la particularité gréco-catholique, trois Eglises orthodoxes concurrentes accueillent les fidèles ukrainiens du territoire et de l’émigration. Le rapprochement religieux autour de Kiev, cette capitale de l’orthodoxie, n’apparaît pas probable. Même l’expression politique souffre de ces divisions. Partis et leaders politiques s’opposent dans la répartition politique de leur électorat mais aussi dans l’approche des liens à maintenir ou à modifier avec les voisins de l’Ukraine.

Mémoire de géopolitique rédigé au CID dans le cadre du séminaire : « Les questions identitaires dans les équilibres internationaux », sous la direction de François Thual.


INTRODUCTION

« Plus nombreux que les Polonais, plus virils et plus cultivés que les Roumains, plus loyaux envers leurs aspirations nationales que les Tchèques eux-mêmes, ils forment la nation la plus romantique de l’Europe – la nation que personne ne connait. » [1]

PAYS DE L’EUROPE ORIENTALE, la république d’Ukraine née en 1991 rassemble, pour la première fois de son histoire, la majeure partie des populations ukrainiennes. Ce ne fut pas toujours le cas et explique combien difficile est la construction de son identité.

L’identité d’un peuple repose sur quelques fondements essentiels qui lui permettent de s’épanouir et de se révéler. En Europe, l’achèvement de la construction d’une identité aboutit généralement sous la forme d’un Etat-nation. Ce qui construit initialement l’identité d’un peuple est ce par quoi les hommes de ce peuple se reconnaissent identiques. Elle s’exprime évidemment par une communauté de langue, de religion, de traditions culturelles. Elle nécessite toutefois un territoire défini sur lequel s’exprimer. Sans terre, sans frontières, un peuple est en errance et la source de nombreux conflits est cette quête territoriale, corollaire de l’expression identitaire. L’identité est donc marquée par la géographie et par l’histoire qui, toutes deux, peuvent se jouer de l’identité.

La construction d’une identité suit donc un processus lent. Il part de la reconnaissance de ces caractères communs et se poursuit jusqu’à trouver son expression ultime dans un mode d’organisation établi, comme l’Etat-nation en Europe. Le cas ukrainien est, à cet égard, singulièrement révélateur. Cette « nation que personne ne connaît  » en 1934 est une nation que l’Europe redécouvre aujourd’hui. L’identité ukrainienne peine aujourd’hui à atteindre l’âge adulte. Fruit de courants contraires ou parallèles, inscrits dans le temps, elle cherche maintenant à sortir de ses incertitudes. Le choix a priori simple entre l’Europe occidentale et l’Europe orientale est en vérité plus complexe. Sur les deux rives du Dniepr, les Ukrainiens ont des repères différents. La route vers la pleine expression d’une identité unique en Ukraine ne semble pas achevée.

L’histoire n’a guère été généreuse pour l’identité ukrainienne tant l’Ukraine, « fantôme de l’Europe » [2], a été occupée et partagée par ses puissants voisins au cours des siècles. Bien que ceux-ci n’aient laissé que peu d’espace à l’expression des Ukrainiens, des formes de revendication identitaire ont toutefois réussi à éclore lentement mais sans cohérence. Le défi actuel de l’Ukraine serait d’achever sa quête identitaire dont les caractéristiques semblent opposées.

Les incertitudes de l'identité ukrainienne
Atlas de l’Ukraine, Francois de Jabrun
Cartes de l’Ukraine à travers les siècles

I. L’UKRAINE, « FANTOME DE L’EUROPE »

L’histoire a longtemps freiné la construction de l’identité ukrainienne

Voltaire écrivait : « l’Ukraine a toujours aspiré à être libre ; mais entourée de la Moscovie, des états du Grand seigneur et de la Pologne, il lui a fallu chercher un protecteur, et par conséquent un maître dans l’un de ces trois Etats  » [3].

Si l’on prend comme référence les frontières actuelles de l’Ukraine, un bref aperçu historique révèle combien difficile a pu être l’affirmation des Ukrainiens en Ukraine au cours des siècles. Les Ukrainiens n’ont un territoire ukrainien véritablement reconnu et stabilisé que depuis la fin de l’URSS (1991). Auparavant, l’Ukraine est le jouet des rivalités de puissances voisines et passe sous leur domination.

1. AVEC LA ROUS’ DE KIEV, QUAND L’HISTOIRE DEVIENT MYTHE

Le territoire ukrainien n’est pas une réalité géographique et politique jusqu’au XXème siècle. Son histoire originelle ne semble lui offrir qu’une origine mythique exprimée dans la Rous de Kiev.

Dans l’Antiquité, la steppe de l’Ukraine n’est qu’une terre de passage

Sa steppe est d’abord la zone de passage de peuplades venues de l’Oural et de la Caspienne. Les Kourganes atteignent les rives de la Mer Noire vers le cinquième millénaire et disparaissent vers l’an 2000 avant Jésus-Christ. Ils sont suivis par d’autres tribus qui ne se fixent pas sur ce territoire. Ce sont les Cimmériens de 2000 à 700 avant notre ère, puis les Scythes jusqu’en 339 avant Jésus-Christ et les Sarmates jusqu’au IIème siècle de notre ère. Ces tribus laissent peu de traces de leur passage. Les Grecs installent des comptoirs sur la rive de la Mer Noire dès le Vème siècle. Les colonies de Tyras, Olbia, Chersonnèse et de Perticapée sont des ports céréaliers permettant de relier la Méditerranée. Elles sont majoritairement détruites par les invasions des Huns vers 270. L’Empire romain puis byzantin prend ensuite la relève en se limitant toujours à la frange côtière et à la Crimée entre les Vème et XVème siècles.

Slaves et Varègues se rencontrent pour créer un nouvel Empire

Au 7ème siècle, des tribus slaves arrivent du nord et s’installent le long des rives des principaux fleuves. Le Boug, le Dniepr et leurs affluents voient donc se développer une société essentiellement rurale. Les premiers centres d’échange apparaissent et font éclore les premières villes dont Kiev [4]. La société de ces Slaves orientaux repose sur un système familial et patriarcal. Bien qu’ils parlent une langue commune, le protoslavon, ils n’ont aucune unité politique.

Leurs sociétés sont organisées par des immigrés venus du nord. Les Varègues [5] (Vikings) descendent les fleuves afin de relier la Baltique à la Mer Noire. A la demande des tribus slaves, ils se chargent de l’organisation sociale le long des fleuves et développent les cités. Ils adoptent les mœurs et la langue des Slaves mais constituent la classe dirigeante. Autour des villes, leurs chefs débutent une première unification politique comme en 802 Rurik, le prince de Novgorod. Son fils, Oleg, s’empare de Kiev en 882 et fonde un Etat plus vaste. La Rous’ [6] de Kiev est née. La dynastie des Rurikides étend cet empire en soumettant les tribus locales et en développant sa capitale, Kiev. Les princes de Kiev vont jusqu’à assiéger Constantinople en 911 et à obtenir un traité de commerce avec l’empire byzantin.

La Rous’ poursuit son essor malgré deux sources chroniques d’instabilité : la succession n’est pas héréditaire mais l’unité est garantie par la soumission des cadets à l’aîné, d’autres tribus orientales progressent vers les steppes. Wladimir (960-1015) conquiert la Volhynie et la Galicie qu’il prend aux Polonais. Il s’allie aux empereurs byzantins dont il épouse la sœur, Anne, en 989. Kiev est au faîte de sa puissance. En 988, il se fait baptiser dans la foi chrétienne. Acte autant politique que religieux, il fonde la chrétienté slave. Le peuple se convertit au christianisme mais ne se vassalise pas à Byzance. La Rous’ entre dans le monde chrétien et peut nouer des contacts avec les grands royaumes de l’Occident. La fille de Wladimir, Anne, épouse ainsi le roi de France, Henri 1er en 1051. L’apogée de la Rous’ s’exprime aussi dans un foisonnement artistique dont Kiev est le cœur. Le premier « art russe » s’exprime dans les églises à plan carré, à trois absides et de multiples coupoles. La cathédrale Sainte-Sophie, une école théologique, une bibliothèque, le code législatif de la rouskaïa pravda sont autant d’expressions de cet essor de la culture roussienne.

Les luttes internes conduisent ensuite à l’émiettement de cet empire en de nombreuses principautés. La Rous’ disparait lorsque les Mongols s’emparent de Kiev en 1240. Quelques population fuient vers les Carpates et se réorganisent dans un petit Etat indépendant autour de Lvov, la principauté de Halitsch-Volhynie. Celle-ci sera cependant vassalisée par la Lithuanie.

Qui pourrait être l’héritier de la Rous’ de Kiev ?

L’héritage de la Rous’ est une question cruciale de la formation des identités russe et ukrainienne. Les nationalistes ukrainiens ont toujours tenté une captation de cet héritage. Est-ce justifié ?

Il est certes évident que la Rous a fourni les premiers éléments de l’identité ukrainienne. Les Ukrainiens sont des Slaves issus du mélange de ces tribus et des Varègues. La langue ukrainienne est issue du protoslavon. La conversion de Wladimir inscrit le christianisme oriental dans l’identité ukrainienne et Kiev, centre spirituel de cette chrétienté slave, est la mère de toutes les villes russes. Les Ukrainiens peuvent donc, à raison, se réclamer de la Rous’ de Kiev.

Ils ne sont toutefois pas les seuls descendants de cet Empire. Russes et biélorusses peuvent légitimement réclamer leur part d’héritage slave et chrétien oriental. Leurs langues aussi découlent du protoslavon. L’héritage est donc partagé par ces trois peuples slaves orientaux. Une carte de la Rous’ montre combien son étendue dépassait au nord les frontières de l’actuelle Ukraine.

Par ailleurs, après l’invasion mongole, Kiev perd sa prééminence aux dépens de Moscou. Pour les Russes, le cœur de la Rous’ se serait déplacé vers le nord. Il leur semble tout légitime que la Moscovie soit le descendant de la Rous’. Pour eux, la Rous’ perdure et la Russie doit en rassembler les héritiers sous sa coupe. Biélorusses et Ukrainiens devraient donc lui être soumis. Leur lecture historique justifiera et justifierait encore la négation de cette identité ukrainienne. C’est la raison pour laquelle ils appellent l’Ukraine, Malo Russia, petite Russie.

L’héritage de la Rous ne peut donc être capté uniquement par les Ukrainiens. Leurs arguments justifient les arguments contraires des Russes. La Rous a certes fondé en partie ces deux nations en leur offrant leurs premières caractéristiques identitaires. L’identité ukrainienne ne peut se limiter à cet héritage mythique.

2. L’UKRAINE SOUS LE BOISSEAU OCCIDENTAL

Après la disparition de la Rous, l’histoire d’une nation indépendante sur la steppe de l’Ukraine est mise en sommeil par la géographie. Elle est écartelée entre les puissances de l’époque et le jouet de leurs luttes. Son identité est alors marquée initialement par une influence occidentale.

Les Lithuaniens débutent l’occidentalisation douce des Ukrainiens (1340 -1569)

L’éclatement des Rurikides sous la pression mongole fait naître une multitude de principautés qui peinent à demeurer indépendantes. La Galicie est ainsi autonome au XIIème siècle. Elle s’unit ensuite à la Volhynie et le prince de Galicie-Volhynie reconnait l’autorité de Rome en 1253. La première tradition catholique sur une terre ukrainienne nait alors dans sa frange occidentale. La dynastie s’éteint et l’invasion lithuanienne fait disparaitre cette principauté en 1340.

Les Lithuaniens repoussent les Mongols au-delà du Dniepr et occupent Kiev en 1362. La majeure partie de l’Ukraine est désormais occupée par la Lituanie. Puis, après le traité de Krevo, la Pologne s’empare de la Volhynie et de la Galicie.

Cette influence demeure jusqu’au début du XVIème siècle mais les caractéristiques propres à l’Ukraine sont maintenues. Le statut lithuanien de 1529 maintient les coutumes kiéviennes et l’orthodoxie demeure puissante sur la rive gauche du Dniepr. La Lituanie se trouve alors au centre de la lutte entre le monde orthodoxe et russe et le monde polonais et catholique.

Puis la grande Pologne marque plus durablement cette orientation vers l’Occident (1569 -1648)

L’Union de Lublin

En 1569, l’Union de Lublin consacre l’union du royaume de Pologne et du Grand-duché de Lituanie. L’influence polonaise triomphe alors sur les territoires de la Podlachie, de la Volhynie, de la Podolie, de Bratslav et de Kiev et de l’Ukraine du sud du Dniepr. L’Ukrainien est désormais en situation d’infériorité dans une société stratifiée. L’aristocratie polonaise domine et assimile peu à peu une partie de la noblesse ukrainienne ; la bourgeoisie demeure un mélange de peuples essentiellement non ukrainiens (Juifs, Allemands). La paysannerie, seule, demeure ukrainienne mais ne dispose d’aucun droit ni politique, ni civil ; elle est totalement dépendante des seigneurs.

L’Union de Brest-Litovsk et le premier catholicisme ukrainien

Le catholicisme gagne les élites aristocratiques ukrainiennes polonisées tandis que les paysans demeurent fidèles à l’orthodoxie. Par l’Union de Lublin, l’Eglise catholique voit toutefois en Ukraine l’occasion de ramener une part de la chrétienté orientale dans son giron. La volonté réformatrice du patriarche de Constantinople provoque le mécontentement du haut clergé orthodoxe, déjà sensible au dynamisme et à la richesse de l’Eglise catholique. En 1590, le métropolite et le haut clergé reconnaissent l’autorité du Pape. En 1596, le concile de Brest-Litovsk entérine cette décision d’union. La naissance de cette Eglise ukrainienne gréco-catholique, dite uniate, marque le début de tensions religieuses fortes. Chaque parti cherche des appuis extérieurs : les catholiques vers la Pologne et les orthodoxes vers la Moscovie. Le bas clergé orthodoxe et la paysannerie résistent à l’influence catholique et polonaise. Ils tentent de maintenir une forme d’identité orthodoxe et ukrainienne mais leur dépendance vis-à-vis des élites ralliées limite sa force.

Ils trouvent un relais chez les Cosaques [7] zaporogues qui naissent dans les steppes du bas Dniepr. Dès le XVIème siècle, ces steppes se repeuplent de paysans et de guerriers qui s’organisent avec un gouvernement autonome et qui élit un chef, l’hetman. La Pologne leur reconnait une certaine autonomie en 1572 : la Siètche, le centre administratif et la base d’opération des Cosaques zaporogues, est reconnue et leurs privilèges assurés. Les Polonais tentent toutefois de reprendre le contrôle de la rive droite du Dniepr que contrôlent les Cosaques.

Ces années de domination polono-lithuanienne ont fixé une première empreinte occidentale sur l’Ukraine

Pendant près de quatre siècles, l’Ukraine n’existe pas en tant que telle et est dominée par les Lithuaniens et les Polonais. Le royaume de Pologne et le Grand-duché de Lithuanie sont deux puissances catholiques majeures et leur domination sur l’Ukraine n’est pas neutre.

L’influence lithuanienne parait mineure par la liberté qu’elle consent initialement aux spécificités ukrainiennes. L’occupation polonaise semble moins souple. Elle a provoqué une césure au sein de la société ukrainienne : des élites polonisées et catholicisées, une masse paysanne attachée à l’orthodoxie. Elle obtient un double résultat paradoxal. Une identité ukrainienne occidentale voit le jour. Elle est catholique ou gréco-catholique. Elle participe au développement culturel formidable de l’Ukraine occidentale par la diffusion de la Renaissance italienne et les liens avec l’Occident. L’Ukraine devance même la Moscovie dans la diffusion de l’humanisme. Les collèges Jésuites d’Ukraine sont renommés et peuvent rivaliser avec leurs rivaux orthodoxes. A Kiev, le collège orthodoxe Mohyla, fondé en 1632, cherche à rivaliser avec ces collèges occidentalisés. Il forme pourtant les élites ukrainiennes en leur dispensant un enseignement en latin, proche de celui des universités occidentales.

A contrario, cette domination occidentale a aussi nourri une forme de résistance identitaire. L’identité ukrainienne se cristallise alors sur l’orthodoxie et sur le caractère paysan de sa population. Le mythe nourri par les prétendues républiques cosaques, havres de liberté, en est l’expression la plus évidente.

Un prolongement de l’influence occidentale demeure ensuite en Galicie orientale et en Ruthénie subcarpathique. Après le partage de la Pologne en 1772, cette région est rattachée à l’empire austro-hongrois. Un régime plus libre vis-à-vis des aspirations ukrainiennes y est pratiqué. L’objectif est clairement de construire un contrepoids à l’influence russe sur l’Ukraine. Ainsi le compromis austro-hongrois de 1867 donne un statut d’autonomie à la province de Galicie (Landtag). La vie paysanne s’y améliore et le servage y est aboli en 1848. Cette tolérance autrichienne permet le développement de la société civile. Lvov, devenu Lemberg, devient un centre culturel très actif avec une université autonome reconnue. Son rayonnement dépasse la frontière austro-hongroise et touche le reste de l’Ukraine.

3. PUIS LA GRANDE RUSSIE ETOUFFA LA PETITE-RUSSIE

L’arrivée de la Russie dans l’histoire ukrainienne débute par un malentendu. L’hetman cosaque, Bogdan Khmelnitsky, s’oppose à la domination polonaise. Pour cela, il recherche la protection de la Moscovie et signe le traité de Pereislav le 16 janvier 1654. Le Tsar reconnaît les droits des hetmans et les libertés cosaques. En fait, les Russes y trouvent l’occasion de réunifier la Rous’ sous leur domination et de vassaliser l’Ukraine, cette Petite-Russie. Après la mort de Khmelnitsky en 1657, ils s’entendent rapidement avec les Polonais pour dépecer l’Ukraine.

L’Empire russe « avale » la Petite-Russie (1667 - 1905)

Polonais et Russes s’accordent lors de la paix d’Androusovo, le 13 janvier 1667, pour se partager l’Ukraine de part et d’autre du Dniepr et dissoudre toute velléité d’autonomie. La plus grande partie, vingt-deux millions d’habitants, est soumise à l’autocratie russe. Cet Etat centralisé et patrimonial met sous dépendance la Petite-Russie, partie intégrante de l’Empire.

La Russie impose son autorité sur l’Ukraine

Un protectorat, l’hetmanchthina, laisse subsister une certaine autorité aux hetmans mais leurs prérogatives sont progressivement rognées. L’Eglise orthodoxe ukrainienne est soumise à l’autorité du patriarcat de Moscou. En 1720, toute publication en ukrainien est interdite. L’intégration complète de l’Ukraine à la Russie est réalisée par le Tsar Pierre le Grand. En 1722, elle n’est qu’une simple province russe et les hetmans disparaissent. En parallèle, la Russie affirme son emprise sur la paysannerie ukrainienne. Il est interdit aux paysans de quitter la terre et donc de fuir vers les terres libres des steppes. L’impôt par âme de la réforme fiscale de 1719 renforce la dépendance du monde paysan. Les terres riches sont alors distribuées et constituent de grands domaines où les paysans sont soumis à la corvée. Catherine II poursuit cette politique de dépendance ; son oukase du 3 mai 1783 introduit le servage en Ukraine. La liberté séculaire du paysan ukrainien disparaît et toute mobilité sociale est de facto interdite.

La Russie ne peut cependant pas laisser libre les steppes du sud de l’Ukraine. Les Tsars cherchent donc à reconquérir ces territoires et à obtenir ainsi un débouché sur la Mer Noire. Elle affronte ici l’empire ottoman. En 1771, les Russes conquièrent la Crimée. La paix de Kouchouk-Kainardj avec la Turquie en 1774 donne l’indépendance à la Crimée, mais dans l’orbite russe, et concrétise l’occupation russe jusqu’au Boug. Catherine II affirme vouloir « rassembler les terres russes ». Elle y parvient aux dépens de la Pologne. Elle maintient cependant les privilèges de la noblesse polonaise et ukrainienne assimilée. Après les résistances des Cosaques et leur alliance avec la Suède en 1708, elle supprime toutefois leurs privilèges et fait détruire la Siètche.

L’Ukraine est alors administrée par un gouvernement militaire. Cette domination n’est cependant pas si excessive. Potemkine, nommé prince de Tauride, [8] assure le gouvernement de la province ukrainienne à partir de 1762. Il affirme concentrer ses efforts pour le développement de cette « nouvelle Russie ». Le développement économique est assuré par l’arrivée de colons allemands qui permet une prodigieuse croissance démographique. Cette politique est poursuivie par le duc de Richelieu, nommé gouverneur de la nouvelle Russie par le Tsar Alexandre 1er entre 1805 et 1814. L’administration est réformée, l’éducation progresse notamment dans l’enseignement secondaire, Odessa devient le premier port d’exportation des blés d’Ukraine. Toutes ces avancées économiques profitent à l’Ukraine mais l’inscrivent aussi un peu plus sous la domination russe.

L’Ukraine est alors fondue dans l’empire russe

Le XIXème siècle semble confirmer l’empreinte russe sur l’Ukraine. La centralisation se renforce. La langue ukrainienne est interdite dans un oukase de 1876. Le terme même d’Ukraine est banni au profit de celui de Petite-Russie. L’économie de la province ukrainienne se développe mais au bénéfice de l’Empire. Son industrie est complémentaire de l’industrie russe et les Russes dominent les circuits financiers ; une conséquence particulière dont les effets se révèlent aujourd’hui est l’apport de population russe en Ukraine. En effet, l’attachement de la population ukrainienne à la terre la maintient dans une agriculture traditionnelle de faible rendement. Le besoin industriel est donc comblé par des immigrés russes qui fournissent la majeure partie de la classe ouvrière et une grande part de la bourgeoisie urbaine et commerçante, avec les Juifs. La croissance urbaine est considérable et permet une certaine amélioration du niveau d’éducation. Ceci se fait toutefois dans le cadre contraignant russe. A cet égard, les élites ukrainiennes sont absorbées par la culture dominante. Des écrivains ukrainiens, comme Gogol, écrivent en russe. Les artistes ukrainiens sont attirés par Saint-Petersbourg. Un milieu culturel commun, panrusse, n’accepte pas de réelle distinction.

La transition et les périodes troublées ne remettent pas complètement en cause la tutelle russe (1905 – 1921)

Les mouvements qui touchent l’empire russe à partir de 1905 affectent l’Ukraine sans lui permettent d’affirmer son autonomie. Le foisonnement politique est le même à Kiev qu’à Petrograd et les Ukrainiens semblent alors suivre la voie tracée par leurs frères grands-russes.

La Première Guerre mondiale voit les Ukrainiens écartelés s’affronter sous les bannières russes et austro-hongroises. Elle ouvre surtout une période de troubles que la révolution de 1917 catalyse. Les Russes occupent la Galicie en 1915 mais sont chassés par une contre-offensive allemande. L’Ukraine existe alors par intermittences mais subit surtout le débordement de la révolution russe et son corollaire, les tentatives d’ingérence des puissances occidentales. Entre 1917 et 1920, près de six armées combattent sur les steppes ukrainiennes : armées blanches de Wrangel et de Dénikine, armée rouge, armée polonaise de Pilsudski, contingents occidentaux et armée anarchiste de Makhno [9]. Toutes les tentatives d’indépendance ukrainienne sont balayées par ces combats et par l’ingérence croissante des Russes par le biais des bolchéviques ukrainiens.

L’Union des républiques socialistes soviétiques prend le relai des Tsars (1921 – 1991)

En mars 1921, le traité de Riga entérine le partage de l’Ukraine entre ses voisins. La Pologne garde la Galicie orientale, la Roumanie prend pied en Bukovine du nord et en Bessarabie du sud, la Ruthénie (ou Ukraine) subcarpathique rejoint la Tchécoslovaquie et l’URSS s’empare à nouveau de l’Ukraine centrale et orientale.

Quand le pouvoir bolchevique hésite entre centralisme et autonomie des nationalités

L’attitude des bolcheviques vis-à-vis des nationalités est d’abord empreinte de fédéralisme, mais l’autonomie est toute relative. Le parti communiste de l’Union soviétique prend le relai du Tsar pour affirmer son centralisme. Les velléités ukrainiennes en subissent les conséquences. En 1919 déjà, les régiments ukrainiens de l’Armée rouge sont supprimés. Un accord en décembre 1920 proclame l’union militaire et économique de l’Ukraine avec la Russie. Les domaines importants de la vie économique sont engerbés dans une structure exécutive commune. En 1921, Moscou affirme sa volonté en menant une forte répression de l’Armée rouge et de la Tcheka [10] en Ukraine. Des combattants de la guerre civile sont massacrés et des patriotes ukrainiens sont éliminés à l’étranger. Surtout, la Russie continue d’exploiter économiquement l’Ukraine. L’approvisionnement par l’agriculture ukrainienne est un enjeu majeur pour l’URSS dont l’attitude est désormais marquée par l’opportunisme. Dans les années vingt, la nouvelle économie politique (NEP) promeut une forme d’autonomie culturelle, voire l’ukrainisation. Avec une certaine liberté accordée aux paysans, l’agriculture reprend et entraîne la reprise de l’industrie ukrainienne. Le communisme devrait alors pouvoir s’enraciner dans les cultures nationales.

Puis Staline essaie de « désukrainiser » violemment l’Ukraine

Cependant, la centralisation reprend en 1927 et aboutit en 1930 à une mise sous tutelle économique accompagnée de répression et d’épuration. La période stalinienne atteint le paroxysme de l’influence russe et de l’étouffement des aspirations ukrainiennes. L’industrialisation et la collectivisation de l’agriculture sont forcées et vont à l’encontre des coutumes ukrainiennes et provoquent une réaction forte du pouvoir central. L’élimination de la paysannerie, les purges politiques en sont l’expression. Les cadres urbains du parti font liquider les paysans riches, les koulaks, en 1929-1930 comme dans le reste de l’Union. C’est entre 1930 et 1932 que la collectivisation forcée est accélérée. Les terres sont réquisitionnées et des quotas de production excessifs sont fixés au-delà des possibilités ukrainiennes. Les récoltes chutent alors d’un tiers. La loi d’août 1932 sur la propriété d’Etat instaure la peine de mort à qui glane du blé. Les champs sont protégés et la famine s’étend sur l’Ukraine. Entre cinq et six millions d’Ukrainiens meurent de cette politiques et près d’un million sont déportés. Un observateur note que « les seuls à manger à leur faim dans les campagnes étaient les communistes et les anthropophages ». Staline réussit à briser la résistance du monde paysan ukrainien et, en corollaire, intensifie de facto la russification. En effet, des paysans russes sont déplacés vers l’Ukraine dont les villages sont dévastés. Certains historiens ukrainiens y voient d’ailleurs une volonté de détruire l’identité ukrainienne. A cet égard, les purges staliniennes touchent aussi l’Ukraine : les élites intellectuelles sont éliminées, les « nationalistes bourgeois » sont stigmatisés au procès de Kharkov en avril 1930 et le parti communiste ukrainien est épuré. L’église ukrainienne orthodoxe autocéphale est dissoute.

La Deuxième Guerre mondiale marque une parenthèse de désordre mais renforce la présence russe sur toutes les terres ukrainiennes. Le pacte Molotov-Ribbentrop du 23 août 1939 permet le partage de la Pologne et l’entrée de l’Armée rouge en Galicie. Cette partie occidentalisée de l’Ukraine est alors « nettoyée » par le NKVD [11] et rattachée à l’URSS. L’armée allemande poursuit toutefois ses offensives et conquiert Kiev en septembre 1939. L’Ukraine est alors occupée mais aussi divisée : l’Ukraine occidentale et la Galicie se rattachent, comme la Pologne, à un ministère allemand, l’Ostland, la Bukovine et Odessa demeurent sous la férule de Roumanie, alliée de l’Allemagne, le reste de l’Ukraine et la Crimée passent sous la coupe d’une administration militaire avec un Gauleiter particulièrement violent. La résistance ukrainienne s’organise contre les Allemands mais une part des Ukrainiens rejoint les Allemands pour contrer les Soviétiques.

La fin de la guerre cristallise la réunion de toutes les terres ukrainiennes sous l’autorité soviétique : la Roumanie cède la Bukovine et la Bessarabie dès 1940, la Pologne perd les terres de Galicie et la Tchécoslovaquie la Ruthénie subcarpathique en 1945. Le parti communiste impose des mouvements de population entre Pologne et Ukraine, près d’un million de Polonais sont chassés d’Ukraine occidentale. La force russe, par les Soviétiques, veut ainsi clore le chapitre occidental de l’histoire ukrainienne.

La soumission de l’Ukraine se poursuit sous le giron de l’URSS

Pendant la période de Guerre froide (1947-1991), l’Ukraine demeure fidèlement dans le giron russe et soviétique. Son développement se poursuit, grâce notamment à ses richesses agricoles. Après 1956 et le 20ème congrès, commence la déstalinisation. Le premier secrétaire, Nikita Kroutchev, originaire d’Ukraine, provoque un certain nombre de réformes au niveau de l’union qui s’appliquent en Ukraine. La centralisation perdure mais est mâtinée d’une part de régionalisation dans le domaine économique. L’industrie lourde se développe alors en Ukraine. La contestation politique peut éclore mais est toujours jugulée par le pouvoir central. L’union ukrainienne ouvrière et paysanne de Loukianenko prône l’autodétermination en 1960. Ses responsables sont arrêtés et condamnés l’année suivante. Le KGB continue la répression des mouvements nationalistes, avec le lot habituel de procès politiques et d’arrestations d’intellectuels. Les années 1970, marquées par l’ère Brejnev, sont une période de stagnation économique et de répression politique. Cette constante demeure jusqu’à l’ouverture, provoquée par Moscou et qui aboutit à l’explosion de l’Union soviétique en 1991.

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Ces dix siècles d’histoire de l’Ukraine sont profondément marqués par une géographie défavorable aux velléités d’indépendance ukrainienne. A aucun moment, toutes les populations se définissant comme ukrainiennes n’ont pu se rassembler sur un même territoire avec un gouvernement indépendant. Même la Rous’ primitive ne peut être considérée comme une première nation exclusivement ukrainienne. Elle ne donne que ses racines, slave et orthodoxe, à l’Ukraine mais aussi à la Russie et à la Biélorussie.

Tout au long de cette période, la terre ukrainienne et sa population majoritairement paysanne ont été soumises au joug de ses puissants voisins. Ces derniers ont fixé leur empreinte culturelle sur ces vassaux. A l’ouest, les Polonais et les Lithuaniens ont conquis les élites ukrainiennes aux valeurs occidentales et catholiques par une politique d’assimilation quasi permanente. Leurs successeurs autrichiens et hongrois ont poursuivi cette voie. A l’est, les Russes ont imposé leur loi à leurs « frères de Petite-Russie ». Que ce soient les Tsars ou leurs successeurs de la dictature communiste, ils ont continuellement cherché à russifier cette province et à lui dénier toute perspective d’autonomie à long terme.

Le soft power occidental et le hard power oriental ont manifestement fait de l’Ukraine ce fantôme de l’histoire européenne contemporaine. Sans terre et face à ces puissances « voraces », le peuple ukrainien a eu du mal à pouvoir se construire une identité propre et autonome. Toutefois et paradoxalement, une forme complexe et hétérogène de conscience nationale ukrainienne a pu naître et aboutir à l’actuelle république ukrainienne.

II. LA LENTE NAISSANCE DES IDENTITES UKRAINIENNES


Malgré les difficultés d’expression, des caractéristiques identitaires ukrainiennes ont pu se révéler

« L’Ukraine s’unit à la Pologne, comme une sœur à sa sœur (…). [Puis] l’Ukraine se rapprocha de la Moscovie et s’unit à elle, comme un peuple slave à un autre peuple slave.(…) Mais bientôt l’Ukraine vit qu’elle était tombée en esclavage(…) et l’Ukraine tomba, mais ce ne fut qu’en apparence(…). Car la voix de l’Ukraine ne s’est pas éteinte. Et l’Ukraine se lèvera de son tombeau. » [12]. Ainsi exprimaient les nationalistes ukrainiens du XIXème siècle la permanence d’une volonté nationale ukrainienne.

En effet, sous les dominations polono-lithuanienne et russe, des formes de revendication identitaire ukrainienne ont vu le jour et se sont développées. La naissance d’une certaine conscience nationale repose sur des initiatives diverses et sans cohérence visible. Le nationalisme ukrainien s’est nourri des premières expériences cosaques et s’est développé au XIXème siècle de part et d’autre du Dniepr avec plus ou moins de liberté d’expression. Il a abouti à des indépendances ukrainiennes temporaires et parcellaires, avant la proclamation de l’actuelle république d’Ukraine. Il s’exprime enfin avec des caractéristiques communes à tous les Ukrainiens mais aussi avec des oppositions issues des orientations historiques, occidentale ou orientale.

1. LES COSAQUES ONT EXPRIME UNE PREMIERE FORME DE VOLONTE AUTONOME UKRAINIENNE

Dans l’histoire ukrainienne, la cosaquerie occupe une place singulière qui en ferait l’expression primitive et fondatrice d’une identité propre. Les Cosaques zaporogues vont effectivement cristalliser les mécontentements d’une population sous domination étrangère. Deux hetmans, Khmelnytskyï puis Mazeppa, en sont l’expression la plus vivante. Toutefois, il faut mesurer la portée de ces mouvements, leurs limites et leur véritable caractère d’affirmation d’une identité ukrainienne.

Des premiers Cosaques à la révolte de Bogdan Khmelnytskyï

Les premières « républiques cosaques »

Initialement, au XVIème siècle, les Cosaques constituent des corps de mercenaires en demi-indépendance. Ce groupements sont soumis à une forte discipline et organisés en sotnias (centuries). Ce phénomène n’est d’ailleurs pas spécifique à l’Ukraine avec ses Cosaques zaporogues car existent aussi par exemple des Cosaques du Don. Se développent donc dans les steppes du bas Dniepr des républiques anarchiques, qualifiées de républiques cosaques. La paysannerie y est certes libre mais c’est l’interprétation historique postérieure qui idéalisera cette organisation. L’historien Kostomarov les qualifie de « pépinières de la liberté ukrainienne ».

En fait, le territoire sur lequel elles apparaissent est constitué de la steppe du sud, ces « champs sauvages » où aucune souveraineté n’est véritablement affirmée. Ni la Pologne, ni la Russie, ni l’empire ottoman ne s’y sont encore implantés. La menace des raids Tatars a fait fuir les populations et seule une petite paysannerie y demeure libre. Toutefois la pression polonaise sur le monde ukrainien paysan entraîne, à partir du XVIème siècle, un repeuplement de ces steppes. Ces colons s’organisent alors de manière autonome et se soumettent à l’autorité d’un chef élu, l’ « hetman ». La forteresse de la Siètche (ou Sitch) est construite sur une île du Dniepr et constitue la base administrative et presque politique des Cosaques Zaporogues.

La rencontre avec les Polonais est dans un premier temps presque consensuelle. La Pologne reconnaît les privilèges particuliers des Cosaques sur une zone qu’elle ne maîtrise pas encore. De leur côté, les hetmans constituent l’autorité suprême et contrôle les voies de communication à travers la steppe. Par ailleurs, ils sécurisent une sorte de zone tampon entre la Pologne et les Tatars. Toutefois cette trop grande liberté ennuie la Pologne, tout comme la Russie, et ces deux puissantes vont tenter de rogner ce privilège cosaque.

La révolte de Bogdan Khmelnitsky, première tentative d’indépendance ?

La légende ukrainienne fait de la révolte menée par l’hetman Khmelnitsky la première occasion manquée pour l’Ukraine de devenir indépendante.

L’avancé polonaise au cours du XVIème siècle provoque plusieurs soulèvements des paysans libres et des Cosaques. En effet, ceux-ci cristallisent les oppositions sociales et religieuses. L’exemple des privilèges cosaques présente un danger pour les nobles polonais dont les paysans pourraient s’inspirer. Par ailleurs, le gouvernement polonais s’étant refusé à reconnaître la hiérarchie orthodoxe, les Cosaques représentent le rempart de l’Eglise orthodoxe. Deux aspects de l’identité ukrainienne s’affirment donc par les Cosaques : un monde paysan et libre, la religion orthodoxe. La conséquence naturelle est le rapprochement de la Moscovie par opposition à la Pologne. En 1625, le métropolite de Kiev et les Cosaques demandent la protection du tsar de Moscovie.

En 1637, une guerre oppose les Cosaques aux Polonais sur la rive droite du Dniepr. Elle tourne à l’avantage de la Pologne qui soumet les Cosaques de cette région. Elle nourrit les revendications et les ressentiments cosaques en termes de liberté, de protection des paysans et d’indépendance religieuse. Bogdan Khmelnitsky, un noble cosaque qui avait déjà combattu sous la bannière de Condé à Dunkerque en 1645, se fait élire hetman en janvier 1648. Il entame une campagne contre les Polonais et les oblige à négocier alors qu’après avoir pénétré en Galicie, il assiège Lvov. Ses succès l’inclinent à exprimer les attentes de ces Ukrainiens que pourraient être les Cosaques. Le traité de Zborov en août 1649, octroyé par « sa Grâce royale aux armées zaporogues », offre un espace d’expression à une identité ukrainienne slave et orthodoxe. Les cosaques enregistrés résident dans les voïvodies de Kiev, Braclav et Tsernyhiv, interdits à l’armée polonaise, l’union des Eglises est abolie et les nobles orthodoxes assurent l’administration.

L’ambition de l’hetman et la persistance d’un modèle social contraignant pour la paysannerie poussent les cosaques à négocier avec Moscou et à affronter à nouveau l’armée polonaise. Ces nouvelles guerres, en 1651 et en 1653, sont désastreuses pour les Cosaques. Ces derniers redemandent donc la protection du Tsar qui aboutit au traité de Pereislav en janvier 1654. Par ce traité, les cosaques espèrent une alliance avec la Moscovie mais entérinent en fait leur allégeance à une nouvelle puissance dominante. Le gouvernement russe reconnaît certes un statut d’autonomie à cette armée irrégulière des Cosaques mais impose sa domination aux territoires ukrainiens et à leur population non cosaque.

Mazeppa prend le relai et exprime une première volonté politique propre

Pour les nationalistes ukrainiens, Ivan Mazeppa est plus qu’un héros de l’indépendance ukrainienne, le créateur d’un premier Etat ukrainien. Héritier de la situation de Pereislav, ce noble cosaque commence par collaborer avec l’empire russe. Il soutient ainsi les expéditions de Pierre le grand en Crimée et contre la Suède. Il est plus qu’un hetman à l’image de ses prédécesseurs : il bénéficie de l’appui de l’Eglise dont il se veut protecteur, il encourage les manifestations artistiques. Surtout, il apparaît comme un véritable homme d’Etat avec de réels objectifs politiques. A l’intérieur, il légifère comme un souverain par ses Universal (règlements) vis-à-vis des cosaques. Il mène aussi un embryon de politique extérieure vers l’autre rive du Dniepr pour réunifier l’Ukraine. La guerre que mène Pierre le Grand contre la Suède éloigne cependant les Cosaques de leurs terres.

Mazeppa fait alors un pari risqué en abandonnant le camp russe qui subit quelques défaites. En 1703, il prend contact avec le Stanislas Lescynski, roi de Pologne, pour atteindre Charles XII de Suède. Après négociations, deux troupes devraient prendre les Russes en étau : les Suédois par le Nord et les Cosaques de Mazeppa par le Sud. Mazeppa ne réussit cependant pas à rallier toute l’Ukraine et n’est suivi que par ses cosaques zaporogues. L’alliance suédoise est incomprise et même le clergé lance l’anathème contre Mazeppa. Mazeppa échoue à Poltava en 1709 et doit s’exiler. Le destin de la cosaquerie est désormais scellé.

Malgré cet échec qui permettra le renforcement de la mainmise russe sur l’Ukraine, l’épisode Mazeppa exprime une première volonté politique ukrainienne.

2. L’EVEIL DU SENTIMENT NATIONAL UKRAINIEN APPARAIT SUR LES DEUX RIVES DU DNIEPR

À la fin du XVIIème siècle, l’Ukraine est toujours divisée mais la majeure partie de son territoire est soumise à l’Empire russe. L’Autriche-Hongrie domine la Galicie, la Bukovine et l’Ukraine subcarpathique. Un embryon de conscience nationale peut naître sur ces terres ukrainiennes : soit par réaction contre le grand-frère Russe, soit avec l’appui intéressé des austro-hongrois. De part et d’autre, la situation sociale est toutefois similaire : une noblesse ukrainienne ou cosaque indifférente ou acquise aux élites nobiliaires polonaise ou russe, un peuple paysan à la conscience nationale latente.

Une première prise de conscience naît et croît dans l’Empire russe

Le contexte romantique de la fin du XVIIème siècle favorise l’engouement pour les cultures nationales. La littérature peut offrir un espace d’expression d’un sentiment national. Un poème héroï-comique, L’Eneide travestie d’Ivan Kotljarevski, est le premier ouvrage écrit en langue ukrainienne propre. L’historien Bortchak désigne son auteur comme le « véritable créateur de la langue ukrainienne moderne  » [13].

La première moitié du XIXème siècle est la période d’un formidable développement économique de l’Ukraine au sein de l’empire russe. Elle est le grenier à blé mais aussi le premier approvisionneur de sucre de l’Empire entier. Ce contexte favorable est décisif pour l’expression croissante d’une conscience nationale ukrainienne. Avec le progrès de l’instruction et la création d’universités (à Kharkov en 1805 et à Kiev en 1834), se forme une intelligentsia ukrainienne sur la rive gauche du Dniepr. Elle est certes nourrie de culture russe mais se soucie aussi du problème spécifique ukrainien dans le cadre provincial. Elle dépasse le cadre purement universitaire et touche les cercles d’intellectuels et d’administrateurs.

Le cercle de Kharkov

Cette conscience n’est pas une forme de séparatisme politique mais la volonté d’exprimer l’originalité de l’Ukraine au sein de l’Empire. Un mouvement intellectuel et artistique se développe pour faire partage ce « goût » singulier de l’Ukraine : sa langue, son histoire, spécificités par rapport à ses voisins, notamment les Grands-russes. Dans ce domaine, l’université de Kharkov joue un rôle majeur. Ecrivains, historiens, philologues conjuguent leurs efforts pour définir et différencier les spécificités ukrainiennes. La langue ukrainienne se différencie formellement du russe et du polonais par différentes études. Elle devient alors une véritable langue nationale. Le cercle de Kharkov ne se limite pas aux études linguistiques mais nourrit un riche courant littéraire et de recherche historique. Il s’agit essentiellement de savants et d’écrivains, dépourvus de motivations politiques. Ils cherchent seulement à soutenir la cause ukrainienne.

La Confrérie Saints Cyrille et Méthode

A la première phase de réflexion sur l’identité propre ukrainienne succède une période où la conscience ukrainienne se politise. L’opposition au régime s’exprime dans le décabrisme dont l’historien Kostomarov est une des figures marquantes. Issu du cercle de Kharkov, il prend une part prépondérante à la fondation de la confrérie de Cyrille et Méthode en 1846.

Comme un écho au panslavisme qui se développe en Russie, cette confrérie de jeunes idéalistes élabore un projet définissant la place du peuple ukrainien dans une fédération unissant les peuples slaves. Il s’agit encore d’une vague conscience de nationalité ukrainienne distincte, plus proche d’une nostalgie d’un passé idyllique à l’image des libertés cosaques. L’expression claire d’une identité ukrainienne apparaît dans le Livre de la Genèse ukrainien (Knyhibytia ukrainskoho naroda). Ce texte, écrit en ukrainien mais aussi traduit en russe, marque la différence entre les deux nations. Il s’agit d’une œuvre collective dont le principal collaborateur serait l’historien Kostomarov. L’Empire russe réagit à ce danger ukrainophile et fait arrêter et condamner les membres de la confrérie en décembre 1846.

La lutte pour la liberté ukrainienne se politise

Le mouvement ukrainien progresse jusque vers les années 1840. Sa nature régionale, folklorique, linguistique et littéraire suscite de rares inquiétudes du pouvoir russe. Les premières tendances séparatistes sont pourtant décelées comme l’atteste le rapport de gendarmerie de l’arrestation du poète Shevchenko : « en Ukraine, la slavophilie s’est transformée en ukrainophilie ; les membres de la confrérie [14] voulaient séparer l’Ukraine d’avec la Russie [15] ». Il est vrai que ce poète ukrainien exprimait des positions révolutionnaires et violemment anti-tsaristes. Il est aussi celui qui exprime par sa poésie lyrique la conscience d’une identité ukrainienne.

Après la guerre de Crimée, le pouvoir russe maintient sa politique contre les velléités séparatistes ukrainiennes et attise par là-même le mouvement politique et national ukrainien. Un libéralisme relatif pendant les réformes offre aux groupements d’intellectuels en Petite-Russie et dans les groupes ukrainiens en Russie l’occasion de réclamer une place particulière pour l’Ukraine dans l’Empire. Ces groupes demeurent toutefois clandestins.

Cette tolérance prend fin cependant avec l’insurrection polonaise de 1863. Les intellectuels ukrainiens poursuivent malgré tout leur promotion de la langue et de la littérature ukrainiennes. La bienveillance des administrateurs locaux russes n’empêche pas une réaction violente du pouvoir central contre les aspirations ukrainiennes. Cette répression provoque la clandestinité du mouvement. Des sociétés secrètes, les Hromadas, expriment un rejet radical du pouvoir russe. Le combat est à la fois révolutionnaire et nationaliste. L’activité politique est clandestine dans la province de Petite-Russie mais peut s’exprimer à l’étranger avec les émigrés ukrainiens. A Kiev, la Stara Hormada est l’organisation la plus ancienne et compte parmi ses membres l’historien Michel Drahomanov, un noble de Poltava. Celui-ci sera contraint à l’exil et exprime à Genève les caractéristiques du mouvement national ukrainien : « fédéralisme en politique, liberté individuelle dans le domaine social, socialisme en économie [16] ». Drahomanov est un militant révolutionnaire et exprime la volonté d’autonomie ukrainienne ; celle-ci ne se conçoit pourtant pas sans rompre pleinement encore avec les Russes.

Le mouvement progresse et sort du cadre restreint des groupes d’intellectuels. Il se nourrit des contacts avec les Ukrainiens de Galicie. Une littérature ukrainienne de contrebande est diffusée en Russie même. En 1900, un parti révolutionnaire ukrainien est créé à Kharkov et réclame l’indépendance. L’organisation générale ukrainienne, émanation des Hromadas, milite pour un gouvernement constitutionnel et l’autonomie dans un ensemble fédéral. Il devient le parti démocrate ukrainien en 1904. En 1905, un mouvement anarcho-communiste apparaît parmi la paysannerie de la rive gauche du Dniepr ; il réclame l’appropriation des terres et un gouvernement librement consenti par tous.

La révolution de 1905 touche l’Ukraine comme le reste de l’Empire. Le tsar est forcé d’accorder des concessions favorables au développement du mouvement ukrainien : le droit d’association et l’autorisation d’enseigner en ukrainien. Deux partis proprement ukrainiens obtiennent soixante députés à la Douma, le parti social démocrate ouvrier ukrainien (marxiste) et le parti démocratique radical ukrainien (KD). Ils demandent plus d’autonomie régionale.

La Galicie ukrainienne connaît une revendication nationale parallèle

La situation des Ukrainiens de l’empire austro-hongrois est différente. Les révolutions de 1848-1849 touchent l’ensemble de son territoire. Un grand conseil ruthène se constitue à Lvov, première et très provisoire organisation politique ukrainienne. Les députés ukrainiens du parlement de Vienne expriment leur solidarité avec leurs frères d’outre Dniepr et affirment leur commune identité nationale. « Nous sommes une partie des 15 millions d’Ukrainiens qui habitent la Russie méridionale, le sud-est de la Pologne, la Galicie et la Hongrie du Nord [17] ». Singulièrement, le mouvement national ukrainien de Galicie est mené par une intelligentsia cléricale. Ces prêtres uniates font passer la considération nationale avant les considérations religieuses et nourrissent un fort courant russophile. Ils jouissent de libertés inconnues en Russie, notamment l’emploi de la langue ukrainienne dans les écoles primaires. Les droits des Ukrainiens de Galicie étaient théoriquement les mêmes que ceux des autres nationalités. Toutefois la prédominance de l’aristocratie polonaise maintenait la paysannerie ukrainienne dans une situation misérable.

Le mouvement national ukrainien, favorisé par les libertés autrichiennes, se divise à la fin des années 1860 en deux tendances aussi hostiles au gouvernement de Vienne. Un courant est favorable à la Russie et s’exprime par le journal Slovo (la Parole). Un second courant populiste recherche un accord avec les Polonais pour obtenir la partition de la Galicie. Cette tentative échouant, les populistes se rapprochent des Ukrainiens de l’empire russe. Des Hromadas secrètes apparaissent (à Lvov en 1863) mais aussi des mouvements officiels comme la société Prosvita (Lumière) en 1868. Le gouvernement autrichien et la noblesse polonaise accordent des concessions aux Ukrainiens.

Surtout la Galicie orientale et la Bukovine servent de refuge à l’intelligentsia ukrainienne et au mouvement national. Des intellectuels viennent de Kiev nourrir les études et la propagande nationale. Alors qu’en Russie, leur mouvement se nourrit en réaction à l’oppression russe, ici il se développe grâce au libéralisme autrichien. Cette base arrière sert de tribune à la revendication ukrainienne vers l’Occident. La promotion de la littérature ukrainienne demeure le vecteur principal de l’expression de l’identité ukrainienne. Deux disciples de Drahomanov en sont les principaux hérauts. M. I. Pavlik représente un mouvement national ukrainien laïcisé. Aussi libéral que Drahomanov, il défend les libertés et l’égalité des femmes. Le savant et poète I. Franko se rattache, quant à lui, au mouvement révolutionnaire mondial et au socialisme naissant. En 1890, Franko et Pavlik créent le parti radical ukrainien pour succéder au populisme moribond. A son congrès de Lvov en 1895, le parti réclame dans ses revendications l’indépendance du peuple ukrainien.

3. L’EXPRESSION DE L’IDENTITE UKRAINIENNE SE CONCRETISE AU XXème SIECLE

Le mouvement national ukrainien a progressé au cours du XIXème siècle quelque soit la puissance dominant les Ukrainiens. L’identité propre s’est construite en s’appuyant essentiellement sur la langue ukrainienne et son vecteur, une littérature foisonnante. Il ne s’agit toutefois que de manifestations intellectuelles ou de revendications politiques qui n’ont pu se concrétiser. C’est le XXème siècle qui offre à l’Ukraine l’occasion d’exister politiquement et cristalliser une part de l’identité ukrainienne.

La première république d’Ukraine

Après les révolutions de 1917, le gouvernement provisoire russe est débordé par les mouvements nationaux. La révolution en Ukraine est triple : nationale, paysanne et bolchevique. Un soviet ouvrier se fait l’écho de la révolution à Kiev. Le 17 mars 1917 est constituée la Rada ukrainienne. Constituée de sociaux-démocrates et de libéraux, cette assemblée est présidée par Hruchevski. Un congrès national de 900 mandataires lui offre le soutien de la société civile pour devenir une véritable assemblée nationale. Les sociaux-démocrates ouvriers et le parti social révolutionnaire, appuyés par les militaires, poussent toutefois la Rada à se radicaliser.

Le 10 juin 1917, le premier Universal (décret) de la Rada proclame l’autonomie de l’Ukraine. Le gouvernement provisoire la reconnait le 3 juillet à Petrograd. La Rada n’est pourtant pas unie et les divisions politiques l’emportent sur le sentiment national. La paysannerie lui retire son soutien et se tourne vers le mouvement anarchiste de N. Makhno sur la rive gauche du Dniepr. La Rada et le gouvernement russe ne s’accordent pas sur la portée de l’autonomie. Bolcheviques ukrainiens et russes se rapprochent.

Le 22 novembre 1917, la Rada proclame la république ukrainienne du peuple mais ne prononce pas la rupture avec la Russie. Trop minoritaires pour prendre le pouvoir, les bolcheviques dénoncent la Rada comme un ennemi du peuple et proclament une république soviétique ukrainienne à Kharkov en décembre. Le 9 janvier 1918, le président Hruchevski proclame l’indépendance à Kiev. Celle-ci sera éphémère mais demeure symbolique. En effet, Allemands, Polonais, Russes Blancs et Russes Rouges étouffent successivement la jeune république. Le traité de Riga en 1921 efface à nouveau l’Ukraine de la carte de l’Europe.

Les divisions de la classe politique ont miné l’autorité de l’appareil administratif de cette république sur le territoire ukrainien. La maturité du sentiment national ukrainien semblait incomplète. Les élites intellectuelles n’ont pas su choisir entre leur défense d’une identité ukrainienne et leurs aspirations politiques plus ou moins révolutionnaires. Le contexte intellectuel politique a pris le pas sur l’aspiration nationale. Les enjeux des puissants voisins ont ainsi pu avoir raison de l’éclosion d’une nation ukrainienne. A cet égard, les bolcheviques semblent plus marqués par leur ascendant russe que par le communisme lorsqu’il s’agit d’étouffer l’indépendance russe. Enfin, cette Ukraine indépendante ne réunit pas encore tous les peuples ukrainiens, son territoire est occupé en partie par des armées étrangères et ses frères occidentaux de Galicie et de Bukovine sont encore dominés.

D’autres éphémères manifestations

Les mouvements radicaux ukrainiens en Galicie polonaise

En 1921, une organisation clandestine est créée en Galicie polonaise : l’organisation militaire ukrainienne (UWO) du colonel Konoplanetz. Elle exprime la première radicalisation du nationalisme ukrainien occidental. L’UWO pratique le terrorisme et organise des attentats contre les autorités polonaises les Ukrainiens qui les soutiennent.

En 1923, l’UWO est contrainte à l’exil par la Pologne. Konovaletz est assassiné en mai 1938 à Vienne par les services secrets soviétiques. Un mouvement politique est créé par André Melnyk, l’organisation des nationalistes ukrainiens (OuN). L’OuN prône un nationalisme intégral de droite et poursuit les attentats aussi bien contre les Polonais que contre les Soviétiques.

La république d’Ukraine subcarpathique

Lorsque, après les accords de Munich en septembre 1938, la Tchécoslovaquie se scinde en trois parties, la Ruthénie apparaît sur la carte d’Europe. La petite Ukraine subcarpathique (14 900 kilomètres carrés) se déclare indépendante. Le drapeau bleu et or flotte sur sa capitale, Chust, où un prêtre uniate, Monseigneur Volosyn, a installé son gouvernement. La capitale ruthène devient surtout le point de ralliement de nombreux nationalistes ukrainiens comme le Parti national ukrainien de tendance fasciste. Un embryon d’armée est formé, la Sitch subcarpathique, qu’organise Melnyk.

Comme son aînée de l’après révolution de 1917, cette république connaît un règne éphémère. Le 15 mars 1939, Monseigneur Volosyn est nommé président de la république indépendante par la Diète alors que les Hongrois l’envahissent. La Sitch est balayée par les troupes hongroises et les nationalistes ukrainiens sont à nouveau contraints à l’exil.

L’indépendance de 1991 puis la révolution orange semblent enfin réunir tous les Ukrainiens

Il faut le contexte de réforme de l’URSS pour que l’Ukraine accède enfin à une pleine indépendance de toutes les terres ukrainiennes. Le territoire de la république socialiste fédérative soviétique d’Ukraine de l’après deuxième guerre mondiale est la première réalisation de l’installation de la majorité des Ukrainiens sur le même territoire. C’est ce même territoire qui par le référendum du 1er décembre 1991 proclame son indépendance. Son président, Leonide Kravtchouk, ancien secrétaire général du parti communiste, est certes russophile mais cela n’empêche pas Mikhaïl Gorbatchev de déclarer que la « patrie est en danger ». La césure entre l’Ukraine et la Russie est pourtant définitive et la séparation politique des deux nations est un fait même si leurs relations demeurent complexes.

Les premières années de la république ukrainienne, sous les présidences Kravtchouk puis Koutchma, sont une prolongation de l’ère soviétique. Le pouvoir est aux mains des anciens apparatchiks. Même si elle est une république indépendante, l’Ukraine demeure proche de la Russie au sein de la Communauté des Etats indépendants. Elle marque pourtant son territoire comme l’illustre les tensions nées de la volonté russe de maintenir sa flotte de la mer Noire. La véritable expression de cette indépendance ukrainienne se révèle lors des présidentielles de 2004. Lorsque le président Koutchma se présente comme le vainqueur des suffrages et alors que de nombreuses fraudes avaient été remarquées, les Ukrainiens se retrouvent dans un grand mouvement populaire pacifique d’opposition, la révolution orange [18]. Ce mouvement semble avoir dépassé les antagonismes du passé, l’opposition des deux rives du Dniepr, par la volonté d’affirmer une identité ukrainienne. La révolution orange complète l’indépendance de 1991.

*

L’identité ukrainienne réussit donc à se former et à éclore dans des contextes difficiles. Les Cosaques lui lèguent une part de mythe : défenseur de l’orthodoxie, protecteur de la paysannerie, héraut de la liberté, l’hetmanat est une sorte de première expression d’Ukraine indépendante. C’est surtout par les milieux intellectuels et littéraires du XIXème siècle que l’identité ukrainienne se forme, essentiellement autour de sa langue. Celle-ci est l’élément de cohérence de cette identité et réussit à dépasser les autres contradictions, notamment religieuses, ukrainiennes. Paradoxalement sur deux terres ukrainiennes occupées, contre le Russe et grâce à l’Autrichien, un mouvement national ukrainien voit le jour et exprime les premières revendications séparatistes ukrainiennes. Il se concrétise par quelques instants d’Ukraine indépendante.

La pleine révélation d’une identité ukrainienne est assez lente. L’intelligentsia ukrainienne a d’abord cherché à exprimer sa singularité théorique et cela sans trouver immédiatement de relai dans la masse de la population ukrainienne. La langue ukrainienne est le vecteur qu’elle préconise mais qui n’est pas encore suffisamment partagé par l’ensemble des Ukrainiens. Par conséquent, lorsque ce mouvement national prend un tour politique, il ne sait pas faire son choix entre l’aspiration purement nationale et l’attrait des idéologies politiques nouvelles comme le marxisme. Au moment de construire une Ukraine indépendante, ce fait explique l’immaturité des régimes initiaux et la facilité qu’ont les détracteurs extérieurs à les saborder. Seule la chute de la puissance soviétique, héritière du puissant empire russe, permet en 1991 la renaissance d’une Ukraine indépendante. Celle-ci entame le chemin vers une pleine expression de son identité nationale, chemin difficile tant le poids des divergences passées devrait être supporté.

III. LA SORTIE DE L’ADOLESCENCE POUR L’IDENTITE UKRAINIENNE


Pour s’affirmer, l’identité ukrainienne doit relever plusieurs défis et fédérer ses diversités

Le grand historien ukrainien Kostomarov écrivait : « la plus grande partie du peuple grand-russe et polonais est habituée à ne pas nous considérer comme un peuple indépendant, à reconnaître chez nous les éléments particuliers nécessaires pour une vie autonome et qui furent élaborées dans le passé  » [19].

L’histoire et la géographie ont rendu difficile la gestation d’une identité ukrainienne. Son expression actuelle est le résultat de cette lente construction et de forces centrifuges, occidentale et orientale. Une simplification extrême fixerait une identité ukrainienne de la rive droite du Dniepr, tournée vers l’occident, et une autre de la rive gauche, orientée vers la Russie. Une véritable identité ukrainienne unique pourrait sortir de cette adolescence difficile en relevant plusieurs défis. Le cadre de la république d’Ukraine pourrait y être favorable, la nation ukrainienne se construit dans un Etat reconnu. Il ne s’agirait pas de faire un choix définitif entre l’Europe occidentale et la Russie. Il pourrait plutôt de faire converger, sans se fusionner, les caractéristiques ukrainiennes : la langue, la religion et la politique.

1. LES UKRAINIENS DEVRAIENT D’ABORD S’APPROPRIER LEUR PROPRE LANGUE UKRAINIENNE

Les intellectuels du XIXème siècle ont privilégié la défense de la langue ukrainienne pour permettre la naissance d’une prise de conscience nationale ukrainienne. La littérature en langue ukrainienne a été un vecteur puissant de définition de cette identité, plus puissant même que les revendications sociales et politiques. Le phénomène linguistique est donc intrinsèquement lié à l’affirmation identitaire. Or l’Ukraine n’est pas homogène linguistiquement. Il n’y aurait pas une langue ukrainienne unique mais des formes d’ukrainien et une présence encore visible du russe. Par la langue, les Ukrainiens se différencient encore socialement et géographiquement. L’identité ukrainienne ne semble pas encore disposer d’un vecteur linguistique unique pour s’exprimer définitivement.

Le contexte démographique ukrainien : fruit de l’histoire

Résultats du recensement de 2001

Le gouvernement ukrainien a procédé à un recensement de la population en 2001 qui donne une vision assez claire de la composition de la population du pays. Il la fixe à 48,457 millions d’habitants, soit plus de quatre millions d’habitants de moins que le précédent recensement de 1989. Les causes de cette diminution démographiques sont multiples. Le taux de fécondité est faible (1,32 enfant par femme) et le taux de mortalité encore élevé. Le solde migratoire est surtout positif : après l’indépendance, des Russes et d’autres minorités sont repartis en Russie et de nombreux Juifs ont rejoint Israël.

L’Ukraine est un pays multiethnique composé de cent trente groupes ethniques dont vingt-cinq d’importance. Néanmoins, l’Ukraine demeure un pays relativement homogène au point de vue ethnolinguistique, puisque plus des trois quarts de la population est d’origine ukrainienne, ce qui représente une proportion beaucoup plus élevée par rapport à la plupart des pays. Plus précisément, les 77,8 % d’Ukrainiens et les 17,3 % de Russes comptent pour 95,1% de la population. L’identité de cette population demeure donc majoritairement slave puisque les deux groupes principaux sont issus des Slaves orientaux.

Deuxième fait marquant et original pour l’Ukraine, la population est urbanisée à 67,2 %, puisque les villes comptent 32,57 millions d’habitants. Il en résulte que les ruraux sont 15,88 millions et représentent 32,8 % de la population. La capitale de l’Ukraine, Kiev, compte 2,6 millions d’habitants. Les 10 plus grande villes ukrainiennes sont les suivantes : Kharkov (1,4 million), Dnipropetrovsk (1 million), Odessa (1 million), Donetsk (1 million), Zaporijia (815 000), Lviv (733 000), Mykolaïv (514 000), Kryviy Rih (669 000) et Marioupil (492 000). Le caractère paysan qui avait marqué l’identité des Ukrainiens tend donc à disparaître au début du XXIème siècle.

Les nationalités d’origine

Les Ukrainiens de souche étaient 37,5 millions lors du recensement de 2001, ce qui correspond à 77,8 % de la population. Les Russes forment le second groupe avec 8,3 millions, soit 17,3 % des habitants de l’Ukraine. En 1989, les Ukrainiens ne représentaient que 72,7 % et les Russes 22,1%. Cet écart entre les deux groupes est principalement dû à la chute de l’ex-URSS qui a entraîné le retour de milliers de Russes dans leur patrie d’origine.

Bien qu’il y ait des Ukrainiens partout dans le pays, les Russes demeurent concentrés dans l’Est et le Sud où ils s’étaient implantés historiquement. L’Ukraine occidentale est ukrainophone dans une proportion de plus de 90 %. À l’est, les oblasts de Khartiv, de Loushansk, de Donetsk, de Zaporijjia et la Crimée comptent une majorité de Russes et d’Ukrainiens russifiés. Par exemple, en Crimée, 67 % de la population se considérait comme russes en 1989, contre 25,6 % comme ukrainiens. De façon générale, les Russes dominent dans les centres urbains et les zones industrialisées.

La proportion des habitants de l’Ukraine provenant d’autres origines se situe autour de 5 %. On y distingue principalement des Biélorusses, des Moldaves, des Tatars de Crimée, des Bulgares, des Hongrois, des Roumains, des Polonais, des Arméniens, des Grecs, des Tatars de l’Oural, des Tsiganes, des Azéris ou Azerbaïdjanais, des Géorgiens, des Allemands et des Gagaouzes, etc.

Les autres nationalités ne représentent que 0,4 % de la population. On y constate l’apparition des Tatars de Crimée en 2001 (248 200 Tatars représentant 0,5 %), alors qu’ils étaient absents du recensement de 1989 et la chute du nombre de Juifs recensés en 2001 : 0,2 % de la population (103 600) contre 0,9 % en 1989. Ces résultats d’ordre ethnique ne correspondent pas nécessairement aux langues parlées, puisque 67,5 % des Ukrainiens parlent l’ukrainien comme langue maternelle, contre 29,6 % pour le russe et 2,9 % pour les autres langues. Il faut considérer que des Ukrainiens ont adopté le russe et que de nombreux membres des petites ethnies (dont des Russes) sont passés à l’ukrainien ou au russe.

Répartition géographique des langues

Quelle est la répartition spatiale des ukrainophones dans le pays ? Les locuteurs de l’ukrainien sont majoritaires à 90 % dans l’Ouest, pratiquement à égalité dans la capitale (Kiev) et le Centre, alors que les russophones sont majoritaires dans le Sud à 90 % et à l’Est. Néanmoins, il faut comprendre que les ukrainophones sont partout, y compris dans les zones russophones du Sud et de l’Est, notamment dans les régions rurales. L’ouest de l’Ukraine correspondrait à ce qu’on peut appeler « l’Ukraine profonde », celle où la quasi-totalité des gens parlent l’ukrainien tous les jours et affirment ne pas savoir le russe. Le Centre et l’Est sont des régions plus mixtes, mais le Sud est aussi unilingue russe que l’Ouest est unilingue ukrainien. Traditionnellement et historiquement, c’est le Dniepr qui distinguerait l’Est de l’Ouest, mais la région du Centre couvre les deux rives du fleuve. De plus, toutes les régions rurales comptent surtout des ukrainophones, même dans les zones russophones de l’Est et du Sud, alors que les villes sont davantage russophones et russifiées, même dans l’Ouest.

Les Ukrainiens peinent à s’approprier leur propre langue, l’Ukrainien littéraire

Parmi les 77,8 % d’Ukrainiens, 85,2 % d’entre eux considèrent la langue ukrainienne comme leur langue maternelle et le russe pour 14,8 % d’entre eux, ce qui porte la proportion à 67,5 % pour l’ensemble du pays. Ainsi, la majorité des Ukrainiens a pour langue maternelle l’ukrainien, une langue slave de la famille indo-européenne et apparentée assez étroitement au russe et au biélorusse. Ces trois langues en constituaient jadis une seule qui s’est fragmentée vers le XIIème siècle. Aujourd’hui, l’ukrainien et le russe demeurent des langues distinctes. Cependant, leur grammaire respective présente beaucoup de similitudes, le vocabulaire des deux langues coïncide — mais n’est pas semblable — dans une proportion d’environ 70 %, les apports polonais dans l’ukrainien marque la principale différence. La soviétisation de l’Ukraine a provoqué un certain nombre d’emprunts au russe surtout à partir des années 1930, comme résultat de la politique de russification menée par le Parti communiste de l’ex-URSS.

Quelle langue ukrainienne ?

L’ukrainien écrit correspond à ce qu’on pourrait appeler l’ukrainien standard, utilisée dans l’administration et apprise à l’école. Comme d’autres langues slaves, elle utilise l’alphabet cyrillique. On retrouve cette forme d’ukrainien dans les dictionnaires, les manuels, les écrits officiels et l’affichage sur le mobilier urbain. Elle est en général associée à la langue littéraire à laquelle elle réfère avec ses auteurs classiques ukrainiens, surtout ceux du XIXème siècle. Pour la plupart des Ukrainiens, ce serait « le seul vrai bon ukrainien  ».

Cependant, pour beaucoup d’autres, cette variété apparaît comme un idéal difficile à atteindre plutôt qu’une réalité quotidienne. D’ailleurs, l’enseignement censé transmettre la norme est souvent critiquée parce que les enseignants le maîtrisent mal, sans parler des fonctionnaires, souvent russophones. L’ukrainien standard est donc souvent qualifié comme « littéraire », « authentique » ou « pur », et par conséquent, sans influence du russe. En somme, très peu d’Ukrainiens parlent l’ukrainien standard : seule une part relativement faible des Ukrainiens le maîtrise réellement.

Les langues véritablement parlées par les Ukrainiens

L’ukrainien des villes et son avatar, le souryik

L ’« ukrainien urbain » est une forme orale, par opposition à la forme écrite de l’ukrainien standard. De plus, il existe deux grandes variétés d’ukrainien urbain : celui des villes à majorité ukrainophone et celui des villes à majorité russophone. Dans les villes apparait le phénomène du sourjyk (écrit sourjik, surzhik ou plus officiellement suržyk. Le sourjyk est non seulement un mélange des langues, mais aussi une alternance de l’usage de l’ukrainien et du russe dans la même conversation, souvent avec le même interlocuteur. Dans les villes ukrainophones, le sourjyk est moins fréquent mais présent, alors que dans les villes russophones les « sourjykophones » sont omniprésents. De plus, la part des mots russes dans le sourjyk peut varier non seulement d’une ville à l’autre, mais également d’un individu à l’autre. Ce n’est pas une variété normalisée.

On estime que le russe est la langue normale de près de la moitié des Ukrainiens du Sud-Est, contre 40 % pour l’ukrainien (surtout les zones rurales et dans les villes de l’Ouest). Les 12 % restants parlent le sourjyk, phénomène donc propre aux ukrainophones russifiés. En revanche, dans l’Ouest, 90% des Ukrainiens ne parlent que l’ukrainien, alors que dans les villes cette proportion monte à 50 %, et le phénomène du sourjyk y demeure marginal.

En général, le sourjyk est socialement mal perçu et peu valorisé. Bien souvent, les Ukrainiens eux-mêmes ont du mal à distinguer l’ukrainien du russe. Pour eux, il s’agit soit de l’« ukrainien incorrect » soit du « russe incorrect ». Le sourjyk est finalement perçu comme un « parler incorrect » ne correspondant à aucune des langues décrites et standardisées. Il n’en demeure pas moins que le sourjyk exprime une formidable adaptation linguistique dans les milieux urbains. Parlent le sourjyk les nouveaux arrivants des campagnes qui arrivent en ville. Ne connaissant pas le russe, ils commencent par ajouter des mots russes dans leur conversation et à ainsi mélanger les langues. Il est plus employé dans les quartiers périphériques que dans les centres-villes et il varie sensiblement selon l’origine géographique et sociale des individus.

Pour résumer la situation linguistique en milieu urbain, on peut dire que, sur le marché des langues, l’ukrainien est aujourd’hui en hausse, le russe reste stable et le sourjyk à la baisse. Cela signifie aussi que la connaissance du russe demeure encore incontournable dans les villes d’Ukraine et que la russophonie demeure une forme d’intégration obligée en milieu urbain. La connaissance du russe permet aux ukrainophones d’accéder à toutes les ressources de la langue russe, que ce soit à l’écrit ou à l’oral et dans toutes les sources informatiques. Cette connaissance permet aux Ukrainiens d’accéder à la culture russe et autres cultures transmises par des peuples autrefois réunis dans le cadre de l’Union soviétique. Cela étant dit, l’emploi du sourjyk pénalise l’ukrainien « pur » et est un frein pour la mise en œuvre d’une nation ukrainienne sur la seule base du facteur linguistique.

L’ukrainien de la capitale, Kiev

Dans la capitale, le bilinguisme russe-ukrainien demeure une nécessité car le nombre des russophones est légèrement supérieur au nombre des ukrainophones. Bien que l’ukrainien ait été promu au rang de seule langue officielle (article 10-1 de la constitution du 28 juin 1996), ce statut n’a encore provoqué que fort peu de retombées sur l’usage de l’ukrainien à Kiev qui, a été passablement russifiée depuis longtemps. La langue russe reste à Kiev un moyen de communication essentiel dans les situations de communication formelles et informelles, et assure sa prédominance dans les milieux professionnels, ainsi que dans les grandes manifestations culturelles. Le Kiévien type est un locuteur du russe. Il n’existe pas de mauvaises façons de parler le russe à Kiev et il n’y a pas réellement de norme idéale du « parler russe correct ». Nombre de dirigeants ukrainiens, comme Leonide Kravtchouk, maîtrisaient bien mieux le russe que leur langue théoriquement maternelle. La population kiévienne paraît favorable à une dérussification des usages linguistiques dans la ville où l’affichage est uniquement en ukrainien. Une conséquence de la Révolution orange est la volonté politique d’introduire l’usage croissant de l’ukrainien.

L’ukrainien des champs

L’ukrainien parlé dans les campagnes comporte encore de nombreuses formes dialectales. Pour les Ukrainiens des villes, l’ukrainien rural pourrait presque s’apparenter à une autre langue. Celle-ci est très marquée régionalement et exprime une origine géographique spécifique, avec des connotations archaïsantes. On ne pourrait employer socialement l’ukrainien rural dans les villes. On constate aussi que plus un Ukrainien est éloigné des villes plus il renforce son effet patoisant. Toutefois, s’il demeure près d’un centre urbain, son ukrainien rural se modifiera en subissant les effets d’une certaine russification.

Le Russe

Les Russes constituent numériquement la « minorité » la plus importante du pays. Au plan, social, ils ne forment pas une minorité comme les autres, car ils font partie, comme les ukrainophones, de la majorité fonctionnelle. La langue russe est la langue maternelle pour 95,9 % des Russes et l’ukrainien pour 3,9 % d’entre eux. Les Russes d’Ukraine parlent une forme régionalisée du russe qu’on pourrait qualifier de russe kiévien parce que c’est celui en usage dans la ville de Kiev ; en ce sens, il s’oppose au russe moscovite parlé en Russie. Les deux formes sont mutuellement intelligibles, mais néanmoins identifiables pour tout russophone.

Le russe kiévien s’est constitué au cours de l’histoire par contact avec les réalités linguistiques et culturelles ukrainiennes. Il est d’abord marqué phonétiquement, notamment par un accent et une certaine tendance à remplacer une consonne russe sonore par une consonne ukrainienne sourde. Il existe aussi de légères différences au point de vue grammatical. Le vocabulaire ukrainien a également influencé le russe local, surtout depuis l’indépendance, alors que l’administration a introduit de nouveaux vocables techniques désignant des réalités administratives, structurelles et urbaines. Enfin, de façon générale, le vocabulaire russe kiévien semble plus pauvre que celui du russe standard.

Les russophones sont très majoritaires dans l’est et le sud de l’Ukraine (90%), mais cette proportion diminue considérablement dans la région du Centre ; ils sont pratiquement à égalité à Kiev. Ils forment 60% de la population en Crimée, les ukrainophones, 24 %, les Tatars, 10 %, et les autres nationalités, 6 %. Dans le Sud, la domination du russe débuta dès 1667, ce qui explique que cette prédominance se perpétue. Les régions russophones reposent sur la grande industrie héritée de l’époque soviétique. Les plus grandes concentrations de Russes en Ukraine sont dans les oblasts de Kharkov, Donetsk, Luhansk et Zaporozhia ainsi qu’à l’est du Dniepr (villes de Kherson, Mykolayiv et Odessa), dans la République autonome de Crimée et dans la capitale. En général, les russophones ignorent l’ukrainien mais certaines familles russophones de la haute société kiévienne sacrifient à la nouvelle mode d’embaucher du personnel parlant un ukrainien standard. Ils font alors l’effort de ne parler que l’ukrainien aux enfants dès leur enfance. Les russophones demeurent toutefois partagés entre leur appartenance à la russophonie et leur identification nationale qui passe par l’ukrainophonie.. Les sentiments qu’ils éprouvent peuvent être contradictoires dans la mesure où ils varient de l’attachement affectif à l’Ukraine, parfois à sa culture jusqu’à l’hostilité pure et simple, le tout sur un fond de relations russo-ukrainiennes conflictuelles.

2. L’UKRAINE : QUATRE EGLISES CHRETIENNES ET UNE CAPITALE RELIGIEUSE

L’Ukraine vit naître la chrétienté orientale slave à Kiev, « mère de toutes les villes russes » après les efforts de Saint Cyrille et de Saint Méthode qui fondèrent le diocèse de Peremyshl en 906. Le baptême de Vladimir en 988 et la conversion de la Rous’ permirent le développement de l’Eglise de Kiev rattachée initialement au patriarcat de Constantinople. Ce fondement aurait pu nourrir l’affirmation de l’identité ukrainienne. Toutefois l’histoire a compliqué la grille de lecture religieuse. Une fois encore, les dominations extérieures et leurs corollaires politiques ont eu des conséquences dans la sphère religieuse. Existent aujourd’hui en Ukraine, une Eglise catholique et trois Eglises orthodoxes typiquement ukrainiennes. Les autres confessions existent mais sont très minoritaires (catholiques romains, protestants, juifs, musulmans). Une union religieuse pourrait fortifier une identité ukrainienne mais demeure onirique. En effet, malgré les avancées récentes, les divergences théologiques et identitaires demeurent.

Un catholicisme ukrainien particulier : ukrainien, oriental et lié à Rome

L’Union de Brest

En octobre 1596, réuni à Brest-Litovsk, le synode de l’Eglise ukrainienne approuve son union avec Rome. L’acte d’entente à ce sujet avait été préalablement signé à Rome le 23 décembre 1595. Mais à cette époque elle portait, en latin, encore le nom d’Eglise ruthène (Ruthena Ecclesia) ce qui peut prêter à confusion. Cette Eglise du métropolite de Kiev et de Halytch s’étendait sur les territoires ukrainiens que dominait la couronne de Pologne. Les Ruthènes de Transcarpathie, alors sous la coupe de la Hongrie, n’étaient pas concernés mais leurs prêtres signèrent l’union le 24 avril 1646 à Ouzhorod.

Les raisons de ce retour d’une Eglise orientale sous la coupe de l’Eglise catholique sont multiples. Une cause canonique réside dans le fait que le métropolite de Kiev et de Halytch n’avait pas pris part au schisme de 1054 bien que la relation avec le patriarcat de Constantinople soit maintenue. Le métropolite assiste d’ailleurs aux conciles de Lyon en 1275 et de Florence en 1430. La principale raison est de nature politique et sociale. La Pologne occupe l’Ukraine et assimile favorablement les élites locales, notamment religieuses. L’Eglise catholique polonaise est bien plus dynamique et riche que l’Eglise de Kiev. Les prélats orthodoxes sont d’autant plus attirés par elle que le patriarche de Constantinople tente de leur imposer des réformes au profit des communautés locales. En 1590, le métropolite et le haut clergé de l’Eglise ruthène reconnaissent donc l’autorité du Pape. L’union de Brest en est la conclusion logique et est acceptée par six des huit évêques ukrainiens. Les diocèses de Lvov et de Peremyshl rejoignent l’union respectivement en 1700 et en 1709.

Naît donc une Eglise catholique de rite oriental qui garde ses spécificités liturgiques mais qui reconnaît la prééminence du Pape à Rome. Elle est appelée Eglise uniate en référence à l’Union de Brest ou Eglise gréco-catholique ukrainienne (EGCU), terme désormais le plus usité. En parallèle, existe aussi l’Eglise catholique de rite latin qui rassemble essentiellement des fidèles polonais et lithuaniens.

Evolution « occidentophile » des gréco-catholiques en Galicie

L’Eglise uniate, à sa naissance, est rejointe essentiellement par le haut clergé et la noblesse. La majeure partie de la paysannerie ukrainienne demeure fidèle à l’Eglise orthodoxe. L’histoire de la domination de l’Ukraine la restreint progressivement aux régions occidentales du pays. En effet, avec la montée en puissance de la Russie jusqu’au partage de la Pologne en 1772, l’orthodoxie reprend ses droits sur les terres ukrainiennes. En 1875, le dernier diocèse uniate est supprimé dans la partie russe de l’Ukraine. Un pseudo synode est rassemblé par les autorités religieuses orthodoxes russophiles pour proclamer la dissolution de l’Eglise uniate. A la tête de l’Eglise, demeure un métropolite dit de Kiev et de Halytsch mais son siège est désormais en Galicie.

La domination polonaise et la volonté d’assimilation des élites ukrainiennes modifient toutefois certains aspects de cette Eglise. Au XIXème siècle, en Galicie, les prêtres uniates font leur prêche en polonais et ont tendance à latiniser le rite oriental.

Ce mouvement est toutefois ralenti et inversé avec le métropolite Andrei Cheptystsky. Archevêque de Lviv et métropolite de Galicie en 1901, issu de l’aristocratie polonaise, ce moine basilien rassemble six conciles de l’EGCU entre 1905 et 1944. Il cherche ainsi à atténuer la latinisation du siècle précédent dans son Eglise, à raviver ses spécificités orientales et à réintroduire le prêche en ukrainien. Cette défense de l’orientalité de son Eglise s’inscrit dans le projet unioniste qu’il promeut. Pour lui, l’EGCU se trouve « à la frontière des mondes occidentaux et orientaux », elle pourrait « aider l’Eglise orientale à apprendre la théologie de l’Ouest et inversement [20] ». Monseigneur Cheptystsky estime que catholiques et orthodoxes peuvent retrouver leur union passée. L’expérience de l’EGCU qui est en communion avec Rome mais qui garde ses particularités orientales est, selon lui, exemplaire. La pensée du métropolite Cheptystsky a fortement influencé les gréco-catholiques ukrainiens et continue de guider ses successeurs à la tête de l’EGCU dans leurs efforts œcuméniques. Ayant subi les jougs russes, polonais, allemand et soviétique, il demeure une personnalité reconnue et exemplaire pour tous les Ukrainiens, même en dehors de l’EGCU.

Eglise clandestine sous le régime soviétique

La première Ukraine soviétique ne reconnaît pas les droits de l’Eglise uniate en 1925 mais ne domine pas les régions occidentales de Galicie, de Bukovine et de Transcarpathie. Dans celles-ci, l’EGCU demeure présente au point que la république d’Ukraine transcarpathique est dirigée par un prélat uniate, Monseigneur Volosyn. Elle est toutefois confrontée à un certain rigorisme de la hiérarchie catholique romaine qui refuse d’intégrer le mariage des prêtres, tradition orientale. De nombreux gréco-catholiques, en Ukraine mais surtout dans les groupes émigrés, se convertissent alors à l’orthodoxie.

Avec la réunion de toutes les terres ukrainiennes dans l’Ukraine soviétique de 1946, l’EGCU est interdite. Le pseudo concile de Lvov prononce à nouveau la dissolution de l’EGCU. Cette interdiction provoque un exil important d’Ukrainiens gréco-catholiques, notamment vers les Etats-Unis, le Canada et l’Europe de l’Ouest. Le haut clergé est accueilli à Rome où s’ouvre une université ukrainienne catholique. Les biens de l’EGCU sont redistribués à l’Eglise orthodoxe du patriarcat de Moscou, la seule autorisée par le régime soviétique. L’EGCU se maintient en Ukraine dans la clandestinité surtout dans les régions historiques de l’ouest. Sa situation est d’autant difficile que dans les années 1970, Rome mène une ostpolitik de bons rapports avec les Eglises orientales de l’Europe de l’est. Ainsi, en 1975, le métropolite Joseph Slipyj ordonne-t-il secrètement trois évêques gréco-catholiques à Rome sans l’aval du Saint-Siège. Ils seront de facto reconnus par le Vatican seulement après la chute de l’empire soviétique.

La renaissance et les attentes de l’EGCU

En 1989, l’EGCU est à nouveau autorisée et peut récupérer environ mille des communautés qui lui avaient été confisquées. En 1993, catholiques et orthodoxes ukrainiens signent les accords de Balamand : ils condamnent l’uniatisme compris comme forme de prosélytisme mais ils reconnaissent le droit à l’existence pour ces Eglises. La situation demeure toutefois tendue. Si les fidèles gréco-catholique et orthodoxes ne se combattent pas effectivement et ont pu se retrouver lors de la Révolution orange, les dissensions demeurent entre les deux Eglises.

Les orthodoxes, surtout ceux dépendant du patriarcat de Moscou, demeurent très sensibles à toute ingérence de l’Eglise catholique en Europe orientale. Pour eux, l’union avec Rome implique une position inférieure qu’ils refusent. Les vives réactions à la venue du pape Jean-Paul II en Ukraine en juin 2001 illustrent cette forte réticence. Le déménagement du siège apostolique de l’archevêque majeur de l’EGCU à Kiev en avril 2004 suscita aussi des craintes et l’opposition des prélats orthodoxes. Lorsque monseigneur Husar demande au pape le droit au titre de patriarche, les autorités orthodoxes font pression auprès du Vatican pour que lui soit refusé ce titre territorial. En effet, l’EGCU se réclame de l’héritage de l’Eglise de la Rous’. L’Eglise orthodoxe le lui dénie et considère qu’une autorité territoriale, le patriarcat, et sa présence à Kiev avec une possible revendication des lieux saints de la capitale (laure des grottes de Kiev, laure de Potchaiev, cathédrale Sainte-Sophie) représentent un danger.

De leur côté, les gréco-catholiques entretiennent quelque rancœurs vis-à-vis du patriarcat de Moscou. Ils lui reprochent sa collaboration avec le régime soviétique qui persécutait l’EGCU. Ils revendiquent encore environ trois cents églises qu’occupent l’Eglise orthodoxe du patriarcat de Kiev et l’Eglise orthodoxe autocéphale. Avec plus de cinq millions de fidèles et 3317 communautés, elle est surtout majoritaire dans l’ouest ukrainien (95% de la Galicie) mais sa présence est effective sur la rive gauche du Dniepr. Elle s’est exprimée comme l’un des porte-parole de l’indépendance en 1991 car elle estime qu’elle est porteuse d’une identité ukrainienne nationale. Si monseigneur Husar s’est refusé à soutenir officiellement tout parti politique, il est clair que le suffrage des gréco-catholiques se porte plus du côté orange par opposition aux russophiles.

Trois Eglises orthodoxes en compétition

La situation de l’orthodoxie en Ukraine est complexe. Elle résulte essentiellement de l’intervention du politique dans le champ religieux. L’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou (EOU-PM) est née en 1686 de la domination russe sur l’Ukraine. L’Eglise orthodoxe autocéphale ukrainienne (EOAU) et l’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Kiev (EOU-PK) sont l’expression de volonté d’autonomie des Ukrainiens, respectivement en 1918 et en 1992.

L’Eglise du patriarcat de Moscou

Occupant la majeure partie de l’Ukraine depuis la paix d’Androusovo, l’empire russe renforce sa présence au XVIIème siècle dans tous les domaines. En 1686, il impose à l’Eglise ukrainienne le rattachement au patriarcat de Moscou aux dépens du patriarcat de Constantinople. Désormais, elle est la seule Eglise officielle de la province ukrainienne de l’Empire et le demeure pendant le régime soviétique. Elle conduit ainsi à la dissolution des diocèses uniates de Petite-Russie au XIXème siècle. Elle subit, comme les autres confessions, une première période difficile de répression et de persécutions au début de l’ère communiste. Elle suit toutefois le mouvement de l’Eglise de Moscou qui est contrainte de s’accommoder du régime soviétique. En 1946, elle est la seule Eglise autorisée, Eglise d’Etat, et peut ainsi récupérer les biens des Eglises confisqués. Cette sorte de collaboration avec le pouvoir lui vaut les rancœurs des autres Eglises qui lui reprochent son refus de reconnaître ses fautes dans la persécution du clergé uniate et les conversions forcées.

Initialement exarchat ukrainien de l’Eglise orthodoxe russe, elle s’est vue conférée la pleine autonomie le 27 octobre 1990. Elle se considère donc comme la seule héritière légitime de l’Eglise orthodoxe de Kiev et de la Rous’. Le métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine, Monseigneur Sabodan Volodomyr, réside à la laure des grottes de Kiev (Kiev Pechersk Lavra). Le nom officiel de l’EOU-PM en ukrainien est Eglise orthodoxe ukrainienne. Elle considère donc les autres Eglises comme des organisations nationalistes schismatiques et leur refuse toute validité canonique. Elle est la seule Eglise d’Ukraine à avoir une situation canonique officielle dans l’orthodoxie orientale. A contrario, les autres Eglises l’appellent Eglise orthodoxe russe.

L’EOU-PM demeure la première Eglise d’Ukraine avec près de 35 millions de fidèles (trois quarts de la population ukrainienne), plus de dix mille communautés et près des deux tiers des paroisses. Elle très majoritairement présente dans l’Ukraine du centre et du nord-ouest.

Politiquement, elle est la seule Eglise à avoir officiellement soutenu un des candidats à l’élection présidentielle, Viktor Ianoukovitch. Avec ce soutien au leader pro-russe, elle s’inscrit dans la lignée du mouvement ukrainien russophile. Avec la victoire de son opposant et malgré sa prédominance, elle se sent en situation difficile qui vaudra à son métropolite d’affirmer qu’elle est aujourd’hui persécutée. Toutefois cette position officielle du clergé ne peut déterminer l’attitude de tous les fidèles orthodoxes de l’EOU-PM. 

L’Eglise orthodoxe autocéphale

En 1921, un synode crée L’Eglise orthodoxe autocéphale ukrainienne à Kiev et ordonne à sa tête le métropolite Lypkivsky Vasyl. Eglise indépendante au départ, elle obtient en 1924 la reconnaissance de ce statut autocéphale par le patriarche de Constantinople. Un tomos [21]ré-établit le diocèse du métropolite de Kiev et de la Rous’-Ukraine comme Eglise autocéphale. La véritable volonté de cette Eglise est de rompre avec Moscou. C’est la raison pour laquelle elle est initialement persécutée par le pouvoir soviétique.

La deuxième guerre mondiale est une période assez confuse pour l’EOAU. En 1941, un synode (sobor) décide de rétablir le lien canonique avec le patriarcat de Moscou dans l’Ukraine occupée par les Allemands. L’archevêque Hromadsky Oleksiy est nommé métropolite de cette Eglise, indument appelé Eglise autonome. Le 8 octobre 1942, deux évêques de l’EOUA, l’archevêque Nijanor et l’évêque Mtyslav, et le métropolite Oleksiy signent un acte d’union à la Laure de Pochaiev par lequel les hiérarchies des deux Eglises s’unissent. Cependant les autorités d’occupation allemandes et prélats russophiles de l’Eglise autonome forcent le métropolite Oleksiy à retirer sa signature.

Après la guerre, l’EOU-MP étant la seule Eglise officielle, quelques communautés de l’EOUA demeurent malgré tout indépendantes. Elles sont toutefois liquidées par le régime soviétique avec l’appui de l’EOU-MP. De nombreux ecclésiastiques de l’EOUA émigrent en Allemagne et aux Etats-Unis, ceux qui restent sont exécutés ou déportés.

Lors de la reconnaissance des Eglises en 1989, l’EOUA renaît avec monseigneur Mtyslav qui prend le titre de Patriarche de Kiev et de toute la Rous’-Ukraine. Après sa mort en 1993, elle est rétablie comme Eglise indépendante malgré une courte union avec l’Eglise orthodoxe du patriarcat de Kiev.

Forte d’un millier de communautés, elle est très présente dans l’ouest ukrainien, en Galicie. Un grand nombre des paroisses des émigrés ukrainiens se rattachent à elle, au Canada et aux Etats-Unis.

L’Eglise du patriarcat de Kiev

En août 1989, la paroisse orthodoxe Saint Pierre et Saint Paul de Lvov annonce sa rupture avec l’EOU-PM. En novembre 1991, monseigneur Mykhailo Denysenko Filaret, Patriarche de Kiev et de toute la Rous’-Ukraine, demande le statut d’Eglise autocéphale pour l’Eglise ukrainienne à la hiérarchie russe. Il dispose alors du soutien de l’EOUA et d’une oreille attentive auprès du président Kravtchouk. Pourtant le synode d’avril 1992 rejette le projet du métropolite Filaret. Avec le soutien du président Kravtchouk, Filaret prétend que le synode a subi des pressions et en convoque un nouveau en mai à Kharkov. La majorité des évêques vote cependant la suspension de Filaret et élit un nouveau métropolite, Vitor Sabodan Volodymir. Avec seulement trois évêques, monseigneur Filaret s’unit initialement à l’EOUA puis crée, en juin 1992, l’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Kiev avec le soutien du patriarche Mtyslav. Pourtant le clergé autocéphale s’oppose à Filaret et à la mort de Mtyslav, la rupture est consommée entre l’EOUA et l’EOU-PK. Les deux Eglises s’affrontent alors pour la filiation des paroisses. Beaucoup d’entre elles demeurent autocéphales, mais avec le soutien des autorités locales nationalistes et de forces paramilitaires, certaines sont prises par la force en Volhynie et dans l’oblast de Rivne. Dans le sud-est ukrainien, le président Kravtchouk accorde arbitrairement les paroisses fermées par le communisme à l’EOU-PK.

Patriarche de Kiev et de Halytsch, monseigneur Filaret a été excommunié par l’EOU-MP en 1997. Il cherche toutefois à rallier à l’EOU-PK des groupes nationalistes et des organisations religieuses sans reconnaissance canonique. Par ailleurs, il exprime la repentance du soutien orthodoxe à la persécution passée de l’EUGC et de l’EOUA.

Forte d’un millier de communautés, l’EOU-PK est surtout présente en Volhynie (40% de ses paroisses) et à Kiev. A l’étranger, onze paroisses américaines et deux paroisses australiennes reconnaissent son autorité.

Quatre patriarches pour la mère de toutes les villes russes

Les relations entre les différentes Eglises chrétiennes sont complexes. Le fait religieux demeure pourtant essentiel et 47% des Ukrainiens estiment que l’Eglise est l’institution à laquelle ils font le plus confiance. Le christianisme oriental est certainement un trait caractéristique de l’identité ukrainienne. Mais des fidèles jusqu’aux hiérarchies, les antagonismes l’emportent sur les similitudes.

Le poids du passé est prégnant. Les Eglises persécutées par les Russes et ensuite par le communisme attendent encore la repentance de l’Eglise orthodoxe. La propriété des églises et des paroisses concerne toutes les Eglises et alimentent leurs oppositions. Du point de vue strictement religieux, il est difficile de rétablir les ponts canoniques. Les excommunications minent les relations des orthodoxes. La vitalité des gréco-catholiques inquiète les orthodoxes qui se sentent devenir une « minorité persécutée » selon les propres termes du patriarche Alexis II. Et la volonté œcuménique du cardinal Husar ne rassure pas ses homologues orthodoxes. La compétition pour le titre de patriarche de Kiev est, à cet égard, singulière : trois patriarches orthodoxes de Kiev cohabitent et l’archevêque majeur gréco-catholique rêve de retrouver ce titre. Ensuite la perception de l’identité ukrainienne est plurielle. Les divergences sont les plus flagrantes entre les Eglises orthodoxes. Comme les gréco-catholiques, les Ukrainiens émigrés et les dissidents s’estiment « plus ukrainiens » que leurs coreligionnaires de l’Eglise de Moscou. Enfin, si l’EOU-MP demeure du côté des russophiles en soutenant publiquement le parti des Régions et Victor Yanoukovitch, la grande majorité des fidèles des autres Eglises soutient les autres partis politiques. Ces Eglises se présentent comme les vrais défenseurs de l’identité ukrainienne et leur combat passé pourrait leur donner raison.

L’Ukraine apparaît donc encore divisée entre deux sensibilités religieuses que le rapport avec Moscou divise. Cette césure pourrait se limiter à l’opposition des hiérarchies ecclésiastiques ; elle semble toutefois aussi toucher les fidèles. On assiste, en effet, à une réelle vivacité spirituelle et les églises connaissent une affluence certaine. La question demeure de savoir quelle identité religieuse exacte peut rassembler des Ukrainiens qui fréquentent des églises encore opposées.

3. L’identite ukrainienne peine a s’exprimer politiquement

La langue et la religion peinent à rassembler les Ukrainiens. L’indépendance et la construction d’un Etat ukrainien auraient pu permettre une construction identitaire dans le champ politique. Phénomène typiquement européen, la construction de l’Etat-nation s’appuie sur une identité qui se fortifie au sein de la population et vis-à-vis du monde extérieur. La réalité ukrainienne demeure complexe. La perpétuelle césure schématique des deux rives du Dniepr apparait dans la classe politique. La réaction de ses deux partenaires tutélaires, la Russie et l’Europe, nourrit aussi cet antagonisme. L’identité ukrainienne pourrait naître d’un choix politique si elle sort de l’incertitude.

Les acteurs de la politiques ukrainiennes militent tous pour une identité ukrainienne mais en ont des approches différentes

Y a-t-il une fracture identitaire du monde politique ?

En première approche, l’Ukraine voterait selon l’orientation « géographique » des hommes politiques. L’ouest serait favorable au candidat pro-européen et l’est à celui proche de la Russie. Effectivement, lors l’élection présidentielle de 2004, le premier ministre Victor Yanoukovych est majoritaire dans l’Ukraine de l’Est et du centre et ne cache pas son attachement au grand frère russe. Dauphin du président Koutchma, il symbolise la continuité de l’Ukraine inscrite dans l’orbite russe. Son rival, Victor Youshchenko, ancien premier ministre lui aussi, domine l’Ukraine occidentale et la région de Kiev. Il apparait alors comme profondément europhile. Les dernières élections parlementaires pourraient apparaître comme une confirmation de cette rupture. Les mêmes régions orientales et méridionales votent pour le parti des Régions que dirige Victor Yanoukovych. Le reste de l’Ukraine plébiscite le bloc Youlia Tymochenko , du nom de l’égérie de la révolution orange qui soutenait Victor Youshchenko. Ce dernier et son parti Notre Ukraine ne s’imposent qu’en Transcarpathie. La Rada, l’assemblée parlementaire ukrainienne, est donc divisée en deux camps. Une conclusion rapide aboutirait à la superposition de l’antagonisme tutélaire entre Ukrainiens de l’Ouest, influencés par la Pologne et l’Autriche catholiques, et les Ukrainiens de l’Est, fidèles soutiens de la Russie orthodoxe.

La réalité politique est plus complexe mais renferme un aspect identitaire ukrainien

Une étude des caractères des trois hommes politiques influents ukrainiens réfute l’approche simpliste des antagonismes : le président de la république, Victor Youshchenko, son premier ministre, Youlia Timochenko, et l’ancien premier ministre, Victor Yanoukovych.

Victor Yanoukovych est né de père bélarusse dans le Donetsk mais n’a de cesse de rappeler qu’il est profondément ukrainien. Victor Youshchenko vient de l’oblast de Soumy et Youlia Tymochenko de celui de Dniepopetrovsk. Tous les trois viennent donc de l’est et du centre ukrainiens, aucun n’est originaire des régions occidentales de Galicie ou de Volhynie, potentielles suspectes de trop grande amitié avec l’Occident. Tous trois sont des fidèles de l’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou, aucun n’est un gréco-catholique, probable relai du Vatican. Surtout tous les trois maîtrisent mieux le russe que l’ukrainien. Les carrières politiques de messieurs Yanoukovych et Youshchenko ont débuté dans l’Ukraine soviétique où le russe dominait et Y. Tymochenko avait commencé une carrière dans les milieux industriels aussi russophones. Tous les trois s’appliquent toutefois à s’exprimer publiquement en ukrainien. Leur origine géographique, leur inclinaison religieuse et leur pratique linguistique sont donc identiques bien qu’ils soient opposés politiquement et que leurs bases électorales semblent différentes.

En outre, confrontés tous les trois aux réalités de leurs responsabilités politiques, ils s’accordent sur le rapprochement de l’Ukraine avec le monde occidental par le biais de l’Union européenne (UE) et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Cette occidentophilie est certes moins évidente chez V. Yanoukovych, encore attaché au lien avec la Russie, mais elle n’est pas absente.

L’attitude des occidentaux et des Russes ne facilite pas le choix ukrainien d’une identité marquée

Dans l’UE, le soutien à l’intégration de l’Ukraine est évident. 51% des Européens [22] se disent ainsi favorables à l’adhésion de l’Ukraine. Elle semble donc le candidat favori d’un prochain élargissement de l’UE pour les Européens. L’argument principal en faveur de cette intégration est que l’Ukraine fait partie de l’Europe pour 52% des sondés. Très naturellement, l’Ukraine apparait donc comme un pays européen. Les Européens s’en sentent proches et la révolution orange a connu un succès certain dans les opinions occidentales qui y ont vu, peut-être un peu rapidement, une volonté de rapprochement ukrainien-européen. L’attitude des capitales européennes vis-à-vis de Kiev suit globalement l’appréciation de leurs populations. Elles prônent le rapprochement pour aboutir à l’intégration. L’Ukraine est donc, pour elle, profondément européenne. Son identité devrait donc se rapprocher de certaines caractéristiques des identités des pays européens. Surtout l’affirmation de cette identité dans un Etat-nation reconnu serait renforcée par le rapprochement européen.

A l’est, l’attitude la Russie s’exprime en opposition à ce rapprochement occidental. Dès l’élection de 2004, le président Vladimir Poutine soutient Victor Yanoukovych et la tentative d’ingérence dans le processus électoral. Après l’échec du candidat du pouvoir, le Kremlin continue de tenter d’imposer ses vues aux dirigeants ukrainiens désormais pleinement indépendants. Les contacts entre messieurs Poutine et Yanoukovych demeurent et ce dernier s’est empressé de féliciter Dmitri Medvedev lors de son élection (2008). Surtout la fédération de Russie tente par divers moyens de limiter la marge de manœuvre de son ancienne province de Petite-Russie. Les récurrentes coupures de gaz en sont une expression. Surtout, Moscou menace plus ou moins implicitement Kiev si elle se rapproche trop de l’UE et de l’OTAN. Le 12 février 2008, en recevant V. Youshchenko à Moscou, Vladimir Poutine le mettait en garde contre la tentation de se joindre au projet de bouclier antimissile américain ou d’accueillir une base de l’OTAN par une formule équivoque : « dire, même penser que la Russie, en réponse (…) pointera ses missiles sur l’Ukraine, cela fait peur ». Cela rappelle surtout aux Ukrainiens que les siècles de domination russe demeurent un aspect de leur identité.

L’identité ukrainienne serait donc à la croisée des chemins et ne saurait lequel choisir ou tracer

L’identité ukrainienne semble encore en construction et peine à dépasser ses incertitudes. Le poids du passé s’exprime encore dans sa langue, dans sa foi et dans ses choix politiques. Après une quinzaine d’années d’indépendance progressive, de la chute de l’empire soviétique à la révolution orange, elle cherche à exprimer sa voix propre. Laquelle est-ce donc ? Doit-elle encore s’appuyer sur des caractéristiques forgées par les dominations étrangères ?

La réalité de l’Etat-nation ukrainien serait le cadre de la réalisation de cette identité. Elle se pourrait se nourrir de toutes ses singularités. Quatre Eglises, deux ou trois langues, des liens particuliers avec la Russie et l’Europe pourraient être dépassées par l’acceptation d’une citoyenneté ukrainienne commune. L’Ukraine suivrait alors la même voie que la plupart des nations occidentales qui se sont construites progressivement à partir de noyaux différents. Elle serait la dernière expression cohérente d’un Etat-nation en Europe. L’identité ukrainienne se fonderait alors sur le fait d’être un citoyen de la république d’Ukraine, démocratie reconnue sur la scène internationale. En se reconnaissant dans ce caractère commun, les Ukrainiens laisseraient au second plan les considérations linguistiques, géographiques, religieuses et politiques. Cette vision idyllique d’achèvement de l’identité ukrainienne semble la seule à même de dépasser les divisions apparentes des Ukrainiens.

*

Le défi actuel de l’Ukraine est de réussir à dépasser les antagonismes identitaires latents que lui ont légués l’histoire et la géographie. Les Ukrainiens ne parlent pas tous la même langue aujourd’hui. La population ukrainienne est ukrainophone ou russophone, ou encore mélange les deux langues. L’identité ukrainienne s’appuie donc sur une langue slave dont les expressions sont plurielles. Les Ukrainiens sont majoritairement chrétiens mais leur foi ne s’exprime pas dans les mêmes églises. A côté de la particularité gréco-catholique, trois Eglises orthodoxes concurrentes accueillent les fidèles ukrainiens du territoire et de l’émigration. Le rapprochement religieux autour de Kiev, cette capitale de l’orthodoxie, n’apparaît pas probable. Même l’expression politique souffre de ces divisions. Partis et leaders politiques s’opposent dans la répartition politique de leur électorat mais aussi dans l’approche des liens à maintenir ou à modifier avec les voisins de l’Ukraine.

Les incertitudes de l’identité ukrainienne demeurent et la consolidation d’une citoyenneté ukrainienne forte pourrait faciliter son renforcement. Le cadre de l’Etat-nation est idéal pour poursuivre la sortie de l’adolescence turbulente qu’a connue l’identité ukrainienne.

CONCLUSION

L’identité ukrainienne n’est pas sortie de l’incertitude et n’a pas encore réussi à pleinement s’exprimer. Sa géographie, très marquée par l’histoire, ne lui a pas offert un cadre idéal d’épanouissement. Les siècles ukrainiens ont surtout été lithuaniens, polonais, autrichiens et russes. « Fantôme de l’Europe », l’Ukraine n’est un Etat clairement indépendant et ukrainien que depuis l’indépendance de 1991 et la révolution orange de 2004. La puissance des monarchies catholiques et de l’empire russe a enserré l’Ukraine dans un étau où toute identité autonome ne pouvait s’exprimer. Elle a surtout marqué profondément les caractères des Ukrainiens selon la puissance dominante. Malgré cet étau de plus en plus fort du côté russe, une conscience nationale ukrainienne s’est éveillée et a progressivement exprimé la volonté de construire une identité commune. Phénomène littéraire puis politique, cette expression s’est nourrie des siècles de domination et des révoltes qu’elle provoqua. Ils ont abouti à une première indépendance au XXème siècle seulement. Après la seconde indépendance des années 1991 – 2004, les défis à relever pour s’épanouir pleinement ne sont pas faciles. Les Ukrainiens demeurent divisés par la langue qu’ils pratiquent, schématiquement le russe ou l’ukrainien. Ils se partagent aussi selon la foi chrétienne qu’ils professent, gréco-catholique ou orthodoxe de plusieurs Eglises. Ils se singularisent enfin par le choix politique qu’ils font, marqués par leur héritage historique, par l’appréciation qu’ils ont des liens avec la Russie et l’Europe occidentale.

Cette recherche d’identité commune pourrait apparaître comme le dernier processus cohérent et possible en Europe de construction d’un Etat-nation solide. Son fondement est avéré même si ses expressions sont diverses. Son champ d’application semble stable, les frontières de l’Ukraine délimitent un territoire peuplé d’Ukrainiens. La république d’Ukraine est un Etat reconnu, doté d’une économie construite et viable, d’une administration éprouvée et d’institutions organisées. Reconnaître que le citoyen ukrainien peut exprimer l’identité ukrainienne au-delà des divergences apparentes revient à justifier la pertinence du concept européen d’Etat-nation. Cette perspective n’est toutefois pas certaine. Non seulement l’engagement des dirigeants ukrainiens, mais aussi la pertinence des actions de leurs voisins russes et européens permettraient d’achever le processus. Le Russe et l’Européen occidental, parents très présents au cours des siècles, permettrait alors à l’identité ukrainienne d’atteindre l’âge adulte.

Cette possible réussite ukrainienne ne peut toutefois servir d’exemple à toutes les constructions identitaires sur la planète. Pays européen et chrétien, l’Ukraine se reconnaît dans les définitions de l’Etat nation et des principes démocratiques. Cette grille de lecture n’est pas forcément pertinente sur d’autres continents, ni suffisante sur le continent européen même. Le phénomène identitaire est dynamique et trop complexe pour obéir à une seule logique. L’erreur de nombre d’Occidentaux semble de trop vouloir reproduire partout leur mode de construction identitaire et d’oublier combien compliqué a été leur cheminement historique.

Manuscrit clos le 8 novembre 2008
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[1Hessel Tiltman, Peasant Europe, 1934, p.192. Cité par J. Benoist-Méchin, Ukraine le fantôme de l’Europe, Paris, 1939, p.11.

[2J. Benoist-Méchin, Ukraine le fantôme de l’Europe, Paris, 1939.

[3Voltaire, Histoire de Charles XII, 1737, Bâle, chapitre IV.

[4On utilisera par commodité l’expression des mots ukrainiens la plus courante en Français, laquelle est issue du russe. En effet, depuis 1991, les noms propres ukrainiens en alphabet latin ont été revus afin de mieux correspondre à la langue ukrainienne et à la différencier du russe. Ainsi devrait-on plutôt écrire Kyiv que Kiev. On suivra, par ailleurs, le conseil humoristique du métropolite gréco-catholique qui suggère d’écrire les noms tels qu’on les entend.

[5Du mot Varingas qui veut dire soldats.

[6Du mot scandinave Rhos, Ruodsen qui veut dire ramer et que les Varègues auraient donné aux habitants des villes fluviales, frappés par la dextérité de leurs rameurs.

[7Cosaque viendrait de Kassak qui veut dire bon soldat.

[8Nom de la colonie grecque fondée sur les rives de la Mer Noire au VIIème siècle avant J.C.

[9Makhno est un anarchiste ukrainien arrêté par les autorités russes mais que la révolution russe libère. Il conduit une forme de guérilla anarchiste dans le sud de l’Ukraine et s’oppose aux armées blanches puis à l’armée rouge. Malgré sa violence et sa brutalité, il fascine les paysans ukrainiens qui rejoignent son armée noire.

[10La Tchéka est l’acronyme de la Commission extraordinaire panrusse pour la répression de la contre-révolution et du sabotage, service secret créé le 20 décembre 1917 sous l’autorité de Félix Dzerjinski pour combattre les ennemis du nouveau régime bolchevique.

[11NKVD est l’acronyme du Commissariat populaire des Affaires intérieures, Narodnii Komissariat Vnoutrennikh Diél, police politique de l’ex-Union soviétique, qui fut créée en 1934 .

[12Collectif présenté par G. Luciani, Le livre de la Genèse du peuple ukrainien , Paris, 1956, p.121-143

[13Cité par Roger Portal dans Russes et Ukrainiens, Flammarion – Questions d’histoire, Paris, 1970, p.39.

[14Confrérie Saints Cyrille et Méthode

[15Cité par Roger Portal dans Russes et Ukrainiens, Flammarion – Questions d’histoire, Paris, 1970, p.45.

[16Cité par Olivier de Laroussilhe, L’Ukraine, PUF – Collection Que sais-je ?, Paris, 1998, p.48.

[17Discours des députés cité par Roger Portal dans Russes et Ukrainiens, Flammarion – Questions d’histoire, Paris, 1970, p.58.

[18Traditionnellement, en Ukraine, une jeune fille qui désirait exprimer son refus à jeune galant lui faisait déposer une citrouille orange. Cette couleur est donc devenue le symbole du refus pour les Ukrainiens. Les manifestants anti-Koutchma portaient ostensiblement cette couleur.

[19Kostomarov, article publié dans le N°61 de la revue de la Cloche sous le titre de l’Ukraine, 15 janvier 1860, cité par Roger Portal dans Russes et Ukrainiens, Flammarion – Questions d’histoire, Paris, 1970, p.42.

[20Monseigneur Andrei Cheptystsky, discours d’inauguration de l’Académie de théologie de Lvov le 6 octobre 1929, cité par Antoine Arjakovsky, entretiens avec le cardinal Lubomyr Husar, Parole et silence, Paris, 2005, p.124.

[21Un tomos (du grec τομος : morceau, qui a donné tome en français) est édité par un synode orthodoxe, l’équivalent de la bulle catholique.

[22Sondage TNS du 8 décembre 2005 auprès des citoyens de six pays européens et de l’Ukraine représentant 75% de la population.


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