L’Italie et Union européenne : quelles relations ?

Par Clara KERGALL, le 23 février 2023  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Ancienne élève de classe préparatoire littéraire du lycée Blomet, Clara Kergall est sous-admissible à l’ENS de Lyon en 2021 en spécialité histoire-géographie. Passionnée par la géopolitique et l’histoire, elle rejoint ensuite la licence de Relations internationales à la Sorbonne-Nouvelle avant de se lancer dans un voyage d’un an à travers l’Europe.

Après la réussite du projet européen de sortir l’Italie de la guerre civile et de souder les Italiens du Nord et du Sud autour de valeurs communes, l’image de l’Union européenne a pris un coup dans l’aile au fur et à mesure des complexifications économiques et politiques. Pourtant, après vingt ans de difficultés économiques puis sociales, où l’Italie a peu à peu rompu avec son passé traditionnellement europhile, elle ne peut toutefois être qualifiée de pays eurosceptique dans la mesure où les Italiens restent attachés et volontaires à une intégration toujours plus européenne.

INTRODUCTION de l’euro, crise économique de 2008, crise des migrants en 2015, tant d’événements européens où l’Italie a été un des pays en première ligne pour faire face à ces épreuves. Vingt ans après le début des difficultés liées à l’Union européenne, les Italiens font le choix d’élire Giorgia Meloni en septembre 2022. Ces élections posent ainsi de nouveau la question de l’europhilie ou de l’europhobie en Europe. Or, l’Italie a ce lien particulier avec l’Union européenne en tant que membre fondateur, et fait alors couler beaucoup d’encre à son sujet. Italiens et Union européenne, quels rapports historiques et politiques ? Si le projet originel de souder les Italiens autour du projet européen est dans un premier temps une réussite semblerait-il éclatante, les années 2000 amorcent la montée d’une déception nationale, qui n’aboutit pas à un euroscepticisme farouche malgré des apparences trompeuses.

L'Italie et Union européenne : quelles relations ?
Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres d’Italie (22 octobre 2022 - )
Crédit photographique : gouvernement italien

I. L’Union européenne et l’Italie, un projet d’unification

A. De Gasperi et le projet européen, une volonté d’unifier le pays

Le projet de la communauté européenne a dès ses débuts un soutien fervent de l’Italie. De l’appel de Robert Schuman en 1950 pour la construction de la CECA à la construction de la CEE en 1957, des hommes politiques italiens, menés par De Gasperi ont toujours répondu présents à l’appel européen. L’Italie témoigne ainsi d’une fidélité constante pour la construction européenne, pensée comme le moyen d’offrir aux Italiens un destin commun dans la cour des grandes nations. Le projet européen répond donc à un espoir italien de moderniser, souder et relever économiquement et moralement une nation marquée par la défaite, la guerre civile et vingt ans de fascisme. De ce fait, l’Italie semblerait-il toute entière, gouvernements après gouvernements, générations après générations, adopte une position résolument europhile bercée par ce nouveau départ, annonciateur de progrès et de paix. En effet, plus de soixante ans après la signature du traité de Rome, les Italiens du Nord et du Sud associent toujours l’Union européenne aux valeurs de la démocratie, de la paix et aux droits de l’homme, selon les résultats de l’Eurobaromètre de l’été 2022 [1]. Ainsi, les représentations que se font les Italiens de l’Union européenne sont inchangées et témoignent d’une réussite de l’Europe dans les valeurs qu’elle véhicule de sa création à aujourd’hui.

Ces représentations de l’Union européenne résonnent de la même manière au Nord et au Sud, et sont une des preuves de la réussite du projet européen par le rapprochement de ces deux ensembles Nord Sud autour d’un projet commun. Cette première réussite est accompagnée d’une réussite économique puisque si l’Italie a rencontré des difficultés économiques liées à l’Union européenne, elle a également largement bénéficié de ses aides. Son développement économique et sa modernisation sont à mettre en lien avec son intégration européenne selon Stéphane Mourlane, agrégé et docteur en histoire [2]. En effet, l’Italie est à partir des années 1980 l’un des principaux bénéficiaires de la politique régionale de l’UE et elle est aujourd’hui, selon la Commission européenne, le premier pays européen bénéficiaire des fonds de politique de cohésion sur la période 2014-2020 avec plus de 32 millions d’euros obtenus. Ces aides ont notamment considérablement aidé le Sud à rattraper son retard économique grâce aux subventions de la FEDER, comme le relancement du projet abandonné du port de Gioia Tauro en Calabre : alors que ce port faisant office de « cathédrale dans le désert », à cause de l’incapacité de l’Etat italien à poursuivre son investissement pour des raisons obscures, la FEDER en lien avec une société génoise relance le projet en 1994 et fait de ce port le 4ème port de la façade ouest-méditerranéenne en 2017. Ainsi, l’Union européenne apparait comme un soutien important au développement de l’Italie du Sud et permet dès lors une modernisation et un développement économique de l’Italie, deux victoires – malgré d’autres difficultés économiques – du projet européen.

B. Une Italie toujours à deux voire trois vitesses

Pourtant, si l’Union européenne a permis une amélioration des conditions économiques et sociales de l’Italie, celle-ci reste néanmoins en difficulté, en particulier dans le Mezzogiorno. Une scission Nord, Sud et Centre reste de ce fait présente, ce que soulignent les chercheurs comme A. Bagnasco en 1977 avec l’invention du terme de la « Troisième Italie » : cette Italie du centre et de l’est ayant développé des aspirations politiques et un développement économique différent. De fait, le Mezzogiorno fait figure de région oubliée tandis que le Centre prend la place d’une région périphérique face au Nord jugé riche et développé. C’est donc une Italie à trois vitesses qui continue d’exister aujourd’hui, soulignée par les résultats économiques et données sociales. En effet, Ilvo Diamanti, professeur de sociologie et de science politique à l’université d’Urbino, souligne [3] que le Mezzogiorno parait bien faible face à un Nord qui attire tous les feux des projecteurs : « Les écarts [entre le Mezzogiorno et] le reste du pays, et surtout avec le Nord, se sont ainsi élargis. L’économie n’y progresse plus, alors que la criminalité organisée reprend le contrôle dans certaines zones importantes ». De fait, le chômage y est catastrophique avec certaines régions comme la Calabre, la Campanie et la Sicile où plus d’un jeune sur deux est inactif en 2020 ; les taux de risque de pauvreté touchent en 2021 plus d’une personne sur quatre dans le Mezzogiorno. Ces deux données sont prises parmi tant d’autres et soulignent la continuité des difficultés économiques et sociales depuis l’entrée de l’Italie dans l’Union européenne.

Ces difficultés économiques et sociales ne sont pas en voie de se résorber à cause de l’implantation durable de la mafia dans le Sud de l’Italie particulièrement. En effet, malgré les grands procès des années 1980 à aujourd’hui, ces organisations criminelles continuent d’avoir une domination dans les milieux des affaires et dans le quotidien des Italiens du Sud : Stéphane Mourlane rapporte dans son « Atlas de l’Italie contemporaine » que les homicides mafieux restent nombreux tandis que le chiffre d’affaires de ces mafias ne cesse d’augmenter – entre 150 à 200 milliards d’euros, soit environ 10% du PIB italien.

Cette réalité de la mafia et des données économiques et sociales semble ainsi donner raison au dicton italien mettant des mots sur les inégalités territoriales de l’Italie en affirmant que « l’Italien du Nord vit au Nord, l’Italien du Sud meurt au Sud ». Célèbre au XXème siècle, ce dicton tend à devenir obsolète, mais les chiffres actuels démontrent qu’il est encore trop tôt pour le classer parmi les vieux dictons d’une époque révolue.

C. Une unification réussie ?

Si l’Italie semble plurielle d’un point de vue économique et social, les Italiens s’accordent pourtant sur la question européenne. Historiquement, l’Italie s’est toujours présentée comme une fervente défenseure de l’Union européenne, de sa création jusqu’en 2007, date à laquelle les réponses italiennes aux sondages des Eurobaromètres passent en dessous de la moyenne européenne. Les sondages présentent les Italiens comme étant les Européens les plus convaincus de l’importance de la Communauté, et comme étant les plus volontaires pour poursuivre le processus d’intégration. En effet, des années 1970 où l’Italie est le deuxième pays de la Communauté à être le plus en faveur pour un marché commun, aux années 1990, où 9 Italiens sur 10 considèrent que l’avenir de la Communauté européenne a une grande importance dans l’avenir de l’Italie – se plaçant en 2ème position sur le sondage – les Italiens se sont montrés dès les débuts du projet européen, très enthousiastes et ce, de manière nationale comme le montre les chiffres qui témoignent d’une adhésion quasi unanime. Cet entrain est toutefois quelque peu ralenti dans les années 2000 avec l’arrivée de l’euro, qui contribue à l’inflation et une crise des classes moyennes. Malgré ces difficultés, l’Italie garde une image positive de l’Union européenne, et ce, même après la crise des subprimes de 2008 : en effet, elle est le 6ème pays européen sur 26 à garder cette bonne image alors que les Etats membres plongent dans un mécontentement avec une moyenne européenne à 42%.

De ce fait, la question européenne a soudé les Italiens, historiquement satisfaits des décisions de Bruxelles. Si l’histoire et l’économie ont fait évoluer les régions italiennes d’une manière spécifique, rendant le Nord, plus riche avec des volontés autonomistes, d’un Sud en difficulté, l’Union européenne a de son côté, rapprochée des régions que tout semblait opposer. Ainsi, certains Italiens du Nord, Centre et Sud se montrent sur la même longueur d’onde en 2022 sur la question de la prise en compte des intérêts italiens dans la politique de l’Union européenne, lorsque Trentin-Haut-Adige, région la plus riche d’Italie, apparait en première position de satisfaction, suivie de l’Emilie-Romagne – région du Centre, abandonnée par le Nord car jugée trop proche de Rome et des régions rouges italiennes – puis des Abruzzes, région du Sud appartenant au Mezzogiorno oublié. L’Union européenne est donc un point de rencontre entre régions du Nord, Centre et Sud, et ces ensembles qui apparaissaient si uniformes ont finalement des avis largement différents d’une région à une autre : que ce soit sur la politique de l’Union européenne, ses réactions dans les crises actuelles – Covid et Ukraine – ou son principe même, le Nord et le Sud n’apparaissent plus si homogènes. C’est donc dans une certaine mesure la fin d’une scission traditionnelle Nord/Sud avec une europhilie ou un euroscepticisme qui ne dépend plus d’une division territoriale mais d’une aspiration européiste ou non.

De ce fait, l’Union européenne est un des vecteurs de l’unité italienne, et témoigne en ce sens d’une réussite du projet européen à l’échelle de l’Italie dont une des motivations initiales était de fédérer ce pays, divisé par la guerre civile et les rancœurs territoriales.

Pourtant, si l’Italie s’est longtemps présentée comme europhile et toujours plus volontaire, les années 2000 marquent un tournant dans l’opinion publique italienne et la formation des partis politiques.

II. Phénomène nouveau du XXIème siècle : le début d’une déception italienne au sujet de l’Europe communautaire

A. La montée d’un discours politique eurosceptique discret et en marge

La montée de l’euroscepticisme en Italie est discrète et lente mais tout de même présente dès le début du XXIème siècle. Des propos contre l’Union européenne émergent dans les discours de certains partis politiques comme la Ligue du Nord, sans pourtant jamais devenir le cheval de bataille du parti. En effet, comme le souligne Christophe Bouillaud [4], spécialiste de la vie politique italienne et professeur de science politique à Science Po Grenoble, si la Ligue du Nord a tenu un discours antieuropéen entre 1998 et 2008, elle n’en a jamais fait pour autant le centre de ses campagnes électorales. De fait, la lutte contre l’Union européenne vient s’ajouter à la première lutte du Nord contre Rome et son pouvoir centralisateur. Les résultats politiques du parti aux élections restent discrets avec des résultats de moins de 5% des suffrages exprimés jusqu’en 2008, année des élections législatives où la Ligue du Nord double pratiquement son résultat avec 8,3% des voix. De ce fait, il ne s’agit pas d’une percée foudroyante de l’euroscepticisme mais bien d’un mouvement progressif, alimenté par les difficultés économiques de la monnaie unique et de la crise des subprimes.

Depuis 2008, le mouvement eurosceptique ne cesse de prendre plus de poids et les élections législatives de 2018 sont sa plus belle victoire. En effet, l’Italie toute entière semble se rallier à des partis eurosceptiques, au Nord pour la Ligue et au Sud pour le Mouvement 5 Etoiles. La victoire de ces deux partis montre une défiance des Italiens à l’échelle nationale, les menant vers des partis nouveaux et antisystèmes qui se veulent en rupture avec les partis traditionnels. Cette défiance pour la politique à l’échelle nationale alimente une défiance à l’échelle européenne, les Italiens étant désabusés par la politique et les actions menées par les partis traditionnels de manière générale.

B. Des difficultés économiques puis sociales liées à l’UE

Les années 2000 voient naître en Italie des déceptions voire des mécontentements de l’opinion publique, qui vont en s’amplifiant d’années en années. Alors que 33% des Italiens pensaient en 2015 que l’UE allait dans la mauvaise direction, ils sont en 2022 majoritaires à penser cela selon l’Eurobaromètre 97 : cette augmentation importante s’explique par une diminution drastique du pourcentage d’Italiens qui pensent que l’UE ne va ni dans une bonne ni dans une mauvaise direction (29% des sondés en 2015) et montre ainsi un durcissement des discours contre l’Union européenne.

A l’origine de la percée des mouvements antieuropéens se trouvent des difficultés économiques puis sociales liées à l’Union européenne, comme la déstabilisation de l’économie nationale à cause de l’euro et de la désindustrialisation notamment. En effet, une baisse de l’europhilie est remarquée par Simon Hix (2008) [5] entre 1991 et 2006, du fait de l’euro qui provoque la crise des classes moyennes – forte inflation subie en particulier par les salariés et les retraités. Mais cette baisse de l’europhilie ne saurait constituer un euroscepticisme farouche.L’Eurobaromètre de 2009 indique que 56% des Italiens ont toujours une image positive de l’UE lorsque 32% ont une image neutre et que seulement un Italien sur dix en a une image négative. La crise économique de 2008 constitue donc le départ du sentiment italien d’être lésé car moins bénéficiaire, plus qu’une europhobie contestataire.

En 2022, les mécontentements italiens vis-à-vis de l’UE sont variés, procédant de la crise économique pour certains, de la désindustrialisation pour d’autres ou encore de la crise migratoire de 2015. En effet, l’Italie souffre depuis la mise en place de l’espace Schengen d’une désindustrialisation progressive selon l’économiste David Cayla, maître de conférences à l’université d’Angers, à cause de la mise en place du marché unique et de l’effet qui en résulte : la polarisation industrielle au sein de l’espace européen [6]. Cette polarisation se fait au bénéfice des pays du cœur de l’Europe, en particulier l’Allemagne, au désavantage direct des pays périphériques comme l’Italie. De fait, l’Italie enregistre une chute de sa production entre 2000 et 2017 de presque 20% en volume de travail dans l’industrie manufacturière. Ces chiffres sont confirmés par d’autres économistes comme Luciano Segreto qui souligne de son côté la diminution du nombre d’entreprises en Italie : entre 2007 et 2012, lorsque le taux de création d’entreprises manufacturières s’élevait à 5,8%, son taux de fermeture était lui de 13,5% [7]. Cette désindustrialisation ne résulte pas uniquement de la mondialisation et de la délocalisation en Chine, puisque pour David Cayla, les usines italiennes se sont également polarisées dans certains points stratégiques européens, à proximité des quatre plus grands ports d’Europe qui se situent tous sur la mer du Nord, grâce au régime des « quatre libertés ».

En parallèle, la crise migratoire a créé des dissensions au cœur de l’Italie. Alors que certaines régions du Sud entretiennent une culture de l’accueil des migrants, comme la Sicile ou la Calabre, les régions du Nord, et particulièrement la Lombardie et la Vénétie [8] ont vu dans l’arrivée des migrants en 2015 une épreuve économique et sociale, ainsi qu’un relatif abandon de l’UE du fait du manque de solidarité entre les pays européens qui a marqué une partie de l’opinion publique.

Ainsi, les raisons d’un mécontentement italien vis-à-vis de l’Union européenne sont variées et se cumulent depuis 2008, menant à une déception assez largement partagée.

C. Une déception actuelle forte des Italiens… qu’on ne pourrait qualifier d’eurosceptique

Aujourd’hui, les Italiens sont loin de l’europhilie du XXème siècle et se démarquent par le sentiment particulièrement fort d’être lésés à l’échelle européenne. En effet, alors que la France et l’Allemagne sont identifiées comme les gagnantes de l’UE, l’Italie avec les pays du Sud se voient comme les perdantes, ne pouvant pas bénéficier des mesures pensées à l’avantage de l’Allemagne et de la France. De ce fait, les questions des Eurobaromètres soulignent systématiquement une déception, voire un mécontentement italien : l’Italie en 2019 est le dernier pays européen à se penser bénéficiaire à être dans l’UE avec 42% d’opinions favorables ; ce résultat est parlant car loin derrière de la Bulgarie, avant-dernier pays à se penser gagnant avec 57% des voix, tandis que la moyenne européenne se situe à 67%. Ce chiffre résume tout le mécontentement italien qui explique que les Italiens ne se sentent pas écoutés – seulement deux Italiens sur cinq se sentent écoutés à l’échelle européenne en 2019 – et qu’ils aient perdu confiance dans les institutions européennes – un Italien sur deux ne fait plus confiance au Parlement européen. Cette opinion publique mécontente de l’UE est constante depuis 2008 car l’Italie est en-dessous de la moyenne européenne de manière quasi systématique aux questions sur l’avis favorable ou non d’être dans l’UE (l’intérêt positif d’être dans l’UE, l’image positive du Parlement européen, le sentiment d’être écouté etc. [9])

Ce mécontentement peut s’expliquer par une méconnaissance partielle de l’UE ainsi que sa faible présence dans le quotidien des Italiens. En 2008, Christophe Bouillaud faisait déjà le constat que 60% des Italiens utilisaient la télévision pour s’informer sur l’UE, alors que la télévision italienne ne consacrait en 2007, année d’un important sommet européen, que 4% de son temps d’antenne selon les données de l’Agenzia per le Garanzie nelle Comunicazione (l’Agence pour les garnaties dans les communications). En 2022, les Italiens sont toujours peu informés des grandes politiques européennes comme la PAC : alors que l’Italie est le quatrième bénéficiaire de la PAC, un Italien sur deux n’en a jamais entendu parler en 2022.

Pourtant, si les Italiens se montrent mécontents de l’UE, on ne peut parler d’un euroscepticisme farouche qui dénoterait avec les autres pays européens. En effet, les résultats italiens se mélangent à la moyenne européenne, et s’ils sont généralement en-dessous de cette moyenne, les écarts ne sont toutefois pas alarmants. De fait, 46% des Italiens ont une image positive lorsque la moyenne européenne est à 47%, ou encore, 71% des Italiens sont favorables à l’euro contre 72% des Européens. Ces résultats sont donc comparables aux avis des Européens en général, montrant que l’Italie n’est pas touchée par un euroscepticisme viral mais par un mécontentement ou une déception partagée à l’échelle de l’Union européenne.

Ainsi, l’opinion publique italienne au sujet de l’Union européenne a un nouveau visage teinté d’insatisfactions et à la recherche de plus d’avantages et de prises en compte, expliquant une vision toujours favorable à l’intégration européenne.

III. Le nouveau visage italien

A. La difficile ascension d’un parti ouvertement eurosceptique

Si l’euroscepticisme ne se répand pas comme une trainée de poudre en Italie depuis les années 2000, c’est parce qu’historiquement, l’opinion publique a toujours soutenu une intégration plus intense et que les gouvernements italiens successifs se sont toujours montrés favorables à l’UE et protecteurs des possibles reproches faits à l’Europe.

En effet, l’Italie a une tradition européiste forte avec une population parmi les plus volontaires à une intégration plus rapide et intense. Cette motivation italienne s’explique selon Daniele Caramini, professeur de politique comparée à l’université de Zurich, par un espoir proprement italien de trouver une solution extérieure aux problèmes intérieurs de l’Italie [10]. De fait, les Italiens ont une image négative de leur classe politique vue comme décevante du fait de la corruption et d’une incapacité à agir. Par ailleurs, la montée de la Ligue du Nord en 2001 ne permet pas de voir un euroscepticisme grandissant dans la mesure où selon une enquête du CNEL, 80% des Italiens restent des « européistes convaincus », y compris dans les régions où la Ligue du Nord est particulièrement soutenue comme la Vénétie. Daniele Caramini souligne ainsi que les électeurs de la Ligue du Nord ne partagent pas nécessairement les positions du parti en matière européenne. Cet européisme italien ralentit alors l’avènement d’un parti exclusivement eurosceptique dans les années 2000, d’autant plus que les gouvernements italiens sont de farouches défenseurs de l’UE.
De fait, au début des difficultés économiques italiennes liées à l’UE dans les années 2000, les incriminations qui auraient pu être imputées à l’euro tombent systématiquement sur la faute de l’opposition dans la vie politique interne italienne : c’est en effet la démonstration de C. Bouillaud, professeur de science politique à Science Po Grenoble qui montre que les partis de centre-droit et centre-gauche n’ont cessé d’incriminer l’entière responsabilité des maux italiens à l’autre camp, se renvoyant sans cesse la balle, alors même que les Italiens étaient bien conscients de l’origine européenne de leurs problèmes. A coup de discours politiques pro-européens, l’opinion publique reste alors favorable à l’Union européenne comme le montre l’échec cuisant du parti No Euro, premier parti dont l’unique objet de protestation est l’Union européenne et dont les résultats électoraux ne dépassent jamais 0.2% des voix aux élections de 2004 et 2006.

De ce fait, si les Italiens peuvent être déçus des choix et conséquences de l’Union européenne, l’europhilie italienne semble résister aux épreuves.

B. Une europhilie toujours actuelle, mais moins naïve et totale

Aujourd’hui, l’Italie fait preuve d’un européisme moins total et naïf qu’auparavant, mais les opinions publiques demeurent favorables à la poursuite d’une intégration européenne et se présentent comme optimistes et satisfaits à l’égard de l’UE. En effet, les sondages de l’Eurobaromètre de l’été 2022 montrent une volonté italienne d’aller vers davantage de politiques communes à l’échelle européenne comme l’avis favorable d’avoir une armée et une politique étrangère commune ou encore une politique énergétique ou commerciale européenne, avec pour chacune de ces propositions plus de 70% d’avis favorables. Cette volonté européiste est en augmentation depuis 2015 où les avis oscillaient entre 55% et 65%. De ce fait, l’opinion des Italiens s’améliorent et ces résultats témoignent d’un optimisme grandissant.
Cet optimisme est parmi les meilleurs des pays membres puisque l’Italie est le 2ème pays à penser que la situation économique va s’améliorer au cours des douze prochains mois. Cet optimisme est lié au plan de relance dans lequel les Italiens fondent de nombreux espoirs. Cet optimisme est accompagné d’une confiance qui malgré un faible résultat – un Italien sur deux a confiance dans les institutions européennes – témoigne toujours d’une plus grande confiance que dans leurs institutions nationales. En effet, alors que 46% des Italiens font confiance à l’Union européenne, seulement 30% font également confiance au Parlement italien. Par ailleurs, cette confiance dans l’Union européenne ne fait que remonter depuis 2008 où elle avait atteint le résultat de 31%. De ce fait, après une traversée difficile de l’Italie et des Italiens dans l’Union européenne, le pays semble se diriger davantage vers une europhilie qu’un euroscepticisme.
Ainsi, les Italiens, loin de vouloir se diriger vers un Italexit ou même une sortie de la zone euro, comme en témoignent les résultats des sondages, souhaitent un nouveau visage de l’Union européenne, davantage en faveur et protectrice de l’Italie.

C. … Qui se traduit dans les discours politiques

Les partis politiques italiens les plus soutenus depuis 2018 sont des partis qui ont eu une histoire tumultueuse avec l’Union européenne. Leurs leaders, Matteo Salvini pour la Ligue, Beppe Grillo puis Guiseppe Conte pour le Mouvement 5 Etoiles (M5S) ou Giorgia Meloni pour Fratelli d’Italia, ont tous en commun d’avoir eu des discours critiques envers l’UE et une volonté d’initier un mouvement de sortie de l’euro, projet avorté une fois arrivés au pouvoir. En effet, ces personnalités politiques optent tous pour une réforme de l’Union européenne afin de la rendre plus avantageuse aux Italiens plutôt qu’une rupture totale. Cette volonté de réformer l’Union européenne pour défendre l’intérêt italien naît dès les années 2000, où le ministre de l’Economie Giulio Tremonti bataille contre la Commission européenne entre 2001 et 2006 sur la situation des comptes publics italiens. Mais loin de se montrer en rupture totale avec l’UE, il lui soumet un plan de politique économique. De la même manière avec le M5S, le parti anciennement eurosceptique évolue vers une volonté de réformer les institutions européennes afin que l’Italie ne soit plus sous les ordres de Bruxelles selon Estelle Menard [11], avant de devenir europhile en 2018 sous l’impulsion de Luigi Di Maio, chef du parti entre 2017 et 2020, qui présente l’Union européenne comme étant « le giron naturel dans lequel l’Italie doit continuer à développer ses relations économiques et politiques ».
Après les élections législatives de 2022 et la victoire écrasante de Fratelli d’Italia, les presses françaises et internationales se sont de nouveau inquiétées d’une menace italienne pour l’Europe. Pourtant, Giorgia Meloni s’est présentée pendant l’intégralité de sa campagne comme favorable à l’UE avec un programme souhaitant une volonté de relancer le processus d’intégration européenne, avec notamment une politique de défense commune. Ainsi, Lorenzo Malagola, secrétaire général de la Fondation De Gasperi et député de Fratelli d’Italia, considère les positions de Giorgia Meloni d’europhiles, dont les seules luttes avec Bruxelles seraient de rendre l’UE plus juste pour les intérêts italiens et non plus un super-Etat bureaucratique.

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Ainsi, après la réussite du projet européen de sortir l’Italie de la guerre civile et de souder les Italiens du Nord et du Sud autour de valeurs communes, l’image de l’Union européenne a pris un coup dans l’aile au fur et à mesure des complexifications économiques et politiques. Pourtant, après vingt ans de difficultés économiques puis sociales, où l’Italie a peu à peu rompu avec son passé traditionnellement europhile, elle ne peut toutefois être qualifiée de pays eurosceptique dans la mesure où les Italiens restent attachés et volontaires à une intégration toujours plus européenne.

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[1QD7 : démocratie 38%, paix 32%, droits de l’homme et libertés individuelles 22%

[2Atlas de l’Italie contemporaine, Stéphane Mourlane et Aurélien Delpirou

[3DIAMANTI I., « La question septentrionale : Entre croissance économique et protestations politiques », Confluences Méditerranée, ID

[4BOUILLAUD Christophe, « L’Union européenne et l’Italie des années 2000, ou comment continuer à « aimer bien celui qui vous châtie bien » », Revue internationale de politique comparée, 2008/4 (Vol. 15), p. 619-637. DOI : 10.3917/ripc.154.0619. URL : https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2008-4-page-619.htm

[5HIX S., What’ Wrong with the European Union and How to Fix It, Cambrige, Polity, 2008

[6David Cayla. Crise de l’euro et divergences économiques : les conséquences du marché unique pour l’unité européenne. La Constitution matérielle de l’Europe, Pédone, A paraître. ffhalshs-02099797f

[7SEGRETO, Luciano. 4. À la recherche de l’industrie perdue. La désindustrialisation en Italie entre débat public, réalité économique et fragilités structurelles du pays In : La désindustrialisation : une fatalité ? [en ligne]. Besançon : Presses universitaires de Franche-Comté, 2017

[8C. Valente et M. Rossi, propos recueillis par Estelle Menard, « Géopolitique du Mouvement cinq étoiles : entre normalité et radicalité », 2018

[9Socio-demographic trendlines – EP Eurobarometer (2007-2022)

[10CARAMANI Daniele, « L’Italie et l’Union européenne », Pouvoirs, 2002/4 (n° 103), p. 129-142

[11Estelle Menard, « Italie : géopolitique du Mouvement 5 Etoiles : entre normalité et radicalité », Diploweb, 9 décembre 2018 https://www.diploweb.com/Geopolitique-du-Mouvement-cinq-etoiles-entre-normalite-et-radicalite.html


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