Synthèse de la conférence : Le tournant de l’invasion de l’Ukraine et ses conséquences internationales

Par Marie COLONNA RENUCCI , le 26 août 2022  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Étudiante en première année à Science Po Aix, Marie Colonna Renucci voue une appétence particulière pour le Proche Orient. Elle suit une formation en vue de l’obtention du certificat du monde arabe contemporain (CEMAC). Elle s’intéresse aux domaines de la géopolitique, des relations internationales et de la défense. Marie Colonna Renucci a rédigé pour Diploweb.com des synthèses de conférence entre juin et juillet 2022.

L’intervention en Ukraine, un tournant dans la politique extérieure russe ? Le renouveau russe en Afrique : un nouvel encerclement des Européens ? La fin de la neutralité nordique. Le parallèle taïwanais est-il pertinent ?

Synthèse d’une partie de la Journée d’étude “Le délitement de l’ordre post-Guerre froide en Europe”, organisée par MESOPOLHIS, Aix Marseille Université, CNRS et Sciences Po Aix le 29 juin 2022, 25 rue Gaston de Saporta, Aix-en-Provence. Il s’agit de la deuxième conférence de l’après-midi.

Intervenants : Anne de Tinguy, INALCO/CERI-Sciences Po Paris ; Walter Bruyère-Ostells, Sciences Po Aix ; Louis Clerc, Université de Turku (Finlande) ; Wu Chih-chung, Université Soochow, représentant de Taïwan en France.

Synthèse par Marie Colonna Renucci.

L’intervention en Ukraine, un tournant dans la politique extérieure russe ?

A. de Tinguy voit tout d’abord dans la guerre russe en Ukraine un tournant dans la stratégie de la politique étrangère russe.

L’Union soviétique était caractérisée notamment par son emploi du facteur militaire afin de rester une « puissance ». Ce sont M. Gorbatchev et B. Eltsine qui permettent de fortement réduire la part du domaine militaire. Gorbatchev décide le désarmement et refuse le recours à la force pour bloquer les mobilisations dans les pays satellites d’Europe de l’Est.

V. Poutine rompt avec cette tendance en faisant de nouveau du militaire une priorité par la réforme des forces armées (2008). Le changement de priorité dans la politique étrangère est marqué par le recours à la force (Crimée et Donbass en 2014, Syrie en 2015, Ukraine 2022).

Ensuite, elle discerne dans l’invasion de l’Ukraine un tournant dans les orientations fondamentales de l’action extérieure.

L’invasion russe de l’Ukraine s’inscrit dans une politique néo impériale. Les dirigeants russes distinguent « l’étranger proche » et « l’étranger ». Aux yeux des dirigeants russes, l’Etat ukrainien n’est qu’une variante régionale de la nation russe. Son indépendance est vécue comme une véritable amputation. Ainsi, l’opération militaire souhaite reprendre son contrôle pour empêcher l’émergence d’un pôle d’attraction concurrent.

Depuis trente ans, la Russie répète les erreurs d’analyse et est indifférente aux conséquences de ses actions. Elle mène une politique basée sur des postulats inacceptables dans la vie internationale, en contestant la pleine souveraineté de certains Etats de son étranger proche.

En parallèle, Poutine mène une politique occidentale de quasi-rupture. L’anti-occidentalisme prend une importance croissante dans le discours poutinien à partir des années 2000. La Russie s’isole volontairement du continent européen.

Le pivot vers l’Asie s’opère dès les années 2000. En 2014, cette réorientation prend de l’importance, afin d’éviter un isolement sur scène internationale et de contourner les sanctions internationales. Néanmoins, la relation devient de plus en plus déséquilibrée avec la Chine sur plan économique. Cela mine le dialogue sur pied d’égalité et affaiblit le pouvoir de négociation russe.

Synthèse de la conférence : Le tournant de l'invasion de l'Ukraine et ses conséquences internationales
Extrait de l’affiche de la journée d’étude “Le délitement de l’ordre post-guerre froide en Europe” De la crise financière à la guerre en Ukraine. 29 juin 2022, Sciences Po Aix
Sciences Po Aix

Le renouveau russe en Afrique : un nouvel encerclement des Européens ?

W. Bruyère-Ostells explique que la politique de puissance menée en Afrique utilise les schémas classiques de l’URSS.

Il décrit tout d’abord, le temps de la contraction de l’influence russe dans les années 1990. La situation internationale oblige la Russie à se concentrer sur sa reconstruction politique et la reconstruction des relations avec son environnement proche. Elle subit un encerclement des puissances occidentales.

La main d‘œuvre bon marché, qualitative et nombreuse est mobilisée sur le continent dans une logique de mercenariat individuel. Le matériel et la présence de mercenaires permettent à la Russie d’avoir un lien informel avec acteurs sur le continent.

Le deuxième temps constitue le redéploiement discret non militarisé de la Russie entre 2000 et 2014. Poutine réalise des réformes économiques et militaires pour le redéploiement de la puissance. Il réalise des partenariats en multipliant les contrats d’armement avec des pays ayant eu une proximité avec l’URSS. C’est le cas du partenariat stratégique avec l’Algérie en 2001, ou encore celui avec la Libye pour l’ouverture du marché gazier à Gazprom.

La Russie devient progressivement le principal vendeur d’armes en Afrique : elle fournit près de la moitié des ventes d’armes.

Il n’y a pas de logique d’encerclement des Européens mais plutôt l’ambition d’être un compétiteur stratégique.

Un troisième temps s’ouvre en 2014 avec l’exercice manifeste de la puissance russe. L’année 2014 constitue un tournant car la Russie continue de monter en puissance sur le continent africain. L’interventionnisme militaire se déploie sur l’ensemble du continent. Ces dernières années, le déploiement de Wagner s’est accéléré, signe d’un retour au système mercenaire utilisé sous la Guerre froide avec ce groupe paramilitaire. Il se couple aux intérêts dans le secteur minier de Prigojine. La Russie développe également la lutte informationnelle.

La fin de la neutralité nordique

L. Clerc décrit l’évolution brusque des équilibres des coopérations de sécurité dans le Nord de l’Europe suite à l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022.

La neutralité nordique est une politique qui mêle rigidité déclarative (contrôle des éléments de langage, rhétorique du non-alignement) et souplesse d’application combinée à des capacités de réaction rapide.

Les campagnes référendaires des années 1990 relancent les débats politiques sur l’intégration de l’UE. Celle-ci représente une « menace » contre le style de vie nordique, auquel est assimilée la neutralité. La Suède et la Finlande disposent d’une option OTAN : en cas de menace de la sécurité nationale, il est possible de candidater à l’organisation.

Un nouvel équilibre se met en place dans les années 1990, suite à l’intégration européenne des pays nordiques sauf la Norvège et l’Islande. Il est remis en cause régulièrement à partir de 2008.

La Suède et la Finlande restaurent leurs défenses nationales et la coopération de défense nordique se développe, comme les relations bilatérales avec les Etats-Unis. Néanmoins, les Etats gardent de bonnes relations avec la Russie, pour des motifs économiques et les équilibres de la région.

Après le 24 février 2022, les cinq Etats envoient des armes à l’Ukraine, participent aux sanctions et augmentent leur budget de défense. Ainsi, l’évolution extérieure russe a renforcé les camps euro atlantistes et a changé les politiques étrangères.

L’entrée de ces pays nordiques dans l’OTAN homogénéiserait les positions officielles nordiques vis-à-vis de la Russie. Elle mettrait en place des réflexes de neutralité : une insistance sur la médiation, sur l’aide humanitaire, sur la reprise des relations avec la Russie.

Le parallèle taïwanais est-il pertinent ?

W. Chih-chung explique que le parallèle taïwanais est pertinent dans la mesure où, avant l’invasion de l’Ukraine, une partie de la population est pro-russe. A Taïwan, il existe 20% de pro-Chine.

De plus, les deux pays sont menacés par deux grandes puissances. Ces systèmes politiques autoritaires ont recours à la force. Leurs deux dirigeants sont très imprévisibles.

Néanmoins, les comparaisons divergent dans leurs motifs. En effet, la Russie souhaite une réunification sur un motif historique, tandis que la Chine veut effacer l’île de la mémoire de la communauté internationale.

Les deux territoires ne possèdent pas le même statut international : l’Ukraine est un Etat indépendant, reconnu par l’ONU. Or, il n’y a pas reconnaissance internationale de Taïwan.

Ensuite, Taïwan est productrice de semi-conducteurs. La dépendance mondiale à ces productions est très forte. Il s’agit d’une technologie avancée prendrait 20 à 30 ans pour être recréé et atteindre les mêmes niveaux de production. Bien que l’Ukraine soit le « grenier à blé » de l’Europe, la production semble plus facile à adapter. De ce fait, les Etats-Unis distinguent le poids de ces deux menaces.

Copyright pour la synthèse Août 2022- Colonna Renucci/Diploweb


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Replay de la journée d’étude sur le site de Sciences Po Aix


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