La diplomatie d’hier à demain. Quelles pratiques ? Entretien avec R. Delcorde

Par Pierre VERLUISE, Raoul DELCORDE, le 14 mai 2021  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Diplomate depuis 1985, Raoul Delcorde a été successivement ambassadeur pour la Belgique en Suède, en Pologne et au Canada. Il est professeur invité à l’Université Catholique de Louvain et membre de l’Académie royale de Belgique. Raoul Delcorde publie « La diplomatie d’hier à demain », préface de Herman Van Rompuy, Bruxelles, éd. Mardaga. Pierre Verluise est Docteur en géopolitique de l’Université Paris IV – Sorbonne, fondateur associé de Diploweb. Il vient produire une Masterclass géopolitique « Quels sont les fondamentaux de la puissance ? », disponible sur la plateforme Udemy.

Pourquoi une des dimensions de la diplomatie est-elle de représenter, informer et négocier ? Qu’est ce que la diplomatie économique ? Comment les réseaux numériques deviennent-ils des outils à considérer pour la diplomatie d’influence et avec quels risques ? Que faut-il entendre par la diplomatie secrète et la diplomatie parallèle ? Quels conseils donner à des étudiants qui seraient intéressés par les métiers de la diplomatie ? L’ambassadeur (hon.) Raoul Delcorde répond avec beaucoup de générosité et de précision.

Raoul Delcorde publie un livre recommandé par le Diploweb « La diplomatie d’hier à demain », préface de Herman Van Rompuy, Bruxelles, éd. Mardaga, 2021, 222 p. Propos recueillis par Pierre Verluise pour Diploweb.com

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Pierre Verluise (P.V) : Votre ouvrage - La diplomatie d’hier à demain (éd. Mardaga) - est très riche, notamment par ses nuances dans son argumentation. Sans prétendre être exhaustif, pointons quelques axes forts. Pourriez-vous expliquer pourquoi une des dimensions de la diplomatie est-elle de représenter, informer et négocier ?

Raoul Delcorde (R. D.) : Représenter est sans doute la première des missions du diplomate. L’ambassadeur et ses collaborateurs diplomatiques sont les représentants de leur Etat auprès de l’Etat d’accueil (c’est-à-dire de l’Etat auprès duquel ils sont accrédités). Le formalisme lié à la fonction d’ambassadeur (agrément, accréditation, lettres de créance) correspond au décorum qui sied aux représentants d’un chef d’Etat. Représenter signifie pour l’ambassadeur qu’il est le point focal pour les différentes instances gouvernementales de son pays qui sont en contact avec un Etat étranger. La représentation implique des contacts suivis non seulement avec les autorités politiques du pays d’accueil mais aussi avec les décideurs économiques, culturels, universitaires, etc. C’est précisément parce qu’il est le plus haut représentant de l’Etat d’envoi dans l’Etat d’accueil que l’ambassadeur est invité à participer à une série d’activités publiques et sociales où il est mis au contact des notabilités du pays. Il devra se construire un réseau de relations et sera jugé en fonction du crédit politique dont il bénéficiera au sein des autorités de l’Etat d’accueil. Représenter son pays n’est donc nullement de la figuration : c’est une démarche active, qui requiert un réel effort pour gagner la confiance de ses interlocuteurs et interdit d’agir à la légère ou par vanité. Comme l’écrivait fort justement Alain Plantey, « dans la vie diplomatique, on est souvent ce que l’on représente ». Ce travail est agréable lorsque les relations sont normales mais il peut devenir difficile lorsque l’image du pays que l’on représente est mise à mal par l’opinion publique suite à un scandale politique, des tensions bilatérales, une crise économique. On ne représente pas son pays seulement en période de beau temps mais aussi lorsque l’orage éclate…

Les missions diplomatiques ont, notamment, pour tâche de recueillir l’information. Cela était particulièrement important à l’époque où il était très difficile de savoir ce qui se passait dans le monde. Cela reste utile à l’âge de l’Internet : l’information rapportée et analysée par l’ambassade est revêtue du sceau de l’authenticité. Elle contient une valeur ajoutée en termes d’analyse. Pour ce faire, le diplomate doit être constamment aux aguets, il doit savoir écouter, interroger, glaner des informations, distinguer « l’intox » de l’information véritable. De nos jours, c’est la surabondance d’informations qui est le véritable problème : trop d’informations tue l’information. Il faut donc ne rapporter à l’Administration centrale qu’une information ciblée, de nature à aider le ministre à connaître la position des Etats tiers et à se forger la sienne.

La recherche d’information ne doit évidemment pas conduire à des actions contraires à la légalité. Un diplomate n’est pas un espion (même si certaines ambassades peuvent héberger des espions qui ont un statut diplomatique…). Les gouvernements non démocratiques se sont toujours méfiés de la curiosité des diplomates et ont restreint leurs déplacements. S’informer nécessite de connaître la langue du pays ou de disposer de traducteurs, afin de ne pas laisser échapper ce qui pourrait s’écrire ou se dire sur le pays que l’on représente. Puis vient le moment du rapport : il doit être concis, précis, lisible.

La négociation est au cœur même de la diplomatie car elle vise à régler pacifiquement un conflit d’intérêt. La négociation est un véritable jeu qui se déroule sur plusieurs plans. D’abord sur le plan national : le diplomate reçoit de la “capitale” les instructions sur la conduite des négociations, les marges de flexibilité, les résultats à engranger. Une fois la négociation entamée, il convient de développer une stratégie autour de la table de négociation. Il ne s’agit pas de se cantonner aux instructions de départ. Il faut analyser les réactions des autres partenaires, ajuster la manoeuvre ; bref, la négociation tient souvent d’une joute où les diplomates peuvent valoriser leurs talents de stratège. Ici interviennent la prévisibilité, la recherche de l’équilibre dans les concessions faites de part et d’autre. Il convient de construire une “position” et de la défendre, en trouvant des alliés au sein des autres délégations. L’objectif final est d’obtenir un large soutien à notre « vision du monde », selon l’expression consacrée. On ne s’improvise pas négociateur sur une scène internationale. Mais c’est de plus en plus dans le domaine de la négociation internationale que se dessine le véritable savoir-faire diplomatique. Pour en mesurer l’importance, il faut se figurer que l’histoire des relations internationales n’est, au fond, pour citer Alain Plantey à nouveau, qu’ « une alternance de négociations avant et après la guerre ». L’histoire des nations a été dictée par le résultat des tractations diplomatiques. La récente histoire de la construction européenne en est un exemple.

La diplomatie d'hier à demain. Quelles pratiques ? Entretien avec R. Delcorde
Raoul Delcorde
Raoul Delcorde a notamment publié « La diplomatie d’hier à demain », préface de Herman Van Rompuy, Bruxelles, éd. Mardaga ; et « Manuel de la négociation diplomatique internationale », préface de Jean De Ruyt, éd. Bruylant, 2023
Delcorde

La négociation diplomatique a souvent été considérée comme l’art de la ruse et de la dissimulation. C’est Machiavel qui l’a sans doute le mieux théorisée : la diplomatie fait appel à la ruse pour convaincre. Cela part du constat que la négociation est un exercice de longue haleine et qu’’il n’est pas opportun de « dévoiler toutes ses cartes dès le début ». Le diplomate est discret par nature. Il ne dissimule pas mais attend le moment propice avant de dévoiler sa position. Pour influencer les tiers, le diplomate peut recourir à toute une série de « manœuvres obliques » : alliances de circonstances, manœuvres dilatoires, multiplication des exigences. Mais si la ruse peut être un moyen, elle n’est jamais une fin. Une diplomatie fiable est, à long terme, préférable aux subtilités florentines, où tous les coups sont permis. Les intérêts sont beaucoup trop imbriqués pour que l’on se permette de faire prévaloir son point de vue au moyen de « coups » : on aurait tôt fait de se retrouver affaibli dans le cadre d’une autre négociation ; on ne gagne pas en réduisant la partie adverse a quia [1]. Le diplomate peut être habile mais son point de vue ne prévaudra que s’il est solidement étayé et argumenté. Elaborer un accord de désarmement ou négocier un accord commercial repose, avant tout, sur un équilibre entre les positions des uns et des autres et non sur des subterfuges qui feraient vite long feu. Enfin apprendre à négocier c’est apprendre à connaître l’autre, le respecter aussi. L’ambassadeur de France Gérard Araud [2] soulignait qu’« être diplomate, c’est se mettre à la place de votre interlocuteur ». Cela n’est pas donné d’emblée. « On apprend toute sa vie à devenir un bon négociateur » écrivait Antoine Pecquet au XVIIIe siècle. La négociation, c’est un métier.

P. V. : En France, Laurent Fabius a insisté durant son passage au Quai d’Orsay (2012-2014) sur la nécessité d’accentuer la diplomatie économique. De quoi s’agit-il ? Quelles en sont les résultats et les limites ?

R.D. : La diplomatie a de tout temps servi des intérêts économiques. Venise était d’abord une cité commerçante, dont les ambassadeurs avaient pour mission de faciliter les contacts commerciaux avec les autres grandes puissances marchandes de l’époque. A l’ère de la mondialisation, la diplomatie économique a pris une dimension nouvelle parce qu’il n’y a plus aucun enjeu international qui ne soit dépourvu d’une forte composante économique. L’ambassade apporte une forme de caution officielle à l’entreprise qui soumissionne pour un projet. Cela peut nécessiter une démarche à haut niveau pour communiquer aux autorités du pays une forme de soutien politique. Mettre en exergue un succès commercial est aussi une façon de promouvoir l’image du pays représenté. Cela peut passer par l’inauguration d’une usine, la visite d’un projet économique réalisé grâce aux investissements du pays que l’on représente, ou encore par un séminaire mettant en valeur un savoir-faire technologique dans un domaine spécifique.

Il convient aussi de prendre en compte les nouveaux acteurs économiques, comme les entreprises, les banques, les organisations économiques internationales (type OCDE), qui ont leur propre stratégie, indépendante de celles des Etats. La diplomatie économique est au service de l’image de marque des entreprises. Elle établit un lien entre la réputation d’un pays et celle d’une entreprise emblématique du pays. Par exemple, les marques de véhicules suédois bénéficient de la réputation de fiabilité de l’industrie (et de l’économie) suédoises. On associe d’un même trait l’acier et le design à l’image de la Suède pour vanter la fiabilité de la Volvo ou de Scania.

La diplomatie économique porte alors non seulement sur les relations interétatiques mais aussi sur les relations entre Etats et les acteurs non étatiques de l’économie mondiale. Et il faudrait ajouter les relations avec les organisations financières et économiques internationales, qu’elles soient publiques (Fonds monétaire international, Banque mondiale, Organisation internationale du café [3], etc.) ou privées (Davos, Fondation Ford, etc.). Ce qui est intéressant et novateur, c’est précisément que l’Etat se met, en quelque sorte, au service des entreprises nationales pour les aider à conquérir de nouveaux marchés.

Que font les ambassadeurs au quotidien pour promouvoir les intérêts économiques de leurs pays ? Ils se concertent avec la section économique et commerciale de l’ambassade, avec les conseillers du commerce extérieur – (représentants des firmes ayant un lien étroit avec le pays d’origine), avec les chambres de commerce bilatérales. L’ambassadeur fait des démarches pour défendre des intérêts économiques menacés (suite à une nationalisation, à des sanctions économiques, à un contentieux bilatéral). Le rôle de l’ambassade est quasi obligatoire dans les grands contrats, par exemple en matière énergétique ou d’infrastructures. C’est l’ambassade qui apporte les garanties de l’Etat d’origine, vérifie la solvabilité des acquéreurs (Etat, entreprise publique), apporte des financements publics (prêts bonifiés), contribue à l’analyse du risque-pays.

Comment évaluer la part qui revient à l’entreprise et celle qui revient au diplomate ?

Aujourd’hui, la palette de la diplomatie économique est vaste. Elle inclut une série d’activités. Il y a la surveillance de la mise en œuvre d’un accord économique international, par exemple, l’Accord international sur le cacao par l’ambassade des Etats-Unis dans tel Etat africain producteur de cacao. Il y a les conférences qui sont faites devant les milieux d’affaires, par exemple sur un nouvel accord de libre-échange (le CETA entre l’Union européenne et le Canada). La négociation d’accords économiques bilatéraux, - en coordination avec les experts de la capitale – en matière de protection des investissements, de facilités aéroportuaires (« slots » dans les aéroports), ou en matière d’exemption de la double imposition. On peut citer la collaboration avec les représentants locaux du FMI et de la Banque mondiale et le conseil apporté aux dirigeants économiques locaux afin de créer un environnement favorable aux investissements étrangers ; et enfin, il y a tout le domaine des sanctions économiques. Lorsque l’Etat d’envoi de l’ambassade est l’objet de sanctions économiques (par exemple l’imposition de droits prohibitifs à l’importation), l’ambassade va s’efforcer de plaider auprès de l’Etat d’accueil en faveur d’une réduction des sanctions : entreprise délicate, qui ne fonctionne vraiment qu’en amont, c’est-à-dire avant même que la sanction ne soit décrétée.

La diplomatie économique exige, in fine, les mêmes compétences que celles attendues des diplomates : la négociation, la résolution des conflits et la médiation. Toutefois, il n’est pas certain que le représentant de l’Etat (le diplomate) soit le mieux placé pour aider les entreprises à conquérir de nouveaux marchés. En outre, il y a deux difficultés majeures. D’une part on a tendance à assigner aux ambassades une obligation de résultat : autant d’investissements étrangers, une croissance des exportations, etc. Mais comment évaluer la part qui revient à l’entreprise et celle qui revient au diplomate ? D’autre part, comment coordonner l’action de promotion économique et commerciale à l’étranger face a la multiplication des guichets d’appui à l’exportation, voire la concurrence que se font les entités fédérées d’un même Etat (cas de la Belgique qui dispose de trois agences régionales à l’exportation) ?

P. V. : A l’heure d’Internet – qui peut au moins à la marge bouleverser des hiérarchies – la diplomatie d’influence est réinventée. De quoi s’agit-il et en quoi les réseaux numériques deviennent-ils des outils à considérer ? Avec quels risques ?

R. D. : La diplomatie est devenue un exercice d’influence. L’objectif est tantôt de gagner un Etat à sa cause dans une négociation internationale ou dans la mise en place d’une coalition militaire, tantôt d’obtenir un contrat économique sur un marché étranger, tantôt de recueillir un soutien pour une ligne politique, un engagement sur le plan du rayonnement culturel. Il apparaît aussi que cette diplomatie d’influence vise les secteurs non-étatiques, que ce soit les partis politiques, les faiseurs d’opinion, les milieux intellectuels, les décideurs économiques. Utiliser le numérique comme instrument de soft power (autre nom de la diplomatie d’influence) nécessite une approche spécifique. Elle conduit à une réinvention des pratiques diplomatiques. Il s’agit de combiner les outils de l’Internet avec la volonté de projeter une image attirante de l’Etat représenté. Les diplomates d’un certain nombre de pays entendent être présent aujourd’hui sur les « carrefours d’audience » où ils peuvent diffuser des messages vers leur communauté virtuelle, voire les influencer. Augmenter l’influence de son pays en tentant de convaincre ces publics est donc un enjeu pour ces diplomates. Un enjeu qui passe obligatoirement par la conception et la mise en œuvre d’un « plan de numérisation » de la diplomatie nationale, plan qui devra mettre chaque diplomate au cœur de l’action numérique du ministère des Affaires étrangères. Mais savoir communiquer à l’ère du Web 2.0 est un art et requiert une formation. Le risque est double : s’en tenir à des propos lénifiants ou creux et pratiquer la langue de bois, ce qui fait échouer la communication, ou bien se livrer à des commentaires qui sont une critique déguisée du pouvoir en place ou qui constituent une forme d’indiscrétion mal placée. Dans ce cas, la sanction est rapide, à la mesure de la rapidité à laquelle circule l’information de nos jours. Aujourd’hui, un tweet maladroit peut provoquer le rappel d’un ambassadeur…

Ce qui aurait pu être perçu, de l’extérieur, comme une trahison, devient un montage subtil de concessions faites de part et d’autre, qui aboutit à une solution équilibrée.

P. V. : L’idée que tout doit être « transparent » et sur la place publique est-elle pertinente en matière de diplomatie ? Que faut-il entendre par la diplomatie secrète et la diplomatie parallèle ? Ici aussi, quels en sont les risques ?

R. D. : La diplomatie a besoin d’une part de secret. Une négociation est souvent, à ses débuts, entourée d’une certaine confidentialité. Le confidentiel repose sur la confiance. Dans son ouvrage intitulé « Services discrets », le général Vernon Walters, qui fut, à la fin de sa carrière, ambassadeur des Etats-Unis en Allemagne, narre les négociations secrètes entre Kissinger et Le Duc Tho (de 1969 à 1972), à Paris, qui aboutirent aux Accords de Paris de 1973, mettant fin à la guerre du Vietnam. Walters, qui était à l’époque attaché militaire à Paris, agissait en-dehors du circuit de son ambassade, avec la plus grande discrétion. Les déplacements de Kissinger étaient connus de fort peu de gens : il utilisait une voiture banalisée, logeait dans l’appartement de Walters à Neuilly, et il venait en France au moyen d’un avion militaire dont les plans de vol étaient secrets. Walters transmettait les rapports des négociations au moyen d’un cryptographe installé dans son appartement et directement relié à la Maison Blanche. La même discrétion prévalut lors des négociations qui menèrent aux Accords d’Oslo entre Israéliens et Palestiniens en 1993. Pour que ces négociations aboutissent, il convenait de les mener à l’écart des interférences des opinions publiques des pays impliqués. Ce qui aurait pu être perçu, de l’extérieur, comme une trahison, devient un montage subtil de concessions faites de part et d’autre, qui aboutit à une solution équilibrée. Que l’on songe à l’accord entre les Etats-Unis (sous la présidence d’Obama) et Cuba, qui permit la reconnaissance diplomatique et la levée des sanctions, grâce à la discrète médiation du Canada et du Saint-Siège. C’est à l’abri des interférences extérieures (notamment du Congrès américain) qu’Américains et Cubains ont pu construire la confiance, dont on sait qu’elle est un ingrédient-clef de toute négociation.

Le risque, parfois, est de se prendre à son propre jeu et d’avoir une propension au secret, manière de valoriser sa fonction. La diplomatie de la langue de bois – manière de masquer l’information sans nuance aucune – ridiculise ceux qui la pratiquent. Elle est largement utilisée par les diplomates au service des régimes autoritaires : tout est opaque, tout ou quasi tout relève du « secret défense ». Le secret, poussé à cet extrême, tue le dialogue : c’est la fin de la diplomatie, dont une des finalités est précisément de communiquer.

Tout secret est à la merci d’une fuite. L’exemple le plus récent est le site « Wikileaks ». En 2010, il a dévoilé le contenu de 250 000 télégrammes diplomatiques américains. Cette fuite n’aurait pas été possible sans la puissance d’Internet. Il y a dix ans, il eut fallu des dizaines de camions pour transporter les tonnes de papier que représentaient ces télégrammes diplomatiques. Le débat qui s’en est suivi a fait s’entrechoquer deux logiques : celle de l’ « open data », qui consiste à mettre à la disposition du plus grand nombre la masse d’informations récoltée par les pouvoirs publics face à la « raison d’Etat » qui est fondée sur la confidentialité des sources et le cloisonnement de l’information. Wikileaks a révélé la perception qu’avaient les diplomates américains de leurs interlocuteurs étrangers et des informations que ces derniers avaient confiés sous le sceau du secret. Cela risque de provoquer une rétention de l’information et c’est bien là le paradoxe : l’information circulera moins et les services diplomatiques classiques devront affronter la concurrence des émissaires ayant la confiance des princes qui nous gouvernent et peu susceptibles de laisser fuir l’information. En matière diplomatique, il y a bien un avant et un après Wikileaks.

P. V. : Ce nouvel ouvrage, « La diplomatie d’hier à demain », préfacé par Herman Van Rompuy (Bruxelles, éd. Mardaga), s’inscrit dans une dynamique personnelle de partage d’une expérience professionnelle de la Carrière. A travers vos livres, vos enseignements à l’Université catholique de Louvain, vos interventions dans le débat public témoignent d’une volonté – finalement assez rare dans un monde où l’entre-soi reste banal – d’expliquer « Comment ça marche ». Comment expliquez-vous cette caractéristique ?

R. D. : La diplomatie est au cœur des relations internationales. Mais elle souffre de la réputation qui lui est faire d’être un monde à part, vivant dans l’entre-soi. L’ancien secrétaire général du Quai d’Orsay, Gérard Errera, écrivait dans Le Monde du 15 février 2011, que « le drame des diplomates, c’est qu’ils font un vrai métier, un beau métier, un dur métier, (…), qu’ils sont animés d’un sens de l’Etat peu commun, mais personne ne le sait et ce n’est pas seulement de leur faute ». Il me paraissait, dès lors, utile d’expliquer l’origine et le fonctionnement de la diplomatie. Je l’ai fait par le biais de plusieurs ouvrages, mais aussi de cours et de conférences (jusqu’au Canada !). La diplomatie peut se découvrir au travers des mémoires d’ambassadeurs mais ce sont là des témoignages qui versent souvent dans l’autoglorification…Il me paraissait plus intéressant de livrer une analyse de la pratique diplomatique nourrie par ma propre expérience et par mon enseignement. J’espère avoir fait œuvre de pédagogue, avoir suscité des vocations chez certains, en tous cas avoir fait sortir la diplomatie de la tour d’ivoire dans laquelle certains voudraient l’enfermer…

La diplomatie est un ensemble de connaissances combiné à un savoir-faire spécifique. Et cela nécessite, outre un vif appétit pour apprendre, une certaine souplesse intellectuelle.

P. V. : Quels conseils donneriez-vous à des étudiants qui seraient intéressés par les métiers de la diplomatie ?
R.D. :
Il faut se doter d’une base solide en sciences politiques (relations internationales), en histoire diplomatique, en économie internationale et en droit international public. Si je devais former de futurs diplomates, je leur expliquerais que la diplomatie est un ensemble de connaissances combiné à un savoir-faire spécifique. Et cela nécessite, outre un vif appétit pour apprendre, une certaine souplesse intellectuelle. Il faut apprendre à connaître l’Histoire, l’environnement naturel et la vie politique du pays dans lequel on se trouve. Ainsi comment comprendre la relation complexe entre le Québec et le reste du Canada si l’on ne connait pas la manière dont s’est forgée l’identité francophone au Québec et sa perception par la majorité anglophone du pays ? Aller à Budapest sans comprendre le traumatisme provoqué par le Traité du Trianon qui amputa la Hongrie des 2/3 de son territoire serait une erreur, tant la psyché hongroise est marquée par cet événement et par le souci de « protéger » les minorités hongroises dans les pays voisins. Il n’y a pas que l’Histoire. Il faut aussi connaître le fonctionnement politique du pays où l’on se trouve : dans un Etat comme l’Iran où se superposent différentes strates de pouvoir, avec des jeux d’influence très complexes, il faut une bonne culture politique avant d’entamer un contact.

Apprendre le métier de diplomate nécessite aussi de maîtriser l’expression orale. Comme cela a été observé, la diplomatie est performative : ses paroles sont des actes. Les mots ont des conséquences juridiques et politiques majeures. Il s’agit, comme on dit, de faire passer un message. Et d’éviter le malentendu.

Il faut maîtriser l’anglais (pour les francophones) et si possible une autre langue étrangère importante. Il est utile d’effectuer un ou plusieurs stages en ambassade ou aux Affaires étrangères, d’avoir séjourné quelque temps à l’étranger (pour s’assurer qu’on aime l’expatriation), et de demander un avis à l’un ou l’autre diplomate sur les grandeurs et vicissitudes du métier. Ensuite vient le temps de la préparation des concours d’accès à la carrière diplomatique. Concours difficiles (comme le sont tous ceux donnant accès aux grands corps de l’Etat), avec une sélection sévère. Mais certaines universités y préparent. Et comme une génération de baby boomers (la mienne) est sur le départ, on recrute davantage ces temps-ci dans nos administrations diplomatiques.

Copyright Mai 2021-Delcorde-Verluise/Diploweb.com


Plus, un livre et une vidéo

. Raoul Delcorde, « La diplomatie d’hier à demain », préface de Herman Van Rompuy, Bruxelles, éd. Mardaga, 2021, 222 p. Sur Amazon

4e de couverture

Alors qu’elle est souvent imaginée comme un exercice de mondanités réservé à une élite, la fonction diplomatique va bien au-delà de la représentation lors d’échanges internationaux. Le diplomate joue un rôle clé dans le développement de la politique étrangère de son pays : il lui incombe de négocier des accords politiques, économiques ou écologiques avec des nations étrangères. Et cela exige d’importantes qualités de rhétorique, une connaissance très claire des rouages politiques et une grande capacité d’influence.

Dans cet ouvrage, Raoul Delcorde déconstruit les idées reçues sur la fonction qu’il exerce depuis plus de 30 ans. Il retrace l’histoire de la diplomatie afin que chacun puisse en comprendre l’importance, le rôle et les acteurs. Il expose et décortique également les techniques utilisées par le diplomate pour participer au rayonnement de son pays.

Un ouvrage pour comprendre la diplomatie dans un monde en tension, grâce à un point de vue historique et pratique.

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[1NDLR Le Dictionnaire de l’Académie française précise pour la locution adverbiale « à quia » (qui se prononce cui) : XVe siècle. Locution composée de la préposition à et du latin quia, « parce que ». À bout d’arguments dans une discussion. Il est resté à quia. Mettre quelqu’un à quia, l’amener à l’impossibilité de répondre. Par extension : Être à quia, avoir épuisé ses ressources.

[2NDLR Gérard Araud a publié Passeport diplomatique. Quarante ans au Quai d’Orsay, Paris, Éditions Grasset, 2019, 384 p.

[3NDLR : Le site de l’OIC précise : « L’Organisation internationale du Café (OIC) est la principale organisation intergouvernementale qui traite des questions relatives au café ; elle rassemble des pays exportateurs et des pays importateurs. Ses gouvernements Membres représentent 98% de la production et plus de 67% de la consommation mondiales de café. »


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