L’Europe trois décennies après l’ouverture du rideau de fer

1989 vue de Moscou : déclin ou renaissance ?

Par Cyrille BRET, le 22 septembre 2019  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Cyrille Bret est haut fonctionnaire et géopoliticien. Inspecteur de l’administration, il a travaillé dans les industries aéronautiques, les industries numériques et est aujourd’hui en poste dans un groupe public de défense. Après une formation à l’Ecole Normale Supérieure, à Sciences Po et à l’Ecole Nationale d’administration, il a été auditeur à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN).

C. Bret nous offre une magistrale démonstration des ruptures et retournements des trois dernières décennies en Russie. Décentrons notre regard à Moscou pour mieux comprendre l’Europe géographique - c’est à dire Russie incluse, au moins jusqu’à l’Oural - à ne pas confondre avec l’Union européenne qui en est cependant voisine.

1989, un évènement pour la Russie ?

VUE de Moscou, l’année 1989 est bien différente de celle qui est célébrée à Berlin et Paris. Envisagée depuis la capitale de l’URSS puis de la Russie, 1989 est une des étapes qui conduisent l’Etat soviétique du faîte de sa puissance à sa dissolution, en l’espace d’une décennie. De 1979, année de l’intervention soviétique en Afghanistan, à 1991, qui consacre la dissolution de l’Union, en passant par 1985, date de l’accession de Mikhaïl Gorbatchev au poste de Secrétaire Général du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS), l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques évolue du statut de puissance mondiale à celui de vaincu géostratégique et de naufragé économique. Toutefois, vue de Moscou, l’année 1989 marque aussi un nouveau départ : c’est l’année des premières élections libres depuis la révolution de 1917. Entre fin de la Guerre froide et gestation de la Nouvelle Russie, 1989 prend sa place, dans la mémoire collective, comme un point bas de l’influence européenne du pays mais aussi comme le point de départ d’une nouvelle période.

C’est dans le temps long qu’il faut ressaisir la place de cette année dans le passé de la Russie – et dans son futur immédiat. Sur le plan régional, 1989 marque l’échec de la stratégie européenne que l’URSS a déployée depuis la Deuxième Guerre mondiale : 1989 est la réplique inversée de la victoire de 1945 (I) année où l’URSS est présente partout en Europe orientale jusqu’en Allemagne. Sur le plan intérieur, c’est le point à partir duquel les réformes de Mikhaïl Gorbatchev marquent le pas et annoncent la fin du régime communiste : 1989 prépare 1991 (II). Enfin, dans les représentations collectives, c’est l’année qui inaugure l’affaiblissement des années 1990 et prépare la renaissance de la puissance russe : 1989 annonce 1999, date de l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine. Si 1989 est un moment-clé dans l’histoire de l’Europe, c’est également une date d’importance pour la Russie (III).

1989 vue de Moscou : déclin ou renaissance ?
Cyrille Bret
Cyrille Bret est haut fonctionnaire et géopoliticien
Cyrille Bret

I. De 1945 à 1989 : la fin de l’hégémonie soviétique en Europe orientale

1989 est un événement européen avant d’être un événement intrinsèquement russe. C’est à Berlin, Bucarest, Budapest, Vienne ou encore Vilnius que se déroulent les principaux événements de l’année. Pour la Russie, c’est le moment où l’Europe centrale et orientale sort de son alliance militaire, politique économique et culturelle. Un mouvement de « désoviétisation du flanc est de l’Europe » s’amorce alors qui conduira à l’extension de l’OTAN et à l’élargissement de l’UE dans cette zone d’influence russe.

La désoviétisation rapide de l’Europe de l’Est

Plusieurs événements de 1989 consacrent la fin de la puissance mondiale pour l’URSS. En Asie centrale d’abord : le 15 février 1989, les autorités soviétiques annoncent le retrait définitif de leurs troupes d’Afghanistan. C’est la fin d’une opération militaire d’une décennie et l’aveu d’un échec. Cette campagne soviétique en Afghanistan (1979-1989) est surnommée « le Vietnam de l’URSS ». En effet, une superpuissance militaire et nucléaire a échoué à soutenir un régime communiste dans ce pays limitrophe de l’URSS. Cet aveu d’impuissance géopolitique entraîne une série d’événements qui conduisent au délitement, en une année, de l’hégémonie soviétique sur ce qu’on appelait le Bloc de l’Est. La chute – ou l’ouverture - du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989, est le point d’orgue de ce vaste reflux. Dès le printemps, le 2 mai 1989, la Hongrie communiste ouvre ses frontières vers l’Autriche, avant-poste de l’Ouest, réhabilite Imre Nagy, figure de la résistance à l’URSS en 1956 et met fin au régime communiste le 23 octobre 1989 en proclamant la République. En août 1989, la Pologne n’a plus de Premier ministre communiste : Tadeusz Mazowiecki, membre de Solidarnosc, accède à la primature. Et l’effet « boule de neige » est impressionnant : les citoyens de la République Démocratique d’Allemagne (RDA) fuient le régime communiste par la Hongrie et l’Autriche. Dans ce contexte de recul soviétique rapide, Mikhaïl Gorbatchev, venu à Berlin Est célébrer les 40 ans de la RDA annonce qu’aucune intervention armée ne jugulera le mouvement de sortie du communisme. C’est ce qui précipite la chute du Mur de Berlin, la fin de la RDA et, ultérieurement, la réunification allemande. Devant cette passivité explicite et volontaire, les interrogations sont multiples : s’agit-il d’une ruse pour reprendre ultérieurement la main sur la zone ? Ou bien d’un aveu de faiblesse ? ou encore d’une stratégie destinée à pallier la faiblesse temporaire de l’URSS ?


Bonus vidéo. P. Verluise. La « Glasnost » de M. Gorbatchev (1985-1991) : transparence ou désinformation ?

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La Guerre froide est explicitement close par le président des États-Unis Ronald Reagan et le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev le 2 décembre 1989 au sommet de Malte. Quant à la « Révolution roumaine », elle conclut - du 16 au 25 décembre - l’année 1989 en démantelant un régime communiste allié de l’URSS sur le versant sud-Est de l’Europe. Son déroulement est symptomatique de l’emballement historique de 1989 : face à des mouvements de protestation à Timisoara dans l’ouest du pays, la dictature Ceausescu tente de résister en organisant, le 21 décembre 1989 un meeting de soutien au régime. Celui-ci se retourne contre ses organisateurs, contraignant le dictateur à fuir, à être poursuivi puis exécuté, avec son épouse, Elena Petrescu, le 25 décembre 1989. L’URSS reste « neutre » alors même que ses troupes sont présentes dans le pays et sur sa frontière : la Roumanie est alors limitrophe de l’Union soviétique, via la République socialiste soviétique de Moldavie.

Pour l’URSS, 1989 est une année de renversement : lorsque l’année commence, le Bloc de l’Est est contesté mais reste en place. Lorsque l’année se clôt, ce Bloc est en déliquescence.

L’échec de la stratégie stalinienne du glacis occidental

Pour Moscou, les événements de 1989 mettent fin à la stratégie européenne conçue et mise en place par J. Staline dans le sillage de la Deuxième Guerre mondiale. Son but était en effet d’établir un bastion communiste avancé en Europe centrale et orientale. Forte de la présence de ses troupes sur le sol de ces Etats, l’URSS avait organisé l’établissement de « démocraties populaires » autrement dit de régimes communistes non démocratiques en Pologne (1944-1947), Roumanie (1947) Tchécoslovaquie (Coup de Prague en février 1948), Hongrie (1949), etc. La « libération » de ces pays par les troupes soviétiques contre l’Allemagne nazie avait permis à l’URSS d’exercer une véritable tutelle sur ces Etats réduits au rôle de satellites. C’est la stratégie du « glacis européen » pour l’URSS, censée octroyer à l’Etat soviétique une zone tampon et une profondeur stratégique supplémentaire en cas d’attaque de l’Ouest.

Sur le plan économique, l’URSS avait imposé la création du Comecon ou Conseil d’assistance économique mutuelle (CAEM) pour faire pièce au Plan Marshall de 1947. Cette organisation internationale établissait une division du travail et une répartition des rôles entre les différents Etats communistes de la région. Sa mission était avant tout de diffuser les instruments de l’économie planifiée soviétique, d’organiser les échanges commerciaux entre ces Etats et l’URSS. En raison du rôle pivot de la monnaie soviétique, le rouble, et de la dépendance technologique à l’égard de l’URSS, le Comecon permettait à l’URSS de se donner le rôle de leader économique en Europe de l’Est. Si le CAEM ne disparaît formellement qu’en 1991, 1989 marque sa véritable fin en raison de la disparition des régimes communistes dans les principales économies de la région. Si les gains et les pertes pour l’URSS sont difficilement évaluables dans le Comecon, cette organisation régionale marque l’empreinte du « grand frère soviétique » sur le modèle économique des Etats d’Europe orientale.

Sur le plan militaire, le Pacte de Varsovie était l’instrument de l’hégémonie soviétique en Europe centrale et orientale. Fondé sur un traité multilatéral d’amitié et d’assistance entre les alliés de l’URSS, le Pacte réunissait sous la houlette de l’Armée Rouge les différentes forces armées des démocraties populaires. En 1989, il est encore en vigueur et vient d’être reconduit pour vingt ans en 1985. Si le Pacte est dissout officiellement le 1er juillet 1991, il s’efface progressivement dans les faits en 1989. En effet, ces transformations politiques marquaient la fin de la doctrine dite de la « souveraineté limitée » dont la paternité revient à L. Brejnev. L’évolution d’un régime communiste vers un régime libéral étant considérée à Moscou comme une question d’intérêt commun pour tous les régimes communistes, les tentatives de démocratisation de la Hongrie (1956) et de la Tchécoslovaquie (1968) avaient pu être jugulées, dans le sang, par l’Armée Rouge et ses alliés locaux.

En somme, en 1989 la désoviétisation rapide de l’Europe centrale et orientale marque la fin d’un projet géopolitique d’établissement d’un Bloc et d’une zone tampon entre la Russie et le reste de l’Europe. La voie s’ouvre pour une « occidentalisation » de cette partie du continent. Elle aura lieu dès les années 1990.

II. De 1985 à 1991 en passant par 1989 : des tentatives de réformes intérieures à la dissolution de l’URSS

Pour la politique intérieure russe et soviétique, 1989 prend place dans une séquence plus large qui commence avec l’accession de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir le 11 mars 1985 et se clôt fin décembre 1991 avec la dissolution officielle, par ce dernier, de l’URSS. 1989 répond ici à la Révolution de 1917.

Le régime communiste peut-il se réformer ?

Conscient des faiblesses économiques de l’URSS et de son incapacité financière à supporter le coût de la course aux armements avec les Etats-Unis, Mikhaïl Gorbatchev accède au poste de Secrétaire Général du Parti Communiste en 1985. Il lance une vague de réformes internes dans le but de consolider le régime communiste et de faire leur promotion à l’Ouest. Sur la scène internationale, il donne la priorité au désarmement symétrique avec les Etats-Unis afin d’alléger la pression budgétaire que les programmes d’armements faisaient peser sur les finances publiques soviétiques. Mais, sur le plan intérieur, 1986 marque le début des programmes de libéralisation politique et économique. Le programme de « Transparence » (« glasnost ») aboutit à des mesures à haute teneur symbolique : levée des interdits sur de nombreuses productions culturelles dont « Le Docteur Jivago » de Boris Pasternak ; fin de l’exil intérieur du physicien dissident Andreï Sakharov à Gorki.

Dans le domaine strictement politique, la composition du parti communiste est renouvelée pour faire entrer des « réformateurs » dans les sphères dirigeantes. En matière économique, la « restructuration » ou « reconstruction » (« perestroïka ») engage une nouvelle NEP : les prix sont partiellement libéralisés, des entreprises privées sont autorisées et tout un secteur informel émerge. Ce mouvement s’accélère en 1989 : pour élire deux tiers des députés au Congrès des Députés des Peuples d’Union soviétique, les citoyens de l’URSS ont le choix entre plusieurs listes et voient le secret du vote garanti. C’est une évolution décisive pour le pays.

La première période des réformes gorbatchéviennes a une tonalité euphorique… surtout à l’étranger : la « Gorbymania » gagne en effet les États-Unis et surtout l’Europe de l’Ouest en 1987. Toutefois, la popularité interne du dirigeant soviétique est bien moindre, en raison des limites que rencontrent ses réformes [1].

Les limites des réformes et la fin de l’empire soviétique

Toutefois, à partir de 1989, les limites des réformes engagées commencent à apparaître. Sur le plan économique, les inégalités se creusent et l’inflation s’accentue, remettant en cause le pacte social soviétique où l’emploi à vie, l’accès à des services publics peu onéreux et l’égalité sociale (relative) étaient garanties en échange de l’obéissance politique. Sur le plan politique strict, les mouvements de scission et de sécession se multiplient. Si Mikhaïl Gorbatchev réussit à se faire élire en 1990 Président de l’URSS, néanmoins, au Parlement, ses partisans sont débordés par les nationalistes et les libéraux, partisans d’une thérapie de choc. Ainsi, dès 1990, la République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie porte à sa tête Boris Eltsine, dont l’autorité entre en compétition avec celle du dirigeant soviétique. La tension entre les réformateurs libéraux emmenés par Eltsine et les conservateurs soviétiques soutenus par l’armée s’exacerbe progressivement sur la scène politique. Elle culmine sur le terrain et les armes à la main dans la tentative de putsch militaire le 20 août 1991. Soutenu par le président américain, le président russe Eltsine s’impose, éclipsant le réformateur communiste et suspendant le parti communiste en novembre 1991. Sur l’échiquier politique russe, le mouvement de décommunisation engagé timidement en 1989 aboutit, quelques mois plus tard, à la fin de l’URSS.

Dans les Républiques fédérées, 1989 voit des forces centrifuges réveillées par la « glasnost ». les aspirations à l’indépendance se manifestent sous une forme qui marquent l’Europe. Dans les Etats baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie), des manifestations commencées en 1987 lancent le processus de décommunisation et d’indépendance nationale. Ces mouvements pacifistes culminent le 23 août 1989 en formant une vaste chaine humaine, la Voie Balte, qui réunit les trois capitales (Tallin, Riga, Vilnius) sur plus de 500 kilomètres. C’est l’acte fondateur d’un processus d’indépendance pour la Lituanie (11 mars 1990), l’Estonie (30 mars 1990) et la Lettonie (4 mai 1990). Durant la période qui va de 1989 à 1991, dans cette partie de l’URSS, les affrontements armés sont évités de justesse mais les tensions économiques et politiques sont maximales, tout particulièrement en Lituanie où le blocus économique soviétique est rigoureux.

Le mouvement de sécession des Etats baltes lance une spirale centrifuge qui culmine lors de la dissolution de l’Union soviétique le 8 décembre 1991. Dans le Caucase, l’Arménie devient indépendante (23 août 1990), comme la Géorgie (9 avril 1991) et l’Azerbaïdjan (18 octobre 1991). L’Ukraine et les Républiques d’Asie centrale quittent l’Union entre 1990 et 1991. Qu’il s’agisse d’une stratégie résolue de la Russie face aux coûts de la sur-extension impériale ou d’un abandon forcé, la Russie se désengage de ces périphéries impériales et laisse ces Etats s’éloigner de sa suzeraineté séculaire. La fin de l’URSS, entamée par les mouvements baltes en 1989, est consacrée par la démission, le 25 décembre 1991, de Mikhaïl Gorbatchev de ses fonctions de président d’une Union soviétique… qui n’existe plus depuis deux semaines (8 décembre 1991). C’est la Communauté des États Indépendants (CEI) qui remplace l’Union par une confédération aux liens institutionnels assez lâches. La République puis la Fédération de Russie perdent ainsi la place centrale qu’elle occupait dans le dispositif institutionnel de l’URSS.

En somme, vue de Moscou, sur le plan de la politique intérieure, 1989 est l’année pivot d’une révolution tout à la fois politique, territoriale et économique. Loin de sauver le régime communiste en l’adaptant, la « glasnost » et l’introduction d’une dose de démocratie dans les institutions soviétique ont précipité la chute du PCUS. De même, la renonciation à la violence armée contre les mouvements centrifuges en 1989 ont accéléré le processus de décomposition.

III. De 1989 à 1999 : du déclin au revanchisme russe

Si on considère le futur immédiat de la Russie, 1989 ouvre une décennie douloureuse qui se clôt en 1999 par l’accession de Vladimir Poutine au poste de Président par intérim, élu l’année d’après.

Sur le plan économique, l’échec des « réformes » de la période 1987-1989 entraîne une ère de libéralisation brutale appelée « thérapie de choc » où l’inflation atteint jusqu’à 1000% une année, où le chômage explose et où de nombreuses industries d’Etat disparaissent. Les inégalités explosent et l’Etat Providence est démantelé privant d’accès aux soins, à l’éducation, aux pensions de retraite ou à l’énergie une large partie de la population russe. En revanche, quelques fortunes privées considérables sont constituées en quelques mois par les oligarques qui rachètent à vil prix des fleurons de l’économie dirigée dans la métallurgie, les hydrocarbures ou encore les armements. L’effondrement économique et le pillage des ressources culminent en 1998 au moment où la Russie est frappée par une crise économique violente.

Dans le domaine intérieur, la contraction du PIB et l’effondrement des finances publiques russes mettent à mal les forces armées : les bases militaires sont fermées par dizaine et les commandes industrielles cessent. Conjugué à la vague d’indépendances nationales, l’affaiblissement des forces armées ouvre la voie à des mouvements séparatistes au sein même de la Fédération de Russie. Ainsi, la Première Guerre de Tchétchénie, de 1993 à 1996 voit la Nouvelle Russie réprimer dans un bain de sang des mouvements indépendantistes souvent soutenus par des réseaux islamistes. Ce qui se joue alors, c’est, pour la Russie, la capacité à enrayer sa déliquescence territoriale. La Russie des années 1990, née des chocs de 1998, frôle alors la disparition politique.

Sur le plan de la géopolitique régionale, 1989 prépare la perte de l’étranger proche. L’extension de l’OTAN aux portes de la Fédération de Russie n’est possible que parce que le réseau d’alliance soviétique est ruiné en 1989. En effet, pour la toute jeune Fédération de Russie née en 1991, la décennie 1989-1999 est celle du recul. 1999 marque un renversement militaire majeur sur le continent : la Pologne, la Tchéquie et la Hongrie rejoignent l’Alliance atlantique, suivies en 2004 par de nombreux autres Etats anciennement parties au Pacte de Varsovie, dont trois anciennes Républiques socialistes soviétiques (Estonie, Lettonie, Lituanie). Vu de Moscou, ce mouvement constitue un revers stratégique de portée historique. En effet, l’Ouest se porte aux frontières même de l’espace russe. C’est dans cette décennie et dans les Révolutions de couleur en Géorgie (révolution des roses en 2003) en Ukraine (révolution orange en 2004), en Kirghizie (révolution des tulipes en 2005) que la Russie réactive sa méfiance envers ses interlocuteurs.

Mais 1989 se clôt véritablement en 1999, date à laquelle Vladimir Poutine met en place progressivement tout à la fois son régime et les éléments d’une renaissance relative pour la Russie. La décennie 1989-1999 est la période matricielle pour comprendre la Russie d’aujourd’hui. Pour faire pièce aux oligarques, il se les subordonne comme clients ou les fait condamner, comme dans l’affaire Khordokovski. Pour remédier à l’expansion de l’OTAN, il lutte pied à pied contre l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie comme contre le déploiement des batteries anti-missile sur le sol européen. Enfin et surtout, pour pallier la faiblesse militaire russe, il lance en 2009 un vaste plan de modernisation, de croissance et de réforme des forces armées. La force politique et géopolitique de la Russie de 2019 tire directement ses racines du long traumatisme de la décennie 1989-1999. En bref, Vladimir Poutine se pose comme celui qui remédie aux funestes années 1989-1991.

*

1989, année pivot pour la Russie (aussi)

Pour l’Europe communautaire, 1989 est une année hautement symbolique et connotée positivement. Cette date est synonyme sur ses marges de libération à Budapest, Varsovie ou Bucarest. Les souverainetés nationales, mises à mal par le XIXème et le XXème siècle, sont recouvrées. A Paris et Bonn puis Berlin, 1989 amorce la réunion de l’Europe autour du projet porté par la Communauté puis l’Union européenne. Après les conflits du début du siècle et la division de la Guerre froide, 1989 annonce l’espoir d’une période de convergence et de paix.

Vue de Moscou, 1989 a un statut plus ambigu. L’année a une charge négative évidente, surtout dans les représentations collectives actuelles : à l’extérieur, elle marque l’échec de la stratégie soviétique de glacis défensif en Europe ; à l’intérieur, elle précipite la fin du régime communiste et prépare le chaos politique et économique de la décennie 1990. C’est pour cette raison que 1989, associée à 1991, est, dans le discours du président Poutine, une annus horibilis pour la Russie. Toutefois, 1989 ouvre une décennie déterminante pour la Russie contemporaine. C’est à partir de 1989 que la Russie poutinienne commence à prendre racine : la création d’une oligarchie mafieuse, les échecs face aux Etats-Unis, etc. tous ces facteurs concourent à l’avènement d’un régime centralisé, fort et assis sur une puissance militaire. Ainsi, la Russie d’aujourd’hui tire ses origines dans 1989 et 1991 autant que dans 1999, année de l’accession au pouvoir de l’actuel président russe.

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[1NDLE : Michel Heller a expliqué ainsi en décembre 1991 l’implosion de l’URSS : « La perestroïka de M. Gorbatchev était d’avance condamnée : il cherchait seulement à améliorer le rendement du système afin de le conserver. Pour trois raisons, ce processus n’avait aucune chance. Premièrement, parce que le système n’est pas réformable. En effet, ce genre de système rigide fonctionne jusqu’au moment où il essaye de s’améliorer. Prenons une comparaison. Avant la perestroïka, ce système ressemblait à un dinosaure. Mikhaïl Gorbatchev a voulu en faire un centaure. Mais si le dinosaure a été dépassé, il a cependant existé. Alors que jamais le centaure, lui, n’a foulé le sol de la terre. Parce que le centaure reste un mythe, tout comme un système soviétique amélioré. Deuxièmement, M. Gorbatchev n’a jamais eu l’audace de mener une politique conséquente pendant un an. Tous les trois mois, il changeait de direction. Troisièmement, sa stratégie de pouvoir a déclenché des mouvements imprévus. Ces derniers ont engendré l’explosion d’un système condamné par sa rigidité. Résultat : l’Union des Républiques socialistes soviétiques a cessé d’exister. » Interview de Michel Heller par Pierre Verluise, publiée le 13 décembre 1991 dans Le Quotidien de Paris. Cet entretien est disponible in extenso sur le Diploweb sous le titre « URSS - 8 décembre 1991, pourquoi l’éclatement du système soviétique ? », à l’adresse https://www.diploweb.com/URSS-8-decembre-1991-pourquoi-l.html


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