Vidéo. E. Danon, H. Micheron : Quels futurs pour le terrorisme ?

Par Eric DANON, Hugo MICHERON, le 18 avril 2019  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Conférence organisée à la Sorbonne par Diploweb.com et l’Association des Étudiants et Alumni du MRIAE Paris 1 Panthéon Sorbonne, en synergie avec le Centre géopolitique. Avec Éric Danon, Directeur général adjoint pour les affaires politiques et de sécurité au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ; et Hugo Micheron est doctorant au sein de la Chaire d’Excellence Moyen-Orient Méditerranée de l’ENS – PSL. Il conduit ses recherches sur : "Quartiers, prisons, Syrie-Irak, comment se structure et s’organise le jihadisme en France ? ». Images et son : J. Rocques. Photos : P. Verluise et C. Laurent. Montage : J. Rocques et P. Verluise.

Une passionnante conférence d’Eric Danon et Hugo Micheron. L’ambassadeur Eric Danon est Directeur Général adjoint des Affaires politiques et de sécurité au Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères (MEAE). Hugo Micheron est doctorant à l’Ecole Normale Supérieure (ENS).

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Résumé

De l’attaque contre Charlie Hebdo (2015) à l’assassinat du Colonel Arnaud Beltrame (2018), la France a été victime d’attentats terroristes qui l’ont profondément affectée, au point d’infléchir le cours de son histoire politique. Avec la récente victoire militaire contre Daech (2019), nous entrons dans une nouvelle période. Comment le terrorisme islamiste va-t-il évoluer ? Va-t-il durer longtemps ? Touchera-t-il encore la France plus que d’autres pays européens ?

Par ailleurs, l’attention que nous portons au terrorisme islamiste ne nous aveugle-t-elle pas sur d’autres formes de terrorismes à venir ? Nos sociétés, bouleversées tant par les enjeux de long terme (environnement, migrations…) que de court terme (inégalités sociales, pertes des repères traditionnels…), sont porteuses de nombreuses frustrations qui, si elles ne trouvent pas à s’exprimer dans le cadre de régulations politiques appropriées, sont susceptibles de dégénérer rapidement en actions ultra-violentes.

Dans la première partie de cette conférence, les deux orateurs ont analysé les forces à l’œuvre dans le terrorisme contemporain.

En préambule, Eric Danon rappelle en quoi consistent les actes de terrorisme et pourquoi l’unanimité ne peut se faire sur une définition internationale du terrorisme, parce que cette qualification relève avant tout d’une appréciation politique.

Eric Danon explique ensuite ce qui fait la modernité du terrorisme contemporain : la multiplicité des causes, des plus globales aux plus locales ; le rapport au territoire (Daech représentant la première tentative de territorialiser un califat sunnite tout en déterritorialisant le terrorisme islamiste) ; la sophistication de la communication, qui participe de la séduction de la violence et permet l’enrôlement de nouveaux combattants ; l’utilisation de l’internet, qui permet la communication au sein des écosystèmes violents et facilite la préparation et la réalisation des attentats.

Vidéo. E. Danon, H. Micheron : Quels futurs pour le terrorisme ?
Eric Danon et Hugo Micheron : Quels futurs pour le terrorisme ?
Conférence en Sorbonne. Copyright 2019 / Diploweb.com
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Enfin, pour faire la transition avec le terrorisme islamiste, Eric Danon aborde notre rapport à la guerre, en ce que la violence à revendication religieuse nous oblige à combattre différemment les trois niveaux d’adversité auxquels nous sommes désormais confrontés : une idéologie islamiste radicale qui prône une transformation totale de nos sociétés, des groupes islamistes armés de type Al Qaeda ou Daech que nous devons combattre militairement, et les terroristes chez nous, criminels de droit commun entretenant avec la religion une relation très particulière et qu’il nous faut combattre avec la police, la gendarmerie, la justice… et le renseignement, devenu indispensable.

Après avoir rappelé l’actualité de Daech (fin du califat territorial ; risques liés aux « revenants »), Hugo Micheron insiste sur la nécessité d’une approche très précise des causes des départs des Français pour le Levant, de leur retour et de leur passage à l’acte. Qu’est-ce qui explique vingt-cinq départs depuis Lunel et qu’est-ce qui relie cette petite ville à Raqqa ?

Hugo Micheron pose ainsi la problématique de la compréhension du djihadisme contemporain, dont les racines s’ancrent dans une histoire propre et des territoires bien identifiés. Sa matrice s’élabore pendant la guerre d’Afghanistan (1979-1989), sur fond de mobilisation contre la présence soviétique : émerge alors une théorisation du combat contre ceux qui foulent la terre musulmane, qui va rapidement faire des émules hors de son creuset afghan (Al Qaeda, GIA algériens, groupes djihadistes en Bosnie, en Egypte, etc.). A cela s’ajoutent les conséquences sociologiques du 11 septembre 2001, auxquelles nous ne nous sommes sans doute pas assez intéressés : quel impact cet attentat hors norme a-t-il eu sur la psychologie des jeunes, y compris des jeunes Français ? Hugo Micheron montre comment le salafisme a pu prendre alors son essor, non pas de façon générale mais dans quelques territoires bien précis. Il développe l’exemple des frères Clain, impliqués dans les attentats du 13 novembre 2015 et devenues des figures éminentes de Daech : conversion familiale à l’islam, militantisme de base (« porte à porte », vente d’artefacts islamistes sur les marchés, présence dans les salles de sport) et contrôle territorial au Mirail, connexions progressivement établies avec Molenbeek et quelques autres lieux activistes du Moyen-Orient.

Contrairement aux idées reçues, le djihadisme ne peut pas toucher n’importe qui car il y a des territoires plus concernés que d’autres (Trappes…) qui ne sont pas forcément les lieux qui cumulent les handicaps. De fait, il ne touche que les lieux où des militants très déterminés ont fait du prosélytisme pointu au niveau d’un quartier (voire d’une barre d’immeubles), patiemment et pendant longtemps. En ce sens, il faut distinguer le djihadisme comme projet de nature politique et qui va se poursuivre, du terrorisme qui n’est qu’un moyen d’action et non une fin en soi.

Pour anticiper les terrorismes du futur, il paraît donc pertinent d’examiner ce que notre avenir est susceptible de générer comme frustrations.

La deuxième partie de la conférence a été consacrée aux formes que pourraient prendre les terrorismes du futur – non pas via des modalités techniques (terrorisme NBC, cyber-terrorisme…) mais en tâchant de repérer les tensions de toute nature susceptibles de générer de nouveaux actes de terrorisme à l’avenir.

Après avoir rappelé la nécessaire humilité d’une telle démarche dans un monde aussi imprévisible et instable que le nôtre, Eric Danon part du ressort psychologique commun à tous les terroristes : la frustration. Au-delà de toutes les raisons invoquées par les terroristes à travers l’histoire pour commettre des attentats (raisons politiques, religieuses, sectaires, irrédentistes…), la frustration apparait comme le seul facteur commun de la psychologie de tous les terroristes, frustration telle qu’elle permet d’envisager puis de commettre, dans un sentiment d’urgence, des actes de violence extrême.

Pour anticiper les terrorismes du futur, il paraît donc pertinent d’examiner ce que notre avenir est susceptible de générer comme frustrations. Eric Danon propose trois exemples, à partir de la « promesse » française qui structure en partie notre inconscient collectif : liberté, égalité, fraternité.

Autour de l’idée de liberté, il met en garde contre les réactions possiblement violentes contre « l’enfermement numérique » que nous réserve une société du big data pilotée par des algorithmes. Le risque existe de voir se rebeller des individus ayant le sentiment d’être en permanence surveillés dans leurs comportements, manipulés dans leurs choix et évalués par leurs actions.

Autour de l’égalité, il évoque les conséquences d’une globalisation conduite par des modèles performatifs générateurs de croissance mais aussi de profondes inégalités. La promesse des Trente Glorieuses de voir s’atténuer les différences entre les plus riches et les plus pauvres a été oubliée depuis les années 1980. La violence sociale qui en découle, si elle est mal canalisée (cf. le mouvement des Gilets jaunes), pourrait conduire à la radicalisation de quelques-uns, prêts à un passage à l’acte terroriste.

Autour de la fraternité, Eric Danon développe l’exemple de l’éco-terrorisme, qui pourrait naître de la radicalisation d’individus frustrés de la lenteur avec laquelle les gouvernements agissent aujourd’hui face aux dangers qui menacent les grands équilibres de la planète, voire de la complicité de certains gouvernements avec de grandes entreprises prédatrices de notre environnement.

Pour sa part, Hugo Micheron trace les pistes de ce que pourrait devenir le djihadisme dans les prochaines années – la compréhension du djihadisme étant plus importante que celle du terrorisme comme moyen.

Il rappelle que Daech est une organisation discréditée et qui a échoué dans son projet politique de califat au Levant. On constate dès lors qu’un foyer de djihadistes se déplace du Levant vers l’Europe, et d’abord vers les prisons européennes : les mêmes djihadistes qui se réjouissaient en Syrie de l’attentat du 13 novembre 2015 demandent aujourd’hui à rentrer en France sous protection consulaire.

Pour Hugo Micheron, on se rend mal compte de l’intensité des débats au sein des prisons françaises sur les succès et les échecs de l’EI...

Le sentiment prévaut chez ces djihadistes que Daech a échoué, non seulement à cause des frappes de la coalition, mais plus encore par l’impéritie de son économie politique. En multipliant les attentats aveugles qui ont tué aussi de nombreux musulmans (13 novembre 2015, Nice 14 juillet 2016…), l’action de Daech n’a, à partir de 2016, pu convaincre que ceux qui étaient déjà convaincus et faire fuir les autres. Dès lors, la disparition de l’EI territorial ouvre une alternative. Soit le djihadisme se réincarne dans d’autres groupes de même type, soit le combat djihadiste va se poursuivre à partir de groupes différents qui auront tiré toutes les leçons des échecs de l’EI.

C’est cette deuxième possibilité qui parait la plus probable. Pour Hugo Micheron, on se rend mal compte de l’intensité des débats au sein des prisons françaises sur les succès et les échecs de l’EI, où une réflexion se poursuit sur les meilleures manières de continuer le djihad. En prison et à partir de la prison, espace central de la mouvance devenu la véritable université du djihadisme, se forment les futurs combattants, à commencer par ceux qui sortiront bientôt et qui sont déjà parfaitement connectés au monde extérieur. Eux continuent d’avancer et il y a urgence à ce que nous fassions de même sur notre compréhension des dynamiques du djihadisme, alors que nous commençons tout juste à nous rendre compte que les actions de Daech n’en ont été qu’un révélateur, certes dramatique mais passager.

Copyright 2019 pour texte, photos et vidéo/Diploweb.com


Bonus vidéo. J-F Gayraud Terrorisme et crime organisé. Les hybrides : nouvelle perception stratégique

QUESTIONS :
. Qu’appelez-vous "l’hybridation" ?
. Quelles sont les idées fausses sur la question des "hybrides" ?
. Qu’en est-il de "l’hybridation" des djihadistes ?


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| Dernière mise à jour le mardi 23 avril 2024 |