Franchir les frontières de la différence : retour sur trois ans de voyage

Par SOLIDREAM, le 5 mars 2015  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

« Solidream » est l’union de Solidarité et de Dream signifiant dans la langue de Shakespeare « un rêve qui se concrétise ». Bien conscients qu’un tel rêve ne peut se réaliser qu’avec l’aide de nos proches mais aussi de la solidarité que nous rencontrons chaque jour sur le chemin nous avons ainsi baptisé notre projet de 3 années et de 50 000 km autour du monde à vélo.

En trois ans, l’équipe Solidream a traversé pas moins de 44 frontières. Retour en photo sur une expérience autour du monde.

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le Diploweb.com est heureux de publier cette présentation de Solidream qui participe au Festival de Géopolitique de Grenoble : "A quoi servent les frontières ?" 12-15 mars 2015.

Franchir les frontières de la différence : retour sur trois ans de voyage

Le 29 août 2010 débute un voyage de trois ans sur tous les continents. Morgan et Siphay sont accompagnés de Bertrand qui laissera sa place à Brian au Chili. Étienne rejoindra l’équipe pour un an, des États-Unis au Laos.

SOLIDREAM est le projet d’un groupe d’amis désireux de défendre leurs valeurs de rêve, de défis et de partage sous la forme de récits d’aventure, de films et d’expositions photographiques s’inspirant de leurs voyages. En 2010, l’équipe se lance pour un tour du monde à vélo de trois ans sur tous les continents. Avec l’idée d’atteindre les parties extrêmes du globe, ils jalonnent de défis leur périple : ils parcourent les déserts d’Atacama et d’Australie, atteignent l’Antarctique à la voile, traversent l’Amazonie, construisent un radeau pour descendre le Yukon et connaissent la rudesse des hauts plateaux boliviens et des Monts Célestes du Kirghizistan. Ils interviennent vendredi 13 mars 2015 au Festival de Géopolitique de Grenoble pour relater un vécu de terrain sur leur expérience. À cette occasion, ils nous offrent des morceaux choisis autour de la question « À quoi servent les frontières ? », thème du festival de cette année.

Le Sahara, d’une superficie de 9 millions de km2, est le plus vaste désert chaud au monde. Sur plusieurs centaines de kilomètres, l’équipe le traverse pour atteindre le No Man’s Land entre le Sahara occidental et la Mauritanie.

Le no man’s land sahraoui

Le 15 octobre 2010, nous arrivons à la frontière sud du territoire contesté du Sahara occidental. En effet, à la suite des accords de Madrid de 1975, le Maroc et la Mauritanie se sont partagé ce territoire, mais un mouvement indépendantiste sahraoui, le Front Polisario, s’est opposé à cette annexion. Le poste de Guerguerat, sous contrôle marocain, présente une unique pompe à essence et une épicerie poussiéreuse jumelée à un dortoir-hôtel offrant un carré d’ombre précieux. La vue vers le sud, elle, est entravée par des bâtiments militaires barricadés et l’horizon se confond avec le « mur de défense », appelé « mur de la honte » par le peuple sahraoui. Derrière se devine la Mauritanie, le long du no man’s land. Sur cette bande de sable d’une largeur de 4 kilomètres, « il n’y a plus de lois », nous précise le soldat chérifien. Nous traversons cette zone inhospitalière, suivons les traces de 4x4 à l’écart des mines supposées et slalomons entre les carcasses de voitures dans une atmosphère angoissante. Puis, par 45 °C, le chef de la police mauritanienne est clair : « Pas de visa, vous dégagez ! Allez, dégagez ! »

Le no man’s land, qui sépare le Sahara occidental de la Mauritanie, est un territoire sans route ni lois. Traverser ses 4 km de piste difficile sinuant à travers un terrain miné est formellement déconseillé aux voyageurs à vélo.

Le demi-tour et nos mines contrariées font rire les gardiens du poste qui tamponnent de nouveau nos passeports. Habituellement, les Français ont l’autorisation d’entrer sans visa mais nous apprendrons qu’une remarque désobligeante de N. Sarkozy a poussé le gouvernement mauritanien à durcir sa politique d’immigration. Après plusieurs heures de concertations, nous choisissons de solliciter notre partenaire Eiffage Sénégal en empruntant un téléphone. De là, une chaîne de solidarité se déploie de Dakar jusqu’à Nouakchott en passant par Tunis et Nouadhibou. Le 19 octobre à 19 h, un courrier signé du secrétaire général du ministère des Affaires étrangères nous autorise un transit de soixante-douze heures. Nous traverserons finalement cinq fois le no man’s land pendant ces cinq jours d’attente, sans argent mais avec de l’espoir. L’espoir de ceux qui, du fait de leur nationalité, ont toujours le choix. Nos pensées, elles, vont au peuple sahraoui qui n’a toujours pas d’identité nationale.

Entre janvier et mars, les précipitations peuvent noyer le Salar sous une trentaine de centimètres d’eau. Si la beauté de cet immense miroir comble le voyageur, l’eau glacée ne facilite pas sa traversée sur 100 km du sud au nord.

La vallée de la Lune est constituée de roches érodées par le vent de l’Atacama, le désert chaud le plus aride du monde. Le voyage en autonomie y est périlleux mais la pureté de l’air rend possible l’observation des lointains sommets du plateau bolivien.

Le clandestin mexicain

Le 21 décembre 2012, Brian casse l’axe de son pédalier. Siphay et Morgan s’efforcent dans un premier temps de le pousser sur 40 km mais prennent bientôt conscience que cette solution n’est pas durable. Nous choisissons donc l’option « auto-stop » et faisons les clowns au bord de la route pendant trois jours et 1 000 km pour rejoindre Puerto Escondido, où nous réparons le vélo. Cette étape, quoique difficile nerveusement, a été pour nous l’occasion de rencontres émouvantes. Une main sur le volant et une croix suspendue au rétroviseur, un automobiliste s’arrête. Voici des heures que nous attendions sous un soleil de plomb. Nous chargeons les vélos dans la benne, montons dans le 4x4 et écoutons l’histoire d’un ancien clandestin. Fernando, il y a douze ans de cela, a récupéré, grâce à un ami, l’adresse d’un contact à Phoenix, en Arizona. Il s’est alors entraîné à marcher dans les montagnes pendant plusieurs semaines en vue de tenter de rallier l’American dream.

Au nord du Mexique, Jesús María a troqué poncho et sombrero pour jeans et Stetson. La volonté pour nombre de mexicains de passer de l’autre côté de la frontière se fait ressentir à mesure que l’on s’en approche.

Puis, il est parti en bus dans la région frontalière et a entrepris de gagner les zones désertiques du Mexique. Ensuite, il a pris la direction du nord en veillant à progresser uniquement de nuit pour ne pas être débusqué et éviter la déshydratation. Il nous explique que les seules personnes qu’il a vues étaient les cadavres de ceux qui avaient essayé, comme lui, de traverser la région à pied. C’est ainsi qu’il parvient à Phoenix où il remet 10 000 dollars à son « contact ». Il est logé dans un appartement, avec des compatriotes, et on lui explique qu’il doit y attendre qu’on lui déniche un endroit où l’« envoyer ». Chaque semaine, tous les clandestins changent d’adresse pour que le squat ne soit pas repéré par la police. Enfin, après une vingtaine de jours, vient le moment où on l’« expédie » dans l’État de New York où il va cumuler deux emplois : le jour, il nettoie des chambres d’hôtel et, la nuit, travaille dans une usine. Cela durera dix ans. En 2011, il est donc revenu avec suffisamment d’argent pour monter son affaire et subvenir aux besoins de sa famille. Son sourire en dit long sur sa fierté. Nous le regardons avec une certaine admiration mais sommes un peu gênés de notre condition de privilégiés.

À la suite de l’accord de libre-échange de 1994 entre les pays nord-américains, les villes se sont multipliées le long de la Tortilla Border, qui s’étend sur plus de 3 000 km et que des milliers de Mexicains tentent de franchir chaque année.

Accueil tadjik

Le 22 mai 2013, nous avançons à vitesse d’escargot à travers les montagnes du Tadjikistan. Dans sa cabine, Abdul-Karim a le visage éclairé par une lumière orange clignotante qui, avec le bip sonore, indique que le camion roule en surcharge. Malgré sa mine fatiguée, il garde le sourire. L’atmosphère est tendue à l’approche d’un contrôle, le quinzième en dix heures depuis que le gaillard est descendu sans hésiter de son engin pour flanquer nos vélos chargés par-dessus les sacs de pommes de terre. Après trois minutes d’attente seulement ! La veille, nous entrions illégalement par la frontière d’Isfara depuis le Kirghizistan, du fait d’un transporteur qui voulait éviter les douanes. Les camions, nous les enchaînons depuis que les militaires, encore deux jours auparavant, nous ont refoulés au poste frontière de Djirgital à 600 km en arrière, de l’autre côté de la chaîne des Tian Shan. Le manque de coordination des ambassades tadjikes et kirghizes nous a joué un sale coup administratif, nous obligeant à revenir sur nos pas. À notre arrivée sur le territoire tadjik, nous tendons le pouce à nouveau pour atteindre la capitale du pays, Douchanbé. C’est Kamol qui, nous trouvant au bord de la route, s’arrête finalement pour nous inviter à prendre un bain turc et à déguster des chachlik chez lui. Dès les premières heures, l’hospitalité tadjike est hautement surprenante. Nous sommes tout d’abord gênés d’accepter tant de générosité, mais il nous répète avec une ferme assurance : « C’est le Tadjikistan ici ! C’est un honneur d’accueillir des étrangers ! » Puis il se passe les mains sur le visage de haut en bas, respectant le geste de prière de la fin du repas appelé fatiha. Aujourd’hui, toujours dans la cabine, Abdul-Karim attrape une liasse de somonis et sort en direction de l’homme qui gère la pesée du camion. Nous ne savons pas vraiment s’il lui paie les taxes de surplus ou son silence, mais ça a l’air cher. La corruption est partout et, presque à chaque barrage, notre homme doit s’acquitter de frais incompréhensibles. La police corrompue n’est qu’un domaine dans lequel cette gangrène sévit. La corruption touche toutes les strates du pouvoir et empêche tout progrès d’un pays économiquement très pauvre.

Abdul-Karim, camionneur, embarque le trio enlisé dans des problèmes de visa tandis que Kamol offre des chachlik (brochettes) et le gîte pour la nuit.

En trois ans, l’équipe a traversé pas moins de 44 frontières et également exploré à la voile également l’Antarctique qui, protégé par le traité sur l’Antarctique de 1959, n’est pas un pays. Passer une frontière lors d’un voyage au long cours est souvent synonyme d’une appréhension excitante par le changement culturel radical qu’elles représentent parfois. Les anecdotes de la route qu’elles suscitent sont nombreuses, parfois tristes et parfois joyeuses. Mais les traverser par la terre offre toujours le moyen de les sentir tout à fait, comme si on passait le pas de la porte de la maison d’un inconnu. Le voyageur aura tôt fait de dire qu’il souhaiterait voir les peuples se rejoindre sans les inégalités qu’elles créent, mais c’est un fait qu’elles lui offrent ces moments de totale nouveauté. Ils constituent des épisodes mémorables d’un périple.

À Paradise Bay, en péninsule Antarctique, Ocean Respect est escorté par un banc de manchots papous. L’accueil que réserve la faune au voyageur contraste avec les tempêtes qui sévissent dans la zone.

Copyright Mars 2015-Solidream/Diploweb.com


Plus

L’aventure autour du monde à vélo par le collectif Solidream a fait l’objet d’un livre, publié aux éditions Tansboréal ainsi que d’un film documentaire qui a, notamment, remporté le Grand Prix du festival du film d’aventure de La Rochelle et le Grand Prix du Public du festival Explorimages à Nice. Voir la bande annonce du film.


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