Corse : éclairage, canal inhabituel. Mafia or not mafia ?

Par Madeleine ROSSI , le 24 septembre 2013  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Madeleine Rossi est journaliste free-lance suisse d’origine italienne. Elle combine de multiples talents dont l’enquête et la photographie.

La Corse connaît depuis 2009 une vague d’assassinats et de règlements de comptes qui la place régulièrement à la une des médias français. Loin de la violence politique et des nuits bleues qui faisaient autrefois les gros titres, cette criminalité de droit commun est souvent examinée à l’aune des mafias italiennes. D’où il ressort que tout ce qui vit à l’ombre des oliviers possèderait la même culture, la même histoire et, en l’occurrence, les mêmes organisations criminelles.

Mafia or not mafia…

«  LA MAFIA est à l’œuvre en Corse  », affirmait le Premier ministre Jean-Marc Ayrault en novembre 2012, au lendemain de l’assassinat – le dix-septième de l’année – du président de la chambre de commerce d’Ajaccio, Jacques Nacer. En juin 2013, le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls appelait à « résister à la mafia corse  », avant d’asséner que « la violence est enracinée  » dans l’île. Sans oublier les propos tenus par Nicolas Sarkozy en 2003, insistant sur la nécessité d’abattre « le système mafieux qui met la Corse en coupe réglée  ». Cette terminologie, utilisée occasionnellement dans les années 1990, a commencé à se répandre au début des années 2000 avant d’être reprise en boucle dans les médias et les milieux politiques. Contrairement au terme « cartel », trop lointain, connoté et donc non assimilable à une autre région que l’Amérique du Sud, le mot « mafia » présente l’avantage d’être évocateur, ancré dans l’inconscient collectif et aisément applicable à diverses entités, criminelles ou non (mafia du sport, du cinéma, du Vatican, etc.).

Les tags « mafia fora  » (la mafia dehors) ou « corsu sì, mafia nò  » laissent en effet croire à l’existence d’une mafia d’importation italienne qu’il conviendrait de chasser, ou à celle d’une « mafia corse ». Or, l’existence d’une telle forme de criminalité n’est absolument pas avérée au plan insulaire. Des bandes rivales, aussi organisées et violentes fussent-elles, ne constituent pas un clan au sens mafieux du terme, encore moins une « coupole » à la mode sicilienne.

Les enjeux économiques en Corse sont tels qu’ils créent automatiquement un appel d’air criminel. D’où la montée en puissance de collectifs très déterminés à s’accaparer des fractions de territoire. Des fractions seulement, car il n’y a jamais eu en Corse de mainmise totale d’un « chef » ou d’un groupe sur l’ensemble de l’île ou de monopole sur un seul secteur d’activité. Dans la grande majorité des cas, les assassinats commis en Corse doivent être reliés à des règlements de comptes « conjoncturels » entre îlots de banditisme et quelquefois, comme partout ailleurs, traités sous l’angle du droit commun.

Conflits économiques, appétits immobiliers, intérêts crapuleux et racket – parfois pour des sommes dérisoires – sont autant de formes d’une violence qu’il est nécessaire d’envisager non pas comme une « valeur » intrinsèque à la Corse, mais comme un indicateur de grande fragilité sociale, et ce depuis des décennies. La violence fait son nid dans toute société en danger – et non dangereuse – et entraîne une paupérisation du territoire : il est difficile d’entreprendre lorsqu’une activité est en butte à la prédation ou aux menaces.

Corse : éclairage, canal inhabituel. Mafia or not mafia ?

Ajaccio, le 3 juin 2013, visite du ministre de l’Intérieur, Manuels Valls, ici à côté du maire de la ville, Simon Renucci. (Crédits photo : M. Rossi)

Pour Xavier Crettiez, professeur de science politique et auteur de nombreux livres et articles sur la Corse, il n’y a pas sur l’île de « mafia au sens commun  », et ce pour quatre raisons : « Premièrement, on n’assiste pas à un degré de structuration propre à la grande criminalité. Deuxièmement, il n’y a pas d’activités au plan international comme c’est le cas pour les mafias italiennes, qui font une grosse part de leur chiffre d’affaire hors de la péninsule. Troisièmement, ces activités qui se limitent à un niveau domestique ne sont pas aussi diversifiées que celles d’une mafia classique, je pense par exemple à la prostitution ou au trafic de cigarettes. Enfin, à l’inverse d’une mafia, les organisations paramilitaires comme le FLNC, longtemps et à tort qualifiées de mafieuses, ont pour ambition d’occuper l’espace politique et pas seulement de le parasiter à des fins d’enrichissement, la question étant d’exister politiquement dans l’arène insulaire  ». S’ajoutent à ces éléments deux critères déterminants de la psychologie des mafias traditionnelles : la nécessité d’agir selon une logique d’invisibilité – loin d’une violence éclatée et voyante - et d’assurer la pérennité de l’organisation, laquelle s’impose comme un contre-pouvoir face à un État souvent désemparé ou dans le déni. Mutantes et polymorphes, toujours plus inscrites dans une perspective de globalité, les mafias n’en conservent pas moins un fonctionnement « archaïque », incluant le contrôle d’un territoire par le biais de la violence, de la peur et d’une main-d’œuvre renouvelable à souhait.

Sampiero Sanguinetti [1], journaliste, écrivain et ancien directeur d’antenne à France 3 Corse, estime que « la mafia brandie par certains en Corse est un écran de fumée qui cache un problème bien plus grave qu’en Sicile… qui ne connaît pas la violence politique et où l’on n’assiste pas à une destruction du tissu socio-économique. Nous sommes ici dans une société minuscule, en proie à une situation de non-développement économique. Ce délitement a commencé avec les lois douanières en vigueur entre 1818 et 1912, où les produits insulaires étaient soumis à des taxes extrêmement élevées lors de leur arrivée vers le continent, alors que les produits entrant en Corse en provenance du continent français étaient détaxés. Le seul contre-argument que certains ont opposé à cette situation était celui d’une Corse située en marge des centres de développement. C’est faux. La Sardaigne est tout aussi éloignée mais n’est pas exsangue économiquement ». Et le journaliste de rappeler que ce sont parfois les enquêteurs eux-mêmes qui, légitimement désireux d’obtenir plus de moyens, brandissent le spectre de la « mafia » là où le phénomène est certes « grave mais plus classique ». Loin de minimiser l’étendue du problème, notre interlocuteur incite « les citoyens et leurs représentants à une extrême vigilance », sachant que « le passage de la notion de milieu à celle de mafia fait courir le risque de basculer dans une société de plus en plus policière et vers une justice de plus en plus soumise à la raison d’État. »

Comme d’autres observateurs – y compris italiens ou continentaux –, Sampiero Sanguinetti estime que le lien avec « la mafia » s’est fait uniquement, ou en grande partie, pour des raisons géographiques. Lui qui a longtemps vécu à Naples et à Palerme sait de quoi il parle lorsqu’il dénonce cette assimilation et estime qu’une certaine littérature a joué un rôle prépondérant [2] dans ce glissement sémantique. Notamment « Les parrains corses » de Jacques Follorou et Vincent Nouzille et « Le crépuscule des Corses », du journaliste corse Nicolas Giudici [3], ce dernier affirmant que tout ce qui fait partie du Mezzogiorno – encore faudrait-il s’entendre sur une définition – « est authentiquement mafieux parce que la question du pouvoir y domine toutes les autres  ». Pour Sanguinetti, le livre de Giudici « cherche moins à dire ce qui se passe en Corse qu’à théoriser l’inexplicabilité de ce qui s’y passe (…) et l’auteur forge les contours très idéologiques d’une théorie de la Méditerranée, du Mezzogiorno et de la Corse, mafieux par nature et par excellence. Il l’a fait constamment en assimilant la Corse avec la Sicile  ».

En poste au Tribunal de grande instance d’Ajaccio depuis septembre 2012 après avoir notamment dirigé le pôle économique et financier de Marseille, le procureur de la République Xavier Bonhomme évoque des « pratiques mafieuses évidentes ou des comportement mafieux  », mais fait la distinction entre le gangstérisme insulaire et une mafia traditionnelle : «  Vous n’avez pas ici le stade ultime des systèmes mafieux avec une mise en causes des autorités étatiques, il ne s’agit pas du tout de ça. Il y a par contre une porosité du milieu – parfois des milieux – avec le milieu économique, et pour certains avec le milieu politique, ça peut arriver … et ce n’est pas dans mon propos de dire qu’ils sont tous pourris en Corse, pas du tout. »

Du milieu politique au clientélisme, véritable agent polluant de la vie publique, il n’y a qu’un pas, hélas facile à franchir : avec en moyenne un élu pour 30 habitants, il est impossible pour un maire de réaliser un plan collectif et de satisfaire les désirs de chacun de ses administrés ou de résoudre leurs problèmes. D’où un risque accru de perméabilité entre les différentes sphères, politique, économique et criminelle. L’argent circule à flots, les appels d’offres, les chantiers, ou récemment les travaux routiers en prévision du Tour de France 2013 sont comme ailleurs des domaines générateurs de corruption. La spéculation immobilière, qu’elle soit ou non liée à l’organisation du tourisme, prend des proportions toujours plus spectaculaires. Un observateur ajaccien le dit crûment sous couvert d’anonymat [4] : « N’importe quelle terre agricole vaut 3 euros avec des vaches dessus, mais 3 millions si l’on y construit une cabane pour y mettre un touriste… en Corse, posséder des terres revient à gagner au loto... Celui qui ne gagne rien et se débat dans la pauvreté n’a qu’à racketter son voisin pour devenir lui aussi millionnaire. Voilà, c’est ça, notre réalité, il y a une pression beaucoup trop importante sur cette île, qui s’accompagne d’un désengagement fort de l’État français.  »

« Ça parle beaucoup, en Corse, ça bruisse… »

Sur la question d’une prétendue loi du silence ou « omertà », autre copier-coller linguistique, tous les intervenants rencontrés ou entendus dans le cadre de ce reportage sont formels : il n’en est pas question en Corse, et cela pour différentes raisons. Le procureur d’Ajaccio balaie le terme d’un revers de main, car ce mot est « beaucoup trop fort  ». À ses yeux, si «  les gens ne collaborent pas forcément suffisamment, ça n’est pas en raison de la loi du silence, c’est parce qu’ils ont peur… et certains, de manière légitime  ». Même constat dans un article du Nouvel Observateur daté du 3 septembre 1992 (déjà), où le grand reporter François Caviglioli, relate une série de braquages : « La police [le] sait, la population le sait. Elle connaît souvent les noms de braqueurs et des racketteurs. Elle les murmure à voix basse. Mais elle a peur  ». Avec ironie un habitant de la vallée de la Gravona fait remarquer que sa région « est l’une des plus bavardes de Corse ».

Ailleurs, on estime qu’il ne faut pas dire que la population protège les criminels, mais qu’elle se protège, « ce qui est très différent. C’est un tout petit pays, avec une anthropologie très particulière, où l’on se connaît plus ou moins, et où l’on est appelés à se connaître un jour où l’autre. Nous ne sommes pas dans une société anonyme, et c’est là que l’omertà ne fonctionne pas ». Proche de zéro, le taux d’élucidation des assassinats est systématiquement mis sur le compte de cette soi-disant loi du silence, sans que l’on tienne compte des manques de moyens humains de la justice et du déficit colossal de confiance d’une population envers ses représentants, qui « préfèrent courir après les nationalistes ou les intégrer au système que de s’en prendre à la centaine de types qui mettent les gens sous pression… ».

Un peu d’humour avec un extrait de l’affiche du film d’aventures « The Bandits of Corsica – The Island of Vengeance » (1953), d’après – apparemment – « Les frères corses » d’Alexandre Dumas père… ce document de collection figure dans les escaliers d’une librairie ajaccienne. (Crédits photo : M. Rossi)

Le livre [5] du journaliste du Monde Jacques Follorou (« La guerre des parrains corses ») est exemplaire en ce qu’il démontre – par ses récits d’écoutes téléphoniques ou de rendez-vous entre nationalistes, par exemple – que « les flics savent tout », pour reprendre un mot entendu un peu partout, de la gendarmerie au Conseil général de Corse-du-Sud en passant par quasiment n’importe quel habitant qui vous offre un café.

Le 3 juin 2013, jour de la visite du Ministre de l’Intérieur Manuel Valls à Ajaccio, le journal Corse-Matin a publié une « cartographie des tués [6] », difficilement contestable, où « aucune avancée » semble être le maître-mot. Xavier Crettiez, s’il n’hésite pas à évoquer des taux d’élucidation infimes, ne remet pas en cause les compétences de la PJ, qu’il estime être « très efficace, à l’image de la police française dans son ensemble  ». Il souligne par contre une incapacité à «  changer de logiciel et à s’adapter à l’évolution de la criminalité sociale . La police s’est longtemps exclusivement concentrée sur le FLNC, au point de tout savoir à son sujet… comme toute administration, elle est lente à la détente et met du temps à connaître son adversaire, et se trouve démunie face à une criminalité qui s’enhardit et se transforme ».

Le procureur Xavier Bonhomme défend logiquement son travail et celui des enquêteurs, notamment dans les affaires financières, en présentant les difficultés auxquelles il faut faire face. « On colporte de manière générale que l’efficacité des services de police et de justice est quasiment nulle, mais ce n’est pas le cas. On résout des affaires ! Mais il y a des affaires plus difficiles que d’autres, et en ce qui concerne les règlements de compte, on n’a pas affaire à des enfants de chœur. On a affaire à des personnes qui sont déterminées, professionnelles, qui prennent luxe de précautions… notre travail est compliqué. Prenez le réseau routier, des policiers que tout le monde connaît, une région où tout le monde se connaît… sans compter une population qui n’est pas tout le temps très coopérative. Ce n’est pas une critique de ma part, car je comprends la peur, il y a eu des menaces…  ». Cette tendance se retrouve dans les affaires de racket où, poursuit le procureur, « au moins une fois sur deux, 24 heures ou 48 heures après, la victime, qui pourtant dans un premier temps a porté un cas à la connaissance de la gendarmerie et de la police, vient vous dire qu’elle ne veut surtout pas déposer plainte ou qu’en fait tout s’est arrangé ».

Autre corollaire d’une mafia traditionnelle, le statut de repenti, soit, pour employer la terminologie adéquate, de collaborateur de justice, est généralement compris comme lié à des crimes et délits commis dans le cadre « d’association mafieuse » au sens du droit italien notamment. Jacques Follorou privilégie la mise en place d’un tel système (Le Monde, 16 novembre 2012) : « La protection des témoins et un statut du repenti donneraient des atouts à la justice pour faire pièce aux stratégies de défense des groupes criminels. Surtout, cela équilibrerait le jeu entre les criminels et une population prise en otage. Le cadre de cette lutte reste encore à créer. Pour aider la Corse, il faudra que l’État descende de son piédestal. »

Si ce dernier point est exact, Jacques Follorou oublie ou omet de préciser tout ce qu’implique le statut de collaborateur de justice : le risque de représailles contre la famille ou les proches d’un éventuel bavard, un programme de protection qui n’est ni automatique ni étendu à tout l’entourage du « repenti », le fait que « repenti » ne signifie pas « deuxième chance », et que si nouvelle vie il y a, elle se déroule à l’écart de tout, sous une surveillance constante et parfois sans garantie de survie. Les conditions d’attribution d’un tel statut sont drastiques, et il ne suffit pas de frapper à la porte d’un commissariat pour l’obtenir. Si les États-Unis considèrent généralement qu’il suffit de « balancer » un nom ou l’emplacement d’une cache pour offrir une nouvelle identité à un membre du crime organisé et à sa famille (au sens étroit), il n’en va pas de même en Italie, où les enquêteurs et le magistrat instructeur peuvent mettre des mois à vérifier que les informations apportées sont pertinentes et utiles. Quant aux « civils » qui dénonceraient un clan ou un boss venant ponctionner leurs revenus, ils ne réalisent pas toujours que ce programme s’arrête dès que les menaces directes s’éloignent. La Calabre a connu au moins deux cas d’entrepreneurs éliminés par la ‘ndrangheta au lendemain de la suppression de leur escorte : le crime organisé ne connaît pas l’oubli. Les risques associés à cette forme de collaboration sont tels qu’une nouvelle tendance se dessine peu à peu en Campanie, une forme de « renversement de la réalité » où l’entrepreneur désireux de travailler en paix et de se passer des services de la justice n’est plus une victime, mais un acheteur de services criminels. Il paie un boss pour obtenir une prestation (implanter des stations-service sans risque de racket ou de plasticage, notamment) et, ce faisant, achète le droit d’exercer en paix. Le magistrat napolitain Raffaele Cantone [7] est l’un des premiers à avoir évoqué cette situation qui contribue non seulement au blanchiment d’argent par des clans camorristes, mais également à « enterrer » le phénomène de l’extorsion.

L’erreur d’une approche culturaliste

Stigmatisation d’une violence « culturelle » et refus d’entrer en matière sur une charte du bilinguisme, pourtant votée – chose rare en Corse – à l’unanimité à l’Assemble territoriale : les déclarations du Ministre de l’Intérieur renvoient à une question « identitaire » et gauchissent un débat dont beaucoup disent qu’il devrait porter non pas sur ce qui définit une population mais sur les décisions structurelles à prendre pour l’aider.

L’une des manières de nier l’existence d’un phénomène dérangeant consiste à restreindre la réalité, en assimilant – comme en Sicile – une mafia à un fait culturel si ce n’est folklorique, ou à un certain sens de la liberté et de l’honneur. Dans les années 1970, l’écrivain sicilien Leonardo Sciascia a été cloué au pilori pour avoir évoqué une forte perméabilité entre le « banditisme » et le tissu socio-culturel de l’île, et donc une « mafiosité » du territoire. Il a fallu attendre les dizaines d’assassinats commis par Cosa Nostra et le constat tristement objectif de sa présence pour que la société italienne admette l’existence de la mafia. L’Italie a compris depuis longtemps qu’elle ne peut plus s’aliéner et encore moins accuser les Siciliens d’élever des portées de guépards sanguinaires. Si l’unité italienne est un artifice ou un miracle politique, le pays est parvenu à accepter – intellectuellement – et à intégrer toutes ses composantes culturelles et linguistiques, sans que personne ne s’en offusque. Paul Giacobbi, président de l’exécutif corse, n’a pas dit autre chose lorsqu’il a désigné, en réponse au ministre, les « contradictions de la France qui voudrait imposer, avec arrogance, à d’autres pays de faire vis-à-vis de leurs langues minoritaires ce qu’elle se refuse, elle, à faire pour ses propres langues minoritaires ». Et d’ajouter : « Si la France était un pays normal, il n’y aurait pas difficulté... mais elle n’est pas un pays normal... Et a une sorte d’intolérance à la diversité et à l’identité de ses régions ».

Cela démontre que le passage par la question culturelle – et uniquement culturelle – revient à adopter une position d’immobilisme. Or, tempête notre interlocuteur ajaccien, « Il y a une différence entre société et culture : la société corse est malade, et il y a des éléments à l’intérieur de cette société qui la pourrissent… le refus du bilinguisme est une position intellectuelle incroyablement rétrograde, brandie comme une mesure de rétorsion en réponse à une population qui ne demande qu’à préserver sa culture et à mettre un terme à cette violence… mais comment ?  ».

Interrogé sur cette question de la violence [8] et de son supposé atavisme, Xavier Crettiez dit d’emblée que le discours du Ministre « est un non-sens s’il s’agit d’expliquer la violence en Corse en se référant à une culture historique ou ancestrale. La violence n’est pas un trait de la culture corse héritée des invasions barabaresques ou des guerres génoises. Par contre il est certain que depuis une trentaine d’années (une génération, donc une histoire vécue), le ou les FLNC ont construit à des fins de clientélisme électoral et d’accroche avec les pouvoirs publics, une hiératique de la violence perceptible dans sa mise en scène (conférences de presse clandestines), dans son marchandising (tee-shirts ou drapeaux à la gloire du ribellu) ou dans ses références (la place centrale de la cagoule dans l’imaginaire insulaire) qui fonde à mes yeux une vraie culture de la déviance violente et peut partiellement expliquer son usage pérenne  ».

Un graffiti saisi à Corte. Contrairement à ce que pense généralement l’opinion publique, tous les Corses ne sont pas nationalistes ou indépendantistes, loin s’en faut. Il s’en trouve même pour moquer les slogans « habituels »… (Crédits photo : X. Crettiez)

La société a un devoir de responsabilité collective au même titre qu’un État, qui doit y prêter attention autrement qu’en la stigmatisant ou en se défaussant sur elle. De cette manière, on transmet la capacité de changement, et c’est ce que l’on appelle la politique au sens grec (« polis ») de politique de gouvernement de la cité, qui est faible aujourd’hui. Force est de constater aujourd’hui – et demain sans doute – que la politique est faible, quand elle ne joue pas un rôle subalterne, soumise à un pouvoir clientéliste, criminel ou mafieux.

Copyright Septembre 2013-Rossi/Diploweb.com


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[1Auteur notamment de « La violence en Corse – XIXe - XXe siècles » (Albiana, 2012), un essai extrêmement documenté s’appuyant sur des bases statistiques et historiques, visant à dessiner les tendances de la délinquance et de la criminalité en Corse autant qu’à distinguer la violence politique et la violence crapuleuse.

[2« La violence en Corse – XIXe - XXe siècles », pp. 14-15.

[3Assassiné en juin 2001, pour des motifs crapuleux et non « politiques ». Le journaliste et écrivain sicilien Carlo Ruta a consacré un livre à cette affaire : « Il caso Giudici » (AlpineStudio, 2012).

[4Demandé par l’intéressé, non pas par peur, mais pour des raisons de manque de confiance suite à un mauvais souvenir laissé par un précédent entretien, où le journaliste avait quelque peu déformé les propos recueillis en plus d’avoir présenté notre intervenant comme patron de l’entreprise qui l’emploie et fait du vrai directeur un « collaborateur ».

[5Jacques Follorou « La guerre des parrains corses », éd. Flammarion, 2013. L’ouvrage est ceint d’un remarquable bandeau rouge promettant une plongée « Au cœur du système mafieux », sans prendre la moindre précaution ni apporter la moindre précision.

[6corsematin.com/article/assemblee-de-corse/webdoc-corse-violences-et-mouvance-nationaliste.1014903.html

[7Raffaele Cantone et Gianluca Di Feo, « I gattopardi » (Mondadori, Piccola Biblioteca, 2011). Ce dialogue entre le magistrat et le journaliste de L’Espresso s’intéresse aux métamorphoses des mafias dans l’Italie d’aujourd’hui, métamorphoses susceptibles d’intéresser d’autres formes de délinquance organisée.

[8Le journal Corse-Matin a choisi de publier à ce sujet un éditorial de Sampiero Sanguinetti, dont voici un large extrait :« Lorsqu’un paysan nettoie et cultive son champ, c’est pour y faire pousser du blé, de la vigne, des arbres fruitiers ou des fleurs. Lorsqu’il n’a plus les moyens ou la force de cultiver ce champ, ce sont les ronces et les orties qui prennent la place des cultures. Il n’est jamais venu à l’esprit de personne de dire que le paysan dont le champ est envahi par les ronces, s’est mis à cultiver des ronces ou des orties. (…) La violence n’est pas une valeur. La violence et la délinquance sont des fléaux qui prolifèrent sur les maux de la société. Si ce mal est ancien en Corse, c’est que la Corse va mal depuis très longtemps. La violence est en l’homme et au cœur de toutes les sociétés comme une menace qu’il faut combattre par la culture. Il ne faut donc ni estropier la définition de la culture ni accuser un peuple de ce dont il souffre ou de ce qui le menace. »


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