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www.diploweb.com Classiques de Science politique - Rubrique réalisée par Alexandra Viatteau

N°2 - Une "nouvelle réaction" adulte en France contre la "cuculisation" socio-culturelle

 

L'infantilisation des adultes - ce que le grand écrivain polonais du XXème siècle, Witold Gombrowicz, appelait "cuculisation" (upupienie) - a constitué en Occident, aux Etats Unis comme en France durant les années 1970-1990, l'un des nerfs de l'ingénierie sociale de la "nouvelle culture" au service de la "nouvelle société". Evidemment sous une autre forme que celle totalitaire soviétique à l'Est. Psychologie, sociologie, politiques, idéologies, médias et économie ont été mis à contribution. Devant l'échec, et les fatales retombées, que l'on commence seulement à mesurer, d'une partie de ces stratégies et expériences culturelles, et dans la foulée de l'anti-nihilisme des sociétés occidentales après la violence subie le 11 septembre 2001, on voit se dessiner une "nouvelle réaction", plus adulte encore que politique.

A un moment où s'est manifestée en France au sujet de l'Irak une arrogance maladroite et mal venue à l'égard des grandes et vieilles nations d'Europe du Centre Est, les trois "classiques" que nous présentons son extraits de documents polonais méconnus. Ces documents illustrent bien le débat européen actuel autour des "réflexions sur la cohésion sociale et le sens spirituel à donner à l'Europe" (Romano Prodi). Tel est, en effet, le programme de deux nouveaux groupes de travail de la Convention Européenne. L'un sur "le modèle européen", l'autre sur "la dimension culturelle et spirituelle de l'Europe", pour que celle-ci soit autre chose qu'une simple "construction technique".

Biographie d'Alexandra Viatteau en ligne

Textes présentés en bas de cette page: extraits des "Documents du Conseil social laïque" du Cardinal Primat de Pologne, printemps 1991; extraits d'un Document confidentiel sur une stratégie contre l'Eglise catholique, élaborée au Comité central du Parti communiste polonais en 1985; extraits du préambule de la nouvelle Constitution polonaise.

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Il apparaît soudain que de grandes et anciennes nations d'Europe Centrale et Orientale, en particulier la Pologne dont nous avons choisi de commenter des documents cités à la fin de ce texte, ont sauvegardé et développé pendant leur résistance au système communiste des vertus d'éducation et même de culture qui apparaissent soudain à l'Occident post-68 comme positives, recommandables, voire...allant de soi pour certains intellectuels laïcs de gauche eux-mêmes. Ceux-ci, parmi les plus humanistes, refusent aujourd'hui de confondre laïcité acquise en démocratie et laïcisme compromis par des pratiques encore récentes, notamment communistes, mais pas seulement communistes.

Les trois textes courts que nous présentons en fin de ce commentaire ont une chose en commun: ils sont restés ignorés des médias français, à l'exception de La Croix de l'époque, où nous avons pu les citer en 1991 et 1993. Nous les accompagnons de quelques mots de réflexion et d'extraits de textes d'actualité qui en marquent l'épilogue le plus récent.

La "réaction adulte", à l'Est et à l'Ouest de l'Union européenne

Le 6 décembre 2002, s'est tenu un colloque organisé par l'INALCO de Paris et l'Ambassade de Pologne sur le thème "La France et la Pologne au-delà des stéréotypes". L'ancien ministre polonais des Affaires étrangères, Bronislaw Geremek, a conclu la conférence sur le thème d'actualité de l'entrée de la Pologne dans l'Union européenne en 2004. "Vais-je vous parler de lait, de viande?, demanda-t-il. "Non. Posons-nous la question: qu'apporte la Pologne à l'Union européenne? - nous apportons une jeunesse bien éduquée".

Cet intellectuel "laïc de gauche" rendait ainsi hommage aux recommandations, suivies en Pologne, du Pape Jean Paul II, et à celles du Conseil laïque du cardinal Primat de Pologne. Notamment sur la nécessité de former une société d'adultes capables d'assurer la maturité et la responsabilité d'une société véritablement libre, indépendante, démocratique et ouverte. Réflexion sur la nécessité de réparer rapidement les dégâts causés par la volonté de soumission et la démoralisation de l'homme et du citoyen, ainsi que de la nation, par le système communiste soviétique collectiviste, matérialiste et athée. Et par tout autre ensemble.

Nous avons dit en entrée que la "cuculisation" peut se faire sous deux formes. Le processus d'infantilisation peut être mis au service de systèmes idéologiques et politiques différents, voire opposés. Les extrêmes se touchent. Lorsque Le Monde ("Fahrenheit 451 à Moscou", 15.1.2003) relève la volonté d'"infantilisation" des Russes d'aujourd'hui par le groupe des "Marcheurs ensemble", qu'il appelle joliment les "Putinjugend" , il établit bel et bien le parallèle entre le communisme et le nazisme. Mais, ce slogan ne nous renvoie-t-il pas aussi à des mots d'ordre bien français, pourtant démocratiques et libéraux (de gauche et de droite)?

Noël, Mundial, même "rite social" ?

A Noël 2002, Le Monde écrivait que Noël en France était devenu "un rite national", que "la photo avec le Père Noël c'est une photo symbolique de la France", et que "Mai 68 n'a pas eu raison du Noël bourgeois"! En cinq ans, de "rite social", Noël est passé au "rite national", mais toujours pas religieux. Laïcisme oblige.

En effet, la veille de Noël 1997, sur les ondes de la radio d’information continue France Info, on expliqua aux Français pourquoi il fallait continuer de faire croire au Père Noël. Parce que le concept de cadeau, et plus tard le souvenir du Père Noël, aideront l’enfant devenu adulte à " s’intégrer à l’enthousiasme collectif " ! Le cadeau doit faire comprendre la générosité gratuite. Un concept qui dépasse la compréhension... En somme, le Père Noël social remplace l’éducation morale. Celle-ci " dépasse ", selon cette radio laïque, les capacités mentales de l’homme nouveau - enfant et souvent, hélas, adulte.

L'année suivante, le 24 décembre 1998, la même radio insista sur le "formidable instrument d'intégration" qu'était Noël ...: "comme le Mundial, c'est la fête de l'enfant éternel. C'est ça, le miracle de Noël".

Les phases corporelles de l'enfance utilisées pour une infantilisation tardive et abusive

La même radio nationale avait informé à cette époque ses très nombreux auditeurs d’une découverte radicale qui venait d’être brevetée. A la suite d’un examen de laboratoire qui avait mis à jour la présence de 37 sortes d’urines différentes dans un bol collectif de cacahuètes sur le comptoir d’un bistrot parisien, un inventeur avait mis au point des toilettes publiques hermétiquement fermées. La porte de sortie ne s’ouvrait que si l’on avait préalablement ouvert le robinet et fait couler de l’eau. Sans ironie aucune, on glorifia ce procédé "génial". Il remplaçait l’éducation des parents durant l’enfance par l’éducation de la machine à l’âge adulte. On envisagea, certes, la " liberté " du consommateur de ne pas user de savon, la machine ne prévoyant que l’ouverture de l’eau. Ou encore le danger d’une panne de la porte, enfermant le malheureux " sur le pot ", bien qu’il eut fait ce qu’il fallait. Mais on ne mit pas en question l’infantilisation abusive par l’ " organisation collective " de personnes adultes et, en principe, éduquées à la propreté.

Nous demandons pardon de commencer par le commencement, c’est à dire par ces " phases " essentielles, propres aux nourrissons. Mais c’est précisément en y replongeant avec complaisance des personnes arrivées à la pudeur et à la dignité d’adultes, que nos media participent à l’infantilisation de notre civilisation.

Il s’agit d’information, y compris sur le détail des tests physiologiques sur des sportifs, sur des examens médicaux ou des fonctions naturelles intimes d'hommes et de femmes détaillés ou filmés contre tout respect esthétique dû aux citoyens. Il s'agit de campagnes publicitaires pour vendre l’image de l’enfance et l’instinct vital du " ze veux !" : désir enfantin à satisfaire absolument. Il s’agit aussi de campagnes d’éducation à la santé, par exemple à l’usage du préservatif dans le cinéma pornographique, au demeurant utile... D'autres campagnes sont heureusement faites avec tact et responsabilité. Pourtant, on ne se retient plus de rendre publics les besoins corporels et les fonctions naturelles humains, et de les reproduire par l'image.

L'"impudeur collective" comme forme d'art infantile

En juillet 2002, la chaîne de télévision Euronews, dont les goûts culturels sont spécifiques, a particulièrement loué l'initiative du musée de Santiago du Chili qui exposait un photographe spécialiste de "nus collectifs". L'art consistait à chasser une masse de gens tout nus, courant et se couchant en gigotant sur la chaussée. La jubilation infantile des modèles n'arrivait pas à faire oublier certains épisodes honteux de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Filmée de haut, la scène donnait l'impression effroyable d'un charnier, mais grouillant. L'impression s'estompait de près, mais restait le souvenir de l'humiliation imposée à la pudeur d'une partie du genre humain traitée comme du bétail.

L'impudeur "collective" actuelle n'a rien d'érotique. Certaines impudeurs, qui ont fait du bruit, sont belles - telle la publicité du parfum pour homme M7 d'Yves Saint-Laurent à la rentrée 2002 - , mais c'est parce que cet homme, cet être modèle, reste si fier de sa beauté et si innocent, mais adulte. Et parce que le photographe est un artiste et non un idéologue.

On est très loin aujourd'hui de la nudité triomphante de l'amour et de la beauté s'élevant au-dessus des laideurs du monde captif de préjugés mesquins et de systèmes de classe figés, comme de révolutions hypocrites et sanguinaires, que ridiculisait l'écrivain Witold Gombrowicz dans sa pièce "Opérette". (Cf. A.Viatteau, "Un petit air d'"Opérette", La Croix, 28.8.2000). Witold Gombrowicz, né en Pologne en 1904 est mort en France en 1969. Ce dramaturge était un fin connaisseur des "comportements stéréotypés et des pièges de la culture", nous dit le Larousse.

La "cuculisation", selon Gombrowicz

La société, notamment en France, a été soumise, au sens strict, à ce que Witold Gombrowicz appelait, au sens figuré, la "cuculisation", qu’il s’agisse d’enfants, d’adultes, d’hommes et de femmes, jeunes ou vieux, de la " masse " anonyme ou de personnalités en vedette, et même des " maîtres du monde ". A ces derniers, une  démocratie infantile ne demande pas compte de leur tenue intellectuelle et morale, de leur programme et de leur politique, mais de leur sexualité et de leur santé corporelle, ainsi que de leur capacité de communiquer, de se divertir, de rire en groupe et de faire rire - ou pleurer - la planète.

L'enfance du Président russe

Voilà pourquoi le Président russe Vladimir Poutine (2000 - ) fascine ses collègues occidentaux et leur donne envie d'en imposer. Il dit "niet" à cette tendance et garde l'ancien registre: "qu'on me haïsse pourvu qu'on me craigne". Cependant, on observe à l'orée de 2003 une stratégie médiatique convergente occidentale et même russe pour faire aussi de "Volodia" (diminutif de Vladimir introduit dans les moeurs diplomatiques par George Bush, et repris en choeur dans les médias, sinon dans les chancelleries) un dirigeant bon enfant, comme tout le monde. "Soyez tranquilles, sa vieille institutrice veille, et, quand il la retrouve, le grand homme redevient un petit garçon (obéissant, bien sur)." (Philippe Sollers, in Le Monde, 8.1.2003)

Pour séduire, l’homme politique occidental, et russe aussi, s'il veut s'intégrer, doit émouvoir, rire, même "tristement", comme "Volodia" (à cause de la Tchétchénie!...). Mais, "le Tsar est une star" - de musique pop. Un modèle pour les enfants. Seulement, la vision de l'enfance russe est tragiquement peu enfantine après un siècle de communisme, qui a rempli ses maisons de correction d'orphelins de victimes politiques et qui a condamné à mort les enfants errants et délinquants, les "bezprizornyie", au demeurant rendus redoutables et criminels par la Révolution, les massacres, la famine.

L'enfance d'un Président américain

Les choses se présentent bien autrement en Occident et aux Etats Unis. C'est plus gai. Même lorsque les choses deviennent graves. Lorsqu'il s'agit d'une décision de guerre, George Bush est tout d'abord présenté par tel commentaire comme un "enfant hyperactif qui veut tout faire tout seul sans les autres".

Notons à ce propos une intéressante réflexion sur la chaîne de télévision "i" comme "incorrect" de Jacques Gaillard, auteur de l'ouvrage "Les psychologues sont sur place". A propos des stratégies d'"assistance psychologique" généralisée, il dit: "On dépossède l'homme de son deuil, de sa mort, et de sa naissance aussi... Le deuil fait l'objet de l'intérêt collectif... Le citoyen fait son deuil, comme le bébé fait ses dents." Nous avons également traité de cette forme d'infantilisation psychologique collective il y a quelques années. (A.Viatteau, "Une nouvelle armée humanitaire" in dossier sur "Les fonctionnaires du sens" dans Catholica, n°67, printemps 2000).

Mais, revenons au boomerang populaire qui infantilise les "maîtres". L'homme d'Etat occidental peut mentir, car alors il " émeut " comme un enfant qui " transpire, la bouche crispée, très en colère "... Tel Président d’une puissance mondiale est pardonné pour ses faiblesses sexuelles, excusables, " car il est très sensible : on le voit dans son petit nez (caractère infantile) et ses joues rondes. Il a besoin d’être materné, presque dominé par les femmes. Aussi, le choix de ses partenaires est-il flagrant. Toutes ont la mâchoire ultra développée : elles ont un besoin sexuel intense. Elles sont fortes et aiment le pouvoir... sans doute plus que lui ! ", déclare une morpho-psychanalyste dans un média français réputé sérieux.

L'infantilisation des hommes par les femmes

Il faut noter que l’infantilisation des hommes est âprement pratiquée dans les media par des femmes " émancipées ", qui considèrent les frasques de leur mari ou " compagnon " (de jeux, plus que de vie), avec une ou plusieurs maîtresses, comme une sorte de mise en nourrice du " petit ". Il a besoin de plus de lait qu’elles-mêmes n’ont le temps de lui donner, sans renoncer à leur ambition, activité, voire responsabilité " sociale ".

Pour "activer" ce public féminin, voici comment la Fédération française du football l'a mobilisé à l'époque du Mundial 1998. La FFF a lancé - "engagé" - des femmes marquées au front aux couleurs de la France dans les tribunes d'un stade. Hurlantes et écumantes, ces femmes criaient aux médias qu'elles "sortiraient bien avec Barthez, parce qu'il a une tête de bébé". (!?) D'autres meuglaient: "Ah, Zizou, Zizou!" (= Zinedine Zidane). Que pouvaient en penser les millions de lycéens, essentiellement de jeunes garçons, enfants et adolescents, qui sont littéralement phagocytés par les médias audiovisuels, dont le sport, et le foot en particulier, font la fortune? Mais, c'est un autre débat.

Des hommes misogynes étaient tout heureux, car, réciproquement, une certaine infantilisation de la femme reste pratiquée par des conservateurs dans les médias. L'information et la psycho-pédagogie de la " mère de famille " y dépassent rarement les problèmes de l’enfance et du fonctionnement de son corps et de son cerveau, soumis aux complexités de la " conjugalité-parentalité ", au détriment d’autres complexités intellectuelles. C'est ainsi qu'une rédaction française nous a demandé un jour de traiter des traumatismes post fausse-couche plutôt que d'importants événements de politique internationale, "trop compliqués pour les mères de famille".

Quand on ne limite plus "l'extériorisation des impulsions primaires"

Pour accentuer l’effet " jardin d’enfants " de notre société, nos media pratiquent l’interpellation généralisée par votre prénom ou petit nom. Les mots " Madame " et " Monsieur " ont pratiquement disparu du vocabulaire courant. C'est souvent sympathique, lorsqu'il s'agit d'un choix donnant aux relations un caractère plus personnel. Mais la systématisation de l'emploi du prénom est un profond changement en France par rapport à l’époque, encore récente, où l’on s’adressait aux enfants, depuis l’école primaire, en les appelant " Mademoiselle " et " Monsieur ". Cela donnait aux enfants le sens de leur dignité et de leur responsabilité. Les limites imposées à la familiarité limitaient aussi l’ " extériorisation des impulsions primaires ". Ce qui n’était pas un mal ! Ce qui apparaît aujourd'hui comme une nécessité.

Les impulsions primaires gagnent aussi à être contrôlées chez des adultes envers les enfants, y compris leurs propres enfants. Récemment, des conseils furent donnés à la radio aux parents sur la manière de mettre leurs enfants à l’abri des pédophiles. On demandait à ces adultes de ne pas embrasser leurs enfants sur la bouche et les fesses, de ne les prendre ni dans le bain ni dans le lit conjugal. Et de ne pas "jouer tout nus au mari et femme" devant eux. Bref, il faut que les parents comprennent qu’ils n’ont plus l’âge de leurs enfants.

Alors que les adultes sont infantilisés pour être mieux influencés, " gérés " et gouvernés, ou qu’ils s’infantilisent les uns les autres, pour " être mieux ensemble ", ou pour se dominer mutuellement, les enfants - eux - sont propulsés prématurément dans les artifices et les misères de l’âge adulte . Souvent privés d’enfance vraie par de faux adultes, ils doivent faire face à l’infantilisme de leurs éducateurs, voire de leurs parents. Ils sont ainsi privés, dans les médias mêmes, de l’innocence de leur corps d’enfant et d’adolescent par des images qui les griment en petits adultes sexy avant l’âge, servant à vendre à des adultes trop mûrs une fausse image sexy d’eux-mêmes.

L'usage équivoque des enfants dans les média et la culture

En ce qui concerne l’usage d’enfants dans les media, il faut tout de même noter dernièrement une nette diminution des images, où des poses " naturelles " d’enfants et d’adolescents étaient faites pour suggérer aux plus vieux des envies de consommation " comme des enfants " et non des envies perverses d’abuser d’enfants.

La tendance de l'année 2002 était à l'apparition d'un certain sens critique chez certains intellectuels et dans certains médias. Ainsi, a-t-on pu trouver dans Le Monde une critique plus ambiguë que d'habitude d'un film tout aussi ambigu de Larry Clark, "Bully". "Cri d'alarme" ou "trouble exquis" (!) et "Regard voyeur sur la dérive adolescente"(titre de l'article de T.S. in Le Monde, 2002). Le film et l'article s'inspirent d'un crime commis entre adolescents en 1993. Ils traitent "d'adolescents décervelés engendrés par des parents sourds et aveugles à la dépravation de leur progéniture"... "Il en ressort que pas un de ces enfants n'est à même de lire un livre, de toucher à un instrument de musique, de réussir un bricolage plus compliqué que la confection d'un joint". Cependant, Le Monde met en garde contre le caractère d'alibi du film pour montrer "la jeunesse réduite à cette animalité" et du "mépris mêlé de désir qu'éprouve le cinéaste pour ses personnages". Le danger pour la sécurité a fait partiellement disparaître ce style médiatique usant des enfants. Ceci pour enrayer les ravages de la pédophilie, qui est elle-même une sorte d’infantilisme aigu et criminel.

L’infantilisme à l’origine du crime a été longtemps invoqué comme une circonstance atténuante dans une société où l’on encourageait le " retour à l’enfance et aux instincts ". Le tueur en série de Paris qui a violé, torturé et assassiné au moins sept jeunes femmes, à la fin des années 1990, a été présenté, non sans un attendrissement maladif, comme " pas tout à fait adulte ". C’est le premier système de défense. A côté de cela, des spectateurs du film " Titanic " interrogés sur les raisons de leur engouement pour les héros du film, ont répondu en majorité qu’ils les aimaient parce que... : " ils ne sont pas tout à fait adultes " !...

La "dogmatisation de la liberté d'expression" en question

Le penseur chrétien Jean-Marie Domenach a raconté comment les philosophes Louis Althusser et Michel Foucault lui avaient demandé, il y a une vingtaine d’années, de signer une pétition pour réclamer la dépénalisation des relations sexuelles entre adultes et adolescents : " Je n’ai pas signé, raconte J.-M. Domenach, et je serais heureux de savoir ce que ceux qui ont signé pensent du scandale actuel de pédophilie... Certes, ces moeurs barbares sont facilitées par ce que vous appelez justement la " dogmatisation de la liberté d’expression "... " C’est dire, tout est assimilable, consommable - la télévision le prouve, poursuivait Domenach. Il suffit d’écouter nos amuseurs professionnels : ils cherchent à faire rire de ce ricanement qui est le sous-produit du grand rire nietzchéen (" je me ris de tous les maîtres "). C’est le rire de l’homme inférieur... ". (Cf. J.M. Domenach, " Une éducation nihiliste ", Catholica, hiver 1996-97).

Nous dirions : de l’homme infantile, qui " barbote " dans le mal et la bêtise. Parce qu’il n’est pas assez adulte pour en mesurer le drame et pour brider ses instincts.

"Overdoses de 1968" et volte faces culturelles

Le " mal " et la " bêtise " sont des mots proscrits en France du vocabulaire politiquement correct, qui est en réalité, pour certains, celui de la fabrication d'un homme revenu à son instinct et à l’enfance, pour atteindre " une nouvelle intelligence du monde et une conscience libérée de la vieille morale "... D'autres tenants du politiquement correct opérent une confusion volontaire du "politiquement correct" avec le "puritanisme et la niaiserie sentimentale". En réalité, le politiquement correct français, qui suit la conjoncture politique, visait il n'y a pas longtemps à "redonner ses lettres de noblesses à la grossièreté pour contrarier le politiquement correct (adverse) confit dans l'aseptisation". Ainsi, le politiquement correct, selon le critère intellectuel dominant, tantôt poursuit une pensée unique libertaire en lutte d'influence contre l' "ordre moral". Tantôt l'inverse. En 2003, cela a quelque peu changé...

L'impératif économique suit les modes intellectuelles. Le 16 décembre 2002, on ne reconnaît plus le magazine Elle: dans un seul numéro, le programme change. Un article aborde positivement la foi catholique et les religieux qui, "A vingt ans épousent l'Eglise". D'autres témoignages invitent à un effort pour sauver, et non détruire, le couple - le sien, sinon celui des autres. Une annonce pour 2003 célèbre "le retour de l'écrit et du savoir-vivre". Pour ne pas radicalement changer, le magazine appelle tout de même ce retour "Retour du premier degré", et non de la culture. Presque en s'excusant, ce bon article argue d'une "overdose de cynisme,... overdose de la dictature du nihilisme,... overdose de la génération de 68..."! On change de politiquement correct.

Volte face contre le nihilisme et "l'ambiguïté morale"

En effet, après les attentats du 11 septembre 2001, les Américains sont les premiers à réagir au terrorisme par une réflexion sur le nihilisme. Les intellectuels français ont d'abord tendance à s'en amuser. Voir la censure frapper outre-Atlantique des titres de variétés tels "Quand mon cœur fait boum" de Charles Trenet, le "Déserteur" de Boris Vian, "Quand t'es dans le désert" de Capdevielle etc... amuse (Le Monde, 21.9.2001). Lorsque l'on débaptise le "Groupe de métal Anthrax" en "Panier rempli de chiots" (Basket full of Puppies), on rit encore, mais moins, car "maintenant, notre nom symbolise la peur, la paranoïa, la mort", dit le groupe. (Le Monde, 14-15.10.2001)

Le Salon Magazine de San Francisco a recherché aussi la responsabilité de "l'ambiguïté morale" de la culture américaine et européenne dès 1960 dans l'imprégnation intellectuelle des terroristes et de certains de leurs chefs. ("Ben Laden génie du mal issu des comics et de la BD", in Courrier international, 15-21.11.2001)

Le communisme mis en cause

Au même moment, Le Monde de Paris publia enfin une étude approfondie sur "Le surréalisme et la démoralisation de l'Occident" où apparaissait une responsabilité communiste et intellectuelle, d'artistes russes et français entre autres, dans l'horreur qui frappait, cette fois, non plus l'Est, mais le cœur de l'Ouest. (Jean Clair, in Le Monde, 22.11.2001)

Les fondements idéologiques d'une forme de la "nouvelle culture" allaient-ils être ébranlés, notamment dans la littérature, dont l’analyse frappait depuis plusieurs années, ou même décennies, par une sorte de défoulement infantile, ou infantilisant, de la part d’auteurs adultes politiquement orientés, soit par conviction personnelle, soit par une "ligne éditoriale".

Les belles lettres françaises

Nous avons choisi en cours, notamment dans une université étrangère, de mettre en pratique la formule latine: "Citer des noms est odieux" (Nomina sunt odiosa). Nous avons bien fait, car nous n'avons pas livré ainsi à la risée publique de l'auditoire des auteurs français assurément doués, et, en tout cas, édités, médiatisés et vendus. On nous a certes demandé si nous avions sélectionné des extraits de "littérature de gare", de "gags télévisés" ou de "parodies littéraires". Eh bien, non. Nous avons donc choisi d'utiliser un mélange de courts fragments de belles lettres et leurs critiques littéraires, dans le désordre, pour ne pas citer, mais rendre néanmoins le ton général de ce qu'a été une partie de notre littérature des dernières décennies.

 Il y avait une fois des filles très en colère, s’extasie un magazine:  Eructant dans une langue neuve, vomissant un monde qui n’est pas le leur... coucheries sordides, invectives ordurières... un style épileptique qui met en transe... 

Il y a quelque chose de très chrétien dans cette apocalypse éthylique... Irène n’est pas une sainte, c’est un Christ en guerre contre un monde qui dévore ses enfants...

Dans ce livre, elle a 5 ans et elle mange de la terre : l’argile me remonte dans la bouche... mes dents crissent. L’auteur parle de son père qu’elle hait, d’une mère dont elle dit maman est une merde, mais son regard est pur et transparent...

Elle retrouve les fantômes du passé : la saphique Odette, sa mère, qui se suicida, et Clotilde, sa meilleure amie, dénoncée pendant la guerre par son propre frère...

Ou encore cette orpheline qui finit par se consoler avec des frites...

Ce qu’on nous donne à voir ici, c’est la face cachée de nos propres désirs, le territoire secret d’une jouissance qui appartient à ceux qui savent lire entre les lignes du sang, de la fièvre et de l’alcool des mots...

Le narrateur est saisi entre une mère absente et un fils dont il va voler la femme...

Les femmes en changeant d’habits deviennent des hommes, et les hommes se transforment en femmes. Ainsi, un peintre français qui ravit à la jeune Félicité sa virginité, est en fait une femme, et mariée heureusement ! Ce thème a pour fonction de réagir contre la société ...

L’auteur, qui eut une éducation catholique, a fait de la religion l’un des centres de son roman... Quand elle ne se documente pas (Pompéi, le culte de Dionysos), elle jardine... et elle a alors l’impression de jouer, comme un enfant, sur un  grand corps sacré...

... Pages balafrées d'images blafardes, d'icônes maléfiques, version pop art du montage traumatique, d'un chant funèbre, poursuite burroughsienne de la pureté à travers les charniers et les décharges d'Occident. Tout l'art est là, dans le détachement clinique et la douceur bouddhique qui porte à l'abjection... Fascination pour le bandage, les poupées brisées, les jeunes filles plâtrées... C'est sa façon d'assumer nos pulsions, d'exalter la beauté des femmes...

Il y a dans le roman une contagion irrépressible de l’animalité... que le lecteur se surprend à accepter, comme une chose évidente... Son état animal et son identité de truie - dans laquelle cette femme se vautre avec un certain délice -, n’ont pas annulé en elle la capacité de s’exprimer, de réfléchir et même d’écrire... !

Etc...

En effet, ces intellectuels-enfants, revenus au stade pré-primaire de l’intelligence et du goût sont alphabétisés et lettrés.

La fascination infantile de l'animalité

Le retour à l'animalité fascine. En vain Radio Notre Dame proteste-t-elle contre un ouvrage traduit de l'anglais, dans la collection Scripto pour les 12-17 ans aux éditions Gallimard, où une petite fille est transformée en chienne. Truie, chienne..., quelle romantique image de la femme?" Une femme cannibale... On dit "bravo", et aussi "stop"", écrit enfin un magazine féminin dès 2001. En août 2002, Le Monde lui-même trouve que la "nouvelle intelligence du monde", envoyant paître la morale ancienne, va trop loin. Notamment quand, à New York, "Edward Albee joue avec ce qu'il est convenu d'appeler le seuil de tolérance de la société". Certes, "les pulsions et le sang (sont) nécessaires aussi bien à l'ordre social qu'au fonctionnement du théâtre" dans la tragédie. Mais, "L'incrédulité fait place à l'incompréhension puis à l'horreur, partagées aussi bien par le fils, homosexuel , que par l'ami de la famille obsédé par le bien de tous: "Jésus Christ (interpellation américaine courante - AV), Tu ne te rends pas compte que tu baises une chèvre!" L'affaire est d'autant moins acceptable qu'elle n'a rien d'une rurale pratique de la bestialité. La rencontre avec Sylvia (la chèvre - AV) est plus qu'un coup de foudre, elle est une expérience de l'extase, une approche du divin. Mais l'homme n'est plus qu'un animal aux yeux de son épouse". Mi-bébé, mi-bête.

La "sensibilité obtuse des sots"

Est-il donc si facile de manipuler les cerveaux humains, et d’user de vices au profit de la bêtise, dont saint Augustin disait bien qu’elle était un péché ? Dans les textes juifs le roi Salomon dit : " Les pervers se corrigent difficilement et le nombre de sots est infini ". A son tour, Saint Antoine de Padoue, en commentant cette réflexion du fils de David dans une prédication fameuse, a déclaré : " Il est difficile de corriger les pervers, car ils ne raisonnent pas et ne retrouvent pas en eux cette sensibilité de cœur que possèdent les bons. Les sots, ce sont tous ceux-là, dont le nombre est infini, qui ont une sensibilité obtuse ". Comment en douter ? Que faire lorsque ces sots usurpent des fonctions culturelles et médiatiques dites abusivement "élitistes" ?

L'enfance en danger

Nous avons donc en promotion une culture et une littérature qui abaissent l’adulte au niveau des phases psychologiques de l’enfance, et d’une enfance vicieuse, immature et obtuse de surcroît . Au contraire, l’enfant est soumis, à travers une culture et une littérature qui lui sont destinées en propre, à des pressions, à des imaginations et à des réalités qui menacent son équilibre affectif et cérébral, ainsi que sa santé. Il deviendra ainsi un adulte bon pour l’infantilisation. Y compris par les soins psychologiques. En effet, "un enfant ou adolescent sur huit souffre d'un trouble mental en France", selon une expertise de l'Inserm (Le Monde, 7.2.2003). L'Inserm s'intéresse aux "mécanismes d'apparition des troubles". Ne serait-il pas plus juste de s'intéresser aux causes réelles du mal? Et de les combattre?

En février 1998, la revue Santé Magazine a mis en garde, , contre une grave atteinte culturelle à l’esprit de l’enfant, lecteur de la littérature enfantine d’aujourd’hui. Le directeur de la rédaction, André Giovanni, écrit dans l’éditorial : " ... J’ai déjà eu l’occasion de parler d’une véritable conspiration contre l’enfance. Ce n’est pas seulement un mal français qu’il faut éradiquer, c’est une épidémie mondiale... ".

Les personnages du dernier roman de Michka Assays, "Exhibition" ont frappé la presse par ce caractère d' "inadaptés, élevés par de grands enfants; de désabusés de l'histoire se contentant de miettes de vérité dans un monde où la nouvelle croyance est la communication à outrance..." Mais pas toujours de qualité.

Des sauvageons bien réels

La confusion de leur violence intérieure avec celle de la télévision et de la réalité, a fait dire à Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur, à propos des enfants et adolescents déchaînés dans notre société, que c’étaient des " sauvageons virtuels ". Pas tout à fait. C’est une politique socio-culturelle et idéologique autant qu'économique bien réelle qui les fabrique à la chaîne. A l’image des adultes qui ont conçu et réalisé cette politique - à l’image d’une enfance perpétuelle qu’ils voulaient pour eux. Mais aussi pour infantiliser et pour diriger les autres.

Les "Jeunesses communistes" en goguette

Ces adultes-là vont si loin dans leur désir puéril de nouer des liens d’enfance avec leurs petits, qu’ils se laissent représenter à l’état d’enfant à la télévision, notamment dans l’émission " les Minikeums ", où les vedettes du grand et du demi-monde de la politique et de la culture sont des marionnettes, qui les jouent sous forme d’enfants.

A côté de cette intégration des générations (pour le moment, toutefois, on ne représente pas les mêmes personnalités en état de vieillesse !), on a introduit aussi l’intégration de groupe, comme style socialement correct. Ainsi que nous l’avons dit, on séduit par le rire. C'est donc en créant un climat de gaieté hilare et sympathique, que l’on propage parmi les jeunes téléspectateurs l’organisation communautaire. Notamment à travers les " sitcom " (situation comedies). Sitcom américaines, mais aussi françaises. A la fin des années 1990, à l’époque de la grande vogue de " Hélène et les garçons " - série télévisée aussitôt traduite et diffusée en Russie, en Pologne, etc... -, nous avons appelé cette " sitcom " le " Komsomol en goguette ". Tout comme dans les Jeunesses communistes, tout y reposait sur la vie dominée et contrôlée par le groupe, y compris le sexe, lien essentiel et facteur indispensable de nivellement des personnalités, ainsi que des intelligences (dans ces séries-là, du moins).

Ce genre de propagande socio-culturelle apparue en Occident au moment de la " transition"  de l'Europe de l’Est vers la société occidentale, et aussitôt diffusée aussi sur les ondes de l’Est, nous avait fait envisager l’entreprise de formation d’une " masse jeune politiquement et socialement correcte " à l’échelle globale. Ce n’est pas un hasard si le journal soviétique-russe la Vérité du Komsomol - c’est à dire la Vérité des Jeunesses communistes - a conservé son titre Komsomolskaia Pravda. En attendant que la réalité future lui redonne toute sa signification de " jeunesses communautaires ". Parti ou Loft, même entreprise d'enfermement collectif privilégié, soumis à la dictature de la masse.

La "séduction régressive" de l'infantilisation

De la même façon que dans la culture à consommation idéologique, l’inversion enfant/adulte se produit aussi dans la consommation économique - qui est aussi l’un des objectifs-clé de la médiatisation.

Alors que la publicité charge l’enfant, y compris le bébé, du choix de la voiture de ses parents ou de l’ultime conseil aux parents, au pied du lit conjugal, d’utiliser le préservatif (" N’oubliez-pas ! " - conjugalité sans parentalité, fornicabilité sans dangerosité, jouissabilité sans conséquabilité, selon le jargon en vigueur) . Pendant ce temps-là, l’adulte, lui, est conduit à retomber en enfance et à rechercher le " cocooning ". Commençons par ce fameux préservatif lui-même, qui est adapté au goût de l’enfance : " goût vanille, coco, fraise, menthe et chocolat ", annonce une publicité publiée dans ... Le Monde, avec un dessin ! Le plus drôle, c’est qu’une lectrice de la génération, pourtant très " libérée ", des " biquettes " de 1968, a pris le dessin pour un biberon, tant les parfums cités ne s’associaient pas dans son esprit à des activités adultes.

" Il est certain que les petits pots et les bouillies de bébé connaissent un succès croissant auprès des adultes ", dit un spécialiste du marketing chez Nestlé. Au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), on constate qu’ " en offrant de petites transgressions sans risque, ces produits donnent aux adultes l’illusion qu’ils ne sont pas prisonniers de leur classe d’âge. Du coup, les fabricants ont tout intérêt à utiliser l’enfance pour vendre des objets destinés aux adultes... Des couleurs primaires, des matériaux que l’on a envie de tripoter, de triturer, de malaxer : tels sont les ingrédients de cette séduction régressive ". (Le Point, 12.8.1997).

" Objets affectifs ", " ludo-design "... : " Ce qui interpelle les sociologues, c’est le succès de la Twingo et de la Ford KA, ces voitures de BD (bandes dessinées - AV), l’engouement pour les aspirateurs joufflus, les parfums " gourmands ", la ruée vers tout ce qui est doux et dodu comme les fesses de bébé... " (La Maison Française, 1997). " Le fauteuil Câlin s’efface sous le postérieur de son occupant ", dit une journaliste, vantant un créateur de meubles.

Ephémère, machouillable, tripotable, comme la télécommande pour l’ " homo-zappens ", enfant ramolli des temps modernes.

Les "individus d'un même troupeau"

Sur ce culte de l’éphémère et cette diversification superficielle, qui donnent l’illusion du pluralisme, la pensée unique socio-politique de convergence communo-libérale est imposée et construite aussi sous couvert d’une démarche économique . " Les enfants peuvent faire marcher le commerce aussi bien, sinon mieux, que les femmes ", dit-on à l’Institut de l’enfant, qui est une entreprise de marketing, élaborant cette politique depuis déjà 25 ans, notamment en favorisant la création des produits bancaires pour adolescents. En effet, l’argent de poche des petits Français atteint un total de 4 milliards de francs par an. Sa croissance est inversement proportionnelle au nombre de familles unies qui se préoccupent de l’éducation de ces enfants .

Le phénomène de racolage des enfants, forçant leurs parents à la consommation débridée, devient l'objet d'études économiques dans la presse mondiale: "Les marques jouent la carte de la proximité pour séduire les collégiens. De nouvelles techniques de marketing de rue sont utilisées par des entreprises, qui cherchent à faire la promotion de leurs produits auprès des adolescents, en théorie réfractaires à la publicité traditionnelle". (Le Monde, 10.9.2002)

Nous avons pu lire dans une brochure de mode, qui remonte aux années 1980: le vêtement "doit être marqué comme on faisait d'un cheptel dans les plaines du Far-West pour reconnaître les individus d'un même troupeau"...

Collectivité ou solidarité ?

Ce n’est pas seulement l’argent qui est l’objectif principal de domination, mais la formation collective des nouvelles générations. Il est bon d’exposer l’argent (qui est antipathique) à la vindicte des esprits généreux, notamment chrétiens, afin de poursuivre la collectivisation (présentée comme sympathique) sans que personne ne s’en alarme et ne proteste. Au contraire, puisque les " collectifs " sont présentés comme une force de frappe contre la puissance d’argent des " égoïstes ", on les considère comme positifs.

Or, collectivité n’est pas forcément solidarité ! Cette confusion est faite aujourd’hui dans l’Eglise même, et c’est une erreur. Parfois, l’ " intégration dans le collectif " devient même la condition d’un geste de solidarité, qui est refusé au contraire à une personne désireuse de conserver son indépendance et son quant-à-soi, tout en demandant et en offrant aide et solidarité (A.Viatteau, "Retour au personnalisme", La Croix, 14.4.1999). On a entrevu cette tragédie lors des grands froids de janvier 2003 à Paris, où des sans-abri ont parfois refusé leur "ramassage social" collectif, préférant une mort personnelle, loin de la proximité ou de l'humiliation des centres et des caméras. A Rome, en hiver 1984-1985, lorsque la neige et le gel s'étaient abattus sur la capitale italienne, toutes les églises ont simplement ouvert leurs portes et laissé sur les bancs des stocks de couvertures chaudes. Pendant des semaines, les offices religieux ont continué, d'une part, et quelques personnes dormaient, ou assistaient aux messes, d'autre part. Elles sortaient et revenaient, comme les paroissiens, qui les secouraient discrètement. Les religieux s'occupaient de les nourrir.

Consommation et propagande collectives

Revenons aux méthodes de consommation et de formation à la fois. Derrière le profit, il y a donc la propagande : " Plus qu’un espace de vente, c’est un lieu de vie que nous voulons créer ", dit-on à la direction de la FNAC (notre fameux " agitateur ", selon son propre slogan publicitaire) à propos des magasins " entièrement tournés vers l’enfant ". En réalité, c’est un mode de vie, plus encore qu’un lieu de vie, que l’on veut créer. Pour " sociabiliser " des citoyens, formés à la consommation collective correctement dirigée. La FNAC, le Club Méditerranée, Ikéa, Habitat (excellentes entreprises, d'ailleurs), etc... créent des " lieux de vie collective ", de " garde collective ", de formation et de consommation collectives pour enfants. Dans ces lieux, de plus en plus nombreux, où l’enfant est initié à l’univers collectif, " on dose les lumières ", on " diffuse des odeurs " !... On fait la même chose pour les adultes infantilisés : par exemple dans le métro parisien ou le Réseau Express Régional d'Ile de France, où des bouffées d’odeur (déodorant ou désinfectant ?) sont vaporisées aux heures de pointe.

Par le bout du nez

La science olfactive a rejoint, en effet, la science globalistique de formation collective des grands enfants que nos " maîtres " veulent former et gouverner avec bienveillance et efficacité "démocratique". C'est à dire, selon une nouvelle définition de la démocratie "non despotique". " La question importante pour le futur n’est pas de savoir si nous allons utiliser les odeurs pour changer notre comportement - cela va se produire de toute façon - mais si nous allons utiliser des produits de synthèse ou des produits naturels ", affirme un membre de la Fédération internationale des aromathérapeutes.

Il y a déjà des odeurs pour " réduire un état colérique ", " faire apparaître des vendeurs honnêtes et dignes de confiance " , " faire vivre un acte d’achat comme une expérience de plaisir ", mais aussi pour " aider à communiquer et à s’extérioriser... ". Après le regard, c’est l’odorat qui est " sollicité, harcelé, agressé ". Et caressé : les fragrances les plus prisées sont ... " vanille et cannelle, qui évoquent les sucreries, les desserts et Noël " !

Baver, gigoter, zézeyer …

Les années 1998-1999 ont vu un déferlement de publicités obéissant à la psycho-technique d'infantilisation. Citons-en à peine quelques unes:

. La publicité pour le lait fait baver, sensu stricto, en public - et en groupe - de jeunes et beaux adultes, qui ont l'air de trouver cela très agréable. La publicité a été modifiée et on ne bave plus dans la nouvelle version.

. Une eau minérale fait gigoter des bébés dans un bassin sur un air de Marilyn Monroe, ce qui excuse tout. Puis, les bébés ont été remplacés par des personnes âgées. Dans la dernière publicité, de jeunes et vieux adultes poussent une (jolie) chansonnette primitive avec une voix enfantine peu en rapport hélas avec leur apparence.

. Une marque de yoghourts présente un jeune homme endormi avec son ours en peluche dans le réfrigérateur.

. La publicité pour le chauffage électrique réduit un père de famille très zen - z'aime - à jouer dans l'eau au petit baigneur avec son canard en caoutchouc et ses propres orteils. Etc...

La tétée du client

Les psychanalystes donnent avis et conseils aux sociologues, aux politiques, aux industriels, aux commerçants. On crée un nouveau bouchon à téter: "Avec cet emballage, mou et caressant, on retrouve le plaisir de tripoter". "Ce bouchon biberon entre dans la nouvelle gestuelle de consommation visant à se libérer de gestes - téter ou sucer - autrefois tabous". " L'idée du bouchon-biberon est à la fois féminine et infantile - c'est très régressif de téter -, une tendance du moment". "On retrouve ici le plaisir de la manipulation (un plaisir quasi masturbatoire): on tète le goulot et on appuie sur la bouteille pour faire venir l'eau dans la bouche".

Dans les années 2000-2002, la tendance se poursuit avec la tendance "puéricouture" dans la mode. "Entre transgression et régression, la mode tisse la toile... cotonnades blanches et poudre rose layette donnent le ton". (Le Monde, 2.6.2001). "Ca sent quoi une maman?", demande un magazine dans une grande enquête auprès de gens en vue. Un autre annonce pour 2002 que Londres se prépare un hiver tout doux: "la tendresse du teddy-bear, la nostalgie du bibendum Michelin...".

Civilisations adultes ou infantiles

Un sujet que nous n'avons pas la compétence de traiter mérite d'être signalé. C'est l'éventuel usage de l'obsession de la sensualité, qui peut être soit pacificateur ("make love, not war") soit amollissant, livrant l'être humain à la domination d'autrui - y compris de la collectivité. Dans une étude sociologique déjà ancienne, dont nous ne possédons que la photocopie d'un chapitre isolé, intitulé "Vie privée", les sociologues L. Sedov et N. Marie écrivaient: "... les civilisations peuvent être définies comme "adultes" ou "mûres" et "adolescentes" ou "infantiles". Dans les sociétés du second type l'homme est doué d'une conscience de structure collectiviste qui l'empêche pratiquement d'avoir un "moi" appréciateur, apte à la connaissance et à la pensée: il se sent comme la parcelle d'un "nous" collectif et magique, comme le membre d'un certain consensus, ce qui ne manque pas de restreindre et même de réduire à néant la sphère de la vie privée telle que définie précédemment. La collectivité est ici l'instance appelée à s'immiscer dans toutes les situations vécues et qui, de fait, ne laisse pas à l'individu le loisir de prendre des décisions personnelles bien trempées".

On voit ici apparaître la convergence de divers systèmes politiques dans l'intérêt pour l'infantilisation des hommes. Systèmes non seulement totalitaires, mais aussi démocratiques.

En effet, le modèle enfantin et le modèle adolescentrique sont proposés/imposés pour rendre la gestion du globe plus facile, tout en rendant les hommes plus heureux. En échange de leur conscience adulte, à laquelle on accède avec douleur, bonheur et amour - conscience adulte d’hommes et de femmes créés par Dieu à son image pour être libres et indépendants, on nous propose/impose de "redonner sa place et sa fonction au cerveau reptilien, cerveau primitif qui nous aide à retrouver toutes les réactions et sensations instinctives (Solon Smith) ... qui nous conduisent au plaisir et au troisième millénaire " ... (La Maison française, Le Monde, Vogue, 1997).

Transition "reptilienne" vers un monde nouveau

Une transition qui a déjà été proposée un jour à notre mère Eve par son cerveau reptilien, et qui a fait passer l’humanité d’un tête à tête amoureux à une organisation de masse. Une organisation humaine collectivement marquée du signe de Caïn et d’Abel par Dieu en colère, mais qui ne retira jamais à l’homme et la femme la bénédiction et le privilège transcendants d’une relation personnelle d’amour avec Lui, et entre eux, au sein des multitudes du monde. Car, la civilisation judéo-chrétienne authentiquement libérale promeut si haut la conscience personnelle et religieuse - mûre et adulte - précisément pour qu’il n’y ait pas de " masse " infantile, inspirée et dominée collectivement pour le seul usage du siècle. Que ce soit par le progrès ou par l'obscurantisme. Par l'argent ou par l'idéologie. Par la discipline ou par le désordre.

Devoirs de groupe, alignement collectif ou sens moral personnel ?

Lorsqu’il sont soucieux de l’ordre, ou même du " bien commun ", le collectivisme et le globalisme fixent des règles déontologiques aux masses et aux divers secteurs d’activité des masses, selon l’utilité pragmatique de l’ensemble global. De là découle la préférence actuelle du globalisme pour la déontologie (règles et devoirs de groupe). Les manuels communistes de propagande donnaient abusivement le nom de "morale" à "l'alignement collectif". Or, l’éthique, la morale (philosophie du bien et du mal), s’apprennent, s’acquièrent et s’appliquent personnellement, même si c'est évidemment en société. La morale est une qualité élitaire, ainsi que nous l’avons déjà enseigné. (Alexandra Viatteau, " Elity w srodkach komunikowania, a kultura ", Zeszyty Prasoznawcze, nr. 1-2, 1997, Université Jagellonne de Cracovie ; " L’éthique, l’élite et la " masse " ", La Croix, 18.4.1997 ; "La mission de l'élite et des élites dans le monde ouvert", diploweb.com, déc. 2001 ).

L’élite humaine qui a libéré l'Europe de l’Est du totalitarisme collectiviste communiste, imposé par la répression et la propagande de 1945 à 1989, pour le faire transiter vers l’idéal politique personnaliste libéral occidental, se doit aujourd’hui de tenter d'empêcher l’Ouest d’amorcer une transition collective vers un globalisme, à terme menacé, lui aussi, par des aspects totalitaires, qui ont justement caractérisé l’Est.

Alexandra Viatteau

Ecrire à l'auteur : Alexandra Viatteau, cours sur la Désinformation (Journalisme européen), Université de Marne-la-Vallée, Département des Aires culturelles et politiques, Cité Descartes, 5 boulevard Descartes, Champs sur Marne, 77454, Marne-la-Vallée, Cedex 2, France.

Sommaire des Classiques de Science politique

Notes de la rédaction:

1. Ce texte est né d'un cours réalisé à l'Institut français de Presse (IFP) à Paris et au Centre polonais de presse (OBP) de l'Université Jagellonne de Cracovie (Pologne), en 1997-1998. Il a été considérablement complété et actualisé pour diploweb.com en 2003.

2. Au sujet de l'emprise communiste sur les organes officiels de la culture en France au début du XXI e siècle, lire : "La culture colonisée par la CGT", par Morvan Duhamel, in "Chronique économique, sociale et syndicale", n°122, septembre 2003, p. 1. Adresse : 25 rue de Poteau, 75018, Paris.

PS: Depuis sa mise en ligne, ce texte a été référencé par plusieurs fois, notamment par le site anglo-saxon : pressbox.co.uk , dans sa partie Education. (L'éditeur, août 2003)

Copyright 20 février 2003-Viatteau/www.diploweb.com

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Date de la mise en ligne: mars 2003

 

 

Extraits des textes choisis

   

 

 

Le 8 novembre 2002, un journaliste du Monde écrivait, non sans arrogance, que l'Eglise, "Etat dans l'Etat en Pologne, s'imaginait une œuvre messianique à l'échelle de l'Europe". Or, l'Eglise en Pologne ne s'imaginait rien du tout, et pas davantage accomplir une œuvre messianique à l'échelle de l'Europe. Elle donnait seulement à l'usage intérieur des conseils en matière d'éducation et de culture que des dirigeants et des pédagogues occidentaux, et parmi eux français, s'apprêtent à considérer aujourd'hui avec la plus vive attention à l'usage de leur propre pays. Parfois sans savoir, ou sans reconnaître, que la Pologne les a précédés.

TEXTE 1

Extraits de Documents du Conseil social laïque du Cardinal Primat de Pologne, printemps 1991.

L'un des chapitres concerne l'éducation. Remarquable en cela, écrivions-nous le 21 juin 1991 dans La Croix, qu'à la lecture, il fait songer tout autant aux récents problèmes de jeunes en France qu'à la situation en Pologne, où le modèle imposé par le communisme était fondé sur...

... "la personne soumise à l'intérêt de la société et conditionnée pour penser et agir selon sa place dans la société..., repoussant à l'arrière-plan l'importance de son identité nationale et culturelle; une personne areligieuse, renonçant à son individualité et à sa subjectivité (dignité de sujet) au profit d'une conscience de groupe".

"Les parents, physiquement et psychiquement épuisés à gagner de l'argent et à affronter le stress de la vie quotidienne... des enfants de plus en plus nombreux assistant aux conflits entre leurs parents et aux crises; de plus en plus souvent victimes de l'éclatement de la famille. Cette situation a entraîné l'accroissement du nombre d'enfants difficiles à élever et à éduquer, menacés par la pathologie sociale.

Il y eut aussi des mouvements de contestation appelant à la révolte contre la société et la culture, à la négation des normes acquises au nom de la recherche de valeurs primitives. Mais aussi des mouvements qui suivaient un programme de propagation d'antivaleurs... Le modèle qui fut imposé à une génération fut celui d'égocentriques influençables, souffrant d'immaturité émotionnelle et sociale, peu résistants à des situations difficiles, incapables de se donner ou de se limiter".

Le Conseil social catholique polonais propose alors des solutions reposant sur une base générale: le respect de la dignité et de l'unicité de l'enfant ou du jeune, motivés pour faire un effort sur soi-même et prendre la responsabilité de leur propre développement. Voici quelques recommandations particulières aux éducateurs:

"Motiver pour inviter à prendre une part active à la vie sociale, par exemple en faisant prendre conscience des perspectives positives de développement, en approfondissant la connaissance de l'histoire et de la culture, en fournissant des modèles positifs d'existence. Introduire dans les programmes d'enseignement les connaissances et les capacités indispensables à une vie créatrice dans un Etat libre, démocratique, hautement civilisé, dont on aiderait à comprendre les mécanismes réels de développement. Former chez l'enfance et la jeunesse des fondements étendus de tolérance; les protéger de l'extension du pragmatisme et du consumérisme, de la disparition de la sensibilité sociale et de besoins culturels. Créer de nouvelles possibilités d'enseignement pour les jeunes auxquels l'ancien système communiste avait imposé le modèle d'enseignement professionnel. Assurer à chaque enfant la possibilité de développement physique et psychique en prenant en compte ses possibilités individuelles (en dessous et au dessus de la norme). Motiver la jeunesse et lui apprendre à travailler sur soi-même en renforçant les tendances autodidactes et autoformatrices et en inspirant et favorisant les activités éducatives qui forment le caractère. Préparer les enfants et les jeunes à utiliser les médias de façon consciente, sélective et critique. Les protéger de la pathologie sociale en créant et en encourageant diverses formes d'organisation du temps libre et en recherchant des formes et méthodes nouvelles de prévention, plutôt que de répression. Quant à l'Eglise, sur elle repose la formation religieuse, dont dépend la maturité spirituelle d'une nation.

"L'idéal d'éducation dans notre culture, conclut le Conseil, serait celui qui, non seulement épanouirait les dons de l'homme, mais qui amènerait celui-ci à chercher la vérité et à vivre dans la vérité, à faire le bien, à se laisser guider par l'amour (y compris par l'amour social), à apprécier la liberté, à essayer d'assurer aux autres les conditions pour réaliser leurs valeurs humaines, à voir la beauté du monde, à être capable de l'apprécier et de s'en réjouir. Qui formerait enfin un homme capable de forger en soi les qualités de raison, de courage, de justice et de modération."...

TEXTE 2

Extraits d'un Document confidentiel sur une stratégie contre l'Eglise catholique, élaborée au Comité central du Parti communiste polonais en 1985. (Cf. Tadeusz Fredro-Boniecki, "Le 4ème département et l'affaire Popieluszko", éd. Critérion, 1991, Paris, pp. 213-214). Ce document était une version modernisée de l'Instruction n°NK/003 du KGB de 1947 d'URSS.

Le texte soviétique du KGB de 1947 définissait les actions destinées à "éveiller le dégout général pour l'Eglise" et à utiliser notamment la culture de masse pour créer des antagonismes irréversibles parmi les catholiques. Notons qu'à la fin de 2002, en Russie, un rapport officiel gouvernemental moscovite place toujours l'Eglise catholique romaine en première place des "organisations menaçant la sécurité de l'Etat"! (Tygodnik Powszechny, 19.1.2003). Mais, Vladimir Poutine a quand même adressé ses voeux de Noël au président de la Conférence des évêques catholiques de Russie, le Polonais Mgr. Tadeusz Kondrusiewicz, proche du Pape Jean Paul II...

En 1985, donc, les consignes du Parti communiste polonais étaient les suivantes:

" ... Délivrer des permis de construire aux sectes les plus dynamiques dans les grandes agglomérations. ... Absence dans les médias d'informations sur l'Eglise catholique romaine. ... Former une opinion publique contre l'Eglise. ... Soutenir les autres (sic) sectes par tous les moyens, y compris financiers. Proposer aux sectes une plus grande activité dans le but de détruire l'unité de l'Eglise catholique romaine. ... Purger des éléments cléricaux les rangs supérieurs du Parti, de l'Armée, de la Sécurité et autres. Appliquer de nouvelles restrictions idéologiques aux enseignants, y compris le licenciement. ... Engager massivement la jeunesse dans le sport et le tourisme à longueur d'année. ...Donner une formation idéologique intense aux enfants et à la jeunesse depuis l'école maternelle jusqu'à l'enseignement supérieur. ... Enrôler obligatoirement les étudiants dans différents types d'organisation. "

Voilà donc engagés dans cette sorte de lutte laïciste sous pression d'une gauche communiste déjà "réformiste" et convergente avec une partie de la classe politique et intellectuelle laïciste occidentale, les ministères de l'Intérieur, des Cultes, de la Défense, de l'Information et de la Communication, de la Culture, de l'Education, de la Jeunesse et des Sports, du Tourisme, de l'Equipement, de l'Economie et des Finances, etc... Toute une administration et toute une culture mobilisées contre l'influence de l'Eglise catholique! Le Pape Jean Paul II dira aux évêques polonais à Rome en janvier 1993, déjà après la chute du système communiste à Varsovie, et même à Moscou:

"Il y a une résurgence des attaques systématiques de certains milieux contre les valeurs chrétiennes. ... Les Polonais doivent faire preuve de force intérieure pour affronter la vague de démoralisation qui déferle sur eux de plusieurs parts sous l'apparence de la modernité et de la libération. L' "entrée dans l'Europe" ne peut se faire au prix du renoncement aux droits de la conscience, au nom d'une tolérance et d'un pluralisme compris de travers. Ce serait se soumettre à une nouvelle forme de captivité totalitaire, d'autant plus dangereuse qu'elle serait librement consentie." (Cité par A. Viatteau in La Croix, 7.5.1993)

Le 16 janvier 2003, une "Note doctrinale" du Pape répète l'avertissement à l'Europe tout entière: la laïcité, "autonomie de la sphère civile et politique par rapport à la sphère religieuse et ecclésiastique", est un bien, mais le "laïcisme intolérant" de ceux qui "disqualifient politiquement le christianisme" est un danger pour la dimension morale de l'Europe.

TEXTE 3

Ainsi, la Pologne a inscrit en préambule à sa Constitution, déjà très unioniste, l'invocation de Dieu (invocatio Dei). En voici le principal extrait:

"Dans le souci de l'existence et de l'avenir de notre Patrie, après avoir recouvré en 1989 (à la chute du communisme - AV) la capacité de décider souverainement et démocratiquement de Son sort, nous, Nation polonaise - tous citoyens de la République, ceux qui croient en Dieu, source de la vérité, de la justice, du bien et du beau, comme ceux qui ne partagent pas cette foi, mais ces valeurs universelles issues d'autres sources, égaux en droits et en devoirs envers le bien commun - la Pologne (...) nous promulguons la Constitution de la République Polonaise".

Le journaliste du Monde, cité plus haut, parle de "forcing désespéré" de l'Eglise en Pologne pour que la future Constitution européenne fasse référence à Dieu. En réalité, si "forcing" il y a, il vient aussi d'un groupe de grands humanistes, auquel se rangent des hommes très différents dans leur parcours. Par exemple, le philosophe et politologue Nikolaus Lobkowicz, né à Prague, citoyen américain, longtemps Recteur de l'Université de Munich, avant de revenir à Prague, cette fois comme Directeur de la Faculté de Théologie:

Le Préambule à la polonaise de la Constitution européenne, selon Nikolaus Lobkowicz, serait "une chance pour l'Europe. Il lui assurerait la prise en compte de ce que l'on nomme la conscience et garantirait aux citoyens européens qu'ils seraient toujours traités autrement que des singes sans pelage". (Tygodnik Powszechny, 29.12.2002) A l'époque des manipulations génétiques, mais également psychologiques, des cruautés d'un autre âge, comme de celles usant du progrès, Dieu serait, en effet dans l'espace et dans le temps, une protection pour l'Homme.

C'est en ce sens que l'intervention de Bronislaw Geremek, sur des leçons que la Pologne pourrait aussi donner à la France, nous a incitée à revenir sur la question clé, culturelle et politique, de la formation d'adulte et de la déformation infantile de l'Homme européen en devenir. Préoccupé par ce même problème, Geremek a rédigé une étude approfondie et très précise sur "La religion dans le monde de la politique" en Europe (Tygodnik Powszechny, 5.2.2003). L'ancien ministre des Affaires étrangères de la Pologne rappelle indirectement au Président de la France, principal adversaire de l'invocation de Dieu dans la Constitution européenne, que "même Voltaire a écrit que la civilisation européenne est par nature chrétienne". Or, sur ce point, le Président Chirac - une fois n'est pas coutume - s'aligne sur les exigences de la très influente et puissante National Secular Society de Grande Bretagne, autant que sur la volonté des laïcistes français. Ethiques, philosophiques, politiques, stratégiques, économiques, les choix actuels demandent autant de courage que d'intelligence, de préférence mis en commun par des adultes responsables.

Alexandra Viatteau

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Proposer un Classique: Alexandra Viatteau, cours sur la Désinformation (Journalisme européen), Université de Marne-la-Vallée, Département des Aires culturelles et politiques, Cité Descartes, 5 boulevard Descartes, Champs sur Marne, 77454, Marne-la-Vallée, Cedex 2, France.

   

 

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