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Hong Kong : 5 ans après la rétrocession à la Chine, quel bilan ?

par Paul Charon

 

L'auteur explique les raisons et les conditions du retour de Hong Kong à la République Populaire de Chine, communiste. Il fait un bilan nuancé des cinq premières années de la rétrocession et incite à une plus grande vigilance face à l'érosion rampante des libertés.
Biographie de l'auteur en bas de page

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1. D’une colonisation forcée à une rétrocession négociée

La colonisation de Hong Kong par les Britanniques s’est faite en plusieurs étapes. L’île de Hong Kong - Xianggang en mandarin, c’est à dire le port parfumé - est rattachée à la couronne britannique en 1843 à l’issue de la Première Guerre de l’opium qui oppose la dynastie des Qing (Mandchous) aux troupes britanniques qui souhaitent ouvrir à leur production d’opium des Indes l’immense marché chinois - déjà à l’époque !

L’occupation de la presqu’île de Kowloon - Jiu long en mandarin, ce qui signifie neuf dragons - située face à l’île proprement dite de Hong Kong est le résultat de la Seconde Guerre de l’opium en 1860. Les Britanniques ont alors en effet besoin d’une " profondeur territoriale " afin d’assurer la sécurité de l’espace portuaire de Hong Kong.

Les nouveaux territoires quant à eux sont acquis par la Grande Bretagne en 1898. La couronne profite alors de la faiblesse de la Chine, défaite par l’armée japonaise.

La fin du bail

Alors que l’île de Hong Kong et Kowloon sont cédés à " vie " la souveraineté britannique sur les nouveaux territoires repose sur un bail emphytéotique de 99 ans venant donc à expiration le 30 juin 1997. C’est cette situation très particulière de Hong Kong qui conduit Londres à accepter de négocier la rétrocession de la totalité de la colonie qui est annoncée par la déclaration commune de 1984 entre la République Populaire de Chine et la Grande Bretagne.

En effet, le développement de Hong Kong s’est au XXe siècle progressivement appuyé sur tout le territoire, les flux d’immigration chinoise se multipliant au gré des désordres internes. Si bien que la survie même de la colonie est devenue impensable sans les Nouveaux Territoires. Aussi le terme du bail se faisant proche, deux solutions s’offrent à la Grande Bretagne : tenter de prolonger le bail d’une manière ou d’une autre ou bien accepter la rétrocession de la totalité du territoire. C’est bien sûr la deuxième solution qui s’impose, Londres ne pouvant se permettre ni de mener une guerre contre la Chine - celle-ci n’est pas l’Argentine - ni de fermer son très convoité marché aux entreprises britanniques.

Compromis

Les négociations sont difficiles, les britanniques voulant contraindre la Chine à garantir certains droits et la démocratie, les Chinois refusant de considérer la rétrocession comme un transfert de souveraineté. Finalement la déclaration commune est le résultat de compromis consentis par les deux pays.

L’article 1 de la déclaration commune énonce ainsi : " Le gouvernement de la RPC déclare que… il a décidé de reprendre l’exercice de sa souveraineté sur Hong Kong à partir du 1er juillet 1997. " (1)

Il ne s’agit donc pas d’un transfert de souveraineté, la Chine ne faisant que recouvrer l’exercice de celle-ci qui ne lui aurait jamais échappé. En contrepartie la Chine s’engage à faire de Hong Kong une " Région Administrative Spéciale " avec " un haut degré d’autonomie ", celle-ci repose sur le principe " un pays, deux systèmes " faisant de Hong Kong et du continent les parties d’un même pays. Ainsi, le système capitaliste peut-il - et même doit-il, afin d’enrichir la Chine - continuer d’exister à Hong Kong pendant 50 ans. Tandis que le continent est mené sur la voie du " socialisme de marché ".

Quant à la démocratie l’annexe 1 de la déclaration commune prévoit : "La législature de Hong Kong sera constituée par voie d’élections. " (2) Cependant aucune date n’est fixée quant à l’entrée en vigueur de ces élections. Enfin ces engagements sont formalisés dans une Loi fondamentale (Basic Law ou Jibenfa en mandarin) .

Après Tian An Men

Si le contenu de la déclaration commune est plutôt bien accepté par les hongkongais, la situation se dégrade après la répression des manifestations de la place Tian An Men en juin 1989 et la publication de la loi fondamentale en avril 1990. En effet, celle-ci revient sur un certain nombre de points prévus dans la déclaration commune et ne comporte pas assez de garanties. Dès lors s’ensuit une inquiétude croissante de la population qui émigre en masse à l’étranger - Grande Bretagne et Canada notamment- et une tension quasi permanente entre les autorités chinoises et le nouveau gouverneur Christopher Patten.

Ces conflits sont favorisés par le profil de Patten qui n’est ni sinologue, ni sinisant. Il s'agit davantage d'un politique que d’un diplomate. Certainement animé par la volonté de marquer Hong Kong de son empreinte Patten interprète de façon extensive la déclaration commune de 1984 en estimant que celle-ci l’autorise à instaurer la démocratie sans attendre 1997. C’est ainsi qu’en 1995 les élections des 60 membres du Legco (legislative council) sont légèrement démocratisées. 20 membres sont élus directement au sein des circonscriptions géographiques, 10 par un comité électoral et 30 par des collèges socio-professionnels.

En réaction, le Congrès populaire national chinois nomme une " commission préparatoire " de 150 personnes, celle-ci prend alors la décision que le Legco sera remplacé dès le 1er juillet 1997 par un Conseil dont les membres seront tous désignés par Pékin. La Commission élit Tung Chee Hwa, un riche homme d’affaires hongkongais proche de Pékin, à la tête de l’exécutif (exco, c’est à dire executive council).

Alors que tout le monde retient son souffle lors de la rétrocession le 1er juillet, redoutant chaque geste de Pékin et de son "pantin" Tung Chee hwa, aucune action n’est engagée tendant à provoquer l’inquiétude des hongkongais et surtout du monde dont les yeux sont braqués sur le confetti qu’est Hong Kong. La transition se fait donc en douceur, l’attention internationale s’estompant progressivement, la vie des citoyens de Hong Kong reprenant son chemin. Mais qu’en est-il 5 ans après le retour de Hong Kong dans le giron chinois ?

2. Une démocratisation progressive mais relative des institutions

La question peut être ramenée à deux points : la démocratie a-t-elle été instaurée comme la Chine s’y est engagée ou au moins les avancées des dernières années sous domination britannique ont-elles été préservées ? Les libertés tant individuelles que collectives sont-elles respectées ? Il ne s’agit pas ici bien sûr de faire une étude exhaustive mais simplement de donner des pistes de réflexion sur un sujet qui semble bien peu préoccuper les médias français.

Concernant la démocratie tout d’abord, certaines avancées sont indéniables. Comme on l’a vu dans la première partie ci-dessus les députés du Legco - Legislative council - ne sont pas tous élus de la même façon. Concernant les députés élus directement dans les circonscriptions géographiques leur nombre est passé de 20 à 24 pour les élections de 2000, ce qui est un progrès faible certes mais un progrès tout de même. En revanche, on peut noter que la base électorale des 30 députés élus au sein des collèges socio-professionnels a été réduite de façon importante puisqu’elle passe de 2 millions à 200 000. Enfin il subsiste encore 6 députés élus par un comité électoral composé de 800 membres.

Toutefois des engagements ont été pris par le Gouvernement afin que les élections de 2004 voient la suppression des députés élus par le comité électoral et que les circonscriptions géographiques élisent 30 membres. La démocratie représentative semble donc s’installer progressivement à Hong Kong et les craintes que l’on pouvait avoir quant à une hypothétique tentative de Pékin pour l’enrayer peuvent être écartées; du moins en apparence…

Rappel des réalités

En effet, si l’on se penche sur le fonctionnement des institutions et sur leurs pouvoirs réels on se rend compte que le Legco seul organe à ce jour représentatif de la population n’a que peu de possibilités pour peser sur les choix politiques du Gouvernement.

Il faut rappeler en effet que l’ensemble des pouvoirs sont concentrés entre les mains du Chef de l’exécutif, Tung Chee-hwa et des hauts fonctionnaires. Le Chef de l’exécutif est élu par un Comité électoral de 800 membres dont la composition est surveillée par Pékin.

Si les élections de 2002 qui doivent décider du successeur de Tung prévoient d’ajouter aux 800 membres du Comité les députés du Legco, le suffrage universel tant demandé par la population n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour.

Le Chef de l’exécutif dispose seul de l’initiative des lois, par ailleurs il ne peut être destitué et dispose de la possibilité de dissoudre le Legco.

Enfin, l’Exco - Executive Council - qui est en quelque sorte le Gouvernement ne dispose d’aucun réel moyen de pression sur le Chef de l’exécutif puisque ce dernier n’a que l’obligation de les consulter pour légiférer sans être tenu par cette consultation.

Cependant, on peut noter à titre de faiblesse que le Chef de l’exécutif ne contrôle pas totalement les hauts fonctionnaires qui jouent un rôle important dans l’élaboration des lois. En outre, n'étant pas élu au suffrage universel, le Chef de l'exécutif n’est pas soutenu par un parti politique ou par une coalition. Ce qui peut poser problème dans des périodes difficiles face aux députés du Legco (3) .

Malgré la dominance du Chef de l’exécutif, les députés ne sont pas démunis et l’on peut même dire que leur pouvoir s’est accru. En effet, depuis la rétrocession le Legco a vu le pouvoir des Commissions parlementaires prendre de l’importance, les actions ont été plus fortes et plus ciblées. Les députés se sont spécialisés et ont ainsi amélioré leurs actions. Cette mobilisation plus efficace des députés a permis par exemple de déposer une motion de censure contre Rosanna Wong, membre de l’Exco, et d’obtenir ainsi sa démission.

Voir une carte de la Chine

L'effritement du parti démocrate

D’autres évolutions, parfois inquiétantes, doivent pourtant être notées. Après que la rétrocession eut été accomplie de nombreux observateurs ont annoncé une montée en puissance du parti démocrate –DP-, dirigé par l’avocat Martin Lee, défenseur des libertés. Pourtant les élections du Legco de l’année 2000 ont laissé apparaître un effritement de sa position et une progression de son rival la DAB -Democratic Alliance for the Betterment of Hong-Kong-. Comment expliquer ce phénomène ?

En fait, il  apparaît que la DAB contrairement au DP a su saisir les exigences de la population qui se sont progressivement éloignées des préoccupations du Parti démocrate. La population n’a plus peur aujourd’hui de Pékin, tous les sondages donnent des indices de satisfaction très favorables à Jiang Zemin et Zhu Rongji - respectivement président et 1er ministre chinois - qui n’interfèrent pas dans les affaires de la RAS.

Aussi lorsque le DP organise sa campagne autour du danger que représente la RPC, il n’est plus en phase avec l’électorat. La population aujourd’hui s’inquiète de problèmes plus concrets comme le chômage, le coût de la vie ou encore la santé. Et non pas de la viabilité du programme " un pays, deux systèmes " dans lequel ils ont maintenant toute confiance.

Une confusion à éviter

Ce phénomène nous prouve s’il le fallait encore que les situations de Hong-Kong et de Taiwan ne sont pas identiques. Il faut se rappeler en effet que le programme " un pays, deux systèmes " a été élaboré à l’origine à l’intention de Taiwan et que son succès à Hong-Kong est considéré par la Chine comme une nécessité pour prouver à Taiwan sa bonne foi. Cependant, les Taiwanais à la différence des Hongkongais ne se sentent pas Chinois dans leur grande majorité. Hong-Kong dans son histoire n’a jamais vraiment coupé les ponts avec le continent que ce soit physiquement ou par l’afflux d’immigrés permanents, tandis que Taiwan par son histoire spécifique, notamment la colonisation japonaise, et par sa séparation physique d’avec le continent a développé une identité particulière qui peut rendre le slogan " un pays, deux systèmes " inopérant et inadapté (4).

Si la majorité des Hongkongais ne voit plus la Chine comme un danger, c’est parce que celle-ci semble ne pas se mêler de la vie politique du territoire. La population continue donc d’exiger la démocratisation complète des institutions par l’instauration notamment du suffrage universel pour l’élection du Chef de l’exécutif.

3. Une érosion rampante des libertés

A la lecture des quelques lignes précédentes, on pourrait conclure que la Chine respecte dans l’ensemble ses engagements et que la démocratie s’installe définitivement à Hong-Kong.

Pourtant, certains événements laissent penser que rien n’est acquis. De façon détournée, la Chine consume les libertés politiques et individuelles des habitants. Bien sûr, il ne s’agit pas d’événements dramatiques qui pourraient attirer l’attention de la " communauté internationale " et effrayer les investisseurs à Hong-Kong tout en donnant des arguments aux Taiwanais qui refusent le rapprochement.

Pressions

Il semble en effet que les Chinois grignotent progressivement les libertés et éliminent les opposants les plus farouches. On peut remarquer tout d’abord le changement d’attitude de la presse hongkongaise qui est peu à peu devenue plus souple vis-à-vis de Pékin. Ce dernier n’intervient pas forcément pour forcer les rédactions à adopter un profil bas mais l’intérêt que représente le marché chinois suffit bien souvent à convaincre les directions de se soumettre et d’éconduire les journalistes récalcitrants.

On peut aussi citer à titre d’exemple l’intervention de Jiang Zemin et Zhu Rongji pour demander à Anson Chan, chief secretary du gouvernement, de mieux soutenir Tung avec qui elle avait des divergences de point de vue. Quel étonnement quelques temps plus tard lorsque Anson Chan annonça sa démission (5) alors que tous les sondages exprimaient le désir de la population de la voir succéder au poste de Tung. Pékin a certainement fait pression pour qu’elle démissionne car sa vision trop démocratique de la politique ne convenait pas.

Que penser encore de la colère de Jiang Zemin et de la remontrance faite à certains journalistes Hongkongais jugeant les questions politiques trop insolentes allant même jusqu’à des menaces à peine voilées. Peut-on vraiment être rassuré ?

Une marge de manoeuvre fragile

Une autre démonstration de la volonté chinoise de réduire l’autonomie du territoire peut se lire dans l’application de la Loi fondamentale concernant le droit pénal. En 1998, l’affaire Big Spender a été l’occasion pour la Chine de faire une interprétation restrictive de la Loi fondamentale régissant la séparation des compétences entre RPC et RAS. Big Spender est le surnom du chef d’un gang qui était coupable entre autres d’enlèvement et de meurtre (6). Alors que les crimes dont ce gang s’était rendu coupable avait eu lieu à Hong-Kong et que criminels et victimes étaient Hongkongais, la justice chinoise qui avait arrêté les membres du gang s’est déclarée compétente. Elle a jugé l’affaire et exécuté les condamnés. Jamais la RPC n’a accepté d’entendre les arguments de la défense établissant la compétence des tribunaux hongkongais.

La question n’est pas ici de traiter de la légitimité d’une telle action ou de l’argumentation juridique qui a été fournie, mais simplement de montrer que dans les faits l’application de la Loi fondamentale est difficile et que la Chine n’a pas l’intention de laisser trop de marge de manœuvre à la RAS et à ses habitants. N’importe quel citoyen hongkongais peut donc se voir jugé en Chine pour des faits commis sur le territoire de Hong-Kong, alors que l’échelle des condamnations y est beaucoup plus sévère. Quel crédit dans ce cas accordé à la loi fondamentale en terme de protection des citoyens si la Chine peut à loisir interpréter ses dispositions ?

Paul Charon

Manuscrit clos en septembre 2001

NDLR : A lire "Chine, Hong Kong, Taïwan. Une nouvelle géographie de l'Asie", par J.-J. Boillot et N. Michelon, coll. Les études de la Documentation française, série Economie, 152 p. , septembre 2001.

Voir aussi "Hongkong maussade après cinq années de souveraineté chinoise", signé de Frédéric Bobin et Ilaria Maria Sala, in "Le Monde", 29 juin 2002, p.2.

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Notes :

1. Slinn Peter, " aspects juridiques du retour à la Chine de Hong Kong ", AFDI, 1996.

2. Slinn Peter, op. Cit.

3. Le problème du chef de l’exécutif réside dans le fait qu’il détient deux casquettes, un peu comme les maires français, celle de chef de la Région Administrative Spéciale (fonction administrative qui implique impartialité et soumission à Pékin) et celle de chef du Gouvernement (fonction politique qui exige soutien partisan et d’apporter des réponses aux demandes de la population).

4. Voir Paul Charon, " Entre passé et avenir, les élections présidentielles 2000 à Taiwan ", mémoire de DEA, 1999-2000.

5. Dépêche AFP, 15 janvier 2001.

6. Kam C. Wong, " Portée juridique d’un " crime transfrontalier " ", Perspectives chinoises, n°51, janvier-février 1999.

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  Date de la mise en ligne : février 2002
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Biographie de Paul Charon

   
    Paul Charon est titulaire du DEA de science politique de l’Université Panthéon-Assas Paris II et étudie le chinois à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales.    
         

 

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