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www.diploweb.com Géopolitique du réchauffement climatique

Les migrations climatiques générées par la hausse inégale du niveau de la mer.

Perspectives géopolitiques. 

Par le capitaine de frégate Jérôme Origny

(France, Marine, CID, 13e promotion)

Le danger est réel. Sous l’effet du réchauffement climatique, de nombreux Etats insulaires connaîtront le destin de l’Atlantide et seront engloutis si nous ne prenons garde. Certains sont déjà condamnés.  A l’horizon 2100,  près de 200 millions êtres humains seraient susceptibles de déménager. Parmi ceux-ci, près d’un million de personnes seront amenées à trouver refuge dans un pays différent de leur terre natale. 

Il s’agit d’anticiper pour diminuer autant que faire se peut les tensions inéluctables lors des mouvements de migration. Avec une politique internationale judicieuse et intelligente, le problème peut être appréhendé avec circonspection et efficacité. Il est également essentiel de légiférer sur le statut des réfugiés climatiques. Le réfugié climatique n’est aujourd’hui pas reconnu. Il est pourtant persécuté par les éléments naturels « excités » par une utilisation abusive des ressources de notre Terre.  Et, sans statut, pas de salut.

Ce mémoire de géopolitique a été réalisé au CID dans le cadre du séminaire démographie placé sous la direction du recteur Gérard-François Dumont.

Biographie de l'auteur en bas de page.

Mots clés - Key words: Les migrations climatiques générées par la hausse inégale du niveau de la mer. Perspectives géopolitiques. Par le capitaine de frégate Jérôme Origny (France, Marine, CID, 13e promotion) Mémoire de géopolitique réalisé dans le cadre du séminaire démographie placé sous la direction du recteur Gérard-François Dumont

 Sommaire

1. LA HAUSSE DU NIVEAU DE LA MER. Le GIEC une structure sérieuse qui fait référence. L’hétérogénéité de la hausse. Les causes principales. La hausse moyenne au cours des prochaines décennies.

2. LES POPULATIONS CONCERNÉES. Les données générales. Les côtes continentales. Des villes menacées. Les Etats insulaires. En France.  

3. DES ADAPTATIONS NÉCESSAIRES. Les différentes adaptations possibles. Le statut des réfugiés climatiques. Les premières actions entreprises. Perspectives géopolitiques des migrations.

Bibliographie.

 

« La Terre ne nous appartient pas, nous l’empruntons à nos enfants ». Saint-Exupéry.

INTRODUCTION

Notre Terre se réchauffe ! Les tempêtes sont plus fréquentes ! Ces leitmotiv sont aujourd’hui répétés à l’envi. Il n’est pas une seule personne qui n’ait quelque exemple illustratif. Chez moi, à proximité de Hyères dans le Var, la presqu’île de Giens ne doit son statut de presqu’île qu’aux engins de chantier qui n’ont de cesse de renforcer et d’élever les dunes qui feront front aux vagues violentes de la mer Méditerranée générées par un mistral assidu.  

La hausse des températures et du niveau des océans n’est plus une hypothèse. C’est un fait tangible. Les populations prennent petit à petit conscience de ce fléau. Car c’est d’un fléau dont il s’agit. Le réchauffement de la planète aura de nombreuses conséquences sur nos modes de vie ; et il emmènera dans sa suite une cohorte de catastrophes de tout acabit : sécheresses, inondations, bouleversement de la biodiversité et des cultures, maladies, etc. Les nations occidentales, parmi les plus nanties de cette planète, ne sont pas exonérées des catastrophes hydrométéorologiques. Le cas de la Louisiane en 2005 a été singulier à cet égard : le cyclone « Katrina » a frappé l’un des plus riches pays de cette planète. Il faut noter que près de la moitié de la population mondiale vit dans les zones côtières. Car, au-delà des raisons historiques, les littoraux représentent souvent des régions d’un intérêt fondamental : tourisme, échange commerciaux, pêche, entre autres, en profitent. 

C’est au cours de la première conférence mondiale sur le climat en 1979 que les scientifiques ont pris conscience de la « transition » climatique. Ce qui n’était qu’une hypothèse dans les années 1980 est devenu une certitude à la fin du 20ème siècle. Sous l’égide de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), une Convention Cadre a été rédigée. Elle a permis d’établir les structures pour une étude internationale et sérieuse du climat et des conséquences de son évolution.  

D’aucuns se posent la question : est-ce que l’Homme est responsable ? On pourrait disserter pendant des heures sur ce sujet sans jamais rien résoudre. En revanche, que la présence des gaz à effet de serre soit la raison principale du dérèglement climatique de notre planète, c’est une certitude. Et effectivement l’homme a une responsabilité dans la présence de gaz à effet de serre. Mais il apparaît vain de déterminer cette part de responsabilité. Il nous revient avant tout maintenant de déterminer avec précision les sources des gaz à effet de serre pour les traiter, recouvrer un équilibre et diminuer de facto les risques sur les populations. Cela prendra assurément du temps. Des dizaines d’années. Voire des siècles. C’est l’objectif des conventions et protocoles qui aujourd’hui ponctuent l’actualité. 

Ainsi du protocole de Kyoto[i], premier protocole fixant des échéances et des quotas. Il est né pour limiter les rejets de gaz à effet de serre au premier rang desquels se trouve le dioxyde de carbone (CO2). Cependant, ce premier protocole n’est pas la panacée. Il devra être suivi par d’autres accords après 2012, échéance principale de cette première étape. Par ailleurs, tous les pays doivent se sentir concernés. Parmi les pays qui imitent l’autruche quand elle est effrayée, parce que d’autres intérêts l’animent, on trouve le plus grand pollueur : les Etats-Unis. Quand bien même on réduirait aujourd’hui de façon drastique les émissions de gaz à effet de serre, l’inertie de la hausse des températures et du niveau des océans est telle qu’il nous faut maintenant composer avec ces avatars pendant les prochains lustres. C’est pourquoi cette étude ne cherche pas à exposer des solutions pour supprimer les raisons. Certains l’ont déjà fait. D’autres étudient les solutions possibles. Et la récente session au mois de septembre 2005 de la conférence des Nations unies sur le changement climatique à Montréal a permis de confirmer la menace et d’établir un échéancier pour non seulement se préparer et se prémunir mais aussi pour trouver des solutions qui permettront d’infléchir la tendance dans quelques dizaines d’années. 

Nous allons étudier ici les conséquences de la hausse du niveau de la mer, fille de la hausse générale des températures. L’objet de ce rapport est de déterminer les populations qui seront concernées par la hausse du niveau de la mer au cours du 21ème siècle. En particulier les populations qui seront amenées à déménager pour trouver des rivages et des terres moins hostiles. Cependant, au cours de l’Histoire, nous avons observé que les migrations de populations n’étaient pas sans conséquences sur l’équilibre géopolitique.  

Il m’a semblé délicat de m’engager dans cette réflexion sans, au préalable, établir un point de situation de la hausse du niveau de la mer et des raisons inhérentes. Dans une deuxième partie, en partant des études et des rapports menés au sein des structures établies par les Nations unies, nous allons tenter d’établir une liste des populations qui seront concernées au premier chef par le phénomène de la hausse du niveau de la mer au cours du 21ème siècle. Dans une troisième et dernière partie, nous étudierons les différentes possibilités d’adaptation et les perspectives géopolitiques de ces populations. Parce que la protection par des digues sera difficile, principalement en raison de son coût démesuré, l’unique solution pour ces populations sera souvent le retrait : un déplacement vers l’intérieur des terres ; parfois une migration vers d’autres Etats. Cela sous-entend des perspectives géopolitiques non dénuées de caractère. Et il faudra composer avec ces immigrés d’une « catégorie » nouvelle : les immigrés climatiques. 

 

PREMIÈRE PARTIE : LA HAUSSE DU NIVEAU DE LA MER

Nous allons établir maintenant une synthèse des conclusions des études du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (le GIEC[ii]), la référence dans ce domaine.

 

1.1. Le GIEC une structure sérieuse qui fait référence 

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a été créé en 1988 conjointement par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Cet aréopage d’experts a pour fonction :

. d’évaluer les informations disponibles portant sur la science, les incidences et les aspects économiques des changements climatiques, ainsi que les possibilités d’adaptation aux changements climatiques et les moyens d’atténuer leurs effets ;

. de fournir, sur demande, des conseils scientifiques, techniques et socio-économiques à la conférence des Parties à la Convention-Cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). 

Cette coopération implique plusieurs centaines d’experts de toutes les nationalités (plus de 170 nationalités représentées), de toutes les spécialités (climatologues, géographes, démographes, physiciens, géologues, etc.), et de tous les âges. Qualités qui constituent des gages d’indépendance et d’impartialité. Les experts qui travaillent pour le GIEC le font bénévolement. Le dernier rapport complet d’évaluation sur le changement climatique a été établi par le GIEC et validé en assemblée plénière en 2001.  

Ce groupe travaille ainsi au profit de la communauté internationale selon la Convention-Cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) signée en 1992 à Rio de Janeiro, et entrée en vigueur en 1994. Depuis, des réunions de la conférence des parties ont lieu régulièrement pour légiférer et prendre des mesures de précaution. Ainsi du protocole de Kyoto signé en 1997 et entré en vigueur en 2005 qui fixe des limites de rejets en gaz carbonique à l’horizon 2012. 

C’est donc essentiellement sur les rapports du GIEC que je m’appuierai. Certes quelques voix discordantes se font entendre ici ou là. Il faut noter en particulier celle d’un Danois, Bjorn Lomborg, professeur de statistiques au Danemark, dont le livre est devenu aujourd’hui un best-seller : « L’écologiste sceptique[iii] ». L’auteur consacre 60 pages à la critique des conclusions des rapports du GIEC. C’est un ouvrage bien construit et s’appuyant sur des statistiques, le domaine de prédilection de l’auteur. Si les journalistes ont été séduits par la thèse de M. Lomborg, parce qu’elle fait naître la polémique, les scientifiques ont montré que les extrapolations et les interpolations des statistiques étaient souvent hasardeuses parce que fondées sur des inexactitudes et des approximations rapides. Cet ouvrage est un monument de raisonnements fallacieux. Il ne suffit pas d’être professeur de statistique pour « posséder » le sujet. Il est essentiel de développer un large spectre de connaissances appartenant à des disciplines très variées, dont seul peut être capable aujourd’hui un aréopage de scientifiques tel que le GIEC.  

En France deux organismes font référence et se partagent le suivi du phénomène : l’Observatoire national des effets du réchauffement climatique (ONERC[iv]) et la Mission interministérielle de l’effet de serre (MIES[v]). L’ONERC a été créé en 2001 pour communiquer sur les conséquences de l’évolution du climat, et pour offrir au gouvernement, aux élus et aux collectivités, acteurs français du développement, les moyens d’élaboration d’une véritable politique de prévention et d’adaptation. La MIES, quant à elle, est placée sous l’autorité du ministre de l’écologie et du développement durable. La mission est chargée de coordonner et d’organiser, en concertation avec les associations et les partenaires économiques et sociaux, le travail de préparation et de mise en œuvre du programme national d’action contre le changement climatique. Elle participe aux travaux communautaires conduits dans ce domaine et prépare les positions françaises dans le cadre des négociations internationales concernant le changement climatique, pour lesquelles elle est chef de délégation en dehors des sessions ministérielles. 

 

1.2. L’hétérogénéité de la hausse du niveau de la mer (Eustatisme[vi]). 

Alors que depuis 2000 ans le niveau de la mer a peu varié, observations effectuées à partir de carotages, les mesures marégraphiques nous montrent que, à l’échelle de l’homme moderne, l’élévation du niveau des océans a débuté de façon significative au cours du 20ème siècle. Ce n’est que depuis une quinzaine d’années que l’on peut cependant observer avec précision et de façon globale cette hausse grâce aux satellites altimétriques : Topex-Poséidon lancé en 1992 et Jason-1 en orbite depuis 2001.  

Cette élévation est tangible. Les marégraphes nous donnaient une valeur moyenne de près de 2mm par an au cours du 20ème siècle. Les satellites nous offrent aujourd’hui une valeur moyenne de plus de 3mm par an. Gardons nous cependant de conclure que cette hausse s’est accélérée même si cela ne peut être exclu comme le suggèrent certains spécialistes. En effet, les marégraphes ne fournissent que des échantillons ponctuels tant leur distribution reste peu homogène : celle-ci privilégie l’hémisphère nord, et les marégraphes se sont développés en premier lieu près des côtes. Il faut noter enfin que les marégraphes ne donnent que des valeurs relatives puisque, par essence, ils restent liés aux mouvements des plaques terrestres dont ils sont solidaires. 

Une des principales informations que nous apportent les mesures des satellites d’observation, en comparaison de celles des marégraphes, est que la hausse est très hétérogène d’un point de vue géographique. La carte mondiale des variations régionales de vitesse de variation du niveau de la mer pour 1993-2005, d’après les mesures de Topex-Poséidon, conduit à constater la grande variabilité géographique des vitesses. [NDLR : Carte non reproduite pour des raisons de droits d’auteur. Consulter Mme Cazenave, Les variations actuelles du niveau de la mer : observations et causes,  2005 ]. A cause de leur distribution très limitée, les observations marégraphiques n’avaient pas permis de mettre en évidence une telle variabilité régionale et il était souvent admis jusqu’ici que la mer s'élevait uniformément. Avec l’altimétrie précise des satellites, et leur couverture globale, nous avons maintenant la preuve que ce n’est pas le cas.  

Dans certaines régions la vitesse d’élévation du niveau de la mer au cours de la dernière décennie a atteint 10 fois la hausse moyenne globale : par exemple dans le Pacifique ouest et l’océan Austral. Dans d’autres régions, comme le Pacifique est et l’ouest de l’océan Indien, le niveau s'est au contraire abaissé sur cette période d’une douzaine d’années.  

En outre, si l’hétérogénéité de l’eustatisme dans l’espace géographique est évidente à la lumière de ces études, les variations restent également variables dans le temps. Des phénomènes comme l’oscillation El Nino[vii] viennent perturber en effet l’évolution moyenne et régionale de la hausse du niveau de la mer.  

Etablir une liste exhaustive des régions mondiales touchées par une hausse du niveau des océans est donc une gageure. C’est pourquoi aucun organisme scientifique n’a réussi à finaliser ce travail pour le moment tant la difficulté est énorme : chaque fois projeter une variation régionale, en intégrant les différentes oscillations locales et les particularismes géographiques. Je n’ai donc pas la prétention de combler cette lacune. Cependant, après quelques discussions avec les scientifiques qui m’ont apporté une aide précieuse, en utilisant une échéance lointaine, la fin du 21ème siècle, il semble possible de faire fi des variations régionales de périodes plus courtes. L’échéance de cette étude (une centaine d’années) se superpose ainsi à toutes les autres variations temporelles et régionales de périodes inférieures.  

Une élévation moyenne sur les 100 prochaines années semble donc constituer une valeur intéressante quelle que soit la région considérée. Je ne donnerai cependant pas de date précise. Je me contenterai de déterminer les régions et les populations qui seront concernées tôt ou tard par l’élévation du niveau de l’eau à  l’horizon 2100.

 

1.3. Les causes principales de la hausse du niveau moyen de la mer

Le niveau de la mer sur le littoral est déterminé par de nombreux facteurs de l’environnement global qui entre en jeu à des échelles de temps fort diverses, allant de quelques heures (pour les marées par exemple) à des millions d’années (la modification du volume des bassins sous l’effet des mouvements tectoniques).

Sur des échelles de temps allant de l’année à quelques décennies, les causes des variations du niveau de la mer résultent essentiellement de deux facteurs :

. les variations du volume des océans, produites par des variations de température et de salinité de la mer,

. les variations de la masse d’eau contenue dans l’océan résultant principalement d’échanges avec les réservoirs continentaux, les glaciers de montagne et les calottes polaires (les inlandsis du Groenland et de l’Antarctique[viii]).

Ces deux facteurs sont donc profondément liés à l’élévation des températures. La dilatation thermique des océans liée au réchauffement de la mer est responsable des deux tiers de l’élévation actuelle du niveau de la mer, le dernier tiers résultant de la fonte des glaces. Il faut noter au passage que la grande variabilité régionale de l’eustatisme, développée au paragraphe précédent, résulte principalement du premier facteur dont le stimulus (la variation des températures des océans) reste inégalement distribué.

C’est donc la concentration des gaz à effet de serre qui agit indirectement sur le niveau de la mer en réchauffant notre planète. « Chauffée » par le rayonnement du soleil, la Terre émet, entre autres, un rayonnement infrarouge pour conserver son équilibre thermique. Les gaz à effet de serre restant fortement opaques aux infrarouges, la chaleur reste piégée près du sol, dans les premières couches de l’atmosphère. Et plus ces gaz sont abondants, plus la température augmente. S’ils sont essentiels à la vie en réchauffant suffisamment notre planète, ces gaz n’en demeurent pas moins des « pompes à chaleur » dont le thermostat reste délicat à manœuvrer. Et si l’on ne veut pas vivre dans une étuve, il est grand temps de s’intéresser à son mode d’emploi. Le principal gaz à effet de serre est le dioxyde de carbone (CO2). Il est relâché dans l’atmosphère principalement par les usines, le chauffage domestique et les moyens de transport que nous utilisons à profusion chaque jour. En un mot, tout ce qui brûle du combustible. 

Si les concentrations de gaz à effet de serre se stabilisaient (même à leurs niveaux actuels), le niveau de la mer continuerait néanmoins de monter pendant plusieurs siècles. En effet dans les fonds océaniques, la température ne varie que très lentement. La dilatation thermique, principal facteur de l’élévation, se poursuivra donc pendant plusieurs siècles quelles que soient les mesures d’atténuation entreprises.  

 

1.4. La hausse moyenne du niveau de la mer au cours des prochaines décennies

Des estimations théoriques sont régulièrement proposées par les climatologues sur la base de différents scénarii d’élévation de la température moyenne du globe en réponse à l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre.

Les résultats des scénarii diffèrent selon que l’on intègre ou non les paramètres suivants : évolution démographique, développement social et économique, évolution technologique, utilisation des ressources et gestion de la pollution, etc. Le GIEC a ainsi développé plusieurs séries de scénarii : en 1992 et en 1998. J’ai utilisé ici ceux de 1992, appelés IS92. Moins nombreux que les scénarii IS98, qui intègrent des paramètres sur les politiques environnementales éventuelles, ils sont suffisamment représentatifs pour être utilisés ici.

Les projections pour l’élévation moyenne mondiale du niveau de la mer pour la fin du 21ème siècle se situent dans une fourchette de 0,11 à 0,88m. Cette fourchette reflète l’incertitude systématique propre à la modélisation et aux scénarios envisagés. Communément, on admet qu’il est probable que le niveau de la mer s’élève en moyenne d’un demi-mètre à l’horizon 2100, c’est-à-dire en moyenne de 5mm par an.

Ce faisant, dans la mesure où nous l’avons dit la hausse moyenne du niveau de la mer semble une valeur repère (cf. § 1.2.), nous utiliserons une élévation de 50 cm pour l’horizon 2100. Selon les derniers entretiens avec quelques scientifiques travaillant sur la mise à jour des valeurs moyennes, il semble que la fourchette des scénarii soit quelque peu revue à la baisse (de quelques centimètres). Il n’est malheureusement pas possible pour le moment d’avoir accès à des informations officielles du GIEC permettant d’ajuster la valeur moyenne. Quoiqu’il en soit nous utiliserons la valeur moyenne des informations officielles actuellement en notre possession, soit 50 cm.

 

DEUXIÈME PARTIE : LES POPULATIONS CONCERNÉES PAR L’ÉLÉVATION DU NIVEAU DE LA MER

Nous allons tenter d’établir ici une liste des populations concernées par la hausse du niveau de la mer au cours du 21ème siècle. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous nous efforcerons d’établir une liste la plus complète possible. Dans la mesure où les perspectives géopolitiques seront différentes, il paraît judicieux de diviser en deux catégories les populations touchées par la hausse du niveau de la mer à l’horizon 2100 : les pays côtiers et les archipels. Dans le premier cas, les Etats considérés possèdent souvent des terres permettant l’accueil des réfugiés ou les moyens de construire des protections face à la menace ; dans le second, il ressort que de nombreux Etats archipélagiques ne sont pas en mesure de faire face à une élévation trop brutale de l’eustatisme et qu’ils sont voués à une disparition inévitable. Les populations concernées seront alors dans l’obligation de trouver asile dans d’autres pays. 

 Nous débuterons par des données générales afin de fixer les idées sur l’acuité du fléau. Par la suite nous étudierons successivement les côtes continentales, les grandes mégalopoles, et les Etats archipélagiques soumis à des logiques différentes. Un chapitre particulier sera consacré à la France métropolitaine et à ses pays d’outre-mer.

 

2.1. Quelques données générales

De nombreux pays sont confrontés aux problèmes créés par l’élévation du niveau de la mer, ainsi que par la recrudescence et l’intensité des tempêtes. On estime à près de 50 millions de personnes vivant sur des terres qui risquent d’ores et déjà chaque année d’être inondées (comme en Louisiane en 2005) par une onde de tempête. Si la mer devait s’élever de 50 cm, ce chiffre pourrait passer à près de 100 millions. Et c’est sans compter les populations mises en demeure de migrer devant le risque de submersion définitive.

Aujourd’hui 450 millions d’habitants habitent à moins de 5 km des côtes. 320 millions d’habitants habitent à moins de 5 m d’élévation par rapport au niveau de la mer. (Cf. Nicholls R., Small C., Improved estimates of coastal population and exposure to hazard released, www.survas.mdx.ac.uk, 2002.)

Deux études, qui ont pour ambition de dresser une liste exhaustive des pays et des populations menacés par la hausse du niveau de la mer, ainsi que des impacts inhérents, peuvent être citées. Elles sont actuellement en cours de développement. Il s’agit des projets DINAS-COAST et SURVAS.  

Le projet DINAS-COAST[ix] (Dynamic and INteractive ASessment of National, Régional and Global Vulnerability) est toujours en cours d’élaboration. Le but de ce programme est de produire un outil dynamique et interactif permettant de fournir aux décideurs des indicateurs sur la vulnérabilité des côtes et des données générales sur les politiques d’adaptation de plus de 180 pays. C’est un outil complexe et long à mettre en place car il s’appuie sur des algorithmes et des modèles en cours de développement et issus de nombreuses disciplines universitaires. 

Le projet SURVAS[x] a été développé pour fournir une base de données sur les impacts issus des conclusions des différentes études scientifiques régionales en ce qui concerne l’élévation du niveau de la mer. En regroupant ainsi l’ensemble des données recueillies, il offre aux décideurs un outil exhaustif sur les vulnérabilités  potentielles des pays concernés. Il est cependant actuellement toujours en cours de développement et il semble encore très incomplet ; le principal contributeur de cette étude, qui n’est autre que Robert J. Nicholls dont les études alimentent sans cesse les rapports du GIEC, a en effet quitté le groupe de travail pour des raisons personnelles. Pourtant R. J. Nicholls est un des principaux consultants et experts du GIEC pour les migrations climatiques.  

Outre les rapports de Robert J Nicholls, ce sont les travaux de Norman Myers que j’ai repris et qui ont contribué principalement à l’architecture de ce second chapitre. Ces travaux réalisent une synthèse de plus de 2000 études nationales ou régionales sur les impacts de l’élévation du niveau de la mer. J’ai bénéficié également d’études présentes sur quelques sites Internet : entre autres Climate Research[xi], World Resource Institute[xii], et bien évidemment celui du GIEC. 

Selon leurs études, les chiffres globaux suivants sont avancés :

. selon R.J. Nicholls, en 2080, ce sont près de 200 millions d’êtres humains qui seront déplacés par l’élévation du niveau de la mer ;

. Norman Myers évalue en 2050 à 150 millions le nombre de migrants potentiels ; cela représente de l’ordre de 1,5% de la population mondiale. 

 

2.2. Les côtes continentales

On pourrait citer tous les pays côtiers dans ce paragraphe dans la mesure où l’élévation moyenne du niveau de la mer devrait à tout le moins éroder la totalité des littoraux. Mais cette érosion sera très inégale dans la mesure où les côtes possèdent des caractéristiques variées. Les impacts de l’élévation moyenne du niveau de la mer seront donc très variables. Ne figurent finalement dans les tableaux que les pays qui seront concernés de façon significative par cette élévation du niveau de la mer. Je précise que cette liste n’a pas la prétention d’être exhaustive puisqu’elle est par essence issue d’un choix arbitraire : ne détailler que les pays pour lesquelles les populations touchées sont d’un volume significatif, critère qualitatif s’il en est.

 

2.2.1. L’Afrique 

Plusieurs zones côtières africaines, dont beaucoup subissent déjà les effets de la pression démographique et d’une utilisation inconséquente des terres, souffriront d’une élévation du niveau de la mer consécutive à l’évolution du climat.

La côte des pays d’Afrique centrale et occidentale (Sénégal, Gambie, Sierra Leone, Nigeria, Bénin, Togo, Cameroun, Gabon et Angola notamment) comportent des lagunes basses sensibles à l’érosion qui pourrait donc pâtir de cette élévation, d’autant que de grandes villes en expansion rapide y sont implantées. De plus, la façade Ouest est fréquemment secouée par des ondes de tempête. La façade Est entre Mozambique et le Tanzanie comporte des mangroves. Le Mozambique pourrait être concerné de façon significative et en particulier la côte sud près de la capitale, même si cette côte bénéficie de conditions calmes la majeure partie de l’année.

Du côté de la Méditerranée, un certain nombre d’études montrent qu’une partie assez importante de la section nord du delta du Nil disparaîtrait sous l’effet des inondations et de l’érosion, entraînant la perte de terres agricoles et de zone urbaines (en particulier autour d’Alexandrie), et la migration d’une partie de la population.

Au total 10 millions de personnes environ devraient être menacées par l’élévation du niveau de la mer. Liste des principaux pays menacés en Afrique, * source INED, institut national d’études démographiques (www.ined.fr)

Pays

menacés

Superficie totale*

(en km²)

Population en 2005*

(en million)

Population prévue en 2025*

(en million)

Superficie concernée par l’eustatisme (en % / superficie totale)

Nombre et % population concernée par l’eustatisme / population en 2025

Egypte

1 003 000

74

101

0,2 %

4 millions/4 %

Sénégal

197 000

11,7

17

nc

nc

Gambie

11 000

1,6

2,6

nc

nc

Côte d’Ivoire

323 000

18,2

25

nc

nc

Bénin

113 000

8,4

14

nc

nc

Nigeria

925 000

131

190

nc

nc

Cameroun

476 000

16,4

22

nc

nc

Mozambique

803 000

19,4

28

nc

nc

 

2.2.2. L’Amérique latine

On peut craindre la disparition d’une partie des terres littorales et l’ingression d’eau salée dans les basses côtes et les estuaires des pays de l’isthme centraméricain, du Venezuela, de l’Argentine et de l’Uruguay.

C’est surtout dans les deltas que l’élévation du niveau de la mer devrait être sensible. En empêchant le déversement des fleuves et des cours d’eau des basses plaines dans l’océan, l’élévation du niveau de la mer pourrait accentuer les risques d’inondations dans les bassins  hydrographiques, en particulier dans la pampa argentine. Les populations qui vivent dans les bidonvilles à proximité des mégalopoles sont menacées lorsque ceux-ci sont établis dans des zones sujettes aux inondations, comme à proximité de Buenos Aires.

Au total 10 millions de personnes pourraient être menacées par l’élévation du niveau de la mer. Voici la liste des principaux pays menacés en Amérique latine, * source INED, institut national d’études démographiques (www.ined.fr).

       Pays

menacés

Superficie totale*

(en km²)

Population en 2005*

(en million)

Population prévue en 2025*

(en million)

Superficie concernée par l’eustatisme (en % / superficie totale)

Nombre et % population concernée par l’eustatisme / population en 2025

Mexique

1 960 000

107

129

nc

nc

Guatemala

109 000

12,7

20

nc

nc

Salvador

21 000

6,9

9

nc

nc

Nicaragua

130 000

5,8

8

nc

nc

Costa Rica

51 000

4,3

5,6

nc

nc

Panama

76 000

3,2

4,2

nc

nc

Venezuela

913 000

26,7

35

nc

nc

Guyana

215 000

0,75

0,70

nc

nc

Uruguay

178 000

3,4

3,8

nc

nc

Argentine

2 784 000

38,6

46

nc

nc

  

2.2.3. L’Amérique du Nord 

Depuis des milliers d’années, le niveau de la mer s’élève le long de la plus grande partie de la côte Est des Etats-Unis. Une élévation de 50 centimètres, due à l’évolution du climat pourrait provoquer l’inondation de près de 20 000 km² de terres fermes. La Louisiane a subit les affres des inondations en raison de la rupture de quelques digues sous l’intensité du cyclone Katrina. D’autres régions de la côte Est et Sud pourraient connaître dans un proche avenir le même sort lors du passage d’un cyclone. Les autorités américaines doivent donc rester vigilantes. 

Cependant, les Etats-Unis ont les moyens techniques et financiers pour construire les digues nécessaires à la protection de la population face à l’élévation du niveau de la mer. Dans de nombreux endroits, les terres humides et les plages des estuaires risquent ainsi d’être « coincées » entre la montée des eaux et les brise-lames dressés pour protéger les établissements humains. 

Si les protections restent en place en dépit de l’intensité et la recrudescence des cyclones, aucune population ne devrait plus être menacée.  * source INED, institut national d’études démographiques (www.ined.fr)

       Pays

menacés

Superficie totale*

(en km²)

Population en 2005*

(en million)

Population prévue en 2025*

(en million)

Superficie concernée par l’eustatisme (en % / superficie totale)

Nombre et % population concernée par l’eustatisme / population en 2025

Etats-Unis

9 640 000

296,5

349

0,2 %

0

 

2.2.4. L’Asie et l’Océanie

Ce sera assurément la région de la Terre la plus touchée, principalement parce que la densité de la population y est élevée, et parce que la croissance démographique se fait de façon désordonnée et sans respect de l’environnement. Les plaines côtières densément peuplées et exploitées, les îles et les deltas sont particulièrement vulnérables face à l’érosion et au recul des terres, aux inondations fluviales et maritimes, ainsi qu’à la remontée de la ligne de séparation eau salée/eau douce.  

Les zones les plus menacées sont donc les grandes régions des deltas du Bangladesh (delta du Gange et du Brahmapoutre), du Myanmar, du Viêt-Nam et de la Thaïlande, ainsi que les basses terres de l’Indonésie, des Philippines et de la Malaisie. Les répercussions socio-économiques pourraient frapper alors les grandes villes qui sont nombreuses le long des rivages. Le littoral japonais dans son ensemble, sur lequel est implanté la moitié de l’infrastructure industrielle, sera également menacé.  

En Océanie, les communautés du pourtour du détroit de Torres seraient concernées. Les établissements et les équipements d’infrastructure en rapide expansion sur ces littoraux seraient touchés par une élévation du niveau de l’eau et par la recrudescence et l’intensité des ondes de tempête. 

Ce sont donc 180 millions de personnes environ qui devraient être menacées par l’élévation du niveau de la mer sur ces rivages les plus peuplés de la planète. Voici la liste des principaux pays menacés en Asie, * source INED, institut national d’études démographiques (www.ined.fr)   

Pays

menacés

Superficie totale*

(en km²)

Population en 2005*

(en million)

Population prévue en 2025*

(en million)

Superficie concernée par l’eustatisme (en % / superficie totale)

Nombre et % population concernée par l’eustatisme / population en 2025

Pakistan

797 000

162

228

nc

nc

Inde

3 291 000

1 103

1 363

nc

60 millions/5%

Bangladesh

144 000

144

190

7 %

26 millions/14%

Myanmar

677 000

50,5

59

nc

nc

Thaïlande

514 000

65

70

nc

nc

Malaisie

330 000

26,1

36

nc

nc

Viêt-Nam

332 000

83,3

103

nc

nc

Cambodge

181 000

13,3

19

nc

nc

Indonésie

1 907 000

222

275

nc

nc

Philippines

300 000

85

116

nc

nc

Chine

9 584 000

1 303

1 476

nc

72 millions/5%

Japon

378 000

128

121

nc

nc

Papouasie

463 000

5,9

8

nc

nc

 

2.2.5. En Europe 

Comme l’Amérique septentrionale, l’Europe a les moyens financiers de se prémunir de l’élévation du niveau de la mer par la construction de protections. C’est le cas au Pays-Bas où des séries de digues permettent à une majorité de Néerlandais[xiii] de vivre sous le niveau de la mer. Certains deltas de la mer Méditerranée, comme le delta du Pô dans la partie nord de la mer Adriatique[xiv], subiront des impacts. 

Les autres secteurs à risques comprennent le littoral allemand et les pays du pourtour de la mer Baltique où, la dernière décennie, la variation de la hausse a été la plus forte. Cependant les impacts sur les populations restent pour le moment faibles. Sans rupture de digues, aucune population significative ne devrait en conséquence être ici inondée au cours du 21ème siècle, * source INED, institut national d’études démographiques (www.ined.fr). 

Pays

menacés

Superficie totale*

(en km²)

Population en 2005*

(en million)

Population prévue en 2025*

(en million)

Superficie concernée par l’eustatisme (en % / superficie totale)

Nombre et % population concernée par l’eustatisme / population en 2025

Pays-Bas

41 000

16,3

17

nc

0

Italie

302 000

58,7

58

nc

0

 

2.3. Des villes menacées

De nombreuses mégalopoles[xv] sont situées près des côtes et seront concernées tôt ou tard par l’élévation du niveau de la mer ou par les phénomènes extrêmes à l’instar du cyclone « Katrina » qui a ravagé les côtes de la Louisiane et la Nouvelle Orléans.

Si nous n’examinons ici que les mégalopoles de plus de 8 millions d’habitants, 17 d’entre elles sont situées sur des rivages océaniques ou maritimes, ou encore le long d’un delta donnant accès à la mer ou à l’océan. Dans le tableau suivant, les villes les plus menacées par l’élévation du niveau de la mer sont surlignées en jaune, * incluant l’ensemble de l’agglomération ; source Klein, Nicholls, Thomalla, The resilience of coastal megacities to weather-related  hazards, 2002; ** source Cité des sciences (www.cité-sciences.fr). 

Ville

Pays

Population

en 2000*

(en millions)

Population prévue en 2025**

(en millions)

Observations

Tokyo

Japon

26

29

 

Mombay

Inde

18

26

Ville en très forte progression

Sao Paulo

Brésil

18

20

Villes côtières dont la majeure partie située à 800m d’alt

New York

Etats-Unis

17

18

 

Lagos

Nigéria

13

25

Ville en très forte progression

Calcutta

Inde

13

17

 

Shanghai

Chine

13

18

 

Los Angeles

Etats-Unis

13

14

 

Dhaka

Bangladesh

12

20

A l’intérieur du territoire mais située sur le delta du Gange et du Brahmapoutre.

Karachi

Pakistan

12

19

Ville en très forte progression

Buenos Aires

Argentine

12

14

 

Djakarta

Indonésie

11

14

 

Manille

Philippines

11

15

 

La Caire

Egypte

11

14

 

Osaka

Japon

11

11

 

Riode Janeiro

Brésil

10

12

 

Istanbul

Turquie

9

12

 

 

Les risques de submersion de ces villes seront également exacerbés par le phénomène de subsidence. En effet, la plupart observent un affaissement dû à l’exploitation des sols et en particulier des nappes phréatiques. Parfois ce phénomène peut être rapide et atteindre 1 mètre par décennie.  A titre d’exemple, il est actuellement de 10 cm par an dans certaines grandes villes de Chine. En revanche au Japon, ce phénomène, étudié et compris il y a de nombreuses années, a pu être stoppé par une politique intelligente de gestion des sols. Sans cet effort, les villes sont donc particulièrement menacées. Outre la hausse moyenne du niveau de la mer, il faut en effet ajouter le taux de subsidence qui est loin d’être négligeable et qui est parfois supérieur en valeur absolue à celui de  l’eustatisme.  

Par simplification, nous n’avons examiné ici que les mégalopoles de plus de 8 millions d’habitants (en 2000). Or les zones urbanisées sont nombreuses le long des rivages, sources de richesses et de bénéfices. Ce sont des centaines de millions de personnes qui sont « urbanisées » à quelques mètres de la mer. Les enjeux sont donc considérables. Les impacts seraient en effet sans commune mesure avec les dégâts envisagés dans les zones rurales. L’économie serait ébranlée ; et ce sont des millions d’hommes qui seraient sans abri. Une politique d’adaptation doit être entreprise dans toutes les grandes villes côtières afin de commencer par la réduction de la subsidence moyennant quelque politique urbaine adroite.

 

2.4. Les Etats insulaires

Disséminés sur tous les océans, les Etats insulaires sont nombreux. Parmi eux, se trouvent des archipels dont les sommets ne dépassent pas quelques mètres au dessus du niveau de l’eau. Ces pays sont donc fortement menacés par une élévation du niveau de l’eau. Celle-ci est en mesure de faire disparaître définitivement certains archipels.

Certes ces Etats, répartis sur tous les océans, ne constituent pas un groupe homogène. Mais ils partagent des caractéristiques communes quant à leur vulnérabilité face à l’eustatisme :

. des îles de petite taille,

. des ressources naturelles réduites,

. une vulnérabilité exacerbée face aux événements extrêmes,

. un isolement relatif,

. des économies fragiles,

. des infrastructures aux qualités incertaines.

Ces caractéristiques limitent ainsi leurs capacités à s’adapter à la transition climatique et à l’élévation du niveau de la mer. Ce sont ces pays qui seront les premiers touchés par ce fléau. Et le plus durement. 

D’autant que les récifs coralliens, à la pédogenèse singulière et qui représentent une grande majorité des archipels cités supra, sont particulièrement sensibles aux changements affectant le climat, la fréquence et l’intensité des ondes de tempête. Les coraux croissent normalement suffisamment vite pour s’adapter à l’élévation du niveau de la mer si la vitesse de celui-ci reste dans des valeurs raisonnables. Une vitesse supérieure à 5 mm par an serait catastrophique pour les atolls ; les coraux n’ayant plus le temps nécessaire pour se régénérer et se calcifier, permettant ainsi de « suivre » l’élévation du niveau de l’eau. Et encore cela ne vaut que pour des coraux en bonne santé. Or, le réchauffement de la température de l’eau et la pollution ont une influence très négative sur la santé des différentes espèces de coraux. Le « blanchiment[xvi] » des coraux est alors inéluctable et le taux de calcification perturbé ; 80 % des coraux dans le monde sont estimés moribonds par les spécialistes.  

Par ailleurs, la transition climatique observée par ces pays peut être exacerbée par des phénomènes régionaux. L’oscillation El Nino est devenue aujourd’hui célèbre, encore que son caractère régional soit un euphémisme ; elle a en effet une influence avérée sur l’ensemble de la météorologie et de l’océanographie mondiales. Dans l’océan Pacifique, les phénomènes extrêmes sont plus fréquents lors de la résurgence de cette onde qui possède une période irrégulière de 2 à 7 ans. Les effets sont donc plus rapides. 

Aujourd’hui compte tenu des vitesses d’élévation projetées par les spécialistes du GIEC, de nombreuses îles vont donc disparaître. Le tableau suivant établit la liste des principaux Etats insulaires menacés par l’élévation du niveau de la mer (en jaune les pays les plus menacés). Alors que ces pays ne contribuent que pour 0,4% des émissions de gaz à effet de serre. Ce sont donc près d’un million d’habitants qui seront touchés au premier chef par l’élévation du niveau de la mer. * source INED, institut national d’études démographiques (www.ined.fr) et ministère des affaires étrangères.** principalement en ce qui concerne les îles basses et les atolls.

Pays

menacés

Superficie totale*

(en km²)

Population en 2005*

 

Population prévue en 2025*

(en millions)

Superficie concernée par l’eustatisme (en % / superficie totale)

Nombre et % population concernée par l’eustatisme / population en 2025

Océan Pacifique

 

 

 

 

 

Iles Salomon

29 000

470 000

700 000

nc

Impact faible

Vanuatu

12 000

220 000

300 000

nc

Impact faible

Nauru

21

12 000

nc

nc

nc

Niue (N. Z.)

260

8 000

nc

nc

nc

Micronésie

700

110 000

120 000

nc

Impact faible

Marshall

200

60 000

80 000

100 %

80 000 / 100 %

Kiribati

811

96 000

nc

nc

Impact fort

Fidji

18 000

840 000

940 000

nc

Impact modéré**

Tuvalu

26

11 000

nc

100 %

11 000 / 100 %

Tonga

748

110 000

nc

nc

Impact modéré**

Samoa occ.

300

190 000

190 000

nc

nc

Iles Cook (N. Z.)

240

15 000

nc

nc

nc

Guam (E.U.)

600

170 000

210 000

nc

nc

Océan Atlantique

 

 

 

 

 

Anguilla (G.B.)

91

12 400

nc

nc

Impact faible

Antigua et Barbuda

400

80 000

90 000

nc

Impact faible

Iles Vierge

300

110 000

110 000

nc

Impact faible

Bahamas

14 000

320 000

400 000

nc

Impact fort >90 %

Océan Indien

 

 

 

 

 

Maldives

300

290 000

400 000

100 %

400 000 / 100 %

Seychelles

500

80 000

90 000

nc

Impact faible

Maurice

2 000

1 200 000

1 400 000

nc

Impact faible

Comores

2 200

670 000

1 100 000

nc

Impact faible

 

2.5. En France

De nombreuses régions côtières, notamment celles situées dans les département et territoires d’outre-mer, sont déjà confrontées à des phénomènes de submersion, à l’accélération de l’érosion des côtes, à l’intrusion d’eau de mer dans les nappes d’eau douce. Localement, les effets du changement climatique ne sont encore perceptibles par les populations locales qu’à l’occasion d’événements extrêmes comme les tempêtes ou les dépressions tropicales. Il faudra cependant être vigilant sur l’évolution de la situation en Polynésie et tout particulièrement dans l’archipel des Tuamotu constitués principalement d’atolls à fleur d’eau.

 

2.5.1 En France métropolitaine

Une étude détaillée[xvii] à été entreprise en France métropolitaine à partir de l’observation de 10 sites pilotes. Il s’agissait dans un premier temps de faire une analyse prévisionnelle du trait de côtes d’ici à la fin du 21ème siècle en intégrant une élévation moyenne de 44 cm et un affaissement géologique notoire de la France de l’ordre de quelques centimètres.

Ce sont les grandes tempêtes qui font aujourd’hui évoluer les rivages marins en provoquant de fortes érosions ou des submersions étendues. L’élévation du niveau de la mer ainsi que la fréquence accrue et l’intensité plus grande des tempêtes auront pour effet d’accélérer l’érosion et d’étendre les submersions des côtes. 

L’étude montre que les effets de l’érosion comme ceux de la submersion semblent devoir être limités sur l’ensemble du patrimoine actuel du conservatoire du littoral (à l’horizon 2100) : 2 000 hectares seront concernés par l’érosion, et 36 000 hectares par la submersion. Cela reste des chiffres limités en regard de la superficie de la France : de l’ordre de 0,07%. 

En termes de population, les impacts restent donc très limités. De l’ordre de quelques centaines de personnes habitant principalement dans les estuaires ou les deltas. Les habitants de l’estuaire de la Loire et de la Camargue sont concernés en particulier.

 

2.5.2 Dans la France d’outre-mer 

En France, ce sont les espaces d’outre-mer qui seront les plus exposés. Les études sur les territoires et département français d’outre-mer (DOM TOM) restent limitées, une des difficultés étant de localiser des équipes de recherche ayant une expérience et des compétences dans le domaine du climat et de l’océanographie. Un premier recensement a cependant été effectué par l’ONERC. Le constat est clair : aucune étude complète sur les conséquences de l’élévation du niveau de la mer dans les DOM TOM n’a encore été réalisée. Les développements qui suivent sont issus de l’application des principes utilisés par des études sur des pays voisins, aux caractéristiques similaires.  

Si on ne s’intéresse qu’aux migrations potentielles de population, on peut d’ores et déjà écarter Saint Pierre et Miquelon, la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion, et la Nouvelle Calédonie, îles aux altitudes moyennes élevées et aux reliefs tourmentés. Elles seront certes concernées par le réchauffement climatique à plus d’un titre. Cependant, les déménagements de familles dus à l’accroissement de l’érosion ou à l’élévation du niveau de la mer existent mais resteront limités et de faible amplitude ; les autochtones trouvant rapidement à se loger à quelques kilomètres du foyer initial. 

En Guyane française, la mangrove couvre l’essentiel du littoral où se trouve la plus grande partie des 150 000 habitants. Les côtes sont soumises à un système dynamique particulier de dispersion des boues amazoniennes. Environ 280 millions de m3 de sédiments fins en provenance de l’Amazone migrent annuellement le long des côtes sous forme de bancs de vase. Ceci détermine en chaque point du littoral, une alternance de phases d’accrétion (arrivée du banc) et d’érosion selon un cycle d’une trentaine d’années, avec des variations saisonnières amplifiant (saison sèche) ou atténuant (saison des pluies) ces phénomènes. La grande instabilité du littoral se répercute sur les peuplements de mangroves qui selon la  période, vont coloniser les nouveaux bancs de vase ou subir l’érosion de la houle. Cela en fait un atout pour ce département et il semble que les zones urbaines seront préservées de l’élévation du niveau de l’eau par l’apport régulier d’alluvions le long des côtes guyanaises. 

C’est en Polynésie française que la menace est la plus prégnante. La Polynésie regroupe près de 20% des atolls coralliens au monde, la plupart se trouvant dans l’archipel des Tuamotu : 85 des 425 atolls que compte la planète. Beaucoup sont habités. 14 000 polynésiens habitent l’archipel des Tuamotu. Avec l’accélération de la hausse du niveau de la mer, la calcification du corail, qui a permis d’adapter jusqu’ici le niveau du sol au niveau de la mer, ne pourra plus suivre. Les atolls sont donc maintenant condamnés à plus ou moins long terme. Cela représente près de 7% de Polynésiens qui devront trouver des terrains d’accueil sur les îles hautes de l’archipel des Marquises ou celui des îles de la Société.  

L’élévation du niveau de la mer menacera également les îles Eparses (Tromelin, Europa, Juan de Nova, Bassas de India, les Glorieuses). Une partie significative de leurs superficies devrait être amputée au cours du 21ème siècle. Il n’y a pas cependant d’habitant régulier sur ces îles du canal du Mozambique ou situées au nord de Madagascar. Elles sont occupées seulement par des météorologistes et, parfois, par des petits détachements de militaires.  

Mayotte (océan Indien) et Wallis (océan Pacifique) doivent rester vigilants. Ces deux îles possèdent chacune une barrière de corail qui les protège des assauts de l’océan. Cependant, à long terme, cette protection naturelle disparaîtra. Et les populations le long du rivage devront déménager pour des terres plus à l’intérieur. 

Les Terres antarctiques et australes françaises (TAAF) seront peu concernées par une élévation du niveau de la mer. Les TAAF abritent des scientifiques dont les centres se situent à des élévations suffisamment importantes de l’ordre de plusieurs dizaines de mètres.  

Enfin, pour mémoire, citons l’îlot de Clipperton dans le Pacifique Est qui est amené à disparaître complètement dans un proche avenir. S’il a été habité pendant quelques décennies à la fin du 19ème siècle, il n’est aujourd’hui visité que par des crabes et des oiseaux.  

 

TROISIÈME PARTIE : DES ADAPTATIONS NÉCESSAIRES 

Il est évident que, face à cette élévation touchant près de 2% de la population mondiale (estimée en 2100 à 10 milliards d’êtres humains selon le scénario médian), des adaptations sont nécessaires. L’intégration de mesures pertinentes et adroites exigera la prise de décisions stratégiques à la fois par les gouvernements, par les collectivités, par les acteurs socio-économiques, mais aussi par les instances internationales.

La communauté internationale commence à se mobiliser. En complément des mesures d’atténuation portant sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, telles que le protocole de Kyoto, un programme de travail sur les vulnérabilités et l’adaptation face à l’élévation du niveau de la mer a été décidé à Buenos-Aires en 2004 lors de la Conférence des Parties, organe décisionnel de la Convention Cadre (CCNUCC). Ce programme préconise de plus amples recherches en matière scientifique sur la vulnérabilité, les impacts et l’adaptation, venant en appui non seulement des plans d’action nationaux en cours d’élaboration dans les pays les moins développés, mais aussi des processus d’adaptation dans des stratégies de développement durable. Il s’agit ainsi d’aboutir à une politique globale permettant d’agir efficacement sur le triptyque « atténuation – adaptation - développement durable ». Nous n’examinerons ici les adaptations possibles face à l’élévation du niveau de la mer ; et en particulier les migrations de population qui dans la plupart des cas seront la seule réponse idoine faute de moyens financiers suffisants pour une protection sérieuse. 

Nous développerons en particulier deux exemples singuliers : celui des Tuvalu qui a débuté un exode vers la Nouvelle Zélande sans attendre une submersion totale ; et celui des îles Maldives qui « s’accrochent » à leur territoire. Deux façons d’appréhender le fléau ; deux manières de s’adapter. 

 

3.1. Les différentes adaptations des populations 

Face à l’élévation du niveau de la mer, les populations ont recours à trois formes génériques d’adaptation, sans compter la quatrième et dernière, l’inaction, qui est synonyme d’irresponsabilité :

. la protection de l’habitat (par des digues),

. l’élévation de l’habitat,

. la migration (intérieure ou vers des Etats voisins). 

 

3.1.1. Protections et migrations internes dans les pays côtiers

Dans les pays industrialisés, de nombreuses zones côtières urbanisées sont déjà protégées par des digues. Ce sont certainement les Pays-Bas qui remportent la palme car la majorité de la population (60%) qui se trouve au dessous du niveau de la mer est protégée par des séries de digues, à l’ouest face à la Mer du Nord, et le long des fleuves, totalisant ainsi plusieurs centaines de kilomètres de jetées. Les protections de villes ou de zones urbanisées des pays occidentaux peuvent être réalisées moyennant des budgets importants, mais à leur portée. Il est à noter que, dans la majeure partie des cas, il n’est qu’un côté à protéger, celui orienté vers la mer ou l’océan.

En conséquence, dans les pays industrialisés, peu de migrations climatiques devraient s’opérer au cours du 21ème siècle. Des retraits de quelques centaines de mètres ici ou là, sans grande conséquences géopolitiques sur les pays considérés. Toutefois, comme en Louisiane en 2005, on ne peut écarter l’idée qu’une tempête puisse ouvrir une brèche provoquant l’inondation de plusieurs milliers de personnes. Ce serait particulièrement catastrophique aux Pays-Bas.  

Il est à regretter cependant que les villes côtières ne se transforment à terme en des forteresses du Moyen Age avec des « remparts » face à l’océan pour résister aux assauts des vagues. Il faut profiter des efforts de protection ou de reconstruction pour ériger des villes « écologiques ». Bill Clinton a été le premier en 2005 à en faire la proposition pour la reconstruction de la Nouvelle Orléans. 

La protection des grands deltas au moyen de digues de mer et autres barrières est une opération plus délicate. La protection doit en effet préserver l’écoulement dynamique des fleuves. Au Bangladesh, dans le delta du Brahmapoutre et du Gange, quelques digues ont été construites en collaboration avec les Néerlandais devenus les maîtres de ce type d’ouvrage. Par ailleurs, l’élévation de l’habitat, la restauration de dunes, la création de terres humides, autres possibilités plus écologiques, ne peuvent être entreprises que dans certains cas particuliers.  

Cependant tous les Etats côtiers n’ont pas les moyens financiers et techniques pour construire les protections adaptées ou pour prévenir les catastrophes en anticipant des déplacements de populations exposées. C’est le cas de certains pays d’Asie du Sud-Est et, bien évidemment, des pays d’Afrique. Ce sont donc des millions de personnes qui seront déplacées dans ces pays. Arrachées à leurs terres et à leurs foyers. A chaque déplacement, il s’agira de trouver plus loin un emploi, une terre et un toit. En prenant nécessairement sur les ressources des riverains. Dans la plupart des cas cependant, les migrants pourront trouver refuge sans changer de pays et de nationalité. Sans conteste, ce ne sera pas sans conséquences sur l’équilibre politique des pays considérés. Des crises internes sont à redouter.  

Les nations occidentales seront indirectement concernées par ces perspectives. Lors des catastrophes,  inévitables selon toute vraisemblance, leurs moyens et leurs hommes seront engagés dans les opérations de secours à l’instar du tsunami en décembre 2004. Ces crises peuvent également exiger des opérations de maintien de la paix sous mandat de l’ONU pour assurer la paix entre différentes ethnies, ou intervenir et aider des populations en souffrance. 

 

3.1.2. Des exils inévitables pour les populations des Etats insulaires

Des études ont montré qu’il serait très coûteux voire prohibitif de protéger, à l’instar des zones urbanisées dans les pays continentaux, les îles de faible altitude par des brise-lames. Il s’agit en effet de protéger la totalité des côtés des îlots, ce qui grève sérieusement le budget. Malé, la capitale des Maldives de taille modeste, est ainsi protégée de toutes parts par des jetées qui ont pu être réalisées au fil des années avec l’assistance technique et financière du Japon.  

L’élévation du niveau de la mer n’est pas l’unique fléau auquel ces populations auront à faire face. Dans les Etats insulaires, la majeure partie des sources de revenus (agriculture, tourisme, pêche) et des infrastructures est en effet concentrée près des côtes. Avant une submersion totale, ces Etats seront donc touchés par des difficultés issues de la hausse des températures de l’air et de la mer : perturbation des écosystèmes et en particulier de la flore marine, modification de la biodiversité de la faune marine, salinisation des nappes d’eau douce, etc. Ce ne sera pas sans influence sur la pêche et les industries halieutiques qui pâtiront sans conteste de ces perturbations.  

Le tourisme représente une source essentielle de revenus ces Etats insulaires, fondant souvent leur économie sur des infrastructures touristiques développées. Si, comme à Malé, il est inévitable de construire des digues en lieu et place des plages de sable, la diminution du tourisme balnéaire sera sans nul doute fatale. 

On peut lister les impacts liés à l’élévation des températures et du niveau de l’eau par le tableau suivant.

 

Secteur

Origine

Impact

Réserves en eau douce

Perturbation des précipitations (sécheresses et inondations)

Autonomie en eau douce non assurée

Augmentation du niveau de la mer

Intrusion d’eau de mer dans les nappes d’eau douce

Biodiversité terrestre

Augmentation du niveau de la mer

Disparition des mangroves et de la biodiversité associée

Biodiversité marine

Augmentation de la température de l’eau de mer

Blanchiment du corail et modification de la flore marine

Ressources halieutiques

Modification de la biodiversité marine

Ressources halieutiques en diminution

Tourisme

Augmentation des températures moyennes

Diminution du nombre de touristes

Augmentation du niveau de la mer

Disparition de plages

Augmentation de l’intensité et de la fréquence des phénomènes extrêmes

Impacts sur les infrastructures touristiques

Habitations

Augmentation du niveau de la mer

Déplacement des habitations et inondations

Assurances

Catastrophes naturelles

Primes d’assurance en croissance

Santé

Augmentation du niveau de la mer et des inondations

Maladies diverses en augmentation


 

 

Avant l’assaut des vagues, c’est donc l’économie de ces pays qui serait complètement atrophiée. Construire des digues, dont le coût au demeurant exigerait des fonds colossaux, reviendrait à paupériser voire condamner ces Etats qui vivent principalement du tourisme balnéaire. Face à l’élévation du niveau de la mer, la plupart de ces pays n’ont qu’une seule issue à terme : la migration. L’emploi de digues et autres protections ne pourra être entrepris que dans certains cas particulier où, grâce à elles, la biodiversité pourra recouvrer un équilibre et le tourisme perdurer parce qu’il ne dépendra pas uniquement des plages de sable fin. 

Ce sont donc près de 1 million de personnes qui devront s’exiler dans un autre pays avant que leurs pays ne connaissent le destin de l’Atlantide. Les populations (effectifs estimés en 2025) devant au moins pour partie migrer vers un autre pays à l’horizon 2100 pourraient être les suivantes : 400 000 hab. Bahamas; 400 000 hab. Maldives; 80 000 hab. Marshall; 100 000 hab. Kiribati; 11 000 hab. Tuvalu; 940 000 hab. Fidji ; 110 000 hab. Tonga.  

 

3.2. Le statut des réfugiés climatiques 

Il est point délicat : le statut de réfugié climatique n’est pour le moment pas reconnu par les institutions internationales. 

Il faut légiférer sur cette question  fondamentale. Nous ne pouvons continuer à ignorer les réfugiés climatiques sous prétexte qu’aucune reconnaissance officielle n’a été établie aujourd’hui. D’autant qu’il ne s’agit pas seulement des réfugiés climatiques générés par la hausse du niveau de la mer, mais qu’il s’agit du terme générique. En effet, d’après les travaux de Norman Myers, 900 millions d’êtres humains sont concernés par les phénomènes climatiques extrêmes exacerbés par la hausse des températures, une majeure partie étant localisée en Afrique et en Asie du Sud-Est ; ce sont donc 900 millions de candidats potentiels à la migration climatique au cours du 21ème siècle.

Le terme de « réfugié » possède une acception précise en droit international. Il est défini par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 complétée par le protocole de 1967 : « …toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut, ou en raison de ladite crainte, ne veut y retourner… ». On comprend que cette définition ne peut s’appliquer stricto sensu à des populations qui ne sont pas persécutées par des individus mais mises en danger par des phénomènes « naturels ». De plus, après une catastrophe, le retour à court ou moyen terme est possible et envisageable. Clairement, un réfugié qui fuit pour des raisons environnementales ne répond pas aux critères du statut de réfugié. 

Actuellement il n’y aucun consensus sur l’élargissement du régime du réfugié dans la mesure ou un élargissement signifie pour les pays industrialisés, terres de cocagne, des afflux massifs d’êtres humains et un fardeau financier significatif. Cette situation contraste grandement avec les politiques extrêmement favorables à l’immigration adoptées pendant la majeure partie du 19ème siècle dans les pays occidentaux. La montée du chômage, les difficultés de financement des systèmes de protection sociale, la crise urbaine ont créé des contraintes nouvelles pour l’insertion des immigrés dans la société d’accueil. Très rapidement des politiques limitatives puis répressives ont été mises en place.  

Anticipant les futurs déplacements d'autres populations, l'UNHCR[xviii] plaide pour une reconnaissance juridique internationale de ce nouveau type de réfugiés, ignorés à l'heure actuelle par les conventions internationales. Devant les mouvements massifs de population à venir, il est urgent que les Etats s'organisent, prévient l'organisation, qui demande que « cette nouvelle catégorie de réfugiés environnementaux puisse trouver une place dans le cadre d'accords internationaux existants ». La question fait débat et un travail de concertation est en cours pour préciser leur statut. D'autant que leur reconnaissance légale impliquera de facto une assistance, voire comme le demandent les ONG, une compensation financière des dommages subis, dès lors que les responsabilités économiques ou politiques seraient établies. Créé dans cet objectif, le programme " Climate justice " réunit 70 ONG -dont les Amis de la Terre, Greenpeace, le WWF et de nombreuses ONG des pays du Sud- et des associations de juristes. Le débat est loin d’être clos.

 

3.3. Les premières actions entreprises 

Ce sont les Etats insulaires qui sont les plus menacés. Ces pays ont compris l’intérêt de mettre leur énergie en commun pour trouver des adaptations sans attendre les premières catastrophes mortifères.  

Au reste, l’exode de certaines populations a déjà commencé. Devant l’acuité du processus d’élévation du niveau des océans, certains Etats ont déjà pris leur avenir en main. D’autres y seront poussés par des catastrophes à l’instar de celle provoquée par le cyclone « Katrina » en Louisiane. 

 

3.3.1 L’alliance AOSIS[xix]

AOSIS est une coalition de pays insulaires regroupant aujourd’hui 43 Etats et observateurs, issus de tous les océans et régions du monde : Afrique, Caraïbes, Méditerranée, océan Indien, océan Pacifique et mer de Chine. Trente sept sont membres des Nations unies. Les Etats membres d’AOSIS travaillent ensemble principalement par leur mission diplomatique à New York dans l’enceinte des Nations unies. AOSIS fonctionne sur la base de la consultation et du consensus. Les principales décisions politiques sont prises en session plénière au niveau des ambassadeurs. Cette alliance n’a pas de charte formelle, ni secrétariat, ni budget. Son excellence l’ambassadeur de Maurice, Jaqdish Koonjul, en est l’actuel président.

L’AOSIS joue un rôle important depuis de nombreuses années dans les négociations internationales sur le climat et s'exprime souvent d'une seule voix à l'ONU. Ces pays ont été les premiers à présenter un projet de texte pour les négociations du Protocole de Kyoto, proposant des réductions d'émissions de dioxyde de carbone de 20% des niveaux de 1990 pour 2005. Une proposition qui a été alors reprise et ajustée pour aboutir au texte final du protocole de Kyoto.

Ces îles seront les plus durement touchées par l’élévation du niveau de la mer. Pourtant elles ne contribuent que pour  une part infime à la production anthropique des gaz à effet de serre . En effet, en première estimation, elles ne produisent que 0,4% du l’ensemble des gaz à effet de serre. Compte tenu de leurs ressources limitées, elles demandent l’aide internationale qu’elles sont en droit d’exiger. 

Ces îles sont vulnérables à plus d'un titre : si certaines d'entre elles risquent d'être en grande partie noyées sous les eaux (Maldives, Tuvalu, Bahamas, Kiribati, Marshall...), toutes seront concernées par la montée du niveau des océans qui risquent de submerger des espaces côtiers fortement urbanisés et pôles de développement économique. La menace sérieuse qui pèse sur les bancs de coraux et la disparition annoncée des lagons et des plages, ne seront pas sans conséquences sur ces économies fondées en large partie sur le tourisme et la pêche côtière.  

C’est au travers de programmes que ces Etats collaborent pour tenter de prendre les mesures appropriées pour s’adapter à la transition climatique. Dès 1997, les Etats insulaires de l’océan Pacifique avaient collaboré au programme PICCAP (Pacific Islands Climate Change Assistance Programme) pour identifier les adaptations possibles. Les Tuvalu, qui ont pris conscience du danger imminent qui les menace, ont développé par ailleurs un programme de collaboration avec la Nouvelle Zélande. 

 

3.3.2 Le cas des Iles Tuvalu – un exode amorcé

Situées dans l’océan Pacifique, à 3 400 km au nord-est de l’Australie, les îles Tuvalu constituent un archipel de 8 petits atolls. C’est un des plus petits Etats de la planète. Pour y avoir fait escale il y a quelques années, son plus haut sommet est constitué par l’amas de détritus à une extrémité de l’île principale ; il s’élève à près de 4 m. * source INED, institut national d’études démographiques (www.ined.fr) 

Quelques paramètres sur les Tuvalu (en 2004)

Superficie

 26 km²

Population

 11 000 hab

Nombre d’îles

8

Nombres d’îles habitées

8

PNB  (en dollar US)

 20 millions (dollars)

                       

En 1997, le précédent Premier ministre des Tuvalu, M. Bikenibeu Paeniu, a prononcé un discours à Kyoto dans le cadre de la convention sur le changement climatique. Il y a fait sensation en expliquant que les impacts du changement climatique et en particulier de l’élévation du niveau des océans étaient déjà visibles sur « ses » îles.  

Face aux risques encourus, la population des îles Tuvalu est la première population qui a débuté son exode. Près de 3 000 ressortissants ont déjà été accueillis par la Nouvelle Zélande selon les termes d’un programme d’immigration appelé « Pacific Access Category » (PAC). Le PAC est un accord conclu entre les gouvernements des Tuvalu, de Fidji, des îles Kiribati, de Tonga et de la Nouvelle Zélande. Il doit permettre une « évacuation » progressive de la population de ces Etats amenés à disparaître (Tuvalu, Kiribati) ou, à tout le moins, à être sérieusement amputés (Tonga, Fidji). 75 ressortissants de Kiribati et des Tuvalu sont donc autorisés à migrer chaque année vers la Nouvelle Zélande ; et 250 en ce qui concerne les Tonga et les Fidji.  

Il est à noter que l’Australie, qui avait été contactée au préalable en 2000 par les autorités des îles Tuvalu, a décliné l’offre et refusé toute immigration en provenance de ces îles en délicatesse avec l’océan. C’est finalement la Nouvelle Zélande qui a accepté d’accueillir régulièrement par petits groupes la totalité de la population de Tuvalu. 

Cette migration repose néanmoins sur des conditions strictes édictées par les autorités de la Nouvelle Zélande :

. être âgé de 18 à 45 ans,

. avoir une opportunité d’emploi en nouvelle Zélande (à temps complet),

. parler couramment l’anglais,

. disposer d’un état de santé sans tare,

. ne pas avoir déjà essayé d’entrer illégalement en Nouvelle Zélande.

La difficulté principale de ce programme est la recherche à distance et l’obtention d’un emploi en Nouvelle Zélande. Par ailleurs, un tel programme signifie pour le moment un désintérêt total à l’égard des plus âgés.   

Certes ces conditions ne sont pas caractérisées par à une philanthropie exacerbée. Ce programme constitue pourtant un progrès indéniable. Il est le fruit d’une communication adroite de la part de l’alliance AOSIS. Il est à citer en exemple car il permet, en anticipant une issue fatale, une migration raisonnable et régulière, critères essentiels à une intégration non conflictuelle et gages de réussite. 

 

3.3.3 Le cas des Maldives – concentration et protections

Comme les Tuvalu, le plus haut sommet des îles Maldives se situe à 4 mètres au dessus du niveau de la mer. 80% des îles Maldives ont une élévation de moins d’un mètre. Alors que les Maldives ne contribuent que pour 0,001% aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre, ce sera assurément un des premiers Etats concernés par la hausse du niveau de la mer. Les autorités des Maldives ont rapidement évalué la conséquence principale de cette hausse sur l’avenir du pays : une disparition complète est à envisager à plus ou moins long terme si la hausse est confirmée.  Source : site Internet des Maldives www.maldivesinfo.gov.mv

Quelques paramètres sur les Maldives (en 2005)

Superficie

300 km²

Population

290 000 hab

Nombre d’îles

1192

Nombres d’îles habitées

199

PNB  (en dollar US)

161 millions (dollars)

 

Dès le milieu des années 1990, les autorités ont débuté un programme pour déterminer les actions à entreprendre pour faire face à cet avatar : le « Vulnerability and Adaptation Assessment Process ». Il s’agit d’étudier l’avenir de 7 îles représentatives des Maldives, dont la principale où se situe la capitale Malé, dans différents secteurs : tracé des côtes, habitations, écosystèmes marins, tourisme, pêche, agriculture, ressources en eau douce, et santé.  

Pour le moment, en attendant une confirmation sur le « terrain » de l’évolution de l’eustatisme, les autorités essaient, au travers de ce programme, de s’adapter à l’élévation actuelle qui reste encore raisonnable. Les premières digues ont été construites autour de Malé, la capitale, avec l’assistance financière et technique du Japon. Envisager de développer ce type de protection autour des 199 îles habitées des Maldives demanderait cependant la somme colossale de 6 milliards de dollars, ce qui représente environ 40 fois le produit national brut annuel du pays. Protéger l’ensemble des îles habitées des Maldives n’est donc pas une option réaliste. D’autant que les plages, qui constituent l’attrait essentiel de ce pays, sont entretenues par un processus naturel dynamique ; des digues perturberaient ce processus annonçant avec certitude la disparition de ces plages. 

Cette somme pourrait être réduite de façon significative si la population pouvait être concentrée sur un nombre réduit d’îles. Une protection de 50 îles coûterait 1,5 milliards de dollars, ce qui représente encore une somme considérable. Le gouvernement s’emploie ainsi à déplacer les populations afin de concentrer celles-ci dans des îles qui pourraient être à l’avenir protégées à l’instar de l’île principale de Malé. Des centres urbains sont ainsi créés par les autorités qui y concentrent écoles, dispensaires, et autres agences de soutien à la personne, dans le but d’attirer les populations isolées.  

Si la hausse du niveau de la mer devait cependant suivre les courbes prévues, il n’est qu’une seule issue à long terme : la migration vers un Etat voisin. Les autorités en ont conscience. Toutefois, les incertitudes sur les projections permettent au gouvernement et à toute la population de ces îles magnifiques de croire encore en leur avenir. 

 

3.4. Perspectives géopolitiques des migrations

Une grande majorité des conflits qui ont ponctué l’histoire de l’humanité a pour origine les mouvements de populations. 

A l’instar des îles Tuvalu, le premier souci des candidats à l’exode est de trouver une terre d’accueil. Il faut reconnaître que le déplacement de populations ne sera pas sans conséquences sur l’équilibre géopolitique des pays d’accueil, outre celui des immigrés eux-mêmes. Les éventuels hospitaliers sont quelque peu effrayés. Accueillir des réfugiés, quand bien même il s’agirait de petits volumes de population, peut en effet perturber la cohésion sociale et constituer le point de départ de tensions sociales déstabilisantes et subversives. Ce sont ces conséquences qui ont certainement dissuadé l’Australie devant la demande d’assistance des autorités des Tuvalu. Les pays d’Europe et les Etats-Unis en ont fait l’expérience, accueillir des migrants n’est pas sans poser de problèmes sociaux sur l’ensemble de la population ; sans parler de racisme et de discrimination.  

Les candidats à l’accueil sont donc peu nombreux, les volontaires rares. La Nouvelle Zélande fait exception. Aujourd’hui, devant l’arrivée de réfugiés de tout acabit, la plupart des pays occidentaux ferment leurs frontières. Les migrants constituent une menace pour l’équilibre et devant des taux de chômage élevés, à tout le moins positifs, trouver des emplois en nombre pour des immigrés constitue une gageure aujourd’hui. Il s’agit de trouver des pays d’accueil dont le mode de vie reste proche de celui des candidats à l’exode, dont la densité de population reste peu élevée, et dont le taux de croissance permet un avenir professionnel. On pense tout naturellement à l’Australie et à la Nouvelle Zélande pour les populations de l’océan Pacifique. Mais quid des Bahamas et des Maldives ? 

Il est pourtant essentiel d’anticiper et d’adopter une politique de prévention. Il est essentiel d’anticiper pour créer au préalable les conditions favorables à un accueil : trouver les emplois possibles en utilisant les compétences des futurs immigrés ; déterminer les sites d’accueil provisoires ou définitifs ; informer à bon escient les populations autochtones ; enfin estimer au plus juste les volumes des populations pouvant être accueillies, et les répartir adroitement. Toutes ces actions ne peuvent être réalisées dans l’urgence ou la précipitation. Elles doivent s’appuyer sur des études et des investigations sérieuses, réalisées en concertation avec les organisations internationales.  

Il ne s’agit pas d’accueillir des touristes pour de courtes périodes mais des familles complètes avec leurs biens et leurs cultures ad vitam aeternam. Il s’agit en effet, non seulement d’accueillir des hommes et des femmes, mais faire coexister sans heurt des cultures, des coutumes et des mœurs qui trouvent leurs origines dans des histoires différentes. Ce sont donc des modes de vie différents qui devront apprendre à cohabiter. Et ce n’est pas le tout de trouver des logements et des sites pour ces immigrés ; il faut donner à chacun un emploi pour permettre une vie honorable et une intégration heureuse. C’est donc une unité nationale qui est potentiellement remise en jeu chaque fois. 

Par ailleurs, l’intégration ne doit pas se confondre avec naturalisation. La naturalisation ne suffit pas. C’est un processus qui passe par l’emploi mais aussi par la scolarisation, auxquels contribuent les associations mais aussi les collectivités territoriales. La scolarité des enfants immigrés est un facteur déterminant de l’insertion sociale et économique. S’il est légitime d’estimer que les immigrés de la première génération auront des difficultés d’intégration, les générations suivantes auront les moyens de s’immiscer dans la vie sociale du pays d’accueil grâce à une scolarisation assimilatrice. 

S’habituer à un mode de vie différent de celui qui a encadré les premières années de la vie n’est pas chose aisée. Or, émigrer c’est aussi adopter les règles de vie du pays d’accueil. Cela exige une préparation des candidats à l’immigration. Une formation sur les valeurs du pays d’accueil est la bienvenue. Sans se départir de leur culture, les impétrants doivent adhérer à ces valeurs et en particulier à leurs futures lois afin de permettre une immixtion souple et heureuse. 

Outre les migrations intra étatiques, il s’agit donc de permettre tout au long du 21ème siècle un exode de près d’un million de personnes. Cela ne peut être entrepris que dans le cadre d’une démarche respectant les critères du développement durable. Parce que c’est donner à tous les réfugiés climatiques des conditions de vie décentes sans négliger l’environnement. C’est par le truchement des organisations internationales, l’ONU en particulier, que l’on pourra permettre à ces milliers de familles de s’exiler sans heurt, sans conflit, vers des pays voisins. Il faut commencer maintenant en s’appuyant sur l’expérience de la collaboration de la Nouvelle Zélande et des îles Tuvalu. Et il faut s’occuper des Bahamas, des Maldives et des îles Marshall. 

 

CONCLUSION

Le danger est réel. De nombreux Etats insulaires connaîtront le destin de l’Atlantide et seront engloutis si nous ne prenons garde. Certains sont déjà condamnés. Il est aujourd’hui du devoir des pays développés de participer au règlement pacifique des exodes car il faut se souvenir que ce sont eux qui contribuent pour une grande majorité à l’augmentation exponentielle du taux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Alors que les petits Etats insulaires, les plus menacés, ne participent que pour une part infime de cette production néfaste et funeste. 

A l’horizon 2100, ce sont donc 200 millions êtres humains qui seraient susceptibles de déménager. Parmi ceux-ci, près d’un million de personnes seront amenées à trouver refuge dans un pays différent de leur terre natale. Or, il s’agit avant tout d’anticiper pour diminuer autant que faire se peut les tensions inéluctables lors des mouvements de migration. Avec une politique internationale judicieuse et intelligente, le problème peut être appréhendé avec circonspection et efficacité. 

La procrastination est certes une solution facile, une attitude confortable dans l’immédiat, les responsables politiques mettant en avant l’incertitude des prévisions. Pourtant sans préparation, collaboration et anticipation, les entreprises d’intégration seront voués à l’échec et représenteront assurément des sources de tensions voire de crises. Dans l’urgence, sans terres et sans toits, les populations emmèneront leur famine, leur chômage, leurs maladies ; leurs ressentiments aussi. Un fardeau difficile à porter pour des voisins dans l’obligation d’accueillir des réfugiés pour le moins « encombrants ».  

Actuellement, excepté les cas des Maldives qui espèrent encore une atténuation du phénomène, et celui des Tuvalu qui a débuté son exode, il n’est pas observé d’autres efforts. Pourtant, de nombreux Etats, parfois des pays riches, sont menacés dès aujourd’hui par une onde de tempête ou à plus long terme par l’élévation du niveau de la mer. L’alliance AOSIS tente de sensibiliser les pays développés qui seuls pourront aider les Etats insulaires, disposant de moyens financiers limités, à faire face à la submersion inévitable et fatale.  

Il est fondamental de continuer l’élaboration de protocoles sérieux permettant à court terme une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit de faire en sorte que les 200 millions de candidats à l’immigration climatique ne soient pas suivis pas des milliards. Il s’agit de penser à nos petits enfants pour leur permettre de vivre dans de bonnes conditions ; sans murs, sans digues, les empêchant d’accéder au sable de la plage. Il est de notre devoir de légiférer tous ensemble, les Etats-Unis, le plus grand producteur du CO2, compris. C’est avec une politique de gestion rigoureuse que l’on réussira à inverser la tendance, sachant qu’une inertie du système est de toute façon inévitable. 

Il est essentiel également de légiférer sur le statut des réfugiés climatiques. Le réfugié climatique n’est aujourd’hui pas reconnu et ce désintéressement participe de l’inertie des organisations internationales à appréhender le sujet. Il est vrai, le réfugié climatique n’est pas persécuté du fait de son origine, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Mais il est persécuté par la planète qui regimbe devant notre attitude de conquistador. Il est persécuté par les éléments naturels « excités » par une utilisation abusive des ressources de notre Terre.  Et, sans statut, pas de salut.  

Le président français Jacques Chirac a proposé une taxe de 1 euro sur les billets d’avion afin d’aider les malades du Sida et, de façon plus étendue, toutes les pandémies dans le monde. Cette idée, qui éprouve quelques difficultés à s’imposer sur la scène internationale, pourrait être utilisée au profit des réfugiés climatiques. Ses chances de succès sont nettement plus élevées. L’argumentation semble plus facile à expliquer : c’est en effet prendre un peu aux pollueurs pour donner aux pollués. Tous les moyens émettant du CO2 pourraient être taxés : les industries, les chauffages domestiques et les moyens de transport. Un fonds pourrait être ainsi constitué ; il serait destiné aux populations en délicatesse avec les océans. Ce serait un juste retour des choses dans la mesure où ce sont les transports et les industries qui participent en grande partie de l’accroissement de la hausse des températures et du niveau de la mer.    

Au-delà de la hausse du niveau de la mer, c’est l’avenir de notre planète qui est jeu. Dans son livre, The Next World War, Roy Woodbridge développe une thèse qui mérite considération. Selon lui, le déclin écologique rapide que connaît la planète en raison du développement humain, en particulier ses formes très déséquilibrées, va induire, dans les cinquante ans qui viennent, une dégradation des capacités d’approvisionnement en nourriture et en eau. Ces difficultés seront portées à leur paroxysme par les changements climatiques. Les prochains grands conflits risquent fort, selon lui, de trouver leur origine dans cette concurrence pour l’accès aux ressources vitales. Face à ce futur difficile, il propose que la communauté internationale entre littéralement en guerre, de manière unifiée et coordonnée, contre la dégradation environnementale. 

Il faut déclarer la guerre à l’irresponsabilité. 

Capitaine de frégate Jérôme Origny, France, Marine, CID, 13e promotion.

Manuscrit clos en mars 2006

Copyright 20 mars 2006- Origny / www.diploweb.com  

Notes de l’étude


[i] L’objectif du protocole de Kyoto est de réduire de 5% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 1990 au cours de la période 2008-2012. Il est entré en vigueur en 2005 après la signature de la Russie qui permet de dépasser les 55% des émissions totales de 1990, condition fixée par le protocole. 

[ii] En anglais IPCC pour Intergouvernmental Panel on Climate Change. Le siège est à Genève au sein de l’OMM ; toutes les études peuvent être consultées sur le site : www.ipcc.ch.

[iii]  Paru en France aux éditions « Le Cherche Midi ».

[iv] ONERC : créé par la loi du 2001-153 du 19 février 2001.

[v] MIES : créée par le décret n° 92-528 du 16 juin 1992, modifié par le décret n° 98-441 du 5 juin 1998 ; depuis le décret n° 2002-895 du 15 mai 2002 relatif aux attributions du ministre de l’écologie et du développement durable, la mission a été placée sous l’autorité de celui-ci.

[vi] Eustatisme : variation du niveau de la mer ; on dit aussi parfois Eustasie.

[vii] ENSO : le phénomène EL NINO, phénomène océanique d’une période irrégulière de 2 à 7 ans, se caractérise par le réchauffement d’un immense réservoir d’eau superficielle qui s’étend du Pacifique central jusqu’aux côtes du Pérou et de l’Equateur. Cette anomalie chaude de température de surface de la mer, de l’ordre de 4° à 6°C, s’accompagne d’une interaction océan/atmosphère qui perturbe les courants marins, la position relative de l’équateur thermique, le régime des alizés et plus généralement la circulation générale atmosphérique ; toute la ceinture tropicale du globe subit un bouleversement climatique qui provoque régionalement des précipitations intenses ou des périodes de sécheresse exceptionnelles.

[viii] Cela ne comprend pas la banquise de l’océan Arctique puisque celle-ci, selon le sacro-saint principe d’Archimède, occupe déjà son propre volume d’eau. Et ceci vaut pour tous les réservoirs d’eaux glacées flottants: icebergs, growlers, banquises, etc.

[ix] Dinas-Coast : www.pik-potsdam.de

[x] Survas : www.survas.mdx.ac.uk

[xi] Climate Research : www.int-res.com/home/

[xii] World Resource Institute : www.wri.org

[xiii] Aux Pays-Bas, un quart du territoire est situé sous le niveau de la mer, représentant ainsi 60 % de la population. Celle-ci est protégée par des centaines de kilomètres de digues.

[xiv] Le cas de Venise est notoire. La ville pâtit également d’un enfouissement régulier de la ville qui aggrave les conséquences de la hausse du niveau de la mer. La place St Marc est inondée 4 fois par an à la faveur de marée.

[xv] Mégalopole : ville de plus de 8 millions d’habitants (définition de l’UNESCO).

[xvi] Blanchiment : phénomène observé chez les coraux en mauvaise santé ; la couleur des coraux est due en grande partie aux pigments des algues microscopiques qui se trouvent dans les tissus ; lorsque les algues sont expulsées des tissus le corail devient blanc, et ce phénomène peut affecter tout un récif ; le blanchiment est dû à une augmentation de la température de l’eau ou des changements de salinité. Parfois ce phénomène est irréversible, c’est alors la mort du corail.

[xvii] Etude Clus-Auby, Paskoff, Verger, Impact du changement climatique sur le patrimoine du Conservatoire du littoral, note technique n°2, septembre 2005.

[xviii] UNHCR  : haut commissariat pour les réfugiés des Nations unies.

[xix] AOSIS : Alliance of Small Island States.

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Date de la mise en ligne: janvier 2007

 

 

 

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www.effet-de-serre.gouv.fr : site officiel de la mission interministérielle de l’effet de serre (MIES)

www.iom.int/ : site de l’organisation international de la migration.

www.survas.mdx.ac.uk : site du projet « Survas ».

www.pik-potsdam.de : site du projet « Dinas-Coast ».

www.int-res.com/home : site Climat research ; site sur lequel se trouvent de nombreuses études sur le climat en général.

www.wri.org : World Resource Institute ; site sur lequel on trouve de nombreuses études scientifiques sur la Terre.

www.maldivesinfo.gov.mv : site officiel des îles Maldives.

www.sidsnet.org : site de renseignement sur l’alliance des Etats insulaires AOSIS.

www.ined.fr : site de renseignement sur les populations des pays.

   

 

 

 

   
   

Biographie du capitaine de frégate Jérôme Origny

   
   

Mars 1989 - décembre 1991 : Ecole Militaire de la Flotte au sein de l'Ecole Navale ;

Décembre 1991 - juin 1992 : Ecole d'application des officiers de marine (Jeanne d'Arc) ;

Juillet 1992 - juillet 1994 : patrouilleur "La Glorieuse" en Nouvelle Calédonie (Nouméa)  en tant qu'officier en troisième puis officier en second ;

Septembre 1994 - décembre 1994 : école de spécialité "Transmissions" à Saint-Mandrier ;

Janvier 1995 - juillet 1996 : porte-avions "Clemenceau" à Toulon en tant qu'officier transmissions chargé de l'exploitation (TRANS2) ;

Juillet 1996 - juillet 1997 : Ecole des systèmes de combat et armes navals (ESCAN) à Saint-Mandrier (branche Lutte au-dessus de la surface) ;

Juillet 1997 - juillet 1999 : frégate de surveillance "Prairial" à Papeete en tant que commandant adjoint opérations ;

Juillet 1999 - juillet 2000 : commandant du bâtiment-école "Léopard" et du groupe des bâtiments-école ;

Juillet 2000 - juillet 2002 : frégate furtive "Aconit" à Toulon en tant que commandant adjoint opérations ;

Juillet 2002 - juillet 2003 : Bâtiment de commandement et de ravitaillement "Marne" en océan Indien en tant que commandant en second ;

Juillet 2003 - juillet 2005 : frégate anti-sous-marine "La Motte-Picquet" à Toulon en tant que commandant adjoint opérations ;

2005-2006 : Collège interarmées de défense.

   
         

 

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