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"L’Occident et sa bonne parole.

Nos représentations du monde, de l’Europe coloniale à l’Amérique hégémonique ",

par  Karine Postel-Vinay

 

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Ce travail sur la puissance et son ombre portée sur le monde atteint son objectif, en même temps que l’approche globale ici pratiquée permet d’éviter de nombreux lieux communs sur les rapports entre l’Occident et le reste du monde, l’enjeu de puissance étant clairement et sans fausse pudeur posé comme moteur de l’histoire.

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Paris, Flammarion, 2004, 219 p., ISBN 2-08-210446-X, 20 euros.

Un pays peut-il procéder à une mise en scène de l’histoire, et, si oui, comment peut-il rendre cette vision acceptable aux yeux de tous ? Karoline Postel-Vinay, spécialiste de l’Asie, part de la « prééminence de l’Occident » (p.9) dans la lecture d’une histoire globale pour répondre à cette question. L’occidentalisation du monde qui en est la marque (apparente) renvoie d’abord à deux prétentions à l’universalisme, celle de la France et celle des Etats-Unis. La prime revient aujourd’hui aux seconds, qui ont les moyens de la puissance bien évidemment, mais également la capacité de formuler une vision du monde et l’imposer. Á preuve, pour K. Postel-Vinay, depuis le 11 septembre 2001, le mot mondialisation n’a plus la même valeur explicative qu’avant, de par la volonté américaine : le paradigme dominant est désormais la « guerre contre la terreur », formulée et incarnée par les Etats-Unis, qui opèrent ainsi sans complexe une confusion entre eux-mêmes et l’universel. Certes, la propension de l’Occident à définir l’agenda international a toujours eu cours, mais la concurrence que se livrent France et Etats-Unis pour mettre en scène l’Histoire n’est pas innocente et mérite une étude approfondie : formuler une vision du monde en incarnant une vérité et une valeur universelle est bel et bien un enjeu de puissance, et la guerre que l’on définit, de même que les ennemis que l’on fustige, peuvent aussi bien être une réalité qu’une représentation subjective des faits internationaux, dont il faut connaître l’origine.

L'écriture du monde 

C’est donc « l’écriture du monde » qui fait l’objet d’une première partie dans cet ouvrage, laquelle doit servir à démontrer l’ancienneté de ces récits géopolitiques qui ont reflété la puissance d’une nation par sa capacité à mobiliser la communauté internationale autour de certains thèmes forts. Dans les faits, une « conscience globale » commence au début du XVIe siècle, qui pousse déjà à une interprétation de l’espace mondial ; cependant, le sentiment de rétrécissement de l’espace et du temps est surtout le fait du XIXe siècle, perceptible dans cette ruée vers l’inconnu qui caractérise l’effort de colonisation. C’est à cette époque-là que s’affirme la prégnance du discours géopolitique, qui acquiert son statut scientifique pour répondre à une « obsession de la globalité » (p.36) échappant à tout contrôle (développement technologique, interdépendance) mais répondant également à un désir d’expansion (Weltpolitik). Il s’agit ainsi pour l’auteur d’une première version de la mondialisation, qui se confond avec l’Occident, et qui n’est pas comprise par les Orientaux, persistant à fonder leur légitimité sur une « cosmologie à échelle locale ». Cette époque permet un renouvellement de la géographie qui intègre certains postulats politiques de base (unicité du monde, souveraineté de chaque Etat) légitimant la supériorité des pays occidentaux qui « disent le monde », malgré leurs luttes incessantes pour la primauté. C’est ainsi que l’Occident impose ses règles dans tous les domaines internationaux (Convention de La Haye, télégraphie, poids et mesures, chemins de fer, postes), ce qui participe de la définition d’un nouvel ordre mondial qui intègre quelques rares pays non-occidentaux prêts à jouer le jeu, par l’imposition des repères temporels et géographiques que les pays dominés doivent reprendre : la représentation de l’espace national subit donc une forme de mondialisation des connaissances et des règles. Cette supériorité est intériorisée grâce aux différents systèmes éducatifs des pays colonisateurs, appelant la jeune génération à penser un monde dans lequel elle est naturellement supérieure (« think imperially ») : l’espace national se trouve ainsi projeté dans un espace mondial (l’hexagone parfait qui se mue en une « plus grande France »)

Une vision du monde

Le grand récit géopolitique du XXe siècle s’insère dans cette vision occidentaliste du monde, comme le montre la définition même des conflits « périphériques » de la Guerre froide. Cela étant dit, on assiste dès 1914 à la fin de la première mondialisation, bien que la « Grande Guerre » est une illustration de la victoire de l’Occident dans la définition de l’agenda historique mondial : les relations internationales, depuis Wilson, restent marquées par cette origine tout au long du siècle, cette « unité de temps et d’espace qui est en partie artificielle » (p.88). L’auteur nous invite à comprendre comment ce discours naît et s’impose en insistant précisément sur la « puissance narrative des Etats-Unis », dont elle voit les origines dès Wilson et la création du think tank The Inquiry, très vite baptisé Foreign Affairs (1922), groupe de pression proche du pouvoir qui élabore une représentation du monde et travaille à son exportation. On peut ajouter, à la même époque, la création du Reader’s Digest en 1922, qui lui aussi contribue à la production et la diffusion des valeurs américaines et, par conséquent, au rayonnement d’un modèle par définition universel. Cette même vision, encore concurrencée par celle de certains pays européens, occupe seule le devant de la scène dès 1945, et ne sera que très légèrement recyclée au moment de la Guerre froide, afin de correspondre à un message plus adapté à une culture de masse (romans, films d’espionnage). Les notions Est et Ouest dénotent plus que jamais alors une vision ethnocentrique, qui renvoient à une dichotomie et à une globalisation que George Kennan jugeait nécessaire pour faire la part entre la « grande nation », capable d’incarner l’universel, et tout ce qui s’y oppose. Le récit bipolaire qui en découle s’impose à tous, même si l’on trouve par moments certains contre-récits géopolitiques (non-alignés, tiers-monde) qui atteignent un semblant d’existence avec le Nouvel Ordre Economique International (1974), complétés plus tard par ceux des ONG qui veulent ignorer la grande frontière qui coupe le monde en deux, ou plutôt affirmer que cette dernière sépare prioritairement le Nord du Sud. On sait cependant que ces révoltes n’ont pas eu l’impact espéré, ce qui nous renvoie au fait que seul un acteur de poids peut se permettre d’imposer sa grille de lecture du monde sur le long terme.

Une véritable bataille est livrée pour repenser le monde 

Ce point n’empêche pas les remises en cause, et le fait qu’aujourd’hui, une véritable bataille est livrée pour repenser le monde. L’agenda international restera-t-il déterminé par les Occidentaux et leur Welthanschauung ? La mondialisation actuelle n’est qu’en partie une réalité. Elle est cependant plus tangible que la précédente, mieux partagée (que l’on pense à la thèse d’Ohmae Kenichi), alors que la démocratie a fait des progrès incontestables ; même l’altermondialisme, contrairement au tiers-mondisme, ne remet pas en cause l’idée fondamentale qui sous-tend le récit de la mondialisation. Cependant, le discours optimiste autour d’une gouvernance mondiale, à la Fukuyama, subit depuis le début des années 90 les assauts du contre-discours d’un Huntington, qui a pris un poids incontestable avec le 11 septembre. Dans ce monde sans frontières, l’Autre est défini dans des termes qui font penser à la Guerre froide : le rapport de la commission du 11 Septembre a ainsi repris le thème de la Liberté en lutte contre ses ennemis, préconisant des mesures de type idéologique pour déclarer la « guerre contre la terreur », celle-ci incarnée par le terrorisme islamique. Dans une telle perspective, les considérations socio-économiques passent nécessairement au second plan : le danger étant idéologique, il doit d’abord être combattu par la force.

Or, l’Europe et les Etats-Unis n’ont pas la même réponse au problème. Le discours américain puise dans un vieux fond (Wilson, doctrine Truman, Dulles, Reagan, Bush), et reste fidèle aux origines de 1917, et par-delà au principe de la Destinée manifeste. Dans cette optique, un ennemi est finalement nécessaire, comme le Bien a besoin du Mal pour exister, d’où un flottement de la diplomatie américaine après la perestroïka et une réelle angoisse après l’implosion de l’URSS. Les Européens ne peuvent pas compter sur une telle pensée monolithique : la décolonisation et la construction européenne sont passées par là. L’UE a ainsi plus tendance que les Américains à déduire du récit géopolitique de la mondialisation la vision d’un monde global supposant des actions négociées entre le plus grand nombre. Dans cette optique, combattre le terrorisme n’est qu’un aspect de la gouvernance mondiale. C’est précisément ce que l’Amérique ne peut accepter : détenant une vérité universelle qu’elle incarne et qu’elle défend, elle ne peut adhérer à l’idée de communauté internationale. L’une des conséquences de cet état de fait est qu’Europe et Etats-Unis ne se comprennent plus. Or, l’auteur le rappelle, ces deux ensembles sont fondés sur des valeurs similaires. En l’occurrence, c’est à l’Europe de prendre ses responsabilités si elle veut continuer à adhérer à la lecture du monde actuel (que l’on pense aux dérives que peuvent amener le projet Google Print), et jouer un rôle ou non dans cette « guerre contre la terreur » qui semble contenir tout l’agenda international : c’est un défi à sa propre existence, qui implique enfin de se pencher sur ses frontières, son identité et son propre destin, sans pour autant tomber dans des dérives culturalistes stérilisantes.

L'enjeu de puissance, moteur de l'histoire

En conclusion, on peut dire que ce travail sur la puissance et son ombre portée sur le monde atteint son objectif, en même temps que l’approche globale ici pratiquée permet d’éviter de nombreux lieux communs sur les rapports entre l’Occident et le reste du monde, l’enjeu de puissance étant clairement et sans fausse pudeur posé comme moteur de l’histoire.

On reste simplement sur sa faim à l’évocation des rapports que doivent entretenir les Etats-Unis et l’Union européenne : que peut faire cette dernière si les Etats-Unis refusent toute discussion sur la lecture du monde et sur la délimitation du camp adverse, qui est immanquablement amenée à évoluer ? La réponse repose sûrement sur l’Europe et sa volonté ou non de parler d’une seule voix.

Bertrand Vayssière, Université de Pau et des Pays de l’Adour, membre du comité de lecture des Cahiers d'histoire immédiate (GRHI)   

Ecrire: bertrand.vayssiere@wanadoo.fr                                 

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Mise en ligne: décembre 2005

 

 

 

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