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Mexique : quels défis ?

Par Pierre VERLUISE*, le 28 novembre 2012.

Géopolitique de l’Amérique centrale et de l’ALENA. Le 1er décembre 2012, la parenthèse Felipe Calderón se referme au Mexique. Enrique Peña Nieto devient officiellement président et renoue avec la présence du PRI au pouvoir, une pratique ininterrompue de 1928 à 2000. Quels sont les défis à relever ? Regards sur un pays qui pourrait être deux fois plus peuplé que la France en 2050.

La sécurité est un droit de l’homme

LE premier défi est la sécurité. Le sujet a été au cœur de la campagne électorale… et restera au centre des préoccupations des Mexicains. La stratégie militaire de Felipe Calderón contre les cartels de la drogue a été dénoncée comme contre-productive, accusée d’être responsable d’une augmentation du nombre des victimes indirectes. En six ans, 60 000 Mexicains auraient été des victimes collatérales de sa stratégie militaire frontale, soit environ 10 000 par an. En effet, les cartels ont développé d’autres ressources : kidnapping, extorsions, trafic de personnes, extorsions, assassinats…Et les balles perdues ont fait de nombreuses victimes indirectes.

Le départ de Felipe Calderón et la prise de responsabilités d’Enrique Peña Nieto ne changeront rien à une réalité géographique : le Mexique se trouve sur la route qui relie l’Amérique latine au premier marché du monde de cocaïne. 90% de la cocaïne consommée aux États-Unis est passée par le Mexique… Les cartels se battaient sous Calderón pour contrôler cette route, ils continueront à le faire avec Peña Nieto. Son premier défi consiste donc à prouver qu’une autre stratégie est possible contre les cartels de la drogue. Comment trouver une sortie honorable ? « Le mot clé est régulation et non légalisation », avance un expert. Il va sans dire qu’une partie de la réponse se trouve au nord du Rio Grande. La frontière reste très poreuse. L’accessibilité des armes aux États-Unis contribue à armer les cartels. À la frontière Mexique-Etats-Unis, une sculpture a été faite à partir d’armes achetées aux États-Unis puis saisies aux cartels de la drogue, avec une présentation qui met ces deux éléments en relation avec le nombre de victimes. L’aide apportée par les États-Unis au Mexique semble insuffisante. Au Mexique, l’abandon du tout-militaire obligerait à purger la police de son goût pour la corruption. L’Indice de perception de la corruption (IPC) 2011 de l’ONG Transparency international place le Mexique à 3 sur 10, soit au niveau de la Tanzanie. Au-delà, il faut s’engager dans la construction d’institutions politiques à la fois légitimes et solides.

Perspectives économiques

Le deuxième défi est économique. Felipe Calderón entendait générer des emplois – ce qui réduirait l’attractivité des cartels – mais la crise économique venue des Etats-Unis en 2008 a contrarié le projet. Compte tenu de l’interdépendance de ces deux pays de l’ALENA, « quand les Etats-Unis s’enrhument, le Mexique tousse ». Le revenu national brut en parité de pouvoir d’achat par habitant atteint en 2009 le montant de 14 020 dollars américains (France métropolitaine : 33 950) [1]. Le Mexique a su conserver un prix du pétrole assez élevé et accumuler des réserves de devises, ce qui le préserve du pire. 35% des revenus de l’État proviennent cependant des hydrocarbures. Il conviendrait de trouver d’autres ressources, notamment à travers l’impôt, en élargissant la base des personnes imposées. La lutte contre la corruption s’avère également une priorité pour optimiser les ressources de l’État et ne pas obérer le développement économique.

Les réserves pétrolières à terre diminuent mais les réserves off shore seraient importantes. Des investissements suffisants pourraient permettre leur valorisation. Le gaz de schiste aiguise aussi les appétits. Pour l’heure la Petróleos Mexicanos (PEMEX) a en main toutes les compétences en matière d’hydrocarbures, peut-être faudrait-il réformer cette organisation. Reste à savoir comment ne pas se mettre pieds et mains liées entre les mains des compagnies étrangères qui attendent en embuscade une libéralisation du secteur (Petrofac, BP, Shell, Total, etc.).

Le Mexique peut être perçu comme un pays émergent mais les perceptions liées à l’insécurité font hésiter certains investisseurs étrangers, notamment européens. Selon Goldman Sachs, le Mexique pourrait arriver à moyen terme dans le top 10. Mi-2011, sa population approche 114,8 millions d’habitants [2]. Elle est jeune : les moins de 15 ans représentent 29% de la population totale (France : 17%). Les projections de l’INED avancent pour 2050 une population de l’ordre de 144 millions (France : 72, soit la moitié). Cependant l’investissement dans l’éducation demeure peu efficace. Quelques uns considère qu’il faudrait réformer le secteur de l’éducation mais cela implique d’affronter les syndicats ou de composer avec eux. Certains syndicats seraient devenus des entreprises, voire des mafias.

Le Mexique, un émergent ?

Signe des promesses économiques du Mexique, 30% du personnel de l’ambassade du Royaume-Uni dans ce pays – environ 100 personnes - se trouvent au service commercial. L’ambassade des États-Unis compterait près de 1000 personnes. Certes, le Royaume-Uni n’aura jamais le bénéfice de la proximité géographique mais il escompte tirer profit de sa « relation spéciale » avec les États-Unis pour s’implanter davantage dans ce pays qu’il juge prometteur voire émergent.

Comment faire ? Le développement du Mexique passe probablement par une plus présence plus importante des petites et moyennes entreprises étrangères. Une partie des experts européens considère qu’il faut réduire les monopoles, par exemple dans les télécommunications. Une telle réforme passe par la recherche d’un consensus.

Le nouveau président mexicain ne dispose pas d’une majorité politique qui lui permettrait de commencer par les dossiers les plus urgents. La nouvelle équipe a annoncé qu’elle commencerait par la sécurité et les droits de l’homme. Le monde politique lui-même doit s’interroger au sujet de son fonctionnement. Actuellement, il n’est pas possible d’être réélu au poste de député (mandat de 3ans), sénateur (6 ans) ou président (6 ans). Cette pratique conduit parfois à céder aux sirènes de la corruption ou des intérêts privés.

Aujourd’hui encore, 40% de la population vit dans la pauvreté et les écarts de richesse avec la minorité la plus favorisée sont considérables. Les défis de sécurité et de croissance sont importants mais le Mexique a peut-être quelques décennies prometteuses devant lui.

Reste à voir comment le Mexique – et plus largement les pays émergents- assumeront leurs responsabilités dans le monde du XXIe s.

Copyright Novembre 2012-Verluise/Diploweb.com


Plus sur le Diploweb.com

. Voir l’article de Jean-Louis Martin, "Le Mexique : besoin de réformes" Voir

. Voir une carte et un article d’Alain Nonjon, "La frontière Etats-Unis/Mexique" Voir

. Voir toutes les cartes sur l’Amérique Voir

*

Directeur du Diploweb.com. Directeur de recherche à l’IRIS. P. Verluise enseigne la Géographie politique à la Sorbonne, au Magistère de relations internationales et action à l’étranger de l’Université Paris I. Distinguished Professor de Géopolitique à GEM. Chercheur associé à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Chaire Raoul Dandurand.

[1Source : Gilles Pison, « Tous les pays du monde (2011) », Population & Sociétés n°480, juillet-août 2011, INED.

[2Source : Gilles Pison, « Tous les pays du monde (2011) », Population & Sociétés n°480, juillet-août 2011, INED.


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Citation / Quotation

Auteur / Author : Pierre VERLUISE

Date de publication / Date of publication : 28 novembre 2012

Titre de l'article / Article title : Mexique : quels défis ?

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Géopolitique de l’Amérique centrale et de l’ALENA. Le 1er décembre 2012, la parenthèse Felipe Calderón se referme au Mexique. Enrique Peña Nieto devient officiellement président et renoue avec la présence du PRI au pouvoir, une pratique ininterrompue de 1928 à 2000. Quels sont les défis à relever ? Regards sur un pays qui pourrait être deux fois plus peuplé que la France en 2050.

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